par Philippe BIGOURDAN
Responsable du Service Achat et Commande Publique (SACOP), Ville de Montreuil
& Hortense TRANCART
Acheteur public
Commande publique
& collectivités territoriales
octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales
Les PME, grandes gagnantes de la réforme de la commande publique ?
Art. 94. A voir la déclaration aussi ambitieuse que peu réalisable d’Arnaud Montebourg visant à confier 80 % des marchés publics à des PME françaises, on devine aisément qu’en cette période pré-électorale, la bonne santé des PME va, sur le volet économique des déclarations des potentiels candidats, faire partie des sujets favoris de la course à la présidentielle. Les petites et moyennes entreprises représentent 95 % des entreprises françaises, remportent presque 60 % des marchés publics mais seulement 27 % du montant annuel de la commande publique (Rapport 2013 de l’Observatoire économique de l’achat public qui ne prend pas en compte les marchés dont le montant est inférieur à 90 000 € HT). Cela constitue une réelle problématique de développement de l’économie française. Les PME réclament à la fois de la souplesse dans le droit du travail (par exemple, sur les ruptures de contrats) et de la rigidité dans les modalités d’attribution des marchés publics (par exemple, via un mécanisme de quota).
Elles furent, à en croire le Ministère de l’Économie, au cœur du dispositif de la réforme de la commande publique. Ainsi les fédérations professionnelles ont été sollicitées pendant la phase de concertation précédent la transposition des directives européennes relatives aux marchés publics et aux concessions (Directives du 26 février 2014, 2014/24/UE sur la passation des marchés publics et 2014/23/UE sur l’attribution de contrats de concession).
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente de moduler sa réglementation en faveur des PME. Au risque de se faire annuler rapidement certaines mesures par le Conseil d’État (n° 297711, 297870, 297892, 297919, 297937, 297955, 298086, 298087, 301171, 301238, SYNDICAT EGF-BTP et autres) : le 9 juillet 2007, la Haute Juridiction estimait qu’en autorisant les pouvoirs adjudicateurs, dans le cadre des procédures d’appel d’offres restreint, de marché négocié et de dialogue compétitif, à fixer un nombre minimal de petites et moyennes entreprises admises à présenter une offre, les dispositions des articles 60, 65 et 67 du code des marchés publics conduisaient nécessairement à faire de la taille des entreprises un critère de sélection des candidatures. Or un tel critère, en ce qu’il n’est pas nécessairement lié à l’objet du marché, revêt un caractère discriminatoire et méconnaît le principe d’égal accès à la commande publique. Les dispositions du code en cause ont par conséquent été annulées.
Cette décision paraissait logique tant les directives européennes, qui constituent le socle de l’ordonnance 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret 2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics, sont peu enclines au favoritisme local. Elles sont elles-mêmes soumises à l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation Mondiale du Commerce qui pose le principe de non-discrimination entre les fournisseurs.
Aussi le législateur français doit-il assumer une position légèrement schizophrène : un pied dans l’Union européenne et un contexte libéral, l’autre dans un État protectionniste.
A défaut de pouvoir proposer un véritable Small Business Act, les textes nationaux qui réglementent la passation des marchés publics proposent de nombreux outils facilitant l’accès des PME aux marchés publics. Pourtant leur impact souffre en pratique de quelques limites. Quelques mois après la publication du décret marchés publics, petit tour d’horizon des dispositifs actuellement en place.
Allotissement de rigueur et offres variables selon les lots susceptibles d’être obtenus
En premier lieu, la règle de l’allotissement des prestations en familles homogènes ou corps d’état reste le principal outil d’accès des PME à la commande publique. D’abord, parce que son utilisation reste simple, ensuite par son application stricte et contrôlée par le juge. Les pouvoirs adjudicateurs soumis à l’ancien Code des marchés publics devaient s’y soumettre de manière systématique sauf dans des cas dérogatoires, les nouveaux textes l’étendent désormais à l’ensemble des acheteurs.
Toutefois cette consécration de l’allotissement s’accompagne de mesures particulières pour l’attribution de prestations alloties. Ainsi, l’article 32 de l’ordonnance permet à l’acheteur de laisser un candidat remettre des offres variables en fonction du nombre de lots obtenus. On comprend l’intention du législateur. Lorsque plusieurs lots sont attribués à un même titulaire certaines dépenses (comme les installations de chantier sur une opération de travaux) peuvent se voir mutualisées. Aussi est-il dans l’intérêt de l’acheteur de pouvoir bénéficier d’un prix plus compétitif qu’une attribution lot par lot stricto sensu.
Proposant une offre attractive si elles empochent plusieurs lots, le dispositif tendrait à favoriser les structures qui, ayant une assise conséquente et un spectre de compétences plus large, obtiendraient la majeure partie des lots d’une opération. Cela favorise considérablement les grandes entreprises qui peuvent proposer une offre plus basse financièrement. Reste que l’analyse des offres dans de telles situations ne va pas simplifier la tâche de l’acheteur qui souhaitera sans doute recourir à ce dispositif avec parcimonie.
Le texte (article 32 précité) prévoit toutefois que les « acheteurs peuvent limiter le nombre de lots pour lesquels un opérateur économique peut présenter une offre ou le nombre de lots qui peuvent être attribués à un même opérateur économique. » Cette disposition, qui est une application d’une décision du Conseil d’État (CE, 20 février 2013, req. n° 363656), vise expressément à empêcher que les plus grosses sociétés empochent la totalité des parts du gâteau. Elle permet, en ciblant bien le cadre de ce type de restrictions, de laisser un champ plus libre à la compétition entre entreprises plus modestes sur des lots moins importants ou à caractère innovant. Reste que le recours à ce dispositif doit faire face à la frilosité juridique des collectivités territoriales qui craignent toujours de porter atteinte à l’égalité d’accès à la commande publique.
Des règles plus souples et le développement de la dématérialisation
En second lieu, les assouplissements successifs des règles relatives au dépôt des candidatures et des offres va indubitablement faciliter la vie des petites structures, rarement en mesure d’avoir un service « appel d’offres » conséquent.
Le relèvement du seuil en deçà duquel aucun formalisme n’est requis tant pour l’acheteur que pour l’entreprise de 4.000 à 15.000 euros hors taxes puis à 25.000 euros HT aujourd’hui offre la possibilité aux petites et moyennes entreprises d’accéder à la commande publique plus facilement, sur simple acceptation de devis. Le rapport du sénateur Martial BOURQUIN, adopté le 8 octobre 2015, propose même d’élever ce seuil à 40 000 € HT d’ici 3 ans.
En 2016, cela passe par le quota de 10 % du montant des marchés de partenariat ou des concessions confiés à des PME ou des artisans (article 87 de l’ordonnance 2015-899 et 163 du décret 2016-360, article 35 du décret 2016-86 relatif aux concessions) mais également une ouverture des cas de régularisation des erreurs matérielles (article 59 du décret 2016-360) ou la faculté pour l’acheteur d’examiner les offres avant les candidatures, qui peuvent toujours être facilement complétées.
Le dossier de candidature, aussi lourd qu’il est peu déterminant dans une procédure de mise en concurrence (a fortiori une procédure adaptée) est la pierre d’achoppement d’une réforme qui vise à simplifier au maximum cet aspect.
Aussi les mécanismes du Marché Public Simplifié (MPS) et du Document Unique de Marché Européen (DUME) visent-ils à alléger les volumes des dossiers réponses et les formalités chronophages et coûteuses qui pouvaient être un frein à la candidature de PME. Pourtant le recours aux MPS reste encore très timide et si le DUME doit être obligatoirement accepté par les acheteurs en procédure formalisée, le document est victime … de sa propre lourdeur.
Pourtant, la dématérialisation des procédures simplifie les travaux à effectuer avant la transmission des dossiers à l’acheteur. Il s’agit d’un gain de temps tant au niveau des impressions que de la compilation de l’offre/candidature. En effet, le poids des dossiers couplé à l’impératif de délai imposé par les dates limites de réception des offres, permettent de réduire les frais liés aux envois postaux des petites entreprises. Si côté collectivités, les plate-formes de dématérialisation sont un outil largement maîtrisé depuis quelques années, côté PME, le dépôt d’une offre électronique reste encore une étape peu franchie.
Mais elles se mettent progressivement et trouvent de plus en plus d’intérêt à la dématérialisation de leur propre organisation (comme la facturation électronique). Ainsi, le tout « dématérialisé » loin de compliquer la tâche des PME qui surfent sur la tendance 2.0, leur permet de réduire les coûts et le temps liés à la production d’offres.
Du point de vue réglementaire, la facturation électronique ne devient obligatoire que pour les seules grandes entreprises (de plus de 5 000 salariés) au 1er janvier 2017. Mais le système est déjà mis en place depuis plusieurs années au sein des collectivités territoriales. Ainsi, la ville de Montreuil propose depuis fin 2015 une adresse électronique réservée à la transmission des factures par voie dématérialisée. De même, la Communauté d’Agglomération de Marne-la-Vallée Val Maubuée propose cette solution depuis 2014. Le dispositif étant en place pour les grandes entreprises, il l’est de fait également pour les PME, les obligations relatives à la facturation électronique des PME sont prévues pour 2019 (PME allant de 10 à 250 salariés) et 2020 (micro-entreprises de moins de 10 salariés). La transmission électronique diminue les délais de traitement, les coûts de gestion et permet d’attester de la date de transmission ce qui génère un gain sur le délai de paiement.
Malgré un dispositif réglementaire et législatif favorisant le paiement régulier des factures par les acheteurs et leur transmission par voie électronique, les PME souffrent de l’allongement des en cours de paiement. Devant user des mécanismes bancaires coûteux tels que cession de factures, nantissement, les marchés publics ne sont pas toujours suffisamment rentables.
Quant au régime des avances, les collectivités territoriales, elles-mêmes fort contraintes budgétairement, ne dépassent pas le minimum obligatoire auquel elles sont tenues (soit 5 % du montant du marché lorsqu’il dépasse 50 000 € HT).
Les intérêts moratoires sont peu réclamés et rarement versés d’emblée au premier jour de retard de paiement, l’indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros par demande de paiement est rarement mise en œuvre.
Les PME craignant de devoir supporter les coûts de la commande publique peuvent se résigner à y participer. Si les outils existent, c’est sur leur utilisation que le bât blesse. Prenons l’exemple des offres anormalement basses : leur détection et leur rejet sont obligatoires et contrôlés avec attention par le juge. Ce procédé qui vise à limiter la concurrence déloyale qui va handicaper une petite structure n’ayant pas les moyens de faire du dumping, aboutit rarement au retrait d’une offre dont les prix sont fort bas. La tentation pour les soumissionnaires de proposer une offre trop basse pour empocher le marché est grande… Au risque d’être dans l’impasse pendant l’exécution et pousser l’acheteur à accepter un avenant en plus-value
Développement durable et PME : mi-figue, mi-raisin
Enfin, l’insertion de clauses et critères environnementaux et sociaux favorisent les PME locales (emploi de personnel défavorisé et Entreprises Adaptées, circuits courts pour les denrées alimentaires des cantines…). Mais gérer un quota d’heures d’insertion et être en mesure de fournir des produits bio-sourcés ou dotés d’un écolabel reste l’apanage de grosses entreprises. Ces dernières sont en mesure de proposer des produits « bio » à un prix compétitif, d’obtenir des labels grâce à un personnel qualifié… Les PME n’ont pas non plus toujours les ressources suffisantes pour obtenir de qualifications sociales (comme l’ISO 9001).
Chronique en droit des Collectivités Territoriales
sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 94.