Art. 105.
par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille
La mise en place d’un véritable droit de la commande publique est saluée comme une avancée nécessaire allant dans le sens d’une simplification du droit applicable (v. notamment : F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « L’abrogation du code des marchés publics par l’ordonnance du 23 juillet 2015 », Contrats-Marchés publ. 2015, Repère 9 ; J. Maïa, « Les nouvelles dispositions sur les contrats de la commande publique », RFDA 2016, p. 197). Cette modernisation supposée du droit applicable entraîne la rédaction d’un grand nombre d’études qui ont pour principal objet de déterminer en quoi les nouveaux textes modifient la réglementation applicable. De tels travaux sont nécessaires – et même indispensables – pour les praticiens de la commande publique (la chronique en fait d’ailleurs partiellement état). Pour autant, ces réformes ne doivent pas faire oublier une notion essentielle, celle de contrat administratif.
L’actualité du droit des contrats passés par les personnes publiques ou du champ public révèle en effet un affaiblissement de la notion de contrat administratif, si ce n’est une perte de sens de cette dernière.
Cette notion fait partie de celles qui sont considérées comme des notions structurantes du droit administratif : le contrat administratif n’est pas le moyen d’action « ordinaire » de l’administration mais il est admis que l’administration utilise – ce qu’elle fait de plus en plus – le procédé contractuel pour remplir certaines de ses missions. Certes, le contrat administratif n’est peut-être « pas né contrat » (Y. Gaudemet, « Pour une nouvelle théorie générale du droit des contrats administratifs : mesurer les difficultés d’une entreprise nécessaire », RDP 2010, n°2, p. 313) et la notion de contrat administratif n’est véritablement apparue que par la systématisation et par l’extension du droit applicable aux anciennes concessions (v. notamment : F. Burdeau, Histoire du droit administratif, PUF, 1995. G. Bigot, Introduction historique au droit administratif depuis 1789, PUF, 2002) ; il n’en demeure pas moins que les contrats administratifs sont désormais considérés comme de véritables contrats et que le droit des contrats administratifs est généralement envisagé comme un ensemble relativement structuré.
La question se pose néanmoins de savoir si la notion de contrat administratif mérite réellement toute l’attention dont elle fait l’objet. Il apparaît en effet que les développements jurisprudentiels récents ont conduit cette notion à se recroqueviller sur elle-même, la cantonnant dans des limites extrêmement restrictives (I) tandis que, dans le même temps, la réforme de la commande publique remet en cause sa raison d’être originelle (II).
Une notion enfermée dans ses critères
En tant qu’objet ou outil, le contrat est traditionnellement envisagé et présenté comme un acte de droit privé. Ceci explique que, jusqu’à l’abandon de la distinction entre actes d’autorité et actes de gestion – et en-dehors des qualifications législatives –, tous les contrats de l’administration étaient considérés comme des actes de droit privé, c’est-à-dire comme des contrats de droit commun relevant de la compétence des juridictions judiciaires (A. de Laubadère, Traité théorique et pratique des contrats administratifs, LGDJ 1956, t. 1, spéc. pp. 29-30 ; G. Péquignot, Théorie générale du contrat administratif, Pédone, 1945, spéc. pp. 28-30).
Ce n’est qu’au début du XXème siècle que la notion de contrat administratif est véritablement apparue grâce au travail de systématisation jurisprudentielle réalisé par les auteurs. Elle est alors définie par la mise en œuvre de deux critères cumulatifs de définition. Le premier est un critère organique qui suppose la présence d’une personne publique au contrat ; le second est un critère matériel qui peut alternativement découler du le lien entre le contrat passé et le service public ou de la présence d’une clause exorbitante à l’intérieur dudit contrat. Ces critères sont restés inchangés dans leur formulation, tant et si bien que la doctrine continue « à présenter le contrat administratif comme pouvaient le faire Gaston Jèze ou Georges Péquignot » (F. Brenet, Recherches sur l’évolution du contrat administratif, Thèse, Poitiers, 2002, p. 15).
Pourtant, en dépit de cette permanence de façade, les évolutions jurisprudentielles de ces dernières années impliquent une appréciation toujours plus stricte de ces critères. La politique jurisprudentielle semble donc poursuivre un objectif clair : cantonner la notion de contrat administratif dans des frontières étroites !
Il n’est pas question de revenir ici sur les critères de définition dans leur ensemble – les ouvrages consacrés au droit des contrats administratifs le font parfaitement (v. notamment : H. Hoepffner , Droit des contrats administratifs, Dalloz 2016, pp. 77 et s. ; L. Richer et F. Lichère, Droit des contrats administratifs, LGDJ, 10e éd. 2016, pp. 87 et s. ; ou M. Ubaud-Bergeron, Droit des contrats administratifs, LexisNexis 2015, pp. 89 et s.) – mais d’observer certaines évolutions récentes et marquantes d’un véritable mouvement jurisprudentiel. Celles-ci sont perceptibles à la fois en ce qui concerne le critère organique de définition (A) et en ce qui concerne son critère matériel (B).
A. Une constriction évidente du critère organique
S’agissant du critère organique de définition, ce sont les exceptions admises à la présence d’une personne publique au contrat qui ont été redéfinies pour être moins facilement admises. En effet, si le juge administratif a toujours exigé la présence d’une personne publique au contrat pour qualifier un contrat d’administratif (TC 3 mars 1969, Société Interlait), des exceptions ont été développées pour permettre de considérer certains contrats passés entre deux personnes privées comme étant des contrats administratifs. En-dehors du mandat de droit civil et de l’hypothèse d’une personne privée transparente, deux hypothèses principales étaient jusqu’à récemment considérées comme permettant de pallier l’absence d’une personne publique parmi les parties au contrat : l’existence d’un mandat tacite (CE, sect., 30 mai 1975, Sté d’équipement de la région montpelliéraine : Rec. CE 1975, p. 326. – T. confl., 7 juill. 1975, Cne Agde : Rec. CE 1975, p. 798) ou le fait que le contrat porte sur un objet appartenant « par nature » à l’Etat (TC, 8 juill. 1963, n° 1804, Sté entreprise Peyrot c/ Sté de l’autoroute Estérel Côte d’Azur : Rec. CE 1963, p. 787).
Le mandat tacite reste envisagé parmi les exceptions au critère organique de définition mais le juge est venu restreindre le champ d’application procédant à un véritable « resserrement de la théorie du mandat tacite » (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs, Dalloz 2016, p. 83). Face à un contrat passé entre deux personnes privées, le juge ne vérifie plus la présence d’un faisceau d’indices permettant de considérer que l’un des cocontractants a agi « pour le compte » d’une personne publique, il se contente d’observer si le cocontractant a agi pour son propre compte en se fondant sur l’économie générale du contrat (TC, 16 juin 2014, n°3944, Sté. d’exploitation de la Tour Eiffel, BJCP n° 97/2014, p. 426, concl. N. Escaut, Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 220, note P. Devillers ; TC, 9 mars 2015, n° 3992, Sté ASF, Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 111, note P. Devillers). Ainsi, si l’action « pour le compte de » reste une hypothèse envisagée parmi les exceptions au critère organique de définition, son champ d’application se trouve étroitement circonscrit. Les hypothèses de qualification jurisprudentielle d’un contrat comme contrat administratif se trouvent ainsi davantage réduites.
Ce mouvement de réduction est conforté par l’abandon de la jurisprudence Peyrot. Désormais, les contrats qui portent sur des travaux routiers ou autoroutiers ne sont plus envisagés comme des contrats administratifs. Contrairement à la solution qui prévalait au travers de la jurisprudence Peyrot, le Tribunal des conflits considère en effet que de tels travaux n’appartiennent pas « par nature à l’Etat » et ne justifient donc pas la qualification administrative du contrat (TC, 9 mars 2015, n° 3984, Rispal c/ Sté ASF ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 110, note P. Devillers). Cette nouvelle solution peut être considéré comme « une mise en accord du droit avec les faits » (F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « Feue la jurisprudence Société Entreprise Peyrot », Contrats-Marchés publ. 2015, repère 4), ce qui justifie qu’elle soit globalement saluée. Pour autant, elle vient mettre fin à l’une des dérogations admises au critère organique de définition des contrats administratifs, comprimant un peu plus la notion de contrat administratif autour de critères d’application stricte.
Or, même si les changements sont d’une ampleur moindre, le critère matériel de définition a lui aussi connu des évolutions dans le sens d’une réduction du champ d’application de la notion de contrat administratif.
B. Une constriction probable du critère matériel
Exception faite de la possibilité de qualifier le contrat en raison de « l’ambiance » de droit public dans laquelle il baigne (concl. M. Rougevin-Baville sur CE, sect., 19 janv. 1973, n°82338, Sté d’exploitation électrique de la Rivière du Sant), ce critère peut alternativement résulter soit de l’objet du contrat, si celui-ci entretient un lien suffisamment étroit avec le service public, soit du contenu du contrat. Or, c’est ce second critère qui a récemment évolué.
Depuis la jurisprudence des granits (CE, 31 juill. 1912, Sté des granits porphyroïdes des Vosges, rec. p. 909, concl. L. Blum), il était admis qu’un contrat devait être qualifié d’administratif lorsqu’il comportait une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit commun. La clause exorbitante était alors définie comme une clause illégale ou inusuelle dans les contrats de droit privé (G. Vedel, « Remarques sur la notion de clause exorbitante », in Mélanges A. Mestre, Sirey, 1956, p. 527), tant et si bien qu’une partie de la doctrine considérait que les parties – en présence du critère organique – étaient libres d’insérer ou non de telles clauses dans leurs contrats suivant leur volonté de voir ces derniers qualifiés de contrats administratifs. Le Tribunal des conflits a abandonné cette manière de définir le critère matériel lié au contenu du contrat (TC, 3 oct. 2014, n° 3963, Sté Axa France IARD ; AJDA 2014, p. 2180, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe ; RFDA 2015, p. 23, note J. Martin). Désormais une clause satisfera le critère matériel de définition si « notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, (elle) implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ». Le Tribunal des conflits ne qualifie plus une telle clause d’exorbitante mais la doctrine semble s’accorder sur la pérennité de cette appellation.
Cette nouvelle définition de la clause exorbitante a pour objectif de clarifier le critère matériel de définition en lui apportant davantage de clarté. Néanmoins, il n’est pas sûr qu’elle soit véritablement plus facile à définir. De plus, parce qu’elle définit la clause exorbitante en faisant référence à deux critères cumulatifs, la notion de clause exorbitante pourrait être davantage circonscrite dans son champ d’application que sous la jurisprudence antérieure (v. notamment A. Basset, « De la clause exorbitante au régime exorbitant du droit commun (à propos de l’arrêt TC, 13 oct. 2014, Sté AXA France IARD) », RDP 2015, p. 869). Bien qu’une telle approche ne soit pas confirmée, il reste certain que le Tribunal des conflits, par sa novation jurisprudentielle, n’a aucunement souhaité étendre le champ d’application de la notion de contrat administratif : au mieux, cette solution permettra un maintien des hypothèses de qualification antérieures.
Les jurisprudences récentes portant sur la notion de contrat administratif vont ainsi clairement dans le sens d’une réduction du champ d’application de cette notion. Ce mouvement peut être félicité pour sa cohérence et son souci de simplification, il n’en demeure pas moins qu’il semble éloigner davantage encore la notion de contrat administratif de la réalité et des fondements même de son existence.
Une notion remise en cause
La réforme de la commande publique ne place pas la notion de contrat administratif au cœur des préoccupations du droit contemporain des contrats passés par les personnes publiques. Elle s’intéresse en effet à des contrats – pouvant être considérés comme des contrats nommés – qui peuvent être regroupés sous l’appellation de « contrats de la commande publique ». Ces derniers se subdivisent en deux catégories principales : les marchés publics et les contrats de concession.
La qualification d’un contrat comme marché public ou comme contrat de concession est indépendante de sa qualification comme contrat administratif ou contrat de droit privé. Cette situation s’explique aisément dans la mesure où les notions consacrées de marché public et de contrat de concession sont directement reprises des directives européennes, lesquelles sont indépendantes des qualifications retenues en droit interne et notamment du statut juridique de droit public ou de droit privé des cocontractants (CJCE, 15 mai 2003, C-214/00, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d’Espagne, Europe 2003, comm. 246, obs. D. Ritleng ; CJCE, 13 janvier 2005, C-84/03, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d’Espagne, Europe 2005, n°3, p.21, note E. Meisse ; Contrats-Marchés publics 2005, comm. 69, note W. Zimmer).
En raison de ses origines européennes, le nouveau droit de la commande publique se présente donc a priori comme un droit détaché de la qualification de contrat administratif. Pourtant il n’en est rien : les nouveaux textes maintiennent artificiellement la qualification de contrat administratif alors même qu’elle n’est pas pertinente du point de vue du régime juridique applicable (A). La notion de contrat administratif apparaît dès lors comme une notion en déclin qui ne répond plus aux exigences à l’origine de sa création (B).
A. Un maintien artificiel par les textes
Les ordonnances « marchés publics » et « concessions » (Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, JORF n°0169 du 24 juillet 2015 page 12602, texte n° 38 ; Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, JORF n°0025 du 30 janvier 2016, texte n° 66) font appel à la notion de contrat administratif, en pérennisant et en étendant quelque peu la qualification textuelle opérée par la loi MURCEF s’agissant des contrats relevant du Code des marchés publics.
Elles précisent dans leurs articles 3 que les marchés publics et les contrats de concession relevant de ces textes et « passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs ». De ce point de vue, il est possible de considérer que la réforme de la commande publique renforce la place du critère organique dans la distinction entre les contrats administratifs et les contrats de droit privé (M. Ubaud-Bergeron, « Le champ d’application organique des nouvelles dispositions », RFDA 2016, p. 218). Les nouveaux textes lient en effet la qualification de contrat administratif des marchés et des concessions à la personnalité publique de l’autorité contractante.
Cette référence à la qualification de contrat administratif dès les premiers articles des ordonnances – alors même que les directives européennes sont indifférentes à une telle qualification et n’y font aucunement référence – apparaît comme une volonté du « législateur » français, au sens large du terme, de ne pas bouleverser les qualifications antérieures. Cette qualification s’explique donc mais elle peut être questionnée quant à sa pertinence : l’étude des nouveaux textes laisse clairement apparaître que cette qualification n’a aucune incidence sur les régimes juridiques établis par les ordonnances et par leurs décrets d’application. Cette affirmation est vérifiable tant en ce qui concerne les contrats de concession que s’agissant des marchés publics.
Ainsi, les textes relatifs aux contrats de concession ne comportent pas de dispositions spécifiquement applicables aux contrats qualifiés de contrats administratifs. Les seules distinctions opérantes sont celles effectuées entre les contrats de concession passés par des pouvoirs adjudicateurs et ceux passés par des entités adjudicatrices, celles effectuées en fonction du montant ou de l’objet du contrat, ainsi que celles résultant de la prise en compte de la spécificité des contrats de concession de défense ou de sécurité. Au-delà, le régime juridique applicable aux contrats de concession se révèle être un régime juridique unifié, nonobstant la qualification de contrat administratif ou de contrat de droit privé.
Une même logique se retrouve en matière de marchés publics, alors même que les distinctions opérantes sont encore plus nombreuses. Il est vrai que les textes comportent des dispositions spécifiques applicables aux marchés publics passés par l’Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. De tels marchés sont, en application de l’article 3 de l’Ordonnance, nécessairement des contrats administratifs. Il est donc tentant de voir dans ces dispositions spécifiques la consécration d’une incidence de la qualification de contrat administratif sur le régime juridique des marchés publics. Il s’agirait cependant d’une erreur : ces dispositions ne concernent pas tous les marchés publics qualifiables de contrats administratifs, l’ordonnance ayant entendu préserver la spécificité des marchés publics passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat. De plus, et en sens inverse, le décret assimile à de tels acheteurs certaines entités comme la Banque de France, l’Académie française, la Caisse des dépôts et consignations, Pôle Emploi ou encore les offices publics de l’habitat (Décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 2). Tous ces acheteurs peuvent dès lors être qualifiés d’acheteurs soumis à un régime juridique essentiellement de droit public par opposition à ceux soumis à un régime juridique principalement de droit privé, dont font partie les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat. Il apparaît ainsi que si la personnalité publique de l’acheteur justifie qu’un marché public soit qualifié de contrat administratif, elle n’a pas d’incidence sur le régime juridique applicable. En réalité, seule la soumission de cet acheteur à un régime juridique essentiellement de droit public pourra avoir une influence sur la réglementation applicable à ses marchés publics.
L’absence d’effets de la qualification de contrat administratif sur le régime juridique des marchés publics et des contrats de concession étant constatée, la question se pose de savoir quelle est actuellement l’utilité réelle de cette qualification.
B. Un maintien aux justifications limitées
Le maintien de la notion de contrat administratif à l’intérieur de la nouvelle réglementation est justifié par deux considérations principales : la nécessité de maintenir la spécificité du régime juridique applicable aux contrats administratifs s’agissant de leur exécution et, surtout, la préservation de la répartition des compétences juridictionnelles entre le juge administratif et le juge judiciaire.
Ce serait donc tout d’abord pour permettre l’application des règles spécifiques s’agissant des droits et des devoirs des cocontractants que la qualification de contrat administratif serait maintenue. Il s’agit, selon la présentation classiquement retenu, des pouvoirs de contrôle, de modification unilatérale, de résiliation unilatérale dont dispose l’administration lorsqu’elle est partie à un contrat ; ces pouvoirs étant contrebalancés par le droit du cocontractant au paiement des prestations réalisées et à l’équilibre contractuel (G. Jèze, Les contrats administratifs de l’Etat, des départements, des communes et des établissements publics, Giard, tome II, 1932, pp. 365 et s. ; G. Péquignot, op. cit., pp. 306 et s.). Néanmoins, l’application de ces principes permet difficilement de justifier la prise en compte de la qualification de contrat administratif parmi les marchés publics et les contrats de concession. Pour la plupart d’entre eux, il apparaît en effet que le régime juridique des marchés publics et des contrats de concession prévoit soit par lui-même l’application de ces droits et devoirs – c’est généralement le cas des pouvoirs de contrôle et de sanction – ; soit limite les possibilités d’application de ces derniers – la réforme permet ainsi de se questionner sur la possibilité de mettre en œuvre les théories de l’imprévision, des sujétions imprévues, du fait du prince, ou de la force majeure (en ce sens, v. notamment H. Hoepffner , op. cit., p. 414).
C’est donc davantage du côté de la répartition des compétences juridictionnelles que doit être recherchée la justification du maintien de la qualification de contrat administratif à l’intérieur de la réglementation applicable aux marchés publics et aux contrats de concession. Le pouvoir réglementaire – intervenant par ordonnances – n’a ainsi pas souhaité heurter la répartition des compétences juridictionnelles entre le juge administratif et le juge judiciaire. Les notions de marché public et de contrat de concession acquièrent donc une certaine unité par la soumission de l’ensemble des contrats qualifiables comme tels à des règles communes mais le traitement contentieux des litiges relatifs à ces contrats reste « éclaté » entre les deux ordres de juridiction. Toutefois, en-dehors des hypothèses de divergence de jurisprudence, cette dispersion n’aura pas d’effet sur l’unité du droit de la commande publique.
Pour autant, ces évolutions interrogent quant au rôle de la notion de contrat administratif. Cette notion a été développée pour permettre l’application d’un régime juridique spécifique – empreint de puissance publique – à certains contrats afin de permettre la bonne réalisation des activités de service public. Or, désormais, la plupart de ces contrats relèvent du nouveau droit de la commande publique et se trouvent soumis à des règles identiques à celles applicables à certains contrats de droit privé passés par des personnes publiques ou du « champ public ». De plus, l’exécution de ces contrats est elle aussi encadrée par les nouveaux textes : cela empêche en partie leur soumission aux règles générales applicables en matière de contrats administratifs, tout en les soumettant ici encore à des règles qui sont également applicables aux contrats de droit privé de la commande publique.
Les contrats administratifs de la commande publique perdent ainsi la fameuse « singularité » qui justifiait originellement de distinguer les contrats administratifs des contrats de droit privé de l’administration (sur cette singularité, v. notamment F.-X. Fort, « Les aspects administratifs de la liberté contractuelle », in G. Clamour et M. Ubaud-Bergeron (dir.), Contrats publics Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Guibal, Presses de la Faculté de droit de Montpellier 2006, vol. 1, pp. 27 et s).
Ces évolutions fragilisent encore davantage la théorie générale des contrats administratifs et vont dans le sens de la reconnaissance d’une théorie générale des contrats administratifs spéciaux (F. Brenet, Recherches sur l’évolution du contrat administratif, op. cit. ; « La théorie du contrat, évolutions récentes », AJDA 2003, p. 919 ; Traité de droit administratif, Dalloz, p. 263). Elles permettent également d’envisager la mise en place d’une nouvelle théorie générale fondée sur l’existence de règles communes aux contrats publics.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 105.