par Mme Georgina BENARD-VINCENT
Doctorante, Équipe de recherche en droit public, Centre de recherches
Droits et perspectives du droit, Université de Lille 2
à propos de l’arrêt du Conseil d’État
du 8 février 2017, M. Baudelet de Livois
(req. n°397151)
Donnez moi un laboratoire et je soulèverai le monde (Louis Pasteur)
195. En droit administratif, toute personne morale fonde son action juridique sur l’intérêt général. Ce critère justifie le recours à certaines mesures de coercition, notamment en matière de santé publique. L’obligation vaccinale en est l’illustration parfaite. Elle contient en elle-même une contradiction « puisqu’elle est tout à la fois une mesure de prophylaxie individuelle et collective, elle intéresse donc tout autant les droits et libertés individuels que la santé publique »[1]. Le sujet des vaccins, a toujours suscité des réactions affectives fortes. La « résistance à la vaccination » se confond avec « le droit des individus à disposer d’eux-mêmes »[2]. Le compromis trouvé à ce jour, qualifié par certains de libéral[3], est le calendrier vaccinal[4] avec des vaccins obligatoires et d’autres recommandés. Pour ces derniers, compte tenu de leur caractère facultatif, le consentement doit rester libre et éclairé[5]. Ce médicament[6] si singulier est ainsi devenu un objet de débat politique autour de la décision de le rendre obligatoire ou non.
Actuellement, suivant le code de la santé publique[7], seuls trois vaccins infantiles sont exigés[8]. C’est le fameux DT-POLIO (diphtérie, tétanos, poliomyélite[9]). Depuis 2008, date de l’arrêt de la fabrication par le laboratoire SANOFI-PASTEUR MSD[10], ce vaccin dit trivalent n’est plus commercialisé sous cette forme. Il est automatiquement associé à d’autres valences, dont la très controversée Hépatite B (vaccin hexavalent). Ainsi, on constate une in-effectivité de la loi, l’accès aux seules vaccinations obligatoires étant impossible. Cette pénurie, qui doit être anticipée[11], entrave le choix des familles, et par là même, crée une défiance[12].
C’est justement sur cette question de la disponibilité des vaccins obligatoires sur le marché français que le Conseil d’État était amené à se prononcer. La ministre de la santé de l’époque, Marisol TOURAINE, a été saisie par plus de 2 000 personnes afin qu’elle prenne les mesures nécessaires pour l’accès au vaccin trivalent. La demande a été rejetée implicitement puis explicitement. Une requête a été introduite auprès du Conseil d’État, qui s’est prononcé le 8 février 2017[13]. Il annule la décision de rejet et enjoint la ministre de prendre des mesures dans les six mois pour rendre de nouveau disponible les seuls vaccins obligatoires.
L’analyse de cette jurisprudence peut être abordée sous différents angles. Cet arrêt revêt une importance indéniable en droit de la santé publique, mais aussi en droit administratif. Ainsi, pour cette chronique, l’objectif est d’abord d’analyser les défaillances de l’administration (I), puis d’étudier le rôle du juge administratif (II).
Des inactions aux indécisions de l’administration
Remontons le fil du litige. Tout commence par une demande préalable[14] adressée à la Ministre de la santé en date du 5 novembre 2015. Plus de 2 000 personnes réclament la mise en place de mesures permettant de nouveau la commercialisation des seuls vaccins obligatoires. Sur la compétence, rappelons que le décret du 16 avril 2014[15] attribue au ministre de la santé l’organisation de la prévention et des soins. Cette demande n’a pas été instruite, malgré l’obligation existante pour toute administration. Le mécanisme de la décision implicite[16] entre donc en jeu.
Ce type de demande fait partie des exceptions légales au principe « silence vaut acceptation »[17]. En effet, le silence pendant deux mois vaut rejet lorsque la demande ne présente pas un caractère individuel. Ainsi, le silence de la ministre emporte rejet de la demande. Si l’on essaie de donner un sens à ce silence, il est aisé de comprendre qu’il était volontaire et avait pour objectif de se soustraire au débat. Néanmoins, en raison des relances des parlementaires[18], la ministre a finalement confirmé son refus officiellement le 12 février 2016. Conformément à une règle établie[19], dans cette situation, la décision explicite se substitue à la décision implicite.
Cette jurisprudence est un exemple du lien étroit entre la procédure administrative non contentieuse et contentieuse. En effet, cette non-réponse (ou trop tardive) a eu pour conséquence d’ouvrir la porte à un recours pour excès de pouvoir, seul moyen de relancer le débat. La requête a été déposée le 19 février 2016 aux fins d’annulation du refus de la ministre.
Concernant la légalité de la décision attaquée, le Conseil d’État rejette un certain nombre d’arguments. Notamment, il écarte le moyen tiré de la violation de l’article 5 de la Charte de l’environnement consacrant le principe de précaution, notamment par rapport à la présence d’adjuvants (aluminium, formaldéhyde …). Il indique que « la décision attaquée n’affecte pas l’environnement au sens des dispositions de cet article ». De même, Il rejette l’allégation faisant valoir l’atteinte à l’intégrité de la personne, et à la mise en danger d’autrui, les requérants n’apportant « aucun nouvel élément sérieux ». Il met en avant la recommandation du Haut conseil de la santé publique, émis le 25 février 2015[20], sur « l’intérêt public s’attachant aux vaccinations ». Enfin, judicieusement, le juge administratif n’est volontairement pas rentré sur le sujet de la responsabilité en cas de vaccins combinés[21].
Néanmoins, le Conseil d’État fait droit à la requête et annule la décision de refus, au nom du respect de la liberté de consentir aux vaccins non-obligatoires. La formule, « En l’absence d’obligation, la liberté »[22], résume bien l’état d’esprit du juge administratif. Il convient de remarquer une précision importante dans l’arrêt : « en l’état de la législation ». La haute juridiction administrative est obligée de reconnaître l’inadéquation de la législation à la réalité, puisque les parents sont obligés « de soumettre leur enfant à d’autres vaccinations que celles imposées par le législateur ». C’est pourquoi, le juge administratif enjoint la ministre de prendre les mesures nécessaires ou de saisir les autorités compétentes, pour rendre disponible les seuls vaccins obligatoires.
Sous couvert de sévérité apparente, le Conseil d’État a souhaité, en réalité, provoquer un électrochoc pour que l’impasse juridique soit levée
Des injonctions aux incitations du juge administratif
Face à cette situation intenable, le juge administratif accorde un délai de six mois à la ministre de la santé pour agir dans l’intérêt de la santé publique. Le Conseil d’État énumère trois possibilités : sanctions contre les laboratoires, recours à la licence d’office ou l’acquisition de vaccins par l’Agence nationale de la santé publique[23]. Il utilise ici son pouvoir d’injonction, vis à vis de l’administration[24]. Plus précisément, il exerce son imperium, son « pouvoir de donner des ordres »[25], qui lui revient. Il n’a pas voulu d’une annulation sèche de la décision de refus et a donné droit à la demande d’injonction des requérants. Pour autant, le juge administratif est bien conscient que la mise en œuvre du droit positif, avec les trois dispositifs actuels évoqués, est très compliquée, surtout dans le délai imparti. Mais, le juge administratif, par son office, utilise l’injonction pour mieux établir son raisonnement. C’est l’art de la densité jurisprudentielle qui fait avancer le droit, témoignant du processus de réflexion du juge sur sa propre mission.
Il ne fait aucun doute que le juge administratif convie la ministre de la santé à revoir la situation et à déposer un nouveau projet de loi. Pour preuve, avant l’énoncé de l’injonction, il est précisé « à défaut d’élargissement par la loi de l’étendue des obligations vaccinales ». Cette position est conforme à celle du Conseil constitutionnel, qui affirme la compétence du législateur, au titre de l’article 34 de la Constitution, pour définir la politique vaccinale[26]. Ainsi, l’injonction du juge, d’ordre administrative, s’est transformée en incitation d’ordre politique. Elle n’est pas anodine puisqu’elle est en accord avec la recommandation du comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination (organisée entre septembre et novembre 2016), présidé par Alain FISCHER[27]. L’injonction a donc perdu toute sa force juridique mais « forme l’horizon du juge »[28]. En effet, il anticipe ici un éventuel changement de circonstances de droit ou de fait pendant le délai accordé pour l’injonction[29]. C’est la nouveauté apportée par cet arrêt marquant une certaine audace du juge administratif. Ainsi, déroger à l’injonction est possible si un projet de loi sur l’extension des obligations vaccinales est déposé.
La nouvelle ministre, Agnès BUZYN, semble emprunter la voie tracée par le Conseil d’État en réfléchissant à rendre obligatoire onze vaccins, pour une durée limitée[30]. Le choix n’a pas été fait de supprimer par décret les obligations vaccinales[31], à l’instar d’autres pays[32]. Paradoxalement, la requête contre les abus vaccinaux pourrait donc aboutir à davantage de vaccinations. Mais cette évolution législative aurait le mérite de mettre fin à l’inadaptation du droit à la réalité. Cependant, en raison du calendrier électoral et parlementaire, le projet de loi ne pourra pas être adopté avant les six mois accordés par le Conseil d’État. Le juge administratif le sait parfaitement, prouvant que l’injonction s’est bien transformée en incitation. L’objectif est « d’attirer l’attention du gouvernement », à l’image des avis sur des projets de loi rendus dans le cadre de sa fonction consultative[33].
En conclusion, nous retiendrons de cette jurisprudence qu’elle est un exemple révélateur de la méthode de jugement du Conseil d’État. D’abord, le chaînage avec la procédure administrative non contentieuse est déterminant. Puis, cet arrêt est avant tout le résultat de l’habilité et du réalisme du juge administratif. Tout en reconnaissant l’importance du consentement à tout acte médical en annulant la décision de l’administration, il met le doigt sur les faiblesses de la législation sur les obligations vaccinales, par le truchement de son pouvoir d’injonction.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 07 ; Art. 195.
[1]pour reprendre les propos de François Vialla, « Injonction à défaut d’injection disponible », AJDA 2017, p. 898
[2]v. Anne-Marie Moulin, L’aventure de la vaccination, Fayard, novembre 1996
[3]v. l’article du professeur de médecine René Baylet, « Vaccinations et santé publique, RGDM 2016, p.23
[4]art. L. 3111-1 CSP
[5]au sens de l’article L.1111-4 CSP : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne »
[6]Le vaccin est qualifié de médicament ; art. L.5121-1 CSP
[7]art. L 3111-2 et L.3111-3 CSP
[8]hormis les vaccins obligatoires dans le cadre d’une profession. pour exemple : Décret n° 2016-1758 du 16 décembre 2016 relatif à la vaccination contre l’hépatite B des thanatopracteurs, JORF du 18 décembre 2016, texte n°34
[9]L’obligation vaccinale contre la poliomyélite date de 1964 ; cf. Loi n°64-643 du 1er juillet 1964 relative à la vaccination anti poliomyélite obligatoire et à la répression des infractions à certaines dispositions du code de la santé publique, JORF du 2 juillet 1964, p. 5762
[10]en raison de complications allergiques ; v. les messages de l’AFSSAPS aux prescripteurs et aux pharmaciens , disponibles sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) : http://ansm.sante.fr
[11]La loi du 26 janvier 2016 renforce les pouvoirs de l’Agence de sécurité des médicaments et des produits de santé sur les laboratoires les obligeant à travailler sur un plan de gestion des pénuries (art. L.5121-31 al 2 CSP). Des sanctions financières marquent la fermeté du dispositif (art. L.5423-8 CSP).
[12]cf. le rapport sur la politique vaccinale de la députée Sandrine Hurrel, Janvier 2016 ; disponible sur www.sfpediatrie.com/actualite/rapportdesandrinehurelsurlapolitiquevaccinale
[13]CE, 8 février 2017, M. Augustin Baudelet de Livois, req. n° 397151, AJDA 2017, p. 320
[14]au sens de l’article L. 110-1 CRPA
[15]art. 1er du décret n° 2014 -405 du 16 avril 2014 relatif aux attributions du ministre des affaires sociales et de la santé, JORF du 18 avril 2014, texte n° 24
[16]art L.231-1 et s. CRPA
[17]art. L.231-4 CRPA
[18]Question écrite avec réponse n° 16881, 18 juin 2015, « Inquiétudes quant à la pénurie de vaccins obligatoires », Hervé Maurey, sénateur, JO Sénat, 18 juin 2015 et 15 octobre 2015
[19]v. CE, 28 mai 2010, Société IDL, req. n° 320950, D.2011. p.2565, obs. Anne Laude
[20]Avis du Haut conseil de la santé publique relatif aux ruptures de stocks et aux tensions d’approvisionnement des vaccins combinés contenant la valence coqueluche, 25 février 2015 ; disponible sur www.hcsp.fr
[21]sur ce point v. CE, 25 juillet 2013, req. 347777 ; AJDA 2013, p.1602
[22]v. Joanna Sobczynski, « Vers la fin des vaccinations facultatives obligatoires », Droit & santé, p.351-352
[23]v. Caroline Mascret, « Le casse-tête juridique de la vaccination obligatoire en France, en l’absence de disponibilité de ces produits sur le territoire », Petites affiches, 18 avril 2017, p.8
[24]Conformément à l’article L.911-1 CJA (issu de la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, JORF du 9 février 1995, p.2175
[25]Pour reprendre la définition de Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 11éme éd., puf, janvier 2016
[26]Cons. cons. n°2015-458 QPC du 20 mars 2015, Époux L. ; JORF du 22 mars 2015, texte n°47; AJDA 2015 p.611 ; D.2015, p.697 ; RDSS 2015 p. 364, obs. Danièle Cristol
[27]disponible sur http://concertation-vaccination.fr/rapport-du-comite-dorientation/
[28]Pour rependre les mots de Camille Broyelle, « Le pouvoir d’injonction du juge administratif », RFDA 2015, p.441
[29]v. l’analyse de Alice Minet-Leleu, « L’indisponibilité du vaccin trivalent sanctionné par le juge administratif », RDSS 2017, p.479
[30]interview de la ministre, dans Le Parisien, du vendredi 16 juin 2017
[31]Comme par exemple pour le BCG par le décret n°2007-1111 du 17 juillet 2007 relatif à l’obligation vaccinale par le vaccin antituberculeux BCG, JORF du 19 juillet 2007, texte n°34
[32]cf. le rapport « La santé en France et en Europe : convergences et contrastes » du Haut conseil de la santé publique, La documentation française, 2012
[33]v. Hélène Hoepffner, « Les avis du Conseil d’État », RFDA 2009 p.895, §13-16.