Archive annuelle 14 décembre 2019

ParJDA

Compte-rendu de la conférence du 26 novembre 2019 : la gestion des emplois des fonctionnaires

Art. 272.

Monsieur le Professeur Esplugas-Labatut commence par présenter la séquence ainsi que les trois intervenants qui s’exprimeront : Madame Florence Debord, Maître de conférences-HDR à l’Université Lyon II, Monsieur Fabrice Melleray, Professeur à l’IEP de Paris et Madame Cécile Chicoye, DGS de l’Université Toulouse-Capitole.

Intervention de Florence Debord,
Maître de conférences-HDR, Université Lyon II

            La parole est donnée en premier lieu à Florence Debord. Selon cette dernière l’expression « gestion des emplois des fonctionnaires » pouvait sembler surprenante il y a quelques années. La France a effectivement une fonction publique de carrière et non pas une fonction publique d’emploi. L’« emploi » provient du droit privé. L’article 5121-3 du Code du travail évoque notamment la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Celle-ci doit se distinguer des accords de performance collective et des accords de mobilité.

Le vocabulaire utilisé relève donc du droit privé

Depuis dix ans, il y a eu de nombreuses réformes. En droit privé du travail, les réformes vont dans le sens d’une singularisation conventionnelle de l’entreprise, de l’individualisation de la relation de travail, voire de la remise en cause du contrat de travail. La fonction publique ne semble pas y échapper. Et il s’agit, pour la fonction publique, d’une véritable révolution et non pas d’une simple réforme, du passage d’une fonction publique de carrière à une fonction publique d’emploi composée de contractuels. Cela implique une gestion de la masse salariale et non plus une gestion des carrières. La carrière est organisée par les statuts des fonctionnaires et est définie comme l’évolution de la situation du fonctionnaire. Le système de la carrière s’oppose à celui de l’emploi : dans ce dernier cas, le fonctionnaire est recruté pour un emploi particulier et sa situation n’évolue pas dans le temps. La gestion de la masse salariale se substitue à la gestion de la carrière. Les fonctionnaires se trouvent en France dans une situation statutaire. Mais les agents peuvent voir leur situation modifiée sans possibilité d’action en justice. Cette combinaison a montré plasticité et robustesse. Les insuffisances constatées affectent avant tout le système de gestion. La carrière est synonyme de sécurité de l’emploi. La dissociation du grade et de l’emploi permet aux fonctionnaires d’évoluer tout au long de leur carrière. Il est très difficile de licencier pour motif économique dans la fonction publique, même si la loi du 6 août 2019 :

  • crée un dispositif d’accompagnement des agents dont l’emploi est supprimé dans le cadre de la restructuration d’un service ou d’un corps dans la fonction publique de l’État et dans la fonction publique hospitalière ;
  • permet la rupture conventionnelle d’un contrat de droit public à durée indéterminée ou la rupture conventionnelle à titre expérimental qui est ouverte aux fonctionnaires ;
  • organise un détachement d’office lorsque l’activité d’une personne morale de droit public employant des fonctionnaires est reprise par une personne morale de droit privé ou par une personne morale de droit public gérant un service industriel et commercial.

Les trois fonctions publiques sont assez différentes (la fonction publique hospitalière reconnaît le licenciement pour suppression d’emploi ; la fonction publique de l’État demeure hiérarchisée et centralisée). La gestion des emplois publics se limite souvent à une gestion de la masse salariale dans les trois cas.

Le système de l’emploi existe déjà. Les emplois dits fonctionnels sont déjà régis par ce modèle. La réforme prévoit la possibilité de recruter indifféremment un fonctionnaire ou un contractuel pour les postes de direction. Il y a une volonté de limiter la masse salariale dans les trois fonctions publiques (d’État, territoriale, hospitalière).

Recrutement des contractuels qui coûtent moins cher que des statutaires et qui ne sont pas soumis au même statut. Diminution du nombre de fonctionnaires. Il faut également individualiser la gestion des fonctionnaires : il faut passer au contrat. Les fonctionnaires sont régis par des statuts. Cela implique une gestion centralisée. Lorsque la fonction publique française sera composée seulement des contractuels, la gestion sera individualisée. Statut : gestion centralisée. La fonction publique est définie comme l’ensemble des agents des collectivités publiques quel que soit leur statut.

Il faut aller vers une fonction publique plus attractive et avec des profils plus diversifiés, recruter les compétences nécessaires pour le bon fonctionnement du service et prendre les décisions au plus proche du terrain sans remonter au niveau central. Une fonction publique de métier est tout à fait compatible avec la carrière. Il n’y a pas d’incompatibilité entre métier et statut.

Le droit privé du travail sera applicable à plus ou moyen terme à la fonction publique. Transposition de mécanismes connus en droit privé du travail à la fonction publique. Elargissement du recours aux contractuels. Possibilité de recruter des contractuels pour pourvoir aux emplois dans les trois catégories : A, B, C.

Trois exemples :

-Il existe la possibilité de conclure des contrats de projet pour une durée minimale d’un an et maximale de 6 ans. Si la loi du 6 août prévoit que ce contrat ne pourra pas être qualifié de CDI ou transformer en titularisation, c’est pour adapter en droit public les dispositions du droit privé.

Rupture conventionnelle : copier-coller des dispositions du code du travail.

En matière de mutation et de mobilité, pour les trois versants de la fonction publique, les commissions administratives seront créées pour pallier cette disparition des lignes directrices de gestion.

Flexibilité de la gestion des emplois qui oriente la fonction publique. Dans les pays qui ont contractualisé et/ou privatisé la fonction publique, la qualité de la fonction publique – telle que perçue par les usagers – s’est dégradée. Disparition de la fonction publique sans qualité renforcée de celle-ci.

Intervention de Fabrice Melleray,
Professeur à l’IEP de Paris

Cette gestion est plus unilatérale, plus individualisée, plus stricte potentiellement, peut-être plus transparente, sans doute plus souple.

Gestion plus unilatérale => Pourquoi ? Pratique de la fonction publique : pratique de co-gestion. On a retiré les compétences en matière de mutation.

Il va y avoir un contentieux sur les lignes directrices. Que reste-t-il au syndicat ? Possibilité de discuter des lignes directrices.

Gestion plus individualisée => Reconnaissance de la performance dans l’idée de cette individualisation. Idée que l’on met des outils dans le sens de l’individualisation.

Gestion plus stricte => L’harmonisation des chefs des sanctions se fait dans le sens de mettre dans le premier groupe l’exclusion temporaire. Suppression des conseils de discipline de recours dans la fonction publique territoriale.

Gestion plus transparente => Article 37 de la loi : « Les départements ministériels, les régions, les départements, les collectivités territoriales de plus de 80 000 habitants, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 80 000 habitants et les établissements publics hospitaliers dotés d’un budget de plus de 200 millions d’euros publient chaque année, sur leur site internet, la somme des dix rémunérations les plus élevées des agents relevant de leur périmètre, en précisant également le nombre de femmes et d’hommes figurant parmi ces dix rémunérations les plus élevées. » Envie de transparence qui arrive par le sommet. Pour des questions de rémunération, l’opacité n’est plus tenable au sommet.

Gestion sera-t-elle moins centralisée ? Réforme qui aboutira ou pas : adoption d’un code de la fonction publique. Le code de la fonction publique sera à droit constant sauf sur un point.

Gestion plus souple ? Du point de vue du droit privé, c’est du copier-coller. Du point de vue du droit public, c’est une nouveauté. Rupture conventionnelle.

Potentiellement on a une révolution de la gestion. L’Université Toulouse 1 peut recruter sur tous ses emplois des contractuels. Outils très puissants ouverts pour une révolution.

Intervention de Cécile Chicoye,
DGS de l’Université Toulouse-Capitole

La fonction publique est extrêmement variée. L’État détermine le plafond d’emplois. Il existe un plafond d’emplois mais il n’y a pas forcément suffisamment de moyens pour payer ce nombre d’emplois possibles.

Première question à se poser : comment faire du dialogue social ? Notion qui permet à l’employeur de dialoguer avec représentants salariés. Fonction publique : comité technique qui discute de l’organisation du travail de manière générale et pas des cas individuels de fonctionnaires ; CAP qui traite des cas individuels. CPE : commission paritaire d’établissement.

Que va changer cette loi ? Question de la mutation gérable pour l’université. Plus difficile pour ministère de l’enseignement supérieur. Université peut émettre des recommandations pour qu’un fonctionnaire puisse passer au grade supérieur mais C’est Paris qui décide.

Entretiens professionnels : il s’agit d’un outil utilisé depuis plusieurs années pour les dossiers d’avancement (y compris pour les contractuels). Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de notation. C’est un outil utilisé de manière courante dans les ministères. Les contractuels dans beaucoup d’universités ont fait une carrière.

Que va-t-il se passer ? Toujours limitation du nombre de postes ? Ou possibilité de recruter tant qu’il y a argent disponible ? UT1 : 70% de titulaires et 30% de contractuels.

Un contractuel coûte moins cher qu’un titulaire (pour des questions de comptabilisation des retraites notamment). En ce qui concerne le contrat de projet, quelque part on peut déjà le faire si on veut. Le paradoxe des contrats de droit public et des contrats de droit privé : en privé pas plus de 18 mois et en public pas plus de 6 ans.

Débats

Madame le Professeur Isabelle Desbarats intervient pour poser une question sur les lignes directrices gestion : vont-elles être déclinées au sein des différents opérateurs ?

Madame Cécile Chicoye apporte une réponse : Le ministère va établir des lignes directrices de gestion à la fois pour ses personnels propres et un « chapeau » pour les opérateurs mais dont le niveau de détail n’est pas connu. Tous les opérateurs vont devoir émettre des lignes directrices de gestion.

Monsieur Fabrice Melleray intervient : ambiguité fondamentale => d’un point de vue juridique, on a des universités avec des fonctionnaires de l’État soumis à un statut national. D’un point de vue financier si on aboutit à des lignes directrices locales contraintes par lignes nationales, autant rester sur une CAP nationale. Il existe déjà un contentieux important pour les lignes directrices au niveau du secondaire le secondaire.

Madame Cédile Chicoye réagit : on est entre deux mondes : à moyen terme, il faut choisir. La DGRH du ministère a réuni les DGS des université le 16 octobre dernier mais plusieurs questions restent en suspens.

Madame le Professeur Isabelle Desbarats pose une nouvelle question : ne peut-il pas y avoir des fonctionnaires qui désirent changer de carrière ? Cette loi n’offre-t-elle pas plus de latitude aux individus qui souhaiteraient changer de fonction publique ou aller vers le privé ?

Madame Chicoye explique que la possibilité de bouger existe déjà. Il est possible de changer de de fonction publique. En ce qui concerne la restructuration, aujourd’hui dans la fonction publique, d’un ministère à l’autre, ou à l’intérieur d’un même ministère dans des filières différentes, il y a des niveaux indemnitaires. Egalité en matière de rémunération indiciaire mais prime différente. Mais transparence ne s’applique pas à cette question à l’heure actuelle. Pas même niveau de primes entre UT1, UT2J par exemple. Pas même niveau avec la fonction publique territoriale.

Monsieur le Professeur Esplugas-Labatut s’interroge sur le point central des primes. Selon lui, Madame Florence Debord a apporté un jugement de valeur négatif sur la gestion des emplois des agents publics au travers de cette loi. Des agents publics, des fonctionnaires sont dévoués, ont le sens du service public et il n’est pas possible de les récompenser. Primes en fonction de la capacité de servir et de l’appréciation sur le service. Le Professeur Esplugas-Labatut exprime l’espoir de voir cette loi faire évoluer la question des primes.

Madame Florence Debord réagit : la question de la récompense est très importante. Même si on est d’accord pour aller dans le sens d’une flexibilisation : pourquoi n’est-on pas aller jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas soumettre les contractuels au droit privé ? Ces contractuels sont toujours soumis au droit public. On modifie le statut d’un salarié, cela ne modifie en rien son contrat de travail. Même chose pour le contractuel de droit public. L’agent contractuel s’il veut aller en réponse à cette modification, il n’a pas le choix, il faut aller au Conseil d’État pour que ça marche. En droit privé, c’est différent. Dans la situation actuelle, l’Administration peut gérer ses contractuels comme des fonctionnaires quand cela l’arrange et comme des salariés de droit privé quand cela l’arrange.

Monsieur Fabrice Melleray intervient paradoxe : il existe un paradoxe => le contrat de travail est plus contraignant pour employeur que pour l’Administration.

Madame Cécile Chicoye fait remarquer qu’il existe des pratiques différentes d’une université à l’autre, alors que le cadre reste le même. Les outils sont là mais les pratiques divergent.

Monsieur le Professeur Mathieu Touzeil Divina intervient : le Ministère de la fonction publique n’existe plus. C’est le Ministère du budget qui dorénavant s’en occupe. Cela devient une histoire d’argent.

Remarque : fonction publique duale => distinction entre ceux qui pourront utiliser tous ces outils et ceux qui n’auront pas ce réflexe de se mettre en danger et de changer.

Monsieur Fabrice Melleray termine en précisant que la France n’a pas les moyens de faire une réforme importante de la fonction publique.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Cycle transformation de la fonction publique – 14 12 2019 ; Art. 272.

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L’interdiction générale et absolue est morte, vive la publicité des professionnels de santé !

par Pauline GALLOU
Doctorante en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

Art. 271.

Sous l’influence du juge européen, le Conseil d’Etat vient de condamner par deux décisions[1] l’interdiction générale de publicité à laquelle les médecins et les chirurgiens-dentistes étaient soumis jusque-là, revenant ainsi sur sa jurisprudence antérieure. Dans la perspective des évolutions réglementaires à venir, le Journal du Droit Administratif est heureux de vous annoncer d’ores et déjà un cycle de trois conférences pour le mois de mars 2020. Si la question de l’interdiction de la publicité a mis en lumière le secteur de la santé, la question sera également abordée au prisme des dispositions applicables à d’autres professions réglementées.

Dans les deux affaires jugées le 6 novembre par le Conseil d’Etat, les requérants, médecin et chirurgien-dentiste de profession, contestent la légalité des dispositions contenues dans leur Code de déontologie respectif visant à interdire toute publicité[2].  Rappelons que le code de déontologie médicale dispose que « [l]a médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale »[3]. Le code de déontologie des chirurgiens-dentistes prévoit également l’interdiction de la publicité dans plusieurs dispositions[4]. Les professionnels de santé demandent au pouvoir réglementaire l’abrogation des dispositions litigieuses pour inconventionnalité.

Se heurtant au silence de l’administration, les deux professionnels ont saisi la juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir contre les deux décisions implicites de rejet afin d’en obtenir l’annulation. Les requérants arguent que les dispositions en cause sont contraires au droit européen.  Le médecin soulève l’inconventionnalité de l’interdiction de publicité avec la libre prestation de service posée à l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et le chirurgien-dentiste soulève en plus de cette dernière, l’inconventionnalité des dispositions françaises au regard de la directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000[5].

Le Conseil d’Etat leur donne raison et annule la décision de rejet implicite de la ministre de la santé.

Si la question de droit soulevée dans les deux espèces n’est pas nouvelle (A) elle va certainement conduire le gouvernement à faire évoluer la réglementation (B).

A) La conventionnalité des dispositions limitant la publicité des professions médicales : une question ancienne, une réponse jurisprudentielle nouvelle

Les dispositions interdisant la publicité aux professionnels de santé ont donné lieu à une jurisprudence abondante. La vigilance portée par les juridictions ordinales au respect des devoirs de leur profession et les sanctions prononcées expliquent le nombre de décisions. Sans faire une revue exhaustive de la jurisprudence française, nous rappellerons simplement que la plus haute juridiction administrative considérait jusqu’alors que les dispositions françaises interdisant la publicité poursuivaient un objectif d’intérêt général de protection de la santé. Le juge considérait en général que la limitation des libertés qui en découlait était proportionnée à cet objectif, et donc légale au regard du droit interne mais aussi européen.

Le Conseil d’Etat avait ainsi pu considérer que les dispositions interdisant la publicité des chirurgiens-dentistes n’était pas contraire à la liberté de communication et d’information protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme[6]. Les règles déontologiques s’appliquant à l’ensemble de la profession, le juge leur refusait le caractère discriminatoire.

La Haute juridiction administrative avait également jugé en 2016[7] dans des conditions d’espèce similaires que les dispositions du Code de déontologie médicale (article R 4127-19 du Code de la santé publique) n’étaient pas contraires à la liberté d’établissement et à la libre prestation de service garanties par les articles 49 et 56 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. A l’occasion de ce recours, le Conseil d’Etat avait interprété les dispositions du Code de déontologie comme ne faisant pas « obstacle ni à la mise à disposition du public par ce praticien, au-delà des indications expressément mentionnées dans le code de la santé publique telles que celles pouvant figurer dans les annuaires à destination du public ou sur les plaques présentes sur les lieux d’exercice, d’informations médicales à caractère objectif et à finalité scientifique, préventive ou pédagogique, ni à la délivrance d’informations à caractère objectif sur les modalités d’exercice, destinées à faciliter l’accès aux soins ». Le requérant avait donc été débouté de sa demande.

Peu après, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), saisie d’un renvoi préjudiciel par le juge belge, a précisé en 2017 dans un arrêt Vanderborght qu’une interdiction générale et absolue de publicité posée par une législation nationale était contraire à la libre prestation de service[8]. Quelques mois plus tard le Conseil d’Etat a relevé dans une étude sur les « Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité » réalisée à la demande du Premier ministre, que la portée de cet arrêt était « susceptible de fragiliser la règlementation française »[9].

L’intuition du Conseil d’Etat a été ensuite confirmée. La CJUE ayant précisé dans une ordonnance  que « l’article 8 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité des membres de la profession dentaire, en tant que celle-ci leur interdit tout recours à des procédés publicitaires de valorisation de leur personne ou de leur société sur leur site Internet »[10]. Pour la Cour européenne, la France « ne saurait interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne aux membres de cette profession ».

L’étau s’étant resserré autour des dispositions françaises, le Conseil d’Etat fait évoluer sa jurisprudence sous la pression européenne[11].

B) Vers une probable évolution de la réglementation française : quels outils, avec quelle garantie ?

L’évolution de la réglementation française était recommandée par le Conseil d’Etat dans son étude en 2018 et souhaitée par l’Autorité de la concurrence au début de cette année[12]. Avec les récentes décisions de novembre, le pouvoir réglementaire va être contraint d’abroger les dispositions des différents codes de déontologie interdisant la publicité aux professionnels de santé.

Ainsi, les professions médicales (médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes) tout comme les auxiliaires médicaux (infirmiers, masseur-kinésithérapeute…) pourraient être concernés par une possible évolution de la réglementation sur la publicité. Cette remise à plat  permettrait de s’interroger sur les disparités qui existent entre des professionnels susceptibles d’être « concurrents ».

Il est par exemple étonnant de voir que les ostéopathes ne soient pas soumis à la même interdiction. Sans que nul ne s’en émeuve, bien au contraire tant cela semble participer d’une juste information des patients, les établissements de santé peuvent faire connaître leur offre de soins et mettre en avant leurs professionnels et leurs savoir-faire (cf. la campagne de communication du CHU de Toulouse des derniers mois « Valoriser l’innovation en capitalisant sur l’humain », ou les différents portraits de professionnels…).

Par ailleurs, dans une société où la digitalisation prend de plus en plus d’importance, il peut paraître opportun de s’interroger sur les moyens de communication qui pourraient être offerts aux professionnels de santé et à leur patientèle (prise de rendez-vous en ligne, diffusion d’informations via les plates-formes). Pour illustration, l’accès à des informations certifiées sur la qualité des soins n’est-il pas l’expression d’un besoin légitime ? N’est-il pas préférable à une notation sur un moteur de recherche ? Favoriser la communication pour éclairer le patient n’est-il pas souhaitable[13] ?

Professionnel de santé, demain tous commerçants ?

Si l’évolution semble juridiquement nécessaire, la réécriture des textes sera certainement délicate pour le pouvoir réglementaire. Celui-ci devra trouver le juste équilibre entre des professions qui continueront à se distinguer des activités commerciales tout en s’appropriant des outils de communication de notre temps. Le pouvoir réglementaire s’interrogera ainsi sur la conciliation du nouveau dispositif avec les différents principes déontologiques, ou à défaut, éthiques. Les ordres sont évidemment appelés à jouer un rôle crucial dans l’évolution de la réglementation attendue dans les prochains mois. Enfin, le juriste peut espérer que la notion de publicité soit définie ou précisée, à moins que ne lui soit préféré un autre concept moins « connoté » (promotion, communication promotionnelle, communication, information…).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 271.


[1]Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 06/11/2019, n°416948 ; Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 06/11/2019, n°420225

[2] On notera au passage que le juge réinterprète le périmètre de leur demande en annulation en la limitant au refus d’abrogation des seules dispositions portant sur la publicité (1ier Considérant)

[3] R.4127-19 du Code de la santé publique

[4]Cf. les articles R. 4127-215 et R. 4127-225 du Code de la santé publique en cause dans la seconde affaire. Le premier article dispose que « [l]a profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont notamment interdits : 1° L’exercice de la profession dans un local auquel l’aménagement ou la signalisation donne une apparence commerciale ; 2° Toute installation dans un ensemble immobilier à caractère exclusivement commercial ; 3° Tous procédés directs ou indirects de publicité ; 4° Les manifestations spectaculaires touchant à l’art dentaire et n’ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif. » Le second article dispose que «[l] le chirurgien-dentiste doit éviter dans ses écrits, propos ou conférences toute atteinte à l’honneur de la profession ou de ses membres. Sont également interdites toute publicité, toute réclame personnelle ou intéressant un tiers ou une firme quelconque. »

[5] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

[6] Voir par exemple : Conseil d’État, 28 novembre 2012, Patrick K, n°357721 ; Conseil d’État, 16 avril 2008, Association française d’implantologie, n°302236

[7] Conseil d’État, 04 mai 2016, n°383548

[8] CJUE, 4 mai 2017, affaire C-339/15, Vanderborght

[9] Conseil d’Etat, « Étude relative aux règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité », adoptée par l’assemblée générale plénière le 3 mai 2018, p. 62 et suivantes

[10] CJUE, Ordonnance de la Cour, 23 octobre 2018, affaire C-296/18 à suite d’une demande de décision préjudicielle du Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne.

[11] Les deux décisions du Conseil d’Etat sont d’ailleurs rendues au visa de la décision Vanderborght de la CJUE. La seconde décision mentionne également l’ordonnance Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne.

On notera que parmi les requérants bien informés des évolutions jurisprudentielles européennes se trouve requérant médecin qui avait été débouté de sa demande en 2016 par le Conseil d’Etat. Dans ses conclusions le rapporteur public Raphaël CHAMBON écarte d’ailleurs l’application de l’autorité relative de la chose jugée permettant ainsi à la juridiction de se prononcer sur le recours déposé par ce même requérant.

[12] Autorité de la Concurrence, Décision n°19D01 du 15 janvier 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la promotion par Internet d’actes médicaux, dernier paragraphe de la décision p.3

[13] Le Conseil d’Etat s’est montré favorable à l’idée d’« enrichir l’information et poser un principe de libre communication », Conseil d’Etat, « Étude relative aux règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité » précitée, p.82 et suivantes.

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Accessibilité des / aux décisions de la Justice administrative (1ère conférence)

Art. 270.
Toulouse, Université Toulouse 1 Capitole
Lundi 18 novembre, salle Maurice Hauriou

S’est ouvert lundi 18 novembre à 18 heures le cycle de conférences sur « L’accessibilité des/aux décisions de justice » proposé par l’Association des Doctorants et Docteurs de l’Institut Maurice Hauriou (ADDIMH) et l’Institut Maurice Hauriou (IMH), avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

Modérées par le Professeur Mathieu Touzeil-Divina et Anna Zachayus, doctorante à l’IMH, ces conférences visent à organiser des discussions entre les différents acteurs du système juridique. Ainsi, chaque conférence propose une discussion entre un magistrat, un avocat et un universitaire, réunis autour d’un même sujet : l’accessibilité des/aux décisions de justice.

La première conférence du lundi 18 novembre concernait la juridiction administrative et a vu intervenir Monsieur Jean-Charles Jobart, rapporteur public au Tribunal administratif de Toulouse, Maître André Thalamas, avocat au Barreau de Toulouse, et Monsieur Dimitri Löhrer, Maître de conférences à l’Université de Pau et des pays de l’Adour.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina a commencé par introduire ce cycle de conférences en rappelant la naissance de ce projet, à l’initiative de l’ADDIMH, en collaboration avec l’Axe 5 de l’IMH « Transformation(s) du service public ». L’actualité – médiatique et juridique – explique la volonté de se saisir de cette problématique. En effet, le Conseil d’État a d’une part publié un Vade-mecum en 2018 sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative, qui met notamment fin à la formule des « considérants » et impose de leur substituer des connecteurs logiques. D’autre part, des éditeurs juridiques ont publié dans Les Échos du 14 novembre dernier une tribune intitulée « Non à la ‘privatisation’ des décisions de justice ! ».

Rappelant que la justice est un service public soumis aux lois de Rolland – égalité, continuité, mutabilité – il explique que l’accessibilité découle de l’égalité. Ainsi, concernant l’accessibilité des/aux décisions de justice, on constate une rupture d’égalité entre ceux qui, par leur entourage ou leur métier, ont accès aux décisions de justice, et ceux qui n’y ont pas accès. Réfléchissant à ces lois de Rolland, on peut se demander si la transparence ne fait pas partie des nouvelles lois du service public. Parmi les revendications sociales actuelles, il y a notamment une exigence de transparence de la part de l’État et de l’administration. On peut alors légitimement s’interroger sur la soumission de la justice à cette obligation de transparence.

Plus largement, le fait de motiver les décisions, de les diffuser plus ardemment, contribue-t-il à cette obligation de transparence ?

Les réactions du Conseil d’État dans le Rapport « Martin » de 2012 puis dans son Vade-mecum de 2018 semblent témoigner d’une volonté de remettre les parties – les justiciables – au cœur du débat. Ainsi, le Conseil d’État préconise par exemple de ne plus écrire « il est constant que » mais « les parties s’accordent sur ». Les justiciables seraient alors remis au cœur des problématiques relatives à l’accès à la justice au sens large.

Anna Zachayus prend ensuite la parole pour poser le postulat de départ selon lequel l’accès au juge est considéré comme effectif puisque ces conférences ne traiteront que de l’accès des/aux décisions.

Elle établit alors trois distinctions fondamentales aux interventions qui suivront :

la distinction entre accessibilité et intelligibilité : l’accessibilité au sens strict est considérée comme un accès matériel. Une décision pourrait alors être accessible (disponible) sans être intelligible (comprise par le justiciable). Pour ces conférences, l’intelligibilité devient un critère de l’accessibilité.

la distinction entre accès et diffusion : l’accès suppose une démarche de l’individu pour accéder à la décision trandis que la diffusion est une mise à disposition de la décision pour le public.

la distinction entre l’accessibilité des décisions et l’accessibilité aux décisions : l’accessibilité des décisions serait un mouvement des décisions vers le public. Dans ce mouvement, les décisions s’adressent évidemment en premier lieu aux parties au litige. Dans ce cas, nous admettrons que l’accessibilité des décisions rejoint la question de leur intelligibilité. L’accessibilité aux décisions traduit un mouvement inverse qui serait celui des individus intéressés par une décision vers lesdites décisions. Cela pose la question de l’accès et de la diffusion.

Après avoir présenté les trois intervenants, Anna Zachayus donne la parole, par ordre alphabétique, à Monsieur Jean-Charles Jobart, rapporteur public au Tribunal administratif de Toulouse.

Monsieur Jean-Charles Jobart intervient d’abord sur la question des expérimentations des nouvelles rédactions.

Il explique qu’on peut en revenir à Édouard Lafferrière qui disait que le juge administratif s’adresse à l’administration et non au justiciable, c’est la justice retenue, d’où la sécheresse du ton du Conseil d’État. C’est avec la justice déléguée que l’on peut voir un premier mouvement avec lequel la motivation s’étoffe un tout petit peu. Est finalement restée dans l’ADN du juge administratif cette envie de s’adresser à l’administration, parfois même de faire des leçons de droit (exemples des arrêts Commune d’Aix-en-Provence, Commune de Béziers, APREI, etc.), alors même que ce n’est pas vraiment le rôle du juge. Jean Rivero disait, lui, que le juge avait moins à convaincre qu’à informer l’administration et les citoyens.

Concrètement, le Tribunal administratif de Toulouse a reçu une note du Conseil d’État le 15 décembre 2017 posant les principes à venir de la réforme de la rédaction pour lesquels il pouvait commencer à expérimenter. Il s’agit par exemple de la numérotation des « considérants » qui simplifie les rédactions en permettant de faire des renvois aux paragraphes précédents. Le 1er janvier 2019, les « considérants » ont été abandonnés. Monsieur Jean-Charles Jobart considère que si les habitudes ont la vie dure, il est possible de s’en défaire rapidement. Cela a finalement eu assez peu d’effet.

Sur la question de la clarté, Monsieur Jean-Charles Jobart considère que, si le juge s’essaie toujours à la clarté, il restera toujours dans un jugement quelque chose d’incommunicable. Un jugement est pour lui subjectif, il relève de l’intime conviction. Il est toujours difficile d’expliquer son sentiment dans un jugement. Souvent, il existe une solution et le juge trouve un raisonnement déductif qui la justifie. Il illustre ce problème de la rédaction de l’intime conviction en donnant l’exemple des affaires de reconduite à la frontière pour les couples. Ainsi, est soulevée le problème du secret du délibéré. Donnant l’exemple de la décision Béziers II pour laquelle le délibéré a duré un peu plus de deux heures, Monsieur Jean-Charles Jobart explique que dans ces cas, les juges essaient de voir potentiellement toutes les conséquences que pourrait avoir cette jurisprudence. Ces raisonnements sont sous-jacents dans la rédaction d’un jugement mais restent opaques pour le justiciable.

Sur la question plus large du vocabulaire juridique, Monsieur Jean-Charles Jobart rappelle que dans son Vade-mecum, le Conseil d’État formule des recommandations, pas des interdictions. Certaines sont peu pratiques, comme l’abandon de « ledit » ou « ladite ». Si les juges ne renoncent pas à un vocabulaire technique, c’est parce que le droit le nécessite et que les mots ont un sens précis. Parfois, pour le justiciable, il peut y avoir quiproquo. Cela peut être compris comme étant une stratégie de pouvoir. Pour le juge, en revanche, mieux il est compris, plus son autorité est assise. Ce qui fait l’autorité du juge, c’est le caractère institutionnel, le fait qu’il dit le droit « au nom du peuple français », et non parce qu’il utilise un vocabulaire technique.

Si Monsieur Jean-Charles Jobart relève une certaine uniformité des rédactions, un mimétisme dans la rédaction des jugements, il explique que, parfois, les juges ne sont pas d’accord avec les considérants de principe du Conseil d’État parce qu’ils sont mal rédigés. Il donne alors l’exemple de la jurisprudence Danthony dans laquelle le considérant de principe n’est pas parfait. Les tribunaux ou les cours ont alors des rédactions divergentes. Dans ce cas, le Conseil d’État a reformulé ce considérant de façon satisfaisante pour tout le monde dans l’affaire CHIESI quelques mois plus tard. De la même façon, si la rédaction de l’ordonnance Ministre de l’intérieur c. Société les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala du 9 janvier 2014, rendue par Monsieur Bernard Stirn n’était pas considérée unanimement satisfaisante, alors que les suivantes l’ont davantage été. Finalement, lorsque le Conseil d’État voit poindre les divergences rédactionnelles, il harmonise très rapidement lui-même les choses.

Pour conclure, Monsieur Jean-Charles Jobart exlique que les juges essaient toujours d’adopter un raisonnement déductif en s’efforçant d’être compris. Néanmoins, c’est là que se fait ressentir l’importance de l’avocat-conseil pour aider le justiciable à comprendre le jugement qui lui est rendu. Les conclusions du rapporteur public, elles, apportent une aide en réalité trompeuse puisque d’une part, il s’adresse à la formation de jugement et non au justiciable, et d’autre part il n’est pas toujours intégralement suivi. Cela peut être un indice de compréhension mais la lettre du jugement doit être suffisante.

Maître André Thalamas prend alors la parole pour réagir à ce qui vient d’être dit. D’abord, il explique que la difficulté, c’est que toutes les opinions ne se valet pas. Il prend l’exemple de l’informatisation de la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État qui constituait un formidable outil lorsqu’il était étudiant. Néanmoins, le vocabulaire pose ici problème puisque les mots-clés ne sont pas toujours les mêmes. Ainsi, en droit du travail par exemple, on ne trouve pas les mêmes décisions en cherchant « licenciement » ou « congédiement », ce qui fait passer à côté de nombreuses décisions. Or, les décisions n’ont pas toutes la même valeur, elles ne sont pas toutes éclairantes pour les professionnels. D’où l’intérêt de la publication au Bulletin.

Il affirme que les usagers n’ont pas accès aux décisions de justice. C’est là l’intérêt de l’avocat qui n’est là que dans l’intérêt du justiciable puisqu’il n’est ni « la » justice (le juge), ni le commentateur de la justice (l’universitaire).

Cette volonté de large accession à l’information juridique et jurisprudentielle n’a rien d’illégitime par rapport aux principes fondamentaux mais présente un inconvénient pour les justiciables. Ceux-ci, pour autant qu’ils soient capables de faire un rapprochement entre leur cas particulier et une décision, trouveront toujours une application favorable mais qu’ils n’obtiendront peut-être pas. L’accès de tous aux décisions serait donc une fausse transparence, une fausse accessibilité, puisque les professionnels, eux, sélectionnent et hiérarchisent les décisions. Cette matière-là est inaccessible aux gens qui n’ont pas les codes juridiques. Ils ne peuvent donc pas comprendre ce à quoi ils sont confrontés. C’est une matière technique, qui ne peut pas garder son niveau de technicité si on la prive de son vocabulaire.

La justice est en fait un pouvoir qui n’est jamais soumis à l’examen démocratique. Ce service public n’est pas encore soumis au contrôle que pose par exemple le code de la consommation en ce qui concerne le rapport d’un patient avec son médecin (avec la nécessité du consentement, qui implique nécessairement que le médecin fasse un effort d’explication). Le service public de la justice fait d’importants efforts pour rendre intelligible les décisions prises sur des sujets importantes, notamment par des communiqués. Néanmoins, les tribunaux administratifs par exemple ne peuvent pas faire systématiquement ce travail, n’ont pas les moyens pour le faire. On est donc confrontés à des mouvements contradictoires.

Maître André Thalamas considère que les magistrats administratifs doivent être protégés mais la force et l’intelligence créative des concepteurs du site Doctrine.fr peut faire peur au service public de la justice. Les statistiques sorties par ce type de site peuvent avoir du sens comme être dangereuses. Cela peut avoir du sens par l’interdiction qui est faite d’avoir cette approche. Par exemple, la publication des mesures de naturalisation est interdite au Journal Officiel dématérialisé pour éviter les fichages. L’accessibilité des/aux décisions de justice est importante dans la perspective d’amélioration du service public de la justice.

Répondant à Monsieur Jean-Charles Jobart sur l’intime conviction, Maître André Thalamas considère que celle-ci est de moins en moins admise dans notre système judiciaire. Dans le cadre démocratique, il faut faire cet effort d’explication, qui est certainement un inconvénient dans les longs jugements, mais qui est nécessaire pour comprendre la décision et pour l’accepter. Les usagers ordinaires du service public de la justice ont par principe une très grande confiance dans ce service public, ils ont du respect pour ce qu’ils ne comprennent pas, et peuvent recevoir des informations des auxiliaires de justice, dont les avocats. Il y a bien sûr une notion de pouvoir, mais aussi de responsabilité. Paradoxalement, dans un mouvement du justiciable vers la justice, le résultat est important, mais la manière dont il est traité comme justiciable est tout aussi importante.

Monsieur Dimitri Löhrer intervient en dernier pour affirmer que l’accessibilité des/aux décisions de justice est une problématique très ancienne. En 1867, Adolphe Chauveau écrivait que « le Conseil d’État ne manque jamais de motiver ses décisions ; cependant il est assez rare que les motifs soient autre chose que l’énonciation d’un principe assez vague ou d’une simple affirmation par laquelle il pose en principe la solution qu’il a cru devoir adopter sur la question qui lui est soumise » (Adolphe Chauveau, Code d’instruction administrative, ou Lois de procédure administrative, Paris : Cosse, Marchal et Cie, 3e édition, 1867, p. 243). André de Laubadère évoque pour sa part l’incommunicabilité de la justice administrative. Ce constat est relayé par les justiciables. Monsieur Dimitri Löhrer cite alors une étude du CREDOC de 1973 selon les résultats de laquelle 73% des français estiment qu’il n’est pas normal que le vocabulaire de la justice soit différent. La réaction du Conseil d’État est très tardive puisque le Rapport « Martin » est rendu en 2012 tandis que le Vade-mecum est publié en 2018. En outre, la réforme proposée par le Conseil d’État est somme toute assez modeste et assez similaire à la réforme du mode de rédaction opérée par exemple par le Conseil constitutionnel.

Monsieur Dimitri Löhrer s’attarde davantage sur les aspects méthodologiques soulevés par cette problématique de l’accessibilité des/aux décisions de justice.

D’abord, sur le cadre d’analyse retenu, il considère que cette question ne peut pas être correctement abordée sans dépasser l’analyse positiviste et ainsi, sans le recours à la sociologie du droit, à l’anthropologie du droit, puisqu’ils permettent d’avoir des éclairages sur les usages sociaux du droit. Cela permettrait de lever le voile sur certains enjeux cachés à l’œuvre en cette matière d’accès aux décisions de justice. Il faut prendre en considération la place du juge socialement, comprendre les rouages à l’œuvre, comprendre l’habitus des magistrats et plus largement des juristes. Cette démarche présente des limites puisque dans les universités françaises qui prônent un cloisonnement, nous sommes mal formés à ce type d’approches.

Ensuite, Monsieur Dimitri Löhrer considère qu’il existe une véritable difficulté à s’interroger sur cette problématique s’agissant de la problématique de l’intelligibilité. Tout est question d’équilibre entre deux exigences antinomiques :

– la première exigence découle d’une volonté de ne pas trop dénaturer la matière au risque que les juristes eux-mêmes ne se comprennent plus puisque certains termes renvoient à des spécificités juridiques très précises ;

– la seconde exigence est la nécessité de se faire comprendre par le justiciable, et en particulier de ceux qui disposent d’un faible capital procédural. Même si on ne prend que des justiciables lambda, certains se débrouilleront mieux avec la matière juridique en raison de leur réseau social, de leur capital culture, etc. D’autres, en revanche, s’en sortent beaucoup moins bien. Le risque est donc qu’une distance se crée entre le justiciable et le service public de la justice.

Le juste équilibre est particulièrement délicat à trouver, les avancées sont minimes. Cela étant, il peut être assez délicat pour le juriste de se prononcer sur cette question parce qu’il ne dispose pas nécessairement du recul suffisant sur les ressorts à l’œuvre au sein de son propre champ. Le Rapport « Martin » en est une bonne illustration parce qu’il a été rendu exclusivement par des magistrats. La parole n’a pas été donnée à des linguistes par exemple. Cela traduit peut-être une volonté de la part des magistrats de garder un monopole sur ce qui est fait.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina et Anna Zachayus remercient les intervenants pour leurs éclairages et, pour conclure sur l’accessibilité des décisions, posent une dernière question : est-ce que les décisions de justice ne devraient pas être comprises de tous ?

Les trois intervenants s’accordent sur le fait que c’est évidemment un idéal, au regard notamment du principe d’égal accès au service public de la justice, mais que cet objectif ne semble pas rationnel et raisonnable.

Sur l’accessibilité aux décisions, les deux modérateurs posent une question globale : est-ce qu’il est nécessaire de diffuser les décisions de justice ?

Monsieur Jean-Charles Jobart considère que les juges rendent la justice « au nom du peuple français », il est donc logique selon lui que l’ensemble des décisions soient publiques, mais elles ne sont pas toutes intéressantes. Il soulève une nouvelle fois le problème du mimétisme des juges. Les décisions nouvelles des tribunaux administratifs ou des cours administratives d’appel peuvent être retrouvées publiées, commentées, etc. Avoir l’intégralité de la base n’est peut-être pas pertinent. Il faudrait dans ce cas accompagner les décisions d’abstracts, de mots-clés, etc. Mais toutes ces métadonnées ont un coût. Il n’est donc pas certain que la diffusion de toutes les décisions de justice soit efficace.

Maître André Thalamas, lui, explique qu’il s’est vu refuser l’accès aux minutes des juges de l’expropriation récemment dans la tension créée par le site Doctrine.fr. Ainsi, la défense se fait dans des conditions moins favorables que la partie adverse qui aurait eu accès à cette information. Les citoyens ne sont donc pas égaux dans l’accès aux décisions de justice. Cet accès est une force dans le contentieux. Il considère donc que mettre toutes les décisions en accès donne le potentiel à tous d’avoir accès aux mêmes décisions.

Monsieur Jean-Charles Jobart ouvre alors la discussion sur Télérecours, qu’il considère être un grand progrès pour la justice. Monsieur Dimitri Löhrer n’est pas d’accord étant donné qu’il y a encore environ six millions de précaires technologiques en France donc il estime que cela crée une fois de plus un accès à la justice à deux vitesses et, ainsi, éloigne certaines catégories de justiciables du service public de la justice.

En raison d’un manque de temps, une seule question est posée, par France Daumarie, doctorante à l’IMH, qui s’interroge sur la possibilité de publier l’intégralité des conclusions des rapports publics qui permettrait même aux initiés de mieux comprendre le raisonnement sous-jacent des décisions.

Monsieur Jean-Charles Jobart lui répond que, d’abord, il y a le problème de la propriété intellectuelle du rapporteur public sur ses conclusions et qu’ensuite, ces conclusions sont de faux amis, les justiciables pensent souvent y trouver des armes pour un éventuel appel mais ce n’est pas nécessairement le cas. En revanche, lorsque les conclusions sont demandées par les justiciables, elles leur sont le plus souvent communiquées.

Maître André Thalamas ajoute qu’avoir toutes les conclusions, tout comme avoir toutes les décisions, est un idéal, mais que ce moyen n’est pas donné au service public de la justice.

En conclusion de cette première conférence, Anna Zachayus observe que la téléjustice proposée par Télérecours est finalement une activité humaine rendue automatique et « robotisée ». Une analogie peut être faite avec la télémédecine.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 270.

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ParJDA

Elle arrive à Toulouse : la 9e CAA !

Art. 269.

Alors que les primeurs sont attendus ce jeudi, le Conseil d’État a annoncé sur son site (le 19 novembre 2019) la création d’une cour administrative d’appel nouvelle, la neuvième, implantée à Toulouse à partir de la fin d’année 2021. Jusqu’alors l’Occitanie, qui regroupe treize départements, n’était dotée d’aucune juridiction administrative d’appel entraînant la répartition du contentieux entre celles de Bordeaux et de Marseille. L’objectif est donc double : décharger ces deux cours et assurer un meilleur maillage territorial de la juridiction administrative.

Plusieurs projets étaient en concurrence pour accueillir la cour administrative d’appel occitane depuis l’acceptation du principe de cette création par Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 29 octobre 2018. La ville de Montpellier s’était déclarée candidate et espérait abriter cette nouvelle juridiction d’appel en ses murs compte tenu de la proximité géographique des tribunaux administratifs de Nîmes et de Montpellier.

C’est la ville rose qui aura donc la chance d’accueillir la CAA toulousaine dans son centre historique, au sein des locaux de l’ancien rectorat d’académie, à l’hôtel de Lestang situé rue Saint Jacques. Seuls trois kilomètres de centre-ville sépareront le tribunal administratif et la nouvelle cour administrative d’appel.

À n’en pas douter, cette arrivée ne fera que renforcer les liens entre Toulouse et le droit administratif largement alimentés par le Journal du droit administratif (Dossier Toulouse par le droit administratif! http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2736).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 269.

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ParJDA

Vu : le Gapja nouveau !

Art. 268. Les articles publiés dans la section « Vu(s) & autres curiosités ! » du JDA exposent originellement des recherches en cours, des annonces de colloques, des parutions ou publications d’articles et / ou d’ouvrages, des appels à projets, des éléments de la vie académique du droit administratif.

Depuis octobre 2019,
la présente section propose un exceptionnel
partenariat avec le (tout aussi exceptionnel)
site Curiosités juridiques.

Vous retrouverez ainsi périodiquement une sélection – faite conjointement par les porteurs du site partenaire Curiosités juridiques & par le comité de rédaction du Journal du Droit Administratif – d’un ouvrage, d’un colloque (passé ou à venir), d’une jurisprudence ou d’une norme marquant le droit administratif et atteint sinon piqué de curiosité(s) juridique(s) !

Première curiosité du droit administratif : novembre 2019

Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, Thomas Perroud & alii (dir.), LGDJ, Paris, 2019, 567 pp.

M. Raphaël Costa,
doctorant – IDEST – Université Paris Saclay

Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, Thomas Perroud (dir.), LGDJ, Paris, 2019, 567 pp.

Les Grands arrêts ne s’arrêtent plus. On ne compte plus les ouvrages de « Grands arrêts ». Des plus anciennes – on trouve par exemple un Recueil de plusieurs arrêts notables de tous les Parlemens et Cours Souveraines de France publié dès 1742 et amusamment sous-titré Avec les plus belles décifions et les plus notables arrêts rendus tant au Parlement de Paris, qu’aux autres Cours Souveraines du Royaume, foit en Païs Coutumier, foit en Païs de Droit Ecrit ; en passant par les plus cultes – comme Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, le fameux « GAJA » (Dalloz)dont première édition date de 1956 ; jusqu’aux plus récentes – tels les Grands arrêts du droit de l’environnement (Dalloz) publiés depuis 2017.

Cette technique juridique d’explication d’une branche du droit par le commentaire chronologique de la jurisprudence significative a irrigué toutes les disciplines, y compris les plus spécialisées (droit de la concurrence, droit de la santé, …), ainsi que toutes les maisons d’édition (Dalloz, LGDJ, Gualino, PUF, …).

Le GAPJA. Alors renouveler le genre, plus qu’éculé, est une tâche difficile. C’est pourtant le pari – réussi – que se proposent de relever les 27 contributeur à l’ouvrages Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative (le « GAPJA »), venant d’être publié (octobre 2019) dans la collection « Les grandes décisions » chez LGDJ sous la direction du professeur Thomas Perroud accompagné par les professeurs Jacques Caillosse, Jacques Chevallier et Danièle Lochak.

L’objectif de l’ouvrage est affiché dès la quatrième de couverture : répondre à l’appel lancé en 1901 par Léon Duguit visant à réunifier l’étude du droit et de la politique, lesquels ne peuvent se distinguer l’un de l’autre. Dépasser la technique juridique habituelle des commentaires « de grands arrêts », conséquence de l’étude du droit souvent limitée à un état des lieux positiviste.

L’explication de cette démarche inhabituelle à la science juridique – Jacques Caillosse fait mention d’un traitement doctrinal euphémisant le politique – est essentielle. Le lecteur trouvera une première partie justifiant du projet et des liens indéfectibles entre droit administratif et politique. Ces liens sont nombreux : le juge administratif étant tantôt décrit comme un résistant au pouvoir politique, tantôt comme un secours ; parfois aligné sur l’opinion dominante, mais dont la tâche est toujours teintée d’un enjeu politique explicite sinon latent. Le caractère essentiellement prétorien du droit administratif entache donc son juge d’un rôle éminemment politique, dès lors que celui-ci est à l’origine de la création de nombreuses règles, à l’instar du législateur en droit civil. Toute création jurisprudentielle se veut alors un arbitrage politique, en témoignent les revirements commis en l’absence de toute évolution législative.

Comparaison oblige. Sont ainsi réunies 36 jurisprudences dont la portée politique est analysée en 27 commentaires pour un total de 567 pages là où le GAJA fait le double de pages bien qu’il compte pourtant quatre fois plus de commentaires. Analyser la portée politique d’une décision s’avère plus volumineux que son analyse juridique technique.

L’aspect politique du GAPJA s’illustre également dans la méthode choisie de présentation personnalisée des décisions retenues : chaque commentaire précise le nom et les qualités de son auteur. À l’inverse, les auteurs précis des commentaires du GAJA se gomment indistinctement derrière la pure technique juridique, synonyme d’interchangeabilité et d’objectivité scientifique. De plus, le choix de chaque contributeur au GAPJA est également significatif : le Grégoire Bigot, historien du droit administratif, commente l’arrêt Blanco ; Claude Didry, sociologue du travail, commente l’arrêt Winkell ; Geneviève Koubi, spécialiste des questions juridiques liées à la colonisation, commente l’arrêt Couitéas.

Comme dans le GAJA, le classement des contributions est chronologique mais il est parfois thématique lorsque plusieurs décisions sont regroupées par le même enjeu politique dont les commentateurs ne sont pas des administrativistes purs mais des spécialistes de ces enjeux. 

Enfin, notons ici que sur les 37 décisions choisies, 18 ne figurent pas dans le GAJA. Ainsi, l’ouvrage offre au lecteur une lecture politique d’arrêts moins commentés pendant qu’il propose une relecture inédite d’arrêts usés par la doctrine. Cet œil renouvelé comme cet œil inédit apportent un regard aussi instructif qu’agréable à lire.

Pour toutes ces raisons, le GAPJA se détache nettement de son illustre prédécesseur et renouvelle le genre des ouvrages de « Grands arrêts ».

Nous ne saurions que le recommander.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 [Vu !], Art. 268.

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La décision du mois d’octobre : privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac

Art. 267.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole – IEJUC

Pour le mois d’octobre, et compte tenu de son ancrage toulousain, la décision du mois est l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 9 octobre à propos de la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac (CE, 9 oct. 2019, Ministre de l’économie et des finances c/ M. G. et a. ; SAS CASIL Europe c/ M. G. et a., n°430538 et 431689). Alors que la question de la privatisation d’Aéroports de Paris est au cœur de l’actualité, c’est donc à propos d’une autre privatisation aéroportuaire que le Conseil d’Etat a dû se prononcer.

L’ouverture du capital de la société anonyme Aéroport Toulouse-Blagnac a été autorisée par un Décret du 12 juillet 2014 sous l’impulsion d’Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie. Ce n’est donc pas une privatisation de l’aéroport en tant que tel qui a été autorisée mais une privatisation de la société anonyme concessionnaire. Celle-ci était alors détenue à 60% par l’Etat. Le reste du capital était détenu par la Chambre de commerce et d’industrie de Toulouse (25%), par la région, le département et la communauté urbaine (5% chacun).

L’ouverture du capital a été organisée par un avis des ministres des finances et de l’économie publié le 18 juillet 2014 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029257835&categorieLien=id). La cession des parts de l’Etat a été programmée en deux temps : tout d’abord une cession de gré à gré portant sur 49,99% du capital de la société et, ensuite, une option de vente de sa participation résiduelle. Il était prévu que la deuxième étape de la vente soit réalisée un à deux ans après la première étape mais les autres actionnaires historiques ont convaincu l’Etat de repousser ce projet. Le Conseil d’Etat n’a donc eu à connaître que de la première étape de cette opération de privatisation, celle conduisant l’Etat à céder 49,99% de ses parts dans la société anonyme Aéroport Toulouse-Blagnac.

L’opération de cession a été organisée au travers d’une procédure d’appel d’offres placée sous la responsabilité de l’Agence des participations de l’Etat. Cette procédure était régie par un cahier des charges publié sur le site de cette même agence. Parmi les différentes propositions reçues, c’est finalement celle du consortium chinois Symbiose qui a été choisie, comme l’a révélé un communiqué de presse du 4 décembre 2014. Sans revenir sur les modalités de cet appel d’offres, il est néanmoins possible de relever que la Cour des comptes a considéré que les critères fixés n’étaient pas nécessairement les plus pertinents… Quoi qu’il en soit, un contrat de cession a été signé le 7 avril 2015 entre le représentant de l’Agence des participations de l’Etat – le Ministre de l’Economie Emmanuel Macron ayant donné son accord – et la société Casil Europe. Cette dernière est une société française détenue par le consortium Symbiose. Le prix de l’action a été fixé à 4163 euros par un arrêté conjoint des ministres chargés des finances et de l’économie publié le 15 avril 2015.

Deux requêtes ont été déposées devant le Conseil d’Etat par deux ensembles de requérants dont la liste se recoupe en partie (leur nombre nous invite à renvoyer à la lecture de l’arrêt sur ce point). Par la première requête, les requérants demandaient l’annulation de la décision des ministres de l’économie et des finances – rendue publique le 4 décembre 2014 – retenant le consortium Symbiose parmi les candidats au rachat. Ils demandaient également l’annulation des avis préalables à cette décision rendus par la commission des participations et des transferts, ainsi que du refus opposé par l’Agence des participations de l’Etat à leur demande de communication de ces avis. Dans la seconde requête, les requérants demandaient au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêté conjoint du 15 avril 2015, mais aussi l’autorisation donnée par le ministre de l’économie le 7 avril 2015 ainsi que tous les actes et décisions attachés à cette autorisation, dont l’acte de cession du 7 avril 2015.

Le Conseil d’Etat s’est donc prononcé sur ses requêtes dans un arrêt rendu le 27 octobre 2015. Il a tout d’abord considéré que les conclusions dirigées contre le contrat de cession devaient être « rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ». En effet, il a relevé que le contrat en cause ne répondait pas aux critères jurisprudentiels de définition du contrat administratif et devait donc être considéré comme un contrat de droit privé. Il a également rejeté les conclusions dirigées contre le refus de communiquer les avis préalables à la décision de sélectionner le consortium Symbiose. Les requérants n’avaient pas saisi la Commission d’accès aux documents administratifs en ce sens et, cette saisine constituant un préalable obligatoire, ils ne pouvaient donc pas demander au juge administratif d’annuler le refus de communication de ces avis. Enfin, le Conseil d’Etat a rejeté les conclusions présentées contre les avis de la commission des participations et des transferts en rappelant que, lorsque de tels avis sont suivis d’une décision conforme du ministre de l’économie, ils « ne constituent pas des décisions faisant grief susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ». Pour autant, le Conseil d’Etat n’a pas rejeté tous les arguments présentés par les requérants. Il a en effet admis que le communiqué de presse du 4 décembre 2014 annonçant le nom de l’acquéreur pressenti n’avait un simple caractère informatif mais révélait la décision des ministres de retenir la proposition du consortium Symbiose. Le communiqué de presse révélait donc « une décision administrative faisant grief ». Dans la mesure où cette décision constitue « un acte détachable du contrat de droit privé de cession de la participation », le juge considère qu’il est susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

Toutefois, le Conseil d’Etat a estimé que cet acte, tout comme l’arrêté du 15 avril 2015 fixant les modalités de transfert au secteur privé et l’autorisation du ministre de l’économie du 7 avril 2015 autorisant la signature du contrat, ne présentaient pas un caractère réglementaire. Il a donc considéré qu’il revenait au tribunal administratif de Paris de se prononcer sur ces actes et lui a renvoyé l’affaire sur ce point. Ce dernier a, par un jugement du 15 mars 2017, rejeté les arguments avancés par les requérants. La Cour administrative d’appel de Paris a alors été saisie et, par un arrêt du 16 avril 2019, elle a prononcé l’annulation de la décision désignant le consortium comme acquéreur, de la décision du ministre de l’économie autorisant la signature du contrat de cession et de l’arrêté du 15 avril 2015 fixant les modalités de transfert de la participation litigieuse au secteur privé. L’enjeu financier était de taille, d’autant que la société Casil Europe avait annoncé au début de l’année 2019 son intention de vendre ses actions en réalisant une plus-value d’environ 80%. Si la cession initiale était annulée, il lui était impossible de revendre ce qu’elle n’avait pas ! Le ministre de l’économie et des finances s’est donc pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat, la société Casil Europe venant au soutien de son pourvoi.

Le Conseil d’Etat devait donc déterminer si les différents actes ayant permis la cession des actions de la société anonyme Aéroport Toulouse-Blagnac à la société Casil Europe étaient bien valables ou si, comme l’avait jugé la Cour administrative d’appel, ces actes devaient être annulés. La validité de la cession elle-même dépendait de la réponse qu’il apporterait à cette question.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat va revenir la question de savoir si les changements dans la composition du consortium intervenus en cours de procédure affectaient la validité des actes permettant le choix de ce dernier. Alors que la Cour administrative d’appel avait considéré que de tels changements affectaient la validité des différents actes contestés, le Conseil d’Etat invalide son raisonnement et annule l’arrêt rendu en ce sens. Il va ensuite, dans un second temps, se prononcer sur le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris pour le valider et, ainsi, confirmer la légalité des actes ayant permis la privatisation de la société concessionnaire de l’aéroport de Toulouse.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat se livre donc à une appréciation extrêmement souple – pour ne pas dire surprenante – des changements dans la composition du consortium. En effet, le cahier des charges relatif à la procédure de transfert par l’Etat de ses participations dans la société anonyme Aéroport Toulouse-Blagnac prévoyait différentes étapes permettant d’aboutir au choix de l’acquéreur. Dans un premier temps, il précisait les conditions de recevabilité des candidatures permettant aux candidats d’être admis à présenter des « offres indicatives » en tant que « candidats recevables ». Dans un deuxième temps, ce cahier des charges fixait les conditions dans lesquelles les « candidats recevables » ayant déposé une « offre indicative » seraient autorisés à déposer une « offre ferme » en tant qu’« acquéreurs éventuels ». Enfin, dans un troisième et dernier temps, le cahier des charges précisait selon quelles conditions l’acquéreur serait sélectionné parmi les acquéreurs éventuels. Parmi les conditions fixées par le cahier des charges, ce dernier envisageait la possibilité que des offres conjointes soient présentées, à condition de désigner une entité chef de file représentant l’ensemble des participants. L’acquéreur finalement retenu, le consortium Symbiose, portait une telle offre conjointe. Le problème soulevé devant le Conseil d’Etat, et qui avait conduit la Cour administrative d’appel à censurer les actes contestés, est que la composition de ce consortium a évolué au cours de la procédure.

En effet, au stade du dépôt des candidatures, l’offre présentée par le consortium réunissait deux sociétés : Shandong Hi-Speed Group et Friedmann Pacific Asset Management. Cette candidature avait été déclarée recevable puis, au moment du dépôt des offres indicatives, une autre société dont la candidature avait aussi été déclarée recevable – la société SNC Lavalin – avait décidé de rejoindre le consortium. L’offre indicative du consortium réunissait donc les trois sociétés. Enfin, au moment du dépôt de l’offre ferme, la société SNC Lavalin s’est finalement retirée du consortium. L’offre finalement retenue ne réunissait donc plus que les deux sociétés qui participaient au consortium depuis le départ. Ce sont ces changements qui avaient permis à la Cour administrative d’appel de considérer que la décision du ministre de l’économie agréant l’offre ferme du consortium était illégale. La Cour a considéré que les dispositions du cahier des charges impliquaient que les membres du consortium restent les mêmes du début à la fin de la procédure. Le Conseil d’Etat prend le contrepied de cette interprétation en considérant que rien dans le cahier des charges n’imposait une identité dans la composition du consortium. Il en déduit donc que l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel doit être annulé sur ce point.

Il est vrai que la lecture littérale des dispositions du cahier des charges ne révèle pas la nécessité que les membres du consortium soient les mêmes du début à la fin de la procédure. Pour autant, cette interprétation littérale reste surprenante. En effet, il est difficilement soutenable que le « candidat » consortium Symbiose soit la même entité que le « candidat recevable » consortium Symbiose, ou que ce dernier soit la même entité que « l’acquéreur éventuel » consortium Symbiose. La sincérité de la procédure semble avoir été mise à mal par ces changements successifs, notamment au regard du principe d’égalité de traitement entre les candidats. Certes le Conseil d’Etat souligne plus loin dans l’arrêt que les principes fondamentaux de la commande publique ne s’appliquent pas en l’espèce, il n’en demeure pas moins que le principe d’égalité dépasse le seul cadre de la commande publique et a une assise constitutionnelle…

Quoi qu’il en soit, cette interprétation littérale permet au Conseil d’Etat de censurer l’arrêt rendu en appel et de décider de régler l’affaire au fond. Il poursuit donc son raisonnement en examinant, dans un second, la régularité du jugement rendu par le tribunal administratif de Paris.

Le Conseil d’Etat commence par se prononcer sur la régularité du jugement attaqué. Il considère, sans développer son argumentation, que le tribunal administratif de Paris n’a pas porté atteinte au principe du contradictoire, ni méconnu le droit à un procès équitable et qu’il a suffisamment motivé son jugement. Il se prononce ensuite sur le bien-fondé du jugement en validant le raisonnement du tribunal administratif sur différents points. En premier lieu, il considère que les avis rendus par la commission des participations et des transferts ont été rendus de manière régulière, l’absence suivie du décès de l’un des membres de cette commission n’ayant pas empêché le respect du quorum et la constitution d’une majorité. En deuxième lieu, il confirme le raisonnement retenu pour censurer l’arrêt de la Cour administrative d’appel en validant l’appréciation littérale du tribunal administratif quant aux changements survenus en cours de procédure parmi les membres du consortium. En troisième lieu, il relève que les requérants n’établissent pas que le chef de file du consortium aurait changé en cours de procédure. En quatrième lieu, il précise que la constitution de la société Casil Europe pour acquérir les parts de l’Etat à la suite du choix du consortium comme acquéreur n’a pas vicié la procédure de cession. En cinquième lieu, il confirme que les dispositions de l’article L. 122-4vdu code de l’environnement ne s’appliquent pas à une procédure de cession telle que celle qui a eu lieu et qu’une évaluation environnementale ne s’imposait donc pas. En sixième lieu, il considère que la procédure prévue par l’Ordonnance du 20 août 2014 déroge à certaines dispositions du code du travail à propos de la consultation du comité d’entreprise lors d’une opération de privatisation et que, par conséquent, l’absence de consultation de ce comité sur le choix de l’acquéreur n’entrait pas dans l’objet de la consultation. En septième lieu, le Conseil d’Etat estime que les principes fondamentaux de la commande publique ne s’appliquaient pas en l’espèce car l’opération en cause n’entre pas dans le champ de la commande publique. Enfin, le juge administratif considère qu’en dépit de différents arguments avancés, le choix du consortium n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

Toutes ces raisons conduisent le Conseil d’Etat à valider le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris et à confirmer l’opération de privatisation de la société concessionnaire de l’Aéroport Toulouse-Blagnac. La lecture des conclusions du Rapporteur public permettra probablement de mieux saisir le raisonnement retenu par le juge administratif suprême mais, pour l’heure, la lecture littérale de l’arrêt laisse le commentateur relativement dubitatif.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 267.

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ParJDA

Compte-rendu de la conférence du 22 octobre 2019 : Aujourd’hui agents publics, demain tous contractuels ?

Art. 265.

A l’heure où vient d’être adoptée la nouvelle Loi de « transformation de la fonction publique » (Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique), le Journal du Droit Administratif est heureux de soutenir l’initiative toulousaine des Centre de Droit des Affaires (CDA) & Institut Maurice Hauriou (IMH) de l’Université Toulouse 1 Capitole avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit.

Le Centre de Droit des Affaires et l’Institut Maurice Hauriou proposent en effet, sous la coordination des professeurs Isabelle Desbarats, Pierre Esplugas-Labatut et Mathieu Touzeil-Divina, de septembre 2019 à janvier 2020, un cycle inédit, sous forme de regards croisés entre spécialistes de droit du travail et droit des fonctions publiques, de cinq conférences mensuelles autour du thème : « Les transformations de la fonction publique : tous travailleurs ? ».

Le JDA – sous la plume de M. Adrien Pech – vous propose ici le premier compte-rendu de ce cycle de conférences matérialisé, salle Gabriel Marty, le 22 octobre 2019.

Monsieur le Professeur Esplugas-Labatut rappelle l’origine du cycle de conférences. Il s’agit de l’anticipation de la loi fonction publique. Le projet est inédit et original, permettant de croiser des universitaires « travaillistes » et « publicistes », accompagnés d’un « témoin », en général praticien. 

Remarques liminaires, Monsieur le Professeur Emmanuel Aubin et le Docteur Morgan Sweeney n’ont pu se déplacer à cause d’empêchements liés aux perturbations ferroviaires. Dès lors, le Professeur Mathieu Touzeil-Divina proposera, en fin de conférence, un résumé oral des contributions écrites des intervenants absents (II). Le premier orateur est Monsieur Amaury Vauterin, magistrat au tribunal administratif de Nantes (I).

Intervention de Monsieur Amaury Vauterin :
l’influence de la loi fonction publique sur les emplois de direction

L’intervention de Monsieur Amaury Vauterin est surtout orientée vers les emplois de direction. Le contrat devient l’une des modalités premières d’encadrement de la relation de travail des emplois de direction.

D’emblée, le Professeur Mathieu Touzeil-Divina expose ses doutes et ses « peurs » relatifs à l’introduction de la contractualisation en droit public, notamment quant à la sauvegarde et à l’avenir du service public.

Monsieur Amaury Vauterin poursuit son propos.   

La loi met en évidence une « peur » des fonctionnaires : les cadres de droit privé vont-il s’accaparer les emplois des fonctionnaires ?

Juridiquement, la règle de principe est la suivante : sauf dérogation législative, les postes permanents de l’administration sont exercés par des fonctionnaires.

Cependant, il existe deux exceptions.  

  • (La première exception) L’article 3 de la loi du 11 janvier 1984 

La possibilité de nomination, aux emplois supérieurs, à la discrétion du gouvernement. Ce type de désignation concerne particulièrement le « top management » (i.e. préfets, ambassadeurs, directeurs administration centrales, secrétaires généraux, etc.). Il existe 683 postes de ce type. Le caractère discrétionnaire de la nomination implique que des fonctionnaires puissent être nommés, tout comme des non fonctionnaires. Ils occupent leurs fonctions sous le statut de contractuels de droit public.

  • (La seconde exception) L’article 4 de la loi du 11 janvier 1984 

La possibilité de recruter un contractuel lorsque  la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient.

Les emplois de direction regroupent deux sous-ensembles :

  • Les emplois fonctionnels -e.g. chefs de services, directeurs de projets, etc.-, réservés à des fonctionnaires de l’Etat.
  • Les emplois réservés statutairement à certains corps -administrateurs des finances publiques, corps diplomatique-

Avec les modifications introduites par la loi fonction publique, désormais, il est possible de recruter des personnes sous contrat (article 16) dans le cadre de la conclusion d’un contrat à durée déterminée, sans possibilité de titularisation. A ce stade, nous restons dans l’attente des décrets pertinents. Par conséquent, toutes les questions restent ouvertes et en suspens : doit-on craindre un recours massif aux contractuels qui viendraient accaparer les postes de directions pour les fonctionnaires ?

Monsieur Amaury Vauterin propose d’organiser son propos de la façon suivante. La loi fonction publique implique un changement de paradigme (1) et des effets particuliers (2) sur lesquels il se propose de porter un jugement (3).

Le changement de paradigme de la réforme

L’article 16 constitue, pour ses défenseurs comme pour ses détracteurs, un bouleversement parfaitement assumé par les promoteurs de la loi. Cela se démontre grâce à la mise en avant de quatre indices.

  • (Le premier indice) Il s’agit, pour les emplois de direction de l’Etat, d’affecter les cadres dirigeants du secteur privé et de mettre en concurrence les hauts fonctionnaires avec lesdits cadres. L’objet est de promouvoir la diversité des profils.
  • (Le deuxième indice) La détermination du gouvernement. L’article 16 a déjà été inscrit dans un précédent projet de loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel en date du 5 septembre 2018. En revanche, il avait été censuré par le Conseil constitutionnel comme étant sans rapport avec la loi.
  • (Le troisième indice) La tentative du gouvernement de bouleverser, par voie règlementaire, les équilibres actuels. En effet, par un décret en date du 3 aout 2018, le gouvernement avait souhaité modifier la liste des emplois supérieurs en y ajoutant les emplois de chefs de postes consulaires dans une vingtaine de grandes villes dans le monde. L’enjeu de la modification : ces postes sont nommés à la discrétion du gouvernement, sans contrôle. En revanche, le décret a été annulé par le Conseil d’Etat par un arrêt en date du 27 Mars 2019. Il convient de relever que les conclusions du rapporteur public faisaient état de ce que le choix de l’exécutif de nommer un écrivain, non membre du corps diplomatique permettait de contextualiser la réforme et qu’il « fallait en parler ».
  • (Le quatrième indice) les emplois permanents de l’Etat et des établissements publics de l’Etat sont placés hors champ de la réforme. Cela va créer de fait une situation de « mise en concurrence entre les fonctionnaires et les cadres » -pour reprendre les termes de l’avis du Conseil d’Etat sur la loi fonction publique- dont les risques identifiés seront d’une part, la cooptation ou le « copinage » et d’autre part, les inégalités entre les candidats opposant un recrutement fondé sur l’appréciation des compétences et du parcours professionnel -qui peut être intéressant, il faut le concéder- et un recrutement fondé sur le statut.

Dès lors, l’on passe d’une logique fondée sur le grade et le corps à une logique fondée sur l’emploi et l’expérience professionnelle. Il s’agit bien d’un bouleversement.

Les effets de la réforme

Monsieur Amaury Vauterin identifie deux types d’effets : les effets affichés (a) et les effets induits (b).

  • Les effets affichés
    Une plus grande liberté de recrutement

Néanmoins, la liberté n’est pas là où l’on croit. En effet, il est de jurisprudence constante que seul le pouvoir réglementaire peut fixer les dispositions statutaires applicables aux contractuels. En revanche, avec la réforme, un verrou réglementaire est créé. Ce sont les dispositions réglementaires qui seront déterminantes alors qu’avant il s’agissant de dispositions législatives.  

  • Une meilleure capacité de recrutement

L’administration sera confrontée à l’obligation de comparer les CV des candidats, de moderniser et professionnaliser les procédures de recrutement. Or, l’effet sera parfaitement aléatoire.

  • Les effets induits Un effet d’éviction

 Il s’agit de la restriction des possibilités de carrières des hauts fonctionnaires parce que leur statut sera impacté par la réforme.

  • La construction d’un nouvel office du juge

En effet, jusqu’à présent, le juge administratif doit seulement se demander si la nature des fonctions et des besoins du service justifient le recours à des contractuels. A présent, le juge pourra être emmené, en cas de recours du candidat non retenu, à comparer les CV et les parcours des candidats retenus et évincés.

Jugements sur la réforme

Le professeur Emmanuel Aubin se questionne. La réforme est-elle étrangère aux grands principes du droit de la fonction publique ?

L’orateur n’en est pas certain.

  • Sur le recours au contrat

Le droit de la fonction publique n’est pas l’ennemi du contrat. Les hauts fonctionnaires nommés directement et discrétionnairement par gouvernement, quand bien même sont fonctionnaires, peuvent bénéficier d’un contrat fixant notamment les conditions de certains avantages. V. en ce sens CE, 30 juillet 2003.  Prendre en compte prioritairement les compétences, plutôt que le statut, préside déjà aux nominations des conseillers d’Etat et des conseillers maîtres. Ils sont choisis uniquement compte tenu de leurs expériences et des besoins du corps. 

  • Sur la déontologie

Les agents contractuels sont déjà soumis à des obligations déontologiques. Les cadres d’emplois de direction bénéficieront d’une formation particulière.

Par conséquent, la réforme est née du droit de la fonction publique.

Toutefois, deux questions se posent :

  • Est-ce que l’administration va profiter de cette réforme -article 3 de la loi du 1984) pour nommer des cadres privés ou va-t-elle nommer exclusivement agents du secteur public ? 

Actuellement, il y a 683 emplois nommés à la discrétion du gouvernement. Or, les nominations pour ces postes se répartissent comme tel : 94%  des candidats retenus sont des fonctionnaires. Dès lors, le risque pour les 1800 emplois de direction n’est pas évident, d’autant plus que,  « l’immobilisme est en marche et rien ne l’arrêtera ».  (Monsieur Amaury Vauterin cite Edgar Faure).

  • Peut-on attendre des contractuels privés un attachement à l’administration comparable aux fonctionnaires ?

La réponse reste en suspens.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina rebondit sur la dernière question. N’a-t-on pas un délitement –qui n’est pas dû à la loi d’ailleurs- de ce qu’est l’intérêt général ? Ne va-t-on pas assister à une confusion de l’intérêt général et de l’intérêt privé avec des personnes qui risquent de faire prévaloir l’intérêt personnel sur l’intérêt général ?  

Monsieur Amaury Vauterin explique que, selon lui, il est possible d’observer une frontière de plus en plus invisible et perméable entre le contractuel et le statut.  C’est le vrai problème plutôt, que celui de l’accroissement du nombre de contractuels.  Puis, il pose la question : qu’est-ce que l’intérêt général ? Il est impossible d’analyser si les cadres issus du secteur privé auront plus ou moins le sens de l’intérêt général que les agents publics. Selon Bergson, seule la durée est créatrice. Elle permet de murir l’idée que l’on se fait de l’intérêt général. Dès lors, la courte durée créer la courte vue, l’intérêt de carrière immédiat, la perspective de carrière, le rebondissement, etc.

Question du Professeur Pierre Esplugas-Labatut : Ce qui l’a frappé est l’extrême précaution du législateur. Donc, le principe du concours subsiste. La dérogation n’est-elle pas qu’une fiction juridique ?

Monsieur Amaury Vauterin répond que non, ce n’est pas simplement une fiction. D’ailleurs, le Conseil d’Etat l’a rappelé en expliquant fortement que la contractualisation est la clé de voute du projet de loi.

Le Professeur Isabelle Desbarats rappelle que l’exposé de Monsieur Amaury Vauterin est focalisé sur la problématique de la haute fonction publique alors que l’objectif de la loi est bien plus large, en facilitant le recours aux contractuels hors de la seule hypothèse de la haute fonction publique. N’y a-t-il pas là une problématique ? Le Professeur Isabelle Desbarats formule trois questions. 1) Les contractuels seront, pour la haute fonction publique, des contractuels de droit privé ou de droit privé ? 2) L’enjeu est manifestement relatif au management, mais aussi de fluidité et de diversification ? 3) Est-ce que l’ouverture aux contractuels ne pourrait pas, à terme, palier aux problèmes d’attractivité des territoires et de certaines professions ? Puis, au-delà, accompagner l’évolution des professions et des compétences ?

Monsieur Amaury Vauterin affirme qu’il est évident que la loi fonction publique a des ambitions plus larges que réguler les seuls emplois de direction. 1) Sur le contrat et la nature du contrat, il affirme qu’il sera de droit public.  Le législateur a prévu d’introduire que les conditions de rémunération seront fonction du poste, des résultats et objectifs du service. Ce qui est inédit. 2) Sur l’ouverture de la fonction publique, il y est favorable si les compétences des personnes recrutées se mettent à la disposition de l’Etat et de la fonction publique. 3) Sur l’attractivité du territoire, il s’agit d’une volonté du législateur. Les carrières linéaires offrant une certaine tranquillité d’esprit dans un mouvement ascendant sont terminées.

Le Professeur Isabelle Desbarats demande pourquoi est-ce que des hauts fonctionnaires pourraient avoir la possibilité d’exercer sous un statut de détachés ou de mise à disposition dans des entreprises privées alors que l’inverse ne serait pas possible ? Cette asymétrie a-t-elle été rectifiée par le législateur à travers cette loi ?

Le Professeur Mathieu Touzeil Divina donne la parole à la salle.

Un intervenant, sur l’office du juge : dans quelle configuration le juge interviendrait pour contrôler recrutement ?

Monsieur Amaury Vauterin répond que c’est une question inédite. Pour les candidats évincés, peut-on imaginer que le juge refuse un contrôle sur le recrutement d’un contractuel de droit public ? L’orateur imagine mal comment le juge pourrait échapper à son office de contrôler la légalité du recrutement. C’est une question inédite. Dès lors, le problème reste ouvert.

Un intervenant, sur l’étendue du contrôle judiciaire concernant les CV des candidats.

Monsieur Amaury Vauterin ne voit pas comment faire sans examiner les mérites. Mais cela est parfaitement exploratoire. On est dans une situation un peu difficile à cerner. En tout état de cause, il n’imagine pas le juge administratif ne pas statuer sur la légalité de la nomination. Autrement dit, cela voudrait dire qu’elle échapperait à toute forme de contrôle, à l’image des emplois supérieurs à la discrétion du gouvernement.

Le Professeur Mathieu Touzeil Divina a peur que sur, ces emplois, le juge s’en tienne à un contrôle objectif -diplôme, etc.- en indiquant qu’il s’agit d’un contrat intuitu personae, impliquant que l’administration puisse choisir discrétionnairement le candidat.

Monsieur Amaury Vauterin indique que, quel que soit le contrôle, ce dernier sera restreint et superficiel. C’est le législateur qui l’a voulu.

Un intervenant, sur un effet induit supplémentaire. Il se demande si, à terme, nous n’assisterons pas à une raréfaction des candidats aux concours et même, à la fin de la fonction publique par une petite mort -en 30/40 ans- ?

Monsieur Amaury Vauterin indique qu’il sera tentant pour les personnes d’analyser la contractualisation comme une ouverture de perspectives. Il s’agit d’un « scénario catastrophe » mais parfaitement envisageable. Il ajoute que l’on sent « instinctivement » que quelque part, il y a quelque chose de toxique dans la loi, sans pour autant savoir quand ça va commencer. C’est une intuition partagée par beaucoup de fonctionnaires.

 Le Professeur Isabelle Desbarats s’interroge sur l’ENA et sa suppression ? Serait-ce un malheur ?

Monsieur Amaury Vauterin rappelle que la question du maintien de l’ENA est un vieux serpent de mer. L’ENA est une école professionnelle. La question n’est pas l’école, mais ce que l’on y apprend ou ce qu’il faut apprendre aux cadres supérieurs de la fonction publique. La démarcation pertinente n’est pas celle entre le secteur public et le secteur privé ou entre l’ENA et les grandes écoles de commerces. La question est celle de l’idéologie managériale qui postule de ce que tout se vaut et est remplaçable. Si l’on pense de cela, alors on pense qu’il faut supprimer le statut général. Au contraire, et c’est plutôt la position du Monsieur Amaury Vauterin, si l’on croit à la singularité de la chose publique, alors il faut préserver le statut général.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina formule une observation. L’employeur public-Etat n’est pas un employeur comme les autres. Cela implique que toute administration ne peut pas être gérée comme toute entité économique-entreprise. Donc, peut-on tout remplacer ? Parfois oui, peut-être –selon les postes et les degrés de responsabilité-. Mais, dans un nombre élevé d’hypothèses, ce n’est pas possible parce que, l’un met en avant l’intérêt général alors que l’autre celui de son entreprise. La différence est importante. Plus spécifiquement, un service public administratif ne peut pas être géré par un contractuel dans une logique purement managériale.

Le Professeur Isabelle Desbarats lui répond que l’impératif du respect de l’intérêt général n’est pas partagé par tous. On constate qu’il y a certains concours qui ne trouvent pas de candidats. Selon elle, l’un des problèmes est celui de l’attractivité. Dès lors, le passage par le biais du contrat sera peut-être de nature à renforcer l’attractivité de la fonction publique.

Intervention résumée de Monsieur le Professeur Emmanuel Aubin

propos tenus par M. le pr. Touzeil-Divina au nom du contributeur

Il s’interroge sur la question d’une éventuelle dénaturation de la fonction publique.

Son constat : la loi fonction publique a pour objectif de simplifier et mieux gérer les ressources humaines.  Il s’agit du premier objectif de la loi.  Il partage un constat : la loi s’inscrit dans un phénomène existant, qui est accentué. Le droit de la fonction publique est-il dénaturé ? C’est la question du fonctionnaire canada dry, il ressemble à un fonctionnaire mais n’en est pas un.

Le Professeur Emmanuel Aubin rappelle que l’objectif n’est pas de remplacer les fonctionnaires par les contractuels. Simplement, d’augmenter la part des contractuels. Dès lors, la loi impacte l’image de la fonction publique, mais pas au statut du fonctionnaire en tant que tel, par le simple fait de juxtaposer des contractuels aux statutaires. Il existe un délitement des frontières. Mais, les contractuels restent attachés au droit public par le contrat de droit public qu’ils concluent avec l’administration. Il explique que la banalisation du contrat est accompagnée tant par le Conseil d’Etat que par le Conseil constitutionnel. Mais, pose la question du contrat à durée indéterminée de droit public. Est-ce que le CDI de droit public deviendra le fonctionnaire canada Dry ? L’objectif est de protéger les CDD de droit public – il y a même une proposition intéressante : le contrat de projet selon lequel la relation de travail est conditionnée par un besoin particulier et circonscrit de l’administration.

Intervention résumée de Monsieur Morgan Sweeney 

propos tenus par M. le pr. Touzeil-Divina au nom du contributeur

Le droit du travail a connu des changements. En effet, l’employé est un acteur plus engagé. Il est censé avoir la possibilité de mieux donner son avis sur des éléments essentiels de sa relation de travail. A priori, c’est plutôt une bonne chose que l’employé public ait également la possibilité d’être davantage acteur de sa relation de travail.  Monsieur Morgan Sweeneymet en avant la notion de capacité à résister et se demande si le contractuel de droit public en bénéficiera. Or, il indique qu’elle ne s’exprimera que rarement et souvent dans l’hypothèse d’un licenciement. Ce qu’il croit profondément, c’est que le gouvernement a voulu transformer le code du travail mais n’a pas réussi à faire tout ce qu’il entendait faire. Il a considéré que l’administration d’Etat devait être le modèle futur de l’employeur privé. L’objectif de la loi fonction publique est de faire de l’Etat un employeur modèle de droit privé. Il se fonde sur l’exemple du contrat de projet. Ce type de contrat a l’avantage, pour l’employeur de rompre la relation de travail une fois la mission achevée. La question du licenciement ne se pose donc pas. Néanmoins, la loi, telle qu’adoptée, ne précise pas encore les conditions d’application de ces contrats alors qu’en droit privé, les conditions de recours à ce type de contrat sont restreintes.  Il explique que si l’on rend de plus en plus fréquente la conclusion de contrats de projets, alors, il est probable que l’administration bénéficie de pouvoirs plus étendues que ceux dévolues par les opérateurs privés aujourd’hui.

Monsieur Morgan Sweeney propose la formule suivante : le MEDEF en a rêvé, le gouvernement l’a fait, mais pour lui-même.

Monsieur Morgan Sweeney s’interroge sur la question des CDD successifs en indiquant qu’ils sont en contrariété avec le droit de l’Union européenne puisqu’un accord-cadre vient dénoncer la multiplication des abus de contrats CDD successifs qui ne se transformeraient pas en CDI.

Il termine sur une note positive en indiquant que la prime de précarité serait versée, pour les agents de droit public, dès 2021.

Intervenante : Il s’agit d’une reforme pensée pour la fonction publique territoriale appliquée aux autres fonctions publiques qui constitue une régression pour la fonction publique d’Etat notamment. Autre difficulté soulevée : la rupture d’égalité entre les contractuels et les fonctionnaires.

Intervenant : Il souligne que l’écart de salaire entre H/F  est réduit dans la fonction publique par rapport au privé. Donc, cela pose la question de l’avenir de cette égalité ai sein de la fonction publique.  

Le Professeur Isabelle Desbarats s’interroge sur la capacité de résister dans la fonction publique. Les agents contractuels sont des agents de droit public auxquels l’on applique des principes généraux du droit issu du droit du travail. Or, la possibilité pour l’agent, de donner son accord en cas de modification de son contrat de travail a été consacrée au titre des principes généraux du droit. Dès lors, la capacité de résister de l’agent publique sera peut-être plus forte que celle du fonctionnaire qui sera mis dans une relation d’unilatéralité.

Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut estime que l’on sent, qu’il existe, derrière les positions de chacun, une idéologie politique. Selon lui, le contractualisme permettrait de mieux rémunérer les agents.

Intervenant : Les rémunérations sont insérées dans des grilles indiciaires. Le contractuel n’ira pas forcément au-delà des grilles indiciaires. Le souci in fine reste budgétaire.

Monsieur Amaury Vauterin, en guise de synthèse constate l’impossibilité de faire, de rémunérer, de récompenser et d’agir pour l’administration. Que faire, face à ce constat ? L’espoir ne suffira pas, l’on espère que les choses iront dans l’intérêt de tous …

MM. Touzeil-Divina & Vauterin

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Cycle transformation de la fonction publique – 29 10 2019 ; Art. 265.

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ParJDA

Compte-rendu de la conférence du 24 septembre 2019 : Évolution ou Révolution du Droit des fonctions publiques ?

Art. 264.
A l’heure où vient d’être adoptée la nouvelle Loi de « transformation de la fonction publique » (Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique), le Journal du Droit Administratif est heureux de soutenir l’initiative toulousaine des Centre de Droit des Affaires (CDA) & Institut Maurice Hauriou (IMH) de l’Université Toulouse 1 Capitole avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit.

Le Centre de Droit des Affaires et l’Institut Maurice Hauriou proposent en effet, sous la coordination des professeurs Isabelle Desbarats, Pierre Esplugas-Labatut et Mathieu Touzeil-Divina, de septembre 2019 à janvier 2020, un cycle inédit, sous forme de regards croisés entre spécialistes de droit du travail et droit des fonctions publiques, de cinq conférences mensuelles autour du thème : « Les transformations de la fonction publique : tous travailleurs ? ».

Le JDA – sous la plume de M. Mathias Amilhat – vous propose ici le premier compte-rendu de ce cycle de conférences matérialisé, salle Gabriel Marty, le 24 septembre 2019.

Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut prend la parole pour présenter cette première conférence. Il rappelle la genèse du projet : tout a commencé par un projet commun avec la Professeure Isabelle Desbarats qui aurait consisté à réaliser un ouvrage sur l’emploi public. Les travaux du CLUD sur le rapprochement du droit de la fonction publique et du droit du travail et le colloque sur le droit du travail organisé à Clermont-Ferrand lorsqu’il y était Professeur ont confirmé cette volonté de réfléchir sur la fonction publique en croisant les regards entre « publicistes » et « travaillistes ».

Finalement c’est la préparation de la loi de transformation de la fonction publique qui a été le déclencheur. Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina a proposé un cycle de conférences avec différents regards : des spécialistes de droit privé, de droit public, mais aussi professionnels. Parallèlement à cela, la Professeure Isabelle Desbarats les a saisis de ce sujet. Ils ont alors décidé d’organiser ces conférences, qui auront lieu tous les mois de septembre 2019 à janvier 2020.

La Professeure Isabelle Desbarats prend ensuite la parole pour présenter les conférences. Elle explique qu’il s’agit de s’interroger sur l’impact attendu ou redouté de la loi avec une conférence par mois. Elle en profite pour annoncer les prochaines conférences.

Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut en profite pour ajouter, avant le début de la conférence, que les contributions seront publiées sur les sites internet du Journal du droit administratif et du Collectif l’Unité du Droit.

La Conférence débute ensuite

la contribution orale du prof. Esplugas-Labatut
est par ailleurs disponible en cliquant ICI

Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut prend la parole le premier. Il estime que l’ouvrage d’Alexis de Tocqueville, « L’Ancien Régime et la Révolution », peut servir de grille de lecture en matière de fonction publique en se demandant s’il y a une véritable transformation ou une simple continuité.

Il explique que le statut général est aujourd’hui très différent de ce qui a été posé dans les années 1980 et que les précédents textes montrent déjà un certain scepticisme à l’égard de la FP.

Le mouvement suit selon lui deux fils directeurs : la travaillisation du droit de la fonction publique et la recherche d’exemplarité. Mais en réalité, seule la travaillisation peut être considérée comme une révolution. De plus, chacun de ces fils directeurs est le prolongement de mouvements anciens. Il y a donc une double continuation.

Il y a donc d’abord une continuation de la révolution de la travaillisation de la fonction publique. Il rappelle la définition de la travaillisation et explique qu’aujourd’hui un pallier supplémentaire est franchi parce que c’est une loi générale qui reprend sur une multiplicité de points le droit du travail, même si malgré tout certaines spécificités sont maintenues.

Il poursuit en expliquant ensuite qu’il y a une continuation de l’évolution pour davantage d’exemplarité de la fonction publique. La loi confirme que le fonctionnaire est un « citoyen spécial » (Hauriou), notamment en sophistiquant la loi de 2016 sur la déontologie des fonctionnaires. Il s’interroge cependant sur la surenchère de rigueur pour les agents publics alors que le secteur privé n’est pas concerné et se demande s’il ne s’agit pas d’une posture démagogue. Il souligne par ailleurs les moyens mis en place par la loi pour lutter contre les discriminations, en utilisant la discrimination positive.

Le Professeur Esplugas-Labatut conclut sa présentation en expliquant que la loi est l’aboutissement d’un processus ancien et que c’est sans doute pour cela qu’il n’y a pas eu d’oppositions. Pour lui le droit de la fonction publique n’est plus un droit statutaire mais les missions de service public des agents justifient le maintien de dérogations au droit du travail. Il n’y a donc pas alignement total sur le droit du travail mais plutôt mise en place d’un droit public du travail.

la contribution orale du prof. Desbarats
est par ailleurs disponible en cliquant ICI (lien en cours)

La Professeure Isabelle Desbarats prend ensuite la parole. Ses interrogations portent sur le fait de savoir si la loi de transformation de la fonction publique est une loi technique ou idéologique.

Elle commence par rappeler que la loi a pour but la modernisation et la transformation, en utilisant comme modèle le droit du travail. Toutefois la question est de savoir de quel droit du travail il s’agit car il y a eu de nombreuses réformes du droit du travail depuis 2008. Selon elle, la loi doit participer à l’objectif de réduction du nombre de fonctionnaires fixé par le Président de la République.

Elle estime que la loi fait ressortit deux mouvements qui renforcent la privatisation. Celle-ci passe d’abord par la refonte des instances de dialogue social qui fait écho avec les ordonnances macron de 2017 en droit du travail. Par ailleurs, elle estime que la loi pousse à passer d’un système de carrière vers la logique d’emploi (mobilité intra et extra fonction publique, mécanisme de rupture conventionnelle…).

Par ailleurs, la Professeure Isabelle Desbarats met en avant deux autres modifications qui concernent les contrats et qui peuvent avoir un caractère plus subversif qu’en apparence. La première modification résulte de la création d’un nouveau contrat, le contrat de projet. Il se différencie des contrats comparables de droit privé car il s’agit d’un contrat à durée déterminée alors que ceux du droit privé sont des contrats à durée indéterminée. La seconde modification concerne la mise en avant des conventions collectives. Il faudra attendre que des ordonnances soient adoptées sur ce point mais la question sera de savoir quelle sera leur valeur juridique et quelle sera leur place dans l’articulation des normes.

la contribution orale du prof. Touzeil-Divina
est par ailleurs disponible en cliquant ICI

Enfin, le Professeur Mathieu Touzeil-Divina prend la parole. Il précise d’emblée qu’il tiendra des propos plus engagés en défaveur de la loi. Il commence par rappeler que, même si c’est une chose oubliée aujourd’hui, originellement le droit du travail relevait du droit public. Il indique ensuite qu’il existe en France une volonté historique de suppression des fonctions publiques et une volonté parallèle de supprimer les différences de traitement entre les travailleurs. C’est cette double volonté qui explique le recours croissant au contrat et aux méthodes contractuelles.

La question est alors de savoir si la loi correspond à une évolution ou à une révolution. Si l’évolution est une chose positive, cela ne peut pas être une évolution à ses yeux. Dans le même temps, si révolution signifie « changement considérable », la loi ne crée pas non plus une révolution. En revanche, si le terme de révolution est admis au sens de « révolution copernicienne », il y a probablement une révolution. En effet, la loi effectue un retour à la situation d’avant 1941 en favorisant l’existence de fonctionnaires contractuels. Il s’agit également d’une loi « hypocrite » car elle traduit la volonté politique de supprimer le statut mais sans le faire pour le moment.

Dans un premier temps, le Professeur Mathieu Touzeil-Divina considère que la loi conduit à une évolution dramatique. Il y a selon lui des points qui peuvent malgré tout être considérés comme positifs dans la loi : la lutte contre les grèves perlées, le renouveau de la procédure disciplinaire, la variabilité en matière de rémunération, les éléments en faveur de la déontologie, ou encore la portabilité du compte individuel de formation. Il relève ces points positifs pour expliquer qu’il ne considère pas le statut comme quelque chose de sacré. En revanche, il n’est pas convaincu qu’elle aille dans le bon sens. C’est une loi adoptée pendant l’été et qui comporte des cavaliers législatifs, ce qui est déjà regrettable. Par ailleurs, cette loi annonce un renouveau avec la mise en place d’une démocratie participative mais les fonctionnaires n’ont pas été consultés à son sujet. Surtout, la loi oublie un point fondamental : le service public. Or, la plupart des dispositions de la loi viennent contrer la continuité et l’égalité du service public : le recours massif aux contractuels risque de créer une discontinuité dans le service public, le recours au contrat risque d’aboutir à un recrutement en fonction de la couleur politique dangereux pour la continuité et pour l’égalité. Par ailleurs, et même si le système actuel n’est pas parfait, le passage du concours au recrutement fait craindre davantage de népotisme et de subjectivité. Tout ceci aboutit à une dilution des secteurs publics et privés.

Dans un second temps, le Professeur Mathieu Touzeil-Divina explique que la loi entraîne une révolution copernicienne. Elle entraîne un retour aux fonctionnaires contractuels et davantage de précarisation. Pour lui, c’est un retour en arrière donc les porteurs de la loi savent très bien vers où ils veulent aller. Il fait le parallèle avec la mort du Doyen Foucart, un 6 août, car il était l’un des premiers à théoriser la fonction publique. A cette époque les auteurs considéraient qu’il existait deux sortes d’agents publics : les petits, c’est-à-dire les contractuels, et les autres, ceux qui touchent aux prérogatives de puissance publique. Cela correspond plus largement à l’évolution européenne, car dans de nombreux Etats les agents publics sont à 80% des contractuels. Pour le Professeur Mathieu Touzeil-Divina ce qui se passe c’est ce dont avait rêvé le Président Nicolas Sarkozy.

Il tient à rappeler une citation de Michel Debré : « un fonctionnaire est au service de l’Etat mais l’Etat n’est pas un employeur comme un autre ». Cela signifie que la puissance publique n’est pas un employeur comme un autre et que ses travailleurs ne sont pas des travailleurs comme les autres car ils mettent en jeu l’IG. Il rappelle également la différence entre le salaire et le traitement : le traitement est une indemnité qui correspond au grade. Ce n’est pas un salaire mais une indemnité donnée au fonctionnaire en contrepartie de son investissement. De la même manière, la retraite dans le secteur public est une récompense.

Il conclut en expliquant que l’on essaie aujourd’hui de faire comme si la situation de tous les travailleurs était comparable. C’est vrai qu’il existe des points communs, mais le service public fait qu’il y a nécessairement des différences.

La parole est ensuite donnée à la salle pour poser des questions.

La directrice des ressources humaines du syndicat mixte des abattoirs s’interroge sur le lien entre cette loi et l’individualisation de la société et sur le fait de savoir si la réforme est idéologique ou politique.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina lui répond. Pour lui la réforme est idéologique donc politique. L’égalitarisme de la fonction publique a créé des rancœurs et des frustrations entre agents, ce qui explique qu’il y ait une réelle volonté d’individualisation. En revanche il se veut moins fataliste : la société est de plus en plus individuelle, mais le service public est là pour nous dépasser et pour lutter contre l’individualisme. Il craint que ce soit le mouvement actuel mais il considère qu’il faut justement lutter contre ça en apportant de la solidarité.

La directrice du CNFPT Midi-Pyrénées prend ensuite la parole. Pour elle il s’agit plutôt d’une évolution que d’une révolution. La loi permet de créer les conditions d’une harmonisation entre les trois versants de la fonction publique. De la même manière, la fusion des instances de dialogue n’apporte pas de grands changements. Enfin, le recours possible au contrat ne serait que la reconnaissance d’une situation préexistante. Elle cite des exemples comme l’armée, les difficultés de recrutement de fonctionnaires dans certaines zones ou sur certains postes en raison de leur technicité. Sa crainte est que le recours au contrat soit trop encadré et aussi difficile que de recruter des fonctionnaires alors que les employeurs publics ont besoin de souplesse.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina lui répond qu’il est évidemment d’accord pour recourir aux contractuels dans des conditions telles que les exemples évoqués. En revanche la loi ne permet pas seulement le recours au contrat dans des secteurs en tension. Il évoque le cas des emplois de direction et évoque la possibilité d’un recrutement fondé sur la couleur politique.

La Professeure Isabelle Desbarats apporte une précision : elle estime que l’Etat et les collectivités publiques ne sont plus les seuls garants de l’intérêt général et se demande s’il ne faut pas le prendre en compte. Elle indique que la prochaine réforme importante est celle des retraites et qu’il faut s’interroger sur ce qui justifie le maintien des particularismes ? Pour elle si c’est justifié on garde les particularismes, sinon on arrête les particularismes.

Le Professeur Jean-Michel Eymeri-Douzans (IEP Toulouse) prend la parole pour expliquer que ce rétropédalage correspond, plus largement, au mouvement observable en Europe et souhaité notamment par les allemands ou les néerlandais.

Un étudiant de Master 2 demande ensuite aux intervenants quel est leur avis sur les recrutements politiques.

Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut considère que les politiques demandent a minima une obligation de loyauté et que celle-ci s’exprime différemment en fonction des emplois occupés. Il considère que pour les postes de hauts-cadres les recrutements politiques sont justifiés.

La Professeure Isabelle Desbarats considère que le recrutement pourrait être externalisé et que cela serait probablement bénéfique, le problème étant seulement le coût de l’externalisation. Pour elle les recrutements politiques ne sont pas un problème, elle considère que le droit de la fonction publique doit s’inspirer du droit privé et des organisations de tendance.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina  considère qu’un recrutement fondé sur les accointances politiques se justifie pour quelques postes mais que désormais la question se pose pour tous les postes et c’est justement ce qui pose problème. Cela créer un risque pour la continuité du service public.

Marie Cécile Amauger-Lattes prend enfin la parole pour une dernière question

Elle rappelle que les recrutements en droit privé ne sont pas forcément mauvais et qu’il y a dans tous les cas un contrôle du juge, même pour les entreprises de tendance.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina lui répond en indiquant que le recrutement par contrat n’est pas nécessairement mauvais, ni forcément arbitraire. En revanche, il rappelle que l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen met en place un recrutement pour les agents publics en fonction des talents et des mérites et que l’on a la preuve depuis cette époque que le concours est a priori plus objectif que le recrutement par contrat.

La Professeure Isabelle Desbarats rappelle quant à elle que certains concours ne recrutent pas. Elle se demande alors si, paradoxalement, le recours au contrat n’est pas un phénomène pour attirer les agents.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Cycle transformation de la fonction publique – 24 09 2019 ; Art. 264.

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ParJDA

AG de rentrée du JDA

Art. 263.

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Cher.e.s élu.e.s, Chers Maîtres, Cher.e.s collègues, Cher.e.s étudiant.e.s,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif a eu lieu le 10 septembre 2019 en salle des thèses (Site de l’Arsenal). Etaient présentes et représentées dix-neuf personnes (Dr. Mathias Amilhat, Dr. Maxime Boul, Mme Nadège Carme, Mme la présidente Isabelle Carthé-Mazères (rep.), Mme Clothilde Combes, Mme Camille Cubaynes, Dr. Florence Crouzatier-Durand, M. Loïc Demeester, M. Tanguy Elkihel, Dr. Delphine Espagno-Abadie (rep.), M. le rapporteur public Jean-Charles Jobart, Dr. Pierre-Luc L’Hermite, Mme Zakia Mestari, M. Adrien Pech, Dr. Alice Philippe, Pr. Isabelle Poirot-Mazères, M. Ibrahima Traoré, Pr. Mathieu Touzeil-Divina, Mme Anna Zachayus), toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus du Tribunal Administratif de Toulouse, de l’Université de Toulouse 1 Capitole & de Sciences Po Toulouse. La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions (entre 18 et 19h00) :

Nouveau comité de rédaction

Le pr. Touzeil-Divina a annoncé la constitution cet été – enfin publique et mise en ligne – d’un nouveau comité de rédaction destiné à faire (re)vivre le Jda pour – au moins – l’année universitaire et judiciaire à venir. Avant le départ en vacances, un appel à participation avait été lancé et y ont répondu favorablement et avec enthousiasme les docteurs Mathias Amilhat & Maxime Boul ainsi que M. Adrien Pech (doctorant). Aux côtés du pr. Touzeil-Divina, ils forment ainsi, tous de nœuds papillons revêtus pour cette « première », le nouveau comité de rédaction destiné à faire vivre le Journal au « quotidien ».

Après avoir présenté chacun des membres du nouveau comité et les avoir remerciés de leur engagement, la parole a été collectivement distribuée entre chacun de quatre membres afin de présenter et de discuter les éléments suivants :

  • Présentation du nouveau site Internet (et de son logotype ci-dessous)
    & discussion sur les dossiers et projets du Jda pour cette année.

Présentation du nouveau site Internet

Les quatre membres du comité de rédaction ont ensuite exposé aux présents les différents éléments actionnés sur le nouveaux site Internet (toujours à l’adresse http://www.journal-du-droit-administratif.fr).

D’abord, M. Adrien Pech a présenté la nouvelle page d’accueil du site : son menu principal, son « carrousel » des actualités, la présentation du Jda en six points-clefs et les 16 articles mis en « vedette » du site.

Ensuite, M. Mathias Amilhat a fait état de l’organisation générale du site en insistant sur la mise en avant des comités renouvelés (de rédaction, scientifique et de soutien) ainsi qu’en indiquant la logique du nouveau logotype proposé. Enfin, M. Amilhat a présenté ce qui sera la logique de l’article « du mois ».

A propos des comités renouvelés du Jda, il faut effectivement retenir au 10 septembre 2019 les constitutions suivantes :

Le comité de soutien du JDA
est formé de personnalités qui accompagnent et encouragent ses travaux :

    Mmes & MM. les professeurs

    Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA (Université Toulouse 1, IRDEIC),

    Xavier BIOY (Université Toulouse 1, IMH),

    Jean-Marie CROUZATIER (émérite – Toulouse),

(…)     Pierre DELVOLVE (Institut de France),

    Aurore GAILLET (Université Toulouse 1, IRDEIC),

    Hélène HOEPFFNER (Université Toulouse 1, IEJUC),

    Christian LAVIALLE (émérite – Toulouse),

    Jean-Arnaud MAZERES (émérite – Toulouse),

    Philippe RAIMBAULT (IEP de Toulouse)

    & Jacques VIGUIER (Université Toulouse 1 Capitole – IDETCOM),

    Ainsi que Maître Christophe LEGUEVAQUES (Barreau de Paris)

    et Mmes Dr. Florence CROUZATIERDURAND (Université Toulouse 1, IMH)
& Dr. Nathalie LAVALMADER (Université Toulouse 1, IMH)

Le comité scientifique
(qui fusionne deux anciens comités dont le comité de lecture) du JDA
constitue un vivier de spécialistes du droit administratif notamment chargé de l’évaluation des travaux soumis au Journal et de sa direction scientifique. Il est composé de représentants des différents partenaires et soutiens institutionnels du Journal ainsi que de personnalités extérieures et qualifiées. Il intègre par ailleurs plusieurs doctorant.e.s de l’Université Toulouse 1 Capitole ainsi que d’autres établissements nationaux.

Deux membres du Tribunal administratif de Toulouse :

Mme la président Isabelle CARTHEMAZERES

M. le rapporteur public Jean-Charles JOBART

Deux administrateurs en région occitane :

Mme Cécile CHICOYE (Université Toulouse 1 capitole)

M. Victor DENOUVION (Conseil départemental de Haute-Garonne)

Deux avocats du Barreau de Toulouse :

Me Dr. Jonathan BOMSTAIN

& Me Benjamin FRANCOS

Deux membres de l’IEP de Toulouse :

Dr. Delphine ESPAGNOABADIE

Dr. Cédric GROULIER

Dix personnalités extérieures à l’Académie de Toulouse :

Dr Clément BENELBAZ (Chambéry)

Dr. Jimmy CHARRUAU (Angers),

Dr. Stéphanie DOUTEAUD (Boulogne-sur-Mer)

Dr. Arnaud DURANTHON (Strasbourg),

Dr. Florent GAULLIERCAMUS (Bordeaux),

Pr. Geneviève KOUBI (Paris 8)

Dr. Arnaud LAMI (Aix-Marseille)

Pr. Olga MAMOUDY (Hauts de France),

Pr. Aude ROUYERE (Bordeaux)

& Dr. Lucie SOURZAT (Lille).

Trois maîtres de conférences de l’Université Toulouse 1 Capitole :

Dr. Fabrice BIN (Université Toulouse 1, IRDEIC),

Dr. Nicoletta PERLO (Université Toulouse 1, IRDEIC),

Dr. Julia SCHMITZ (Université Toulouse 1, IMH).

Trois professeurs de l’Université Toulouse 1 Capitole :

Pr. Wanda MASTOR (Université Toulouse 1, IRDEIC),

Pr. Grégory KALFLECHE (Université Toulouse 1, IMH),

& Pr. Jean-Gabriel SORBARA (Université Toulouse 1, IMH).

Quatre doctorant.e.s de l’Université Toulouse 1 Capitole :

Mme Camille CUBAYNES (Université Toulouse 1, IMH),

M. Tanguy ELKIHEL (Université Toulouse 1 Capitole, IDETCOM),

M. Loïc DEMEESTER (Université Toulouse 1, IEJUC),

Mme Anna ZACHAYUS (Université Toulouse 1, IMH).

Trois doctorant.e.s d’Universités hors de l’académie de Toulouse :

M. Raphaël COSTA (Saclay),

M. François ABOUADAOU (Lille),

M. Mathieu TEDESCHI (Aix-Marseille).

Le comité de rédaction du JDA est formé de quatre personnes
qui gèrent au quotidien notre publication et sont chargées de sa mise en ligne :

    Dr. Mathias AMILHAT (Université Toulouse 1, IEJUC),

    Dr. Maxime BOUL (Université Toulouse 1, IMH),

    M. Adrien PECH (Université Toulouse 1, IRDEIC),

    & Pr. Mathieu TOUZEILDIVINA (Université Toulouse 1, IMH).

Le directeur de la rédaction, initiateur du Jda, est M. Mathieu TOUZEIL-DIVINA.

M. Maxime Boul a ensuite présenté les éléments conservés du site originel : la mise en avant de nos dossiers (en cours et à venir), les chroniques, nos 158 contributeurs au 10 septembre 2019 ainsi que le dossier « phare » ou vedette de notre revue : les « 50 nuances de droit administratif ».

Enfin, le pr. Touzeil-Divina a indiqué quelques nouveautés de la rentrée « 2019 » : la mise en avant de notre (r)attachement toulousain, le partenariat adopté avec le site Curiosités juridiques (https://www.curiositesjuridiques.fr/) (qui nous fera régulièrement profiter des « curiosités » en droit administratif qu’il a dénichées), les nouvelles modalités de publication (et de présentation d’une contribution) au Jda ainsi que les éléments d’histoire de la Revue (et les fameux mots du Conseiller d’État Auguste Chareyre prononcés en un toast à l’avenir en 1913 : « Messieurs, Je vous propose de boire : Au Journal du Droit administratif, À son sympathique et distingué directeur (sic), À ses collaborateurs dévoués, Aux amis du Journal et à vous tous Messieurs, puisqu’aussi bien tous ceux qui sont groupés à cette table sont les amis du Journal du Droit administratif ». Le pr. Touzeil-Divina a montré à cet égard quelques anciens numéros « papiers » de notre ancêtre médiatique.

Discussion sur les projets en cours & à venir 

Comme précédemment (et en donnant à chaque fois la parole au public), quatre éléments ont été présentés par les quatre membres unis du nouveau comité de rédaction.

Dossiers. En premier lieu, M. Adrien Pech a fait le point sur les dossiers en cours du Jda. Il a présenté le dossier « Toulouse par le droit administratif ! » (http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2736) dont l’appel à contribution est lancé ce jour et qui paraîtra – pour la première fois – sur deux supports Internet & papier. Le comité de rédaction a engagé tous les membres du Jda à participer activement à ce dossier fédérateur. Ont ensuite été présentées trois propositions de dossiers (réactivées ou nouvelles) : l’une sur les droits (publics) des animaux (proposition Pech) ainsi que les trois dossiers proposés en 2017-2018 sur

  • « Une décade de réformes territoriales » (titre très provisoire)

Direction : Mme Florence Crouzatier-Durand & (…) (en cours)

  • « Les actions collectives » (titre très provisoire)

Direction : (…) & (…) (en cours)

  • « Numérique & service public » (titre provisoire)

Direction : Mme Calandri & Abdesslam Djazouli-Bensmain.

Après discussion, il est proposé de retenir en dossier n°08 le thème « l’animal en droit administratif » et ce, sous la direction collective du professeur Isabelle Poirot-Mazères ainsi que de M. Adrien Pech et de Mme Dr. Alice Philippe.

Un appel à contribution sera présenté par les porteurs dudit dossier lors de la prochaine AG.

Chroniques. Les chroniques ont ensuite été évoquées par M. Amilhat. La troisième chronique – en droit des contrats – qu’il dirige sera actualisée d’ici janvier 2020. Il en est de même de la chronique, dirigée par le pr. Touzeil-Divina dans le cadre de l’axe « Transformation(s) du service public » de l’Institut Maurice Hauriou et dont l’actualisation est prévue pour le début d’année 2020.

Sont également présentées : la chronique (renouvelée) du droit administratif (qui succède à celle dite des doctorants et jeunes chercheurs et que M. Boul a mise en avant) et l’hypothèse d’une chronique en droit des biens. Enfin, il est renouvelé le soutien à M. Touhari pour qu’il actualise sa chronique en droit des collectivités pour 2020 avec une nouvelle équipe.

Réunions mensuelles & articles du Jda. M. Boul a présenté ensuite l’une des nouvelles modalités du comité de rédaction 2019 de notre revue.

Chaque mois le comité de rédaction se réunira et choisira – avec tous les membres souhaitant participer – un article « sélectionné par la rédaction ». Il pourra s’agir d’un article qui a été spontanément proposé au Jda (comme autrefois) mais aussi d’une décision d’actualité estimée importante ou encore d’un élément de doctrine (nouveau livre ou article).

La première et prochaine réunion du comité de rédaction est prévue au 22 octobre à 15 h (le lieu sera indiqué aux personnes se manifestant auprès du comité de rédaction).

Conférences suivies. Enfin, le pr. Touzeil-Divina a présenté au public, avec l’aide de participantes (dont Mesdames Anna Zachayus & Zakia Mestari) deux cycles de conférences organisées à l’Université Toulouse 1 Capitole et que le Jda suivra et encadrera par des comptes-rendus.

Il s’agit d’abord de conférences sur l’accessibilité des décisions juridictionnelles (en partenariat avec l’ADDIMH) et ensuite de séminaires sur la nouvelle Loi dite de transformation de la fonction publique (en partenariat avec le Collectif L’Unité du Droit). Les détails scientifiques et techniques sur ces deux événements sont en ligne sur le site du Jda.

Partenariat(s). Au nom du Tribunal Administratif de Toulouse et de sa Présidence, M. Jean-Charles Jobart réaffirme la volonté commune (des institutions toulousaines juridictionnelle et universitaire) de renforcer les liens d’échanges préexistants. Des pistes sont proposées non seulement pour des études contentieuses mêlant décisions, conclusions et commentaires mais encore pour des matinées annuelles à définir et qui pourraient très bien débuter par la conférence présentée ci-avant sur l’accessibilité et l’intelligibilité des décisions de Justice.

Par ailleurs, le pr. Touzeil-Divina a rappelé le partenariat tissé avec la revue du JurisClasseur – La Semaine Juridique Administrations & Collectivités territoriales (JCP A). Une chronique au nom du Jda – et de l’Institut Maurice Hauriou a déjà paru deux fois en matière de service(s) public(s). Une prochaine chronique pourrait être préparée en ce sens.

  • Prochains rendez-vous

Il est proposé de se réunir en prochaine assemblée générale le mardi 19 novembre à 18h (salle Maurice Hauriou).

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 12 septembre 2019.
Il a été visé par le comité de rédaction.

(…)

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 263.

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ParJDA

Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou, Président du Collectif l’Unité du Droit
(re) fondateur – directeur du Journal du Droit Administratif

Art. 255.

Le présent article est issu d’une recherche parue in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. On en a repris ici les très grandes lignes dans un souci de diffusion(s). Le tout s’organise en trois temps dont voici le premier :

I. Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA
II. Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA
III. Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA


Le nombre d’abonnés à un journal est évidemment un signe de sa diffusion – restreinte aux spécialistes – ou – au contraire – popularisée et élargie à un autre cercle que celui – originel – des « prêtres » de la matière. Pour le premier JDA, on sait (grâce aux recherches précitées de Mme Vanneuville) qu’il fut en 1861 au moins de 600 abonnés (ce qui est considérable pour l’époque) et montre que le pari de ses promoteurs fut réussi : non seulement quelques dizaines de spécialistes s’abonnèrent mais il y eut aussi beaucoup d’administrateurs et d’administrations (et sûrement quelques particuliers) à oser l’abonnement. Pour le second JDA, les chiffres sont difficiles à comparer : il y a quotidiennement des centaines de « clics » mais pas véritablement d’abonnés payant une somme mensuelle pour être informés. L’accès au JDA « nouveau » est beaucoup plus libre et aisé et l’on compte près de 1 500 (au 14 juillet 2017) « abonnés » à sa page « Facebook » mais – redisons-le – cela est peu comparable car la démarche visant à s’abonner à un journal « papier » est bien plus contraignante – surtout en 1853 – que celle visant à cliquer sur un « j’aime » d’un réseau social ou à partager un article en ligne. Par ailleurs, ce qui se ressent nettement à la lecture des deux JDA, le premier fut rédigé pour des administrés sujets (A) alors que le second a la chance de connaître l’ère des administrés citoyens bien plus désireux d’apprendre… et de contester (B).

A. 1853 : un droit administratif
pour des administrés-sujets

Libéralisme citoyen. Selon nous, l’une des explications au succès du premier JDA réside dans l’appartenance de ses deux initiateurs (Batbie & Chauveau) et même de certains de ses continuateurs (comme Rozy) au mouvement que nous avons qualifié (1) de « libéral citoyen ». Ainsi, parce qu’ils croyaient à la nécessité d’une juridiction administrative dont ils assuraient la promotion et parce qu’ils ne désiraient pas que défendre les prérogatives administratives mais aussi – sinon surtout – les droits et obligations des administrés, les promoteurs du premier JDA ont-ils rencontré le succès. En ce sens, déclarait avec verve le professeur Larnaude (JDA 1913 ; p. 117) : « En face du colosse formidable qu’est l’État, il y a l’imperceptible individu qui risque souvent d’être écrasé par ce monstre. Eh bien ! Le droit public doit avoir pour objet de protéger le pygmée (sic) en délimitant les droits de l’État ». Cela dit, le droit administratif de 1853, particulièrement sous le Second Empire et avant que la Troisième République ne s’installe durablement (autour de 1879), ne considérait pas les administrés comme des citoyens mais plutôt comme des sujets. Tous les articles du JDA ne témoignent ainsi pas de ce mouvement « libéral citoyen » et parfois certains écrits sont-ils même explicitement laudatifs envers le pouvoir et l’administration en place avec – en directe contrepartie – l’évocation d’administrés plus sujets que citoyens. En ce sens, la plupart des articles rédigés entre 1853 et 1860 sont-ils très respectueux de l’Empire, de l’Empereur et de son autorité (louée). Un phénomène explique d’ailleurs peut-être cette « modération » du JDA à l’encontre de l’administration : non seulement la peur (au moins aux débuts de l’aventure) d’éventuelles censures et – par suite – une modération due aux abonnés eux-mêmes qui étaient – principalement – des administrateurs ! Il aurait alors été mal venu de les critiquer trop frontalement.

Dialoguer avec les administrés. Les premières années du JDA, Chauveau – et surtout Batbie – osèrent pourtant de façon explicite et parfois très étonnante (sinon crue) critiquer quelques administrations et même quelques administrateurs et administrés ! Il faut lire à cet égard les « lettres à un administré sur quelques matières usuelles de droit administratif », elles sont truculentes, rédigées dans un français courant ce qui les rend accessibles à tout public et surtout – ce qui est étonnant lorsqu’on les découvre – elles sont parfois pleines d’humour (2) sinon de moqueries (mais ce, d’après nos recherches, était dû principalement aux premières de ces consultations régies par Batbie).
La première à paraître l’est dès la première année de publication du JDA (JDA, 1853 ; Tome I ; Art. 10 ; P. 55 et s. ; cinq autres suivirent dans ce même premier Tome puis leurs publications seront régulières et par ce biais Batbie, en particulier, tissera même des liens étroits avec ses lecteurs). À l’époque (qui ne connaît pas encore le CRPA), ce n’est pas l’Administration qui se rapproche de l’administré mais c’est le JDA qui cherche à faire le lien entre les deux. Par suite, le terme moderne de « public » (désirant gommer l’aspect subissant sinon passif de l’administré) n’était évidemment pas employé à la manière de l’actuel CRPA ! Il y était clair que les administrés (notamment sous les Empires et la Monarchie même de Juillet) étaient avant tout des sujets, c’est-à-dire des assujettis. Or, et c’est là où se manifeste le courant « libéral citoyen », on cherchait – au JDA notamment – à faire de ces administrés des citoyens actifs et capables – par exemple – de contester ce que l’on n’aurait auparavant jamais osé faire : l’action administrative. Ainsi, Batbie écrit-il en 1853 à un administré (dont on donnera plus tard le nom car il va devenir un acteur récurrent du JDA en devenant un administrateur local) qui se plaint avec une verve toute toulousaine des malheurs que lui feraient vivre plusieurs administrations (notamment locales). Il est alors particulièrement savoureux de lire la réponse que lui fait publiquement Batbie qui mêle non seulement des arguments juridiques (à l’instar d’une consultation) mais également des éléments très personnels et parfois même caustiques à l’égard de son « lecteur administré » dont il raille abondamment le caractère ; ces premiers mots étant (3) : « Je n’ai pu m’empêcher de rire, mon cher ami, en lisant la lettre que vous m’avez adressée » ! Ces lettres ou consultations pratiques plaisaient énormément au lectorat du JDA. Dès la première année, Chauveau (JDA 1853 ; p. 233) se plaît ainsi à reproduire une lettre qu’il a reçue et qui explique combien les « lettres aux administrés » qui deviendront des « lettres aux administrateurs » la plupart du temps sont utiles aux lecteurs. Plus encore, il va jusqu’à critiquer l’abonné : « Vos articles me paraissent un peu longs et trop scientifiques. Faites-les plus courts et plus nombreux ; moins de motifs et plus de choses, surtout de choses usuelles qui arrêtent si souvent l’administrateur et l’administré ». Le décor est, dès 1853, clairement posé : si une revue – au grand désespoir de certains universitaires – met en avant des observations courtes et pratiques, des résumés, des propositions calibrées et brèves c’est bien dans un but simple et toujours actuel : satisfaire les abonnés praticiens (bien plus nombreux que les universitaires parfois théoriciens). Ces « consultations » importaient donc énormément aux rédacteurs comme aux lecteurs du premier JDA et il s’agissait manifestement là, même lorsque Batbie partit et que le ton des questions comme des réponses devint plus convenu, d’une des forces du Journal. Chaque année d’ailleurs, dans le bilan dressé par les rédacteurs sur l’année écoulée insistait fréquemment sur cette force participative et interactive que le JDA avait réussi à instaurer. Concrètement, ces consultations eurent lieu de 1853 à 1893 puis après 1910 mais de façon bien moins littéraire qu’aux débuts du JDA. Critique sur cette démarche, Mme Vanneuville retient (ce qui semble effectivement judicieux) qu’en agissant de la sorte, les rédacteurs (par ailleurs avocats) considéraient leur lectorat comme une clientèle à laquelle ils démontraient leurs compétences in vivo.

Doctrine(s). Toutefois, il ne faudrait pas croire que la seule dimension pratique était recherchée des promoteurs et porteurs du premier JDA. Il y avait aussi (et il y eut parfois) de véritables propositions théoriques et scientifiques doctrinales. Chauveau – tout particulièrement et dès la création du Journal – se servit de ce média national comme d’une « seconde chaire » relevait Ambroise Godoffre (1826-1878) qui dirigea le JDA à la suite de son fondateur (cité par Rozy au JDA 1870 ; p. 98). Il faut lire en ce sens (au JDA de 1856 notamment) ses cours ou leçons sur l’acte administratif notamment ou ceux de Chauveau (dès 1859) à propos des caractères généraux et de la formule (sic) du contentieux administratif (4) . Les commentaires même des normes et des jurisprudences ont ainsi longtemps fait l’objet de soins nourris et de critiques véritables même si, peu à peu, ils se sont réduits à l’état plus fréquent d’énoncé de grands principes et de mots-clefs.

Droit public et / ou administratif républicain(s). Autour de l’affirmation de la Troisième République (1875-1885), cependant, lorsque les républicains devinrent majoritaires et que les monarchistes s’affaiblirent, le JDA semble avoir connu une parenthèse quasi dogmatique et politique. Changeant de nom en même temps que de bureaux (de Toulouse à Paris) et adoptant le titre de « droit public (5) , Journal du Droit administratif », le JDA devint presque une arme de propagande électorale républicaine tenue par deux hommes politiques Albert Gauthier (de Clagny) et Camille Bazille (6) . On y parla alors – quelquefois de façon fort critique – de futurs projets de Loi – âprement discutés – de droits parlementaire (7) et constitutionnel (et y compris des Lois constitutionnelles de 1875 avec une contribution en quatre articles signée Gauthier de Clagny (JDA 1882 ; p. 303, 337, 385 et 481 et s.)) mais cette « parenthèse » se referma bien vite. À partir de 1890, singulièrement, la partie pourtant intitulée « doctrine » du JDA fut de moins en moins le lieu d’expressions doctrinales. On y décrivit beaucoup plus que l’on y expliqua et que l’on y critiqua et / ou proposa.

En 1912 (8) , alors que le Journal célébrait sa soixantième année de publications (9) , un nouveau pas fut franchi dans cette direction lorsque la revue changea d’éditeur pour intégrer les Éditions dites techniques du JurisClasseur : le JDA avant de s’éteindre dans les années suivantes (10) – et en paraissant de façon épisodique durant la Première Guerre mondiale (11) – va alors se doter d’un très prestigieux comité (de neuf autorités offrant leur patronage [respectivement MM. Berthelemy, Boivin-Champeaux, Chareyre (1861-1927), Deville (1856-1932), Hauriou, Hébrard de Villeneuve (1848-1925), Larnaude, Mayniel (1843-1918) et Michoud] et de dix-huit collaborateurs parmi lesquels Raphaël Alibert, Mazerat, Gidel (1880-1958) ou encore Rolland) mais surtout va fortement réduire les articles et commentaires pour aller à l’essentiel et davantage affirmer une vision pratique en promouvant surtout l’actualité prétorienne et en faisant une place toujours grandissante dans ses colonnes aux commissaires du gouvernement de la Juridiction administrative ainsi qu’aux avocats. Certes, dès sa fondation, le JDA avait ouvert ses colonnes aux avocats (les universitaires fondateurs étant également praticiens) mais de plus en plus ce sont les ténors du Barreau qui vont intervenir et même diriger le JDA à l’instar de Mihura ou, avant lui, de Chaudé & Clappier. Parfois même, le Journal a directement mis en avant les qualités et les écrits de ses collaborateurs en publiant (comme en 1912 avec les conclusions du Conseiller d’État Lucien Riboulet (né en 1872) sous CE, 24 novembre 1911, HAMEL) alors qu’au contentieux le dossier avait été défendu par Maître Mihura… alors directeur du JDA !).

Un droit administratif fondamentalement prétorien. La jurisprudence, effectivement, alors qu’elle n’était originellement pas le cœur du JDA (Chauveau estimant que les recueils prétoriens avaient déjà pour mission de la diffuser (JDA 1856 ; p. 386)) va conquérir une place sans cesse plus grande : on explique alors non seulement quelques arrêts du Conseil d’État (aux commentaires parfois très brefs (12) notamment à partir de 1893) mais encore aux décisions des conseils de préfecture (dont évidemment celui de la Haute-Garonne) mais aussi des tribunaux judiciaires (13) ce qui, pour l’époque, était assez exceptionnel puisque la plupart des autres médias ne s’intéressaient qu’aux Cours de cassation. Partant, le Journal matérialisait bien sa mission de diffusion du Droit. En outre, le JDA laissa rapidement dans ses colonnes une place importante à la doctrine organique (pour reprendre la belle formule du professeur Bienvenu (1948-2017)) des commissaires du gouvernement (singulièrement à partir de 1900) afin qu’ils publient leurs conclusions (comme celles, désormais célèbres, de Romieu (JDA 1903 ; p. 01 et s.) sous TC, 2 décembre 1902, Préfet du Rhône contre société immobilière de Saint-Just ou celles de Corneille (JDA 1913 ; p. 13) sous CE, 12 décembre 1919, Goiffron). Mme Vanneuville dans son étude précitée a ainsi établi une statistique édifiante selon laquelle la jurisprudence, originellement anecdotique, occupait en 1870 près de 50 % de chaque Journal (en nombre de pages) pour atteindre près de 80 à 90 % à l’aube de la Première Guerre mondiale.

Du JDA au JCP (A). Cette même jurisprudence, dès le Second Empire et la fondation du JDA, alors même que la Loi du 24 mai 1872 n’avait pas été votée, Chauveau en avait perçu l’importance pour le droit administratif et il osait (ce qui de jure n’était pas encore vrai) non seulement qualifier le Conseil d’État de « tribunal suprême » (par ex. in JDA 1865 ; art. 46) mais aussi critiquer les positions de ce dernier (par ex. in JDA 1867 ; p. 06 et s.) ; esprit critique qui, à quelques exceptions près, va malheureusement s’atténuer. Au tournant 1912, lorsque le Journal va changer d’éditeur pour rejoindre les prestigieuses éditions du JurisClasseur, on relève alors que les observations sous les arrêts cités ou reproduits sont désormais très calibrées alors qu’elles étaient auparavant de formats divers. De tailles désormais « normalisées », nous voyons dans ce dernier JDA des années 1910 le prédécesseur direct de la chronique prétorienne du désormais JCP A (La Semaine Juridique – Administration et collectivités territoriales) créé en 1927 (pour l’édition générale du JCP), chez le même éditeur. De facto, le JCP A ne serait-il pas le successeur direct du JDA ? En 1913, le média est ainsi structuré : Doctrine, « Jurisprudence annotée » (toujours variée et non restreinte au seul Conseil d’État (14) ) et « revue des revues ». Dans cette dernière partie, par exemple, on trouvait le résumé d’articles (comme celui d’Achille Mestre (1874-1960) sous Cass. civ., 2 février 1909 publié au Recueil SIREY et relatif aux travaux publics). Parfois même, renouant avec le JDA des premières années, le Journal ajoutait (comme en 1913) quelques « questions pratiques » résolues en dernière partie.

B. 2015 : un droit administratif
pour des citoyens avides de démocratie(s)

Avec le JDA de 2015, ici encore, la donne n’est plus – heureusement – la même. Les administrés ne se vivent plus comme sujets administrés mais comme citoyens osant revendiquer droits et informations, prérogatives et même parfois une forme d’égalité de traitement(s).

Un « public » d’administrés ? C’est désormais – à nos yeux – presque comme si les citoyens (et parfois même l’administration et ses juges) avaient oublié qu’il était normal – au nom de l’intérêt général et des services publics – que la puissance publique chère au doyen toulousain Hauriou ne soit pas placée (sauf lorsqu’elle se conduit par exemple et volontairement à l’instar d’un « industriel ordinaire ») sur un pied d’Égalité avec les citoyens qui eux ne revendiquent qu’un intérêt privé et personnel ou parfois seulement collectif. Manifestement, cette inégalité logique à nos yeux est actuellement comme frappée d’indignité ! Au nom de la démocratie et des citoyens, on revendique de plus en plus et l’on instaure davantage de droits et de procédures à leurs profits : on communique, on échange, on donne des informations, on motive. Bref, on fait disparaître si possible tout sentiment d’arbitraire, d’éloignement et de secret : comment ne pas s’en réjouir ?

Le seul « reproche » que l’on pourrait faire à ce mouvement n’est pas sur le fond mais sur la forme. En effet, il ne faudrait pas que les promoteurs – finalement très « libéraux citoyens » – de ces droits des administrés en oublient que l’administration (si elle doit effectivement être moins secrète, plus communicante, plus ouverte, plus transparente, parfois plus efficace, etc.) n’est pas et ne doit pas être traitée en égale des administrés. Parfois, le secret doit s’imposer. Parfois, l’inégalité doit primer au nom de l’intérêt général. Il ne faut pas (ce qui arrive déjà parfois) que les administrés ne se vivent qu’à l’instar de citoyens dotés de droits. Ils sont (et nous sommes également) toujours des administrés notamment dotés d’obligations. En témoignent, au second JDA, le dossier et les articles relatifs au nouveau Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA) (dossier préc. n° 02). Il y apparaît clairement ce désir démocratique et citoyen de transparence et d’obligations nouvelles pour l’administration.

Doctrine(s) ou Pratique(s) ? Pour conclure cette étude, on retiendra que le premier JDA a peut-être perdu son identité et son originalité en ne faisant plus ou quasiment plus de doctrine et d’études doctrinales critiques ainsi que de consultations juridiques. La doctrine permettait pourtant au Journal de se distinguer d’un Moniteur officiel ou du Recueil LEBON en proposant des études critiques et personnelles d’auteurs et d’administrateurs. Évidemment, produire ces études demande beaucoup de contributeurs et de contributions ainsi que du temps et un nombre important de pages dédiées. Quant aux consultations juridiques, elles permettaient aux JDA de remplir son objectif populaire d’expliquer à un public plus large que les spécialistes un certain nombre de données. Pourtant (pour des raisons économiques notamment mais aussi par choix éditoriaux), le JDA s’est peu à peu coupé de ces deux expressions originales pour se concentrer sur l’exposé du droit positif normatif et notamment prétorien (avec un regard critique bien moindre car privilégiant l’exposé de données nouvelles partagées dès leurs sorties et non un recul doctrinal). Quant aux consultations concrètes, on croit qu’elles ont cessé faute non seulement de demandes exprimées par les administrés et surtout parce que, de facto, c’étaient surtout les administrateurs et non les administrés qui en profitaient.


Si l’on était – très – pessimiste, on conclurait alors que c’est peut-être le lot de tous les périodiques qui parce qu’ils veulent durer (et donc trouver sans cesse des contributions et souvent un modèle économique viable (15) ) en viennent à la facilité (moins de commentaires doctrinaux et d’études ou points de vue plus risqués que de simples informations ; plus d’observations courtes que de réels commentaires ; quasiment uniquement des éléments de droit positif ; une place prépondérante à la jurisprudence, etc.). C’est du reste (à propos de la Thémis et des revues de Foelix & de Wolowsky) un constat assez similaire que dressait en 1860 Firmin Laferrière (16) . En effet, regrettait l’auteur, toutes trois avaient « péri sous la même domination de l’esprit positif ; ou, du moins » elles n’ont « pu se dérober à une mort certaine que par une fusion et une transformation ». Alors que le projet rédactionnel initial était généreux et ambitieux, les revues cédèrent aux critères utilitaires : les praticiens positivistes avaient triomphé. Est-ce inévitable ?

Demain ? Le JDA de 2015 semble hélas suivre son prédécesseur sur ce dernier point. Certes, il n’est pas « que » prétorien et tourné vers le droit positif ; certes ses commentaires sont – pour la plupart – de vrais commentaires et propositions doctrinaux et non de simples et courtes observations mais deux points noirs se révèlent au « tableau » : non seulement le désir de consultations juridiques et de rendez-vous pratiques (qui avait été annoncé et espéré lors de la refondation du JDA) n’a pas encore pu être matérialisé et – surtout – même s’il se veut « à la portée de tout le monde » force est de constater – grâce aux rares commentaires laissés sous les articles – que ce sont surtout des administrateurs et des avocats praticiens qui communiquent et interrogent les contributeurs. Le citoyen, lui – s’il lit – tend à nous rappeler que faire de la littérature populaire du droit n’est pas chose aisée. Il faut donc encore y travailler. Heureusement, le second JDA n’en est encore qu’à ses débuts. Il gardera donc en tête ce désir originel. C’est en tout cas le souhait que nous formons.
Notre « qualité » d’actuel directeur de la publication nous permet alors (afin de souhaiter le meilleur aux futurs numéros du JDA) de citer – en les faisant nôtres – ces mots du Conseiller d’État Auguste Chareyre prononcés en un toast à l’avenir (17) :

« Messieurs,
Je vous propose de boire :
Au Journal du Droit administratif,
À son sympathique et distingué directeur (sic),
À ses collaborateurs dévoués,
Aux amis du Journal et à vous tous Messieurs, puisqu’aussi bien tous ceux qui sont groupés à cette table sont les amis du Journal du Droit administratif ».


(1) En ce sens : « Libéralisme citoyen » in Dictionnaire de droit public interne ; Paris, LexisNexis ; 2017. Les libéraux citoyens sont en effet des auteurs convaincus de la nécessité de défendre les droits et libertés afin qu’ils ne soient étouffés par une administration – symbole du pouvoir et de l’exécutif – potentiellement liberticide. Ils sont avant tout des partisans d’un libéralisme économique et social qui se veut, au nom de l’individualisme, héritier des philosophies bourgeoises de la Révolution française. On pourrait en conséquence croire qu’ils étaient opposés à toute intervention étatique et donc à l’existence même d’un droit administratif développé ; il n’en est pourtant pas ainsi.
(2) Lors du soixantenaire du JDA en 1913, le directeur MIHURA qualifiait le talent épistolaire de BATBIE de « vraiment folâtre » (sic) (JDA 1913 ; p. 108) : « n’est-ce pas joyeux et enjoué » ? Et de conclure : « nous ne sommes » désormais « pas aussi aimables, aussi agréables ». Le conseiller DEVILLE (ancien Président du conseil municipal de Paris) ajoutait en ce sens (op. cit. ; p. 117) qu’aujourd’hui le JDA ne contenait plus « les boutades ou les frivolités » de M. BATBIE. Les mœurs avaient changé !
(3) Ils sont reproduits en ligne sur le site du JDA : 2016, Dossier 02 ; Art. 65.
(4) Signalons à cet égard la réimpression de FOUCART Emile-Victor-Masséna, Aux origines des branches du contentieux administratif ; Paris, Dalloz ; 2017 (en cours de publication – collection « Tiré à part » avec un commentaire de l’auteur des présentes lignes sur la formation des recours contentieux administratifs).
(5) Ce titre de « Le droit public » sera mentionné jusqu’en 1920 semble-t-il même si – à part en 1883-1885 – ce changement semble n’avoir été que mineur et formel et emporté aucune ou presque conséquence ; chacun continuant à nommer le JDA comme il avait été baptisé en 1853 et le « titre » nouveau étant même formellement écrit bien plus petit que le titre originel de Journal du Droit administratif.
(6) Un « troisième homme » néanmoins moins engagé les accompagnait et se nommait Georges POIGNANT (1851-1935).
(7) Avec par exemple cet article sur la « confection des Lois » (JDA 1882 ; p. 445).
(8) En 1910, on sent le JDA chanceler : sa direction essaie de nouveaux formats, de nouveaux papiers, de nouvelles couleurs. On cherche manifestement à la sauver.
(9) Ce qui donne lieu à une grande réception parisienne (dont un compte-rendu est dressé au numéro 03 de 1913) avec petits fours et libations au restaurant VOLNEY !
(10) A priori, la dernière année est celle de 1920. C’est la 68e année de publication(s) et sa présentation rejoint vraiment (cf. infra) la maquette du futur JCP A : textes législatifs et réglementaires ; jurisprudence ministérielle (essentiellement des circulaires) et jurisprudence(s). Le format même du Journal évolue pour proposer – comme le JCP A futur et actuel – une pagination en grand format (A4). C’est, précise la direction sur un feuillet volant inséré au premier numéro de 1920, « un format agrandi – qui est celui des autres recueils judiciaires et plus en rapport avec l’abondance sans cesse croissante des matières qui nous intéressent ».
(11) Vraisemblablement, le JDA n’a pas paru entre 1915 et 1919 et il n’a réapparu qu’en 1920 pour s’éteindre immédiatement. Signalons d’ailleurs, en 1914, la perte y compris au Journal de deux de ses collaborateurs, tous deux auditeurs au Conseil d’État, morts au champ d’honneur : Messieurs Marcel ROGER (1881-1914) et Ferdinand COLLAVET (1881-1914). Lors de la nouvelle parution, en 1920, la direction signalait ainsi à ses abonnés : « La guerre nous a obligés à suspendre notre publication. Avec l’année 1920, le Journal du Droit Administratif reparaît et va poursuivre son triple but : aider l’administrateur, éclairer l’administré, vulgariser la législation administrative ».
(12) Voire inexistants comme en 1896 par exemple où le JDA cite simplement des arrêts (comme CE, 27 déc. 1895, Ministère des travaux publics) en donnant uniquement le sens et la portée de la décision et rien d’autre.
(13) Ainsi en 1901 avec la mention (JDA 1901 ; p. 505) de la décision d’un tribunal de simple police (sic) de Paris (29 août 1901) à propos de l’installation d’un tout-à-l’égout.
(14) C’est-à-dire avec l’apport de décisions de la Cour des comptes et de la Cour de cassation ainsi que de conseils de préfectures intéressant le droit administratif.
(15) En ce sens on voit apparaître au JDA des publicités dans les années 1900 (en 1906 pour les chemins de Fer et par suite… pour de la Suze) !
(16) LAFERRIERE Firmin, « Introduction historique à la table collective des revues de droit et de jurisprudence » in VERGE Charles (dir.), Tables collectives des revues de droit et de jurisprudence OU Tables analytiques de la revue de législation et de la revue critique de législation et de jurisprudence précédées des tables de la Thémis et de la revue de droit français et étranger suivies d’une liste des principaux travaux de droit et de législation contenus dans les séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques avec une introduction historique de M. F. LAFERRIERE ; Paris, Cotillon ; 1860.
(17) JDA ; 1913 ; p. 116. L’auteur des lignes de 2017 (relues en 2019) ne propose pas en revanche de boire à sa propre santé !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) III / III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 255.

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ParJDA

Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou, Président du Collectif l’Unité du Droit
(re) fondateur – directeur du Journal du Droit Administratif

Art. 254.

Le présent article est issu d’une recherche parue in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. On en a repris ici les très grandes lignes dans un souci de diffusion(s). Le tout s’organise en trois temps dont voici le premier :

I. Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA
II. Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA
III. Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA


En se déclarant « à la portée de tout le monde », le JDA – en 1853 comme en 2015 – prend un pari très (trop ?) ambitieux sinon osé : s’affirmer comme n’étant pas (ou plutôt pas seulement) un autre média de spécialistes publicistes. Sur ce point, il nous semble que les deux Journaux sont partis avec les mêmes idéaux mais ont rapidement tous deux négligé cet objectif initial si louable (A et B).

Pour l’exposer, nous avons repris les adjectifs de « sacré » et de « profane » que suggéraient – très justement – l’appel à contribution(s) au présent ouvrage. Les organisateurs y relevaient l’existence – comme pour le JDA – de publications « populaires en ce qu’elles sont destinées à d’autres qu’aux seuls juristes et qu’elles visent un public large de non-spécialistes. Aussi sont-elles populaires en ce qu’elles tentent de faire échapper le droit des mains de ses « prêtres » ou de spécialistes ». Précisément, le Journal du Droit administratif en ce qu’il se revendiquait et se revendique encore « mis à la portée de tout le monde » et ce, comme un clin d’œil de Chauveau à l’ouvrage originel de Rondonneau (1759-1834) (1) ou encore à l’instar de l’ouvrage postérieur du professeur Emile Acollas (1826-1891) (Le droit mis à la portée de tout le monde ; les contrats ; Paris, Delagrave ; 1885), matérialise-t-il bien cette volonté populaire.

Notons cela dit, dès maintenant, qu’en 1853 comme en 2015, si la volonté de s’adresser au plus grand nombre et donc de dépasser le cercle sacré des « initiés » pour toucher celui des « profanes » est et fut réelle, elle s’est dans les deux cas accompagnée d’un double langage : certes, le JDA a tenté et tente de s’adresser aux administrés et aux citoyens mais il est aussi directement rédigé à l’attention des administrateurs (qui ne sont pas toujours juristes) et que les coordinateurs de l’ouvrage ont qualifié « d’utilisateurs » du droit. Ainsi, en 1853 comme en 2015, le JDA a effectivement affiché une volonté de « popularisation » du droit administratif mais ce, parallèlement à un public principalement composé d’administrateurs et de publicistes précisément spécialistes.

A. 1853 : un droit administratif
élitiste et réservé au « sacré »

Profane & sacré. L’idée d’un droit administratif « sacré » avec ses prêtres et ses rites n’est pas neuve. Dès sa formation, dès son enseignement académique cette métaphore a été utilisée et chacun se souvient à cet égard du grand et bel article du professeur Boulouis (« Supprimer le droit administratif ? » au n° 46 (1988) de la revue Pouvoirs). L’opposition entre sacré et profane est effectivement particulièrement judicieuse en la matière. C’est en tout cas un ressenti partagé et qui présente souvent les publicistes à l’instar de pratiquants d’une secte parlant un langage ultra prétorien (et donc codifié et hermétique à ceux qui ne l’ont pas appris).
En 1853, tout particulièrement, le droit administratif est loin d’être compris des administrés et parfois même des administrateurs. Il est très peu enseigné (et depuis peu ; cf. supra) ; les actes des administrations et des conseils de préfectures et d’État sont très difficiles à trouver à part en consultant le Recueil dit LEBON mais qui ne paraissait pas – comme avec Internet aujourd’hui – dans les jours sinon les minutes suivant une importante décision. Ses ouvrages étaient manifestement écrits (à quelques rares exceptions) par et pour des spécialistes de la matière et ils étaient généralement très volumineux et concrètement difficilement accessibles (qu’on songe par exemple à la troisième édition (1868 et s.) du Traité en douze volumes de Gabriel Dufour (1811-1868)). Ainsi, si avant la Monarchie de Juillet, le droit administratif n’était compris que des hauts administrateurs et conservé secret par eux-mêmes, autour de 1840 avec l’installation de l’idée d’un État de droit, ce droit administratif quittait enfin la sphère de la réserve élitiste ce qui se réalisera en plusieurs générations. Ainsi, en 1853, un peu plus de dix années avant le décret du 2 novembre 1864 qui allait révolutionner l’accès des administrés au juge administratif, cette matière était effectivement encore dominée par ses élites. Le fait que l’on ait d’ailleurs réservé son enseignement à la seule Faculté parisienne puis à la première ou seconde Faculté des départements (Poitiers) en témoigne également. Il y eut clairement cette volonté de conserver l’étude et la diffusion du droit public aux personnalités les plus importantes du pays sans le diffuser dans toute la province. N’oublions pas que, longtemps, les droits constitutionnel et administratif ont été considérés comme dangereux : séditieux. Leurs études étaient donc réservées : distillées avec parcimonie.

Un droit non codifié. Par ailleurs, en 1853, la communauté des publicistes commençait à se faire à l’idée qu’il n’existerait jamais de codification administrative à l’instar de celles réalisées par Napoléon pour les principaux droits et procédures privatistes. Conséquemment, le besoin de trouver un outil pour aider les administrateurs et les administrés était encore plus manifeste car il n’existait pas d’endroit unique où trouver les principales règles du droit public. Pour pallier l’ensemble de ces inconvénients éloignant le droit administratif de ses usagers, le JDA proposa plusieurs innovations. D’abord, en utilisant un périodique mensuel, le Journal s’adressait plus facilement à ses lecteurs et ce, en étant directement livré chez eux sans avoir besoin d’être consulté ailleurs. Par ailleurs, outre la fréquence, le format utilisé (un journal et non un traité) démontrait bien une volonté de s’adresser au plus grand nombre : on accepte effectivement plus facilement de feuilleter régulièrement (même sans tout lire) un périodique plutôt qu’un ouvrage spécialisé qui semble bien plus difficile d’accès. Cet argument est même employé par Batbie & Chauveau (JDA 1853 ; p. 11 et s.) lorsqu’ils présentèrent leur nouvelle publication : « Un journal sera toujours plus utile que les meilleurs livres. Ceux-ci exigent une étude soutenue, tandis qu’une publication périodique produit son effet peu à peu. Elle ne fatigue pas l’esprit et ressemble à une nourriture lentement absorbée ». Et de conclure : « Un journal se prête mieux aux formes au style familier » (ainsi clairement revendiqué comme matériau d’une accessibilité accrue) « et gagne en efficacité ce qu’il perd en élégance ». En ce sens, relevons également que le JDA originel changea même de format papier : d’abord in-octavo comme la très grande majorité des publications juridiques du XIXe siècle, le Journal – lors de son changement d’éditeur notamment – tenta plusieurs autres dimensions qui le firent effectivement davantage ressembler à une revue voire à un quotidien traditionnel plutôt qu’à un feuillet issu d’un ouvrage spécialisé. Cet accès – même formel – nous semble également être un témoignage de cette volonté de toucher le plus grand public. Dans ce même sens « pratique », signalons que le JDA se dota, dès 1854 et ce, chaque année à la fin des numéros mensuels, de tables alphabétiques, analytiques (souvent) et chronologiques afin de toujours faciliter la consultation des lecteurs administrateurs et administrés. Du reste, presque toutes les années, à la suite de la tradition initiée par Chauveau lui-même, chaque numéro de janvier commençait par dresser un bilan de l’année passée au JDA en en reprenant les temps forts, les études, les annonces majeures, etc. Là encore, l’effort de diffusion des données doit être salué.

Un média « pratique ». Enfin, le fait que Chauveau (ce qu’il avait d’ailleurs déjà entrepris dans ses précédentes publications de quotidiens comme le Journal des avoués (1810-1906 qu’il dirigea de 1826 à 1829) mais aussi le précité Journal du droit criminel (1833-1889 que l’avocat fonda avant de le confier en 1846 à Faustin Hélie et surtout à Achille Morin (1803-1874)), prédécesseur direct du JDA) était aussi un avocat et un directeur de publications reconnu « plaidait » en sa faveur de « vulgarisateur ». Il voulait son média pratique et accessible avec des formulaires (dès 1853, l’article 08 du JDA en proposait ainsi un afin de permettre aux administrés de solliciter, auprès des conseils de préfecture, une réduction en matière de contributions directes) et des exemples concrets afin que même le « profane » se sente concerné. C’est ce que résume Mme Vandeuville quand elle signale que Chauveau « avait une connaissance théorique et pratique du droit administratif, associée à un contact régulier avec des « profanes », qu’ils soient clients ou étudiants » (ibidem).

Des directeurs praticiens. C’est – cela dit – un élément qui s’impose rapidement à l’observateur lorsque l’on établit la liste des onze directeurs ou co-directeurs (2) du premier JDA : ils sont essentiellement des avocats (aux Conseils et / ou en Cours d’appel) et aucun n’est universitaire pendant la période parisienne postérieure à 1882 (jusqu’en 1920). Les seuls universitaires attachés au Journal sont ainsi ses co-fondateurs : Chauveau et Batbie en rappelant, cela dit, que les deux étaient ou avaient été aussi avocats mais encore (pour le premier) avocat aux Conseils et (pour le second) auditeur au Conseil d’État (de 1848 à 1851). Troisième et dernier universitaire (toujours à Toulouse) : le professeur Henri Rozy qui fut également avocat. Parmi cette liste, mentionnons également deux députés (Albert Gauthier de Clagny (1853-1927) & Camille Bazille (1854-1900) ainsi que deux administrateurs : Ambroise Godoffre (décédé en 1878) de la préfecture de la Haute-Garonne et Hennin (dont les dates nous sont inconnues), rédacteur au Bulletin des architectes et des entrepreneurs et deux anciens auditeurs au Conseil d’État : Batbie et Albert Chaudé (né en 1854). Ainsi qu’on le constate aisément, le choix fait par la direction du JDA, y compris dès sa fondation en 1853, fut donc d’assumer un point de vue pratique par et pour des praticiens (et non théorique qui effraie parfois !). À propos de ces co-directeurs, formons trois observations. D’abord, même si Chauveau (qui se faisait appeler et signait Chauveau Adolphe et non Adolphe Chauveau) mourut en 1868, son patronyme de fondateur demeura gravé au frontispice du JDA jusqu’en 1920. Personne ne l’oublia alors que le co-fondateur de 1853 Batbie fut bien moins loti. Dès 1855, il fut qualifié de simple collaborateur (aux côtés de Godoffre) et non plus de co-directeur et en 1856 il avait déjà disparu de la page de titre ! Ensuite, outre la revendication praticienne, il faut relever que la plupart de ces hommes furent essentiellement conservateurs (3) , catholiques et républicains à l’instar d’Albert Chaudé qui démissionna en 1880 du Conseil d’État suite aux premiers décrets dits anti-congréganistes proposés par Jules Ferry (1832-1893). Enfin, un directeur, le dernier (de 1910 à 1920) mérite toute notre attention. Il s’agit du basque Jules Mihura (1883-1961) : d’abord avocat aux Conseils (à l’époque même où il dirigea le sénescent Journal du Droit administratif), l’homme rejoint en 1940 la chambre civile de la Cour de cassation pour en devenir l’un des plus hauts magistrats (il en sera Président puis Président honoraire) et l’un des moteurs des Éditions du JurisClasseur auxquelles il conseilla de reprendre le JDA.

Un droit administratif « promu ». On assista donc bien, au premier JDA, à une véritable « promotion » du droit administratif où en se rapprochant des administrés, il s’agissait aussi de servir le droit administratif tout entier. Car, ne nous y trompons pas, le JDA en informant administrations et administrés se donnait bien pour objectif de servir le droit administratif (et sa reconnaissance comme branche académique véritable) à l’heure où sa contestation était encore fréquente (JDA, 2016, Art. 65).

B. 2015 : un droit administratif
toujours élitiste effrayant le « profane »

Il serait provocateur de dire qu’en 2015 rien n’a changé. Ce serait provocateur et faux. Oui, l’État de droit s’est instauré en France et désormais le droit administratif n’est plus réservé aux seuls spécialistes. Un citoyen désirant à tout prix obtenir une information peut, avec un peu de temps et parfois un peu d’aide, généralement trouver ce qu’il cherche et une ou plusieurs réponses à sa ou à ses questions. La philosophie d’accès au droit n’est donc plus du tout la même.

Un droit toujours élitiste : excluant. Cependant, de facto, le droit administratif demeure intrinsèquement élitiste. Il a effectivement ses spécialistes qui connaissent Agnès Blanco, la société commerciale de l’Ouest africain (et son célèbre bac), le nain de Morsang-sur-Orge ou encore René Benjamin (1885-1948) (sans connaître nécessairement ses écrits littéraires et sa passion pour Maurras (1868-1952)) et le casino de Néris-les-Bains. Et même si le Conseil d’État (on songe notamment aux travaux du groupe présidé par Philippe Martin) a fait quelques efforts de rédaction à destination des administrés, sa jurisprudence demeure souvent obscure sinon impénétrable aux profanes (et parfois même encore à ses « prêtres ») ! La diffusion, les commentaires et les interprétations en ligne (sur des blawgs) par des praticiens et des universitaires n’y suffisent pas encore : le droit administratif demeure – au moins perçu – comme celui d’une caste ou secte « à part » et non comme une science et des données à l’accès facilité (mais peut-être est-ce aussi le cas de nombreuses – sinon de toutes – les branches juridiques). Cet élitisme effraie le profane qui ne se sent pas à sa place et qu’il faut donc rassurer et encadrer car – ne l’oublions pas – le droit administratif n’est pas fait pour les administrateurs, les politiques et les administrativistes : il est fait – au nom de l’intérêt général et donc souvent du service public – pour les administrés citoyens qu’il convient bien d’accompagner.

C’est – notamment – la mission que s’est donnée le nouveau JDA en proposant – par exemple son premier dossier sur la thématique – alors brûlante – de l’état d’urgence (préc. art. 07 et s.). De même, est-ce la raison pour laquelle notre quatrième dossier s’est intéressé à la définition même du droit administratif (préc. art. 132 et s.) et ce, non par une personnalité ou la rédaction du JDA mais par cinquante personnes différentes : des universitaires (parmi lesquels de très grands noms publicistes comme ceux des professeurs Delvolvé, Mazères ou encore Morand-Deviller et Truchet), des praticiens et des administrateurs (ici encore avec quelques très hautes personnalités à l’instar du Président Stirn et du Conseiller Benabdallah) mais aussi des citoyens et des jeunes chercheurs en droit administratif. Il s’agissait alors de bien montrer, par la multiplicité et parfois l’hétérogénéité des réponses, que ledit droit non seulement n’était pas toujours aussi monobloc et uniforme qu’on le dit mais encore – par la plupart des réponses données – qu’il était accessible aux citoyens.

Des comités diversifiés & représentatifs. En 2015, lorsque nous avons cherché à recréer le Journal du Droit administratif, nous avons eu à cœur de mettre également en œuvre des comités scientifiques, de soutien et de rédaction mettant en avant la même synergie que le JDA premier avait voulu instaurer. On rencontre ainsi dans les comités du JDA contemporain des universitaires (principalement il est vrai), des administrateurs, des élus et des praticiens du droit administratif (avocats et magistrats en particulier). Comme son prédécesseur, le JDA « nouveau » a par ailleurs d’abord cherché et revendiqué une implantation et un renouveau toulousain avant de « s’ouvrir » progressivement.
De surcroît, le fait d’avoir – comme en 1853 – repris une présentation formelle en articles rend évidemment la lecture plus aisée et il est fréquemment suggéré aux contributeurs de ne pas dépasser un nombre de signes donné afin que les articles puissent être lus en une fois sans fatiguer le lecteur et sans qu’il ait envie de fermer la page internet consultée !

Depuis septembre 2019, par ailleurs, ces comités ont évolué.


(1) Titre déjà revendiqué par plusieurs ouvrages résolument pratiques à l’instar du Manuel du praticien ou Traité de la science du Droit mise à la portée de tout le monde de Louis RONDONNEAU qui connut trois éditions (1825, 1827 et 1833) et que CHAUVEAU connaissait nécessairement eu égard à l’importance des écrits de RONDONNEAU (notamment en matière de codification) en droit administratif.
(2) Qui sont de façon exhaustive et par ordre chronologique et alphabétique : Adolphe CHAUVEAU (1853-1868), Anselme Polycarpe BATBIE (1853-1854), Ambroise GODOFFRE (1869-1878), Henri ROZY (1879-1881), Camille BAZILLE (1882-1891), Albert GAUTHIER DE CLAGNY (1882-1889), Georges POIGNANT (1882-1889), A. HENNIN (1885-1891), Albert CHAUDE (1892-1907), Victor CLAPPIER (1908-1909) et Jules MIHURA (1910-1920).
(3) Parmi les collaborateurs (sic) fréquents du JDA associés à sa direction, signalons à cet égard l’association de plusieurs hommes qui marqueront tristement la Seconde Guerre mondiale en étant investis dans le cadre de l’État français : Raphaël ALIBERT et Jean BOIVIN-CHAMPEAUX (1887-1954) notamment.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) II / III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 254.

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Bienvenue sur le nouveau site du JDA !

Art. 261.

Bonjour à toutes & à tous
& bienvenue sur le « nouveau » site du « nouveau » JDA !

1853, 2015, 2019 sont trois années qui marqueront l’histoire du Journal du Droit Administratif « mis à la portée de tout le monde ». Après soixante-dix années de publications ininterrompues à compter de sa création en 1853 par ses pères fondateurs Adolphe Chauveau (1802-1868) & Anselme-Polycarpe Batbie (1828-1887), le Jda a été refondé en 2015 par le Pr Touzeil-Divina là où il était né une première fois c’est-à-dire sur les bords de la Garonne, à Toulouse.

Le nouveau comité de rédaction du JDA au 10 09 2019

2019 n’est pas l’année de la renaissance, mais plutôt celle du renouveau. La rédaction est ravie de vous accueillir sur un site entièrement refait pour ce journal dont les objectifs premiers sont toujours les mêmes depuis sa création : diffuser & démocratiser l’accès au droit administratif : « populariser » sans pour autant « vulgariser ».

Un changement de peau et de couleurs était incontournable pour marquer ce nouveau départ. Le site est plus moderne, plus intuitif, plus « à la portée de tout le monde », les couleurs rouge et noir, quant à elles, sont plus juridiques et surtout plus TOU-LOU-SAINES grâce à Ernest Wallon (1851-1921) et comme en témoignera notre prochain dossier ! Le nouveau logo s’inscrit pleinement dans l’histoire de ce média avec un rappel dans le « A » de la fondation originelle en 1853.

Cette mue symbolise ainsi la volonté de la nouvelle équipe de rédaction d’ancrer le Jda dans son temps comme il a pu l’être à sa création tout en en conservant l’essentiel : rendre accessible le droit administratif à tout lecteur, initié ou profane. La composition de la nouvelle équipe de rédaction est d’ailleurs à l’image de cet objectif puisqu’elle est désormais composée de M. Adrien Pech (doctorant, IRDEIC), des Dr. Mathias Amilhat & Maxime Boul (MCF, IEJUC & IMH) et du refondateur du Jda, le Pr. Mathieu Touzeil Divina (IMH).

Citoyens, étudiants, administrateurs, élus et praticiens du droit administratif, membres de la communauté universitaire sont invités à suivre et à participer activement aux nombreux dossiers et chroniques qui rythmeront la vie de ce nouveau site.

Le comité de rédaction vous souhaite donc une bonne visite et une bonne lecture « à la portée de tous ».

Dr. Mathias Amilhat
Dr. Maxime Boul
M. Adrien Pech
& Pr Mathieu Touzeil-Divina.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 261.

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Éléments d’histoire(s) du Journal du Droit Administratif (1853-2019)

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou, Président du Collectif l’Unité du Droit
(re) fondateur – directeur du Journal du Droit Administratif

Art. 253.

Le présent article est issu d’une recherche parue in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. On en a repris ici les très grandes lignes dans un souci de diffusion(s). Le tout s’organise en trois temps dont voici le premier :

I. Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA
II. Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA
III. Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA


OXYMORON ? Après la culture et même les jeunesses éponymes, voici que l’on s’intéresse – enfin – aux littératures « populaires » du Droit. Remercions donc les coordinateurs de cet ouvrage qui nous ont conduit à réfléchir à l’une des éventuelles matérialisations de cette écriture populaire et juridique qui pourrait apparaître comme un élégant oxymore : le Journal du Droit Administratif (JDA). Disons-le d’emblée nous ne serons pas le plus objectif pour en discuter (même si l’on fera tout pour l’être le plus possible). En effet, si le premier JDA a été fondé en 1853 par le professeur Adolphe Chauveau (1802-1868) à Toulouse et a donné lieu à près de soixante-dix années ininterrompues de publications jusqu’en 1920, nous avons eu l’honneur et l’idée – en 2015 – de refonder cet antique média publiciste dont nous sommes aujourd’hui le directeur de la publication (en ligne : http:///www.j-d-a.fr). Il s’agira donc d’exposer ici – et, partant, d’interroger – la façon dont le « premier » et le « second » JDA ont cherché à « populariser » le droit administratif. Naturellement, on sera beaucoup plus disert quant au JDA originel, ayant moins de recul et d’objectivité pour parler du plus récent (dont les résultats ne sont – par ailleurs – encore qu’au stade embryonnaire). Peut-on – cela dit – vraiment parler de littérature « populaire » s’agissant d’un média spécialisé en droit administratif, matière réputée très technique et difficile d’accès ? Précisément : oui car le sous-titre du JDA, hier comme aujourd’hui, est « le droit administratif mis à la portée de tout le monde ». N’est-ce pas là l’essence même d’une littérature populaire que de vouloir rendre accessible à chacun.e et non aux seuls spécialistes (universitaires et / ou praticiens) un certain nombre d’éléments et de données ? C’est la raison pour laquelle nous avons accepté l’invitation du professeur Hakim et de Mme Guerlain de présenter au sein du présent ouvrage le(s) JDA car l’objectif officiel et explicite de leurs fondations a été cette volonté de rendre le droit « populaire » au sens d’accessible. Ce sont d’ailleurs précisément les mots employés par les premiers fondateurs du média : les « matières administratives » « d’une application quotidienne, y seront traitées dans un style simple et accessible à tous » (JDA 1853 ; p. 07).

Pour en traiter, nous nous proposons de suivre trois questionnements successifs et relatifs conjointement aux deux JDA : d’abord, comment le JDA, en 1853 comme en 2015, a-t-il cherché à diffuser le droit administratif autrement en le rendant plus populaire (I) ? Ensuite, en quoi chaque JDA a-t-il essayé de vulgariser une science réputée élitiste en la rendant « populaire » (II) ? Enfin, dans les deux cas, ne peut-on pas identifier une forme de démystification sinon de démocratisation entreprise du droit administratif pour le confronter à un regard citoyen et donc populaire (III) ?

Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA

C’est a priori pour des raisons diamétralement opposées (A & B) que les fondateurs et refondateurs du Journal du Droit Administratif de 1853 et de 2015 ont d’abord cherché à instaurer leur média.

A. 1853 : un droit administratif secret à divulguer

Du droit administratif secret. En 1853, nous étions sous le Second Empire qui n’avait pas encore connu sa version libérale. Les fondateurs du JDA étaient deux Toulousains universitaires à la Faculté de Droit (Adolphe Chauveau et Anselme (Polycarpe) Batbie (1) (1827-1887) ; le second ayant assez rapidement abandonné l’aventure, éclipsé par l’omniprésence du premier (et appelé à rejoindre l’Université parisienne comme suppléant puis comme titulaire de la seconde chaire de droit administratif en 1857). À l’époque (2) , ce droit était enseigné dans les – seulement – neuf facultés de l’Empire et ce, depuis une grosse dizaine d’années. L’École libre de Boutmy (1835-1906) n’avait pas encore été fondée et l’École d’administration (3) de la Seconde République avait été enterrée avec son régime politique. Bref, le droit administratif – comme matière académique du moins – n’en était encore qu’à ses débuts et ne comptait conséquemment que très peu de spécialistes reconnus (une dizaine d’enseignants seulement, quelques politiques et les membres de hautes administrations au premier rang desquelles, le Conseil d’État). Il n’y a qu’à Paris (avec une tentative en 1818 puis à partir de 1829 (4) ) et à Poitiers (dès 1832) que la matière avait conquis un peu plus d’ancienneté dans l’Université grâce notamment aux promoteurs que furent De Gerando (1772-1842), Macarel (1790-1851) et Foucart (1799-1860). À Toulouse, (où l’on disputait avec Poitiers le titre de « première Faculté de France des départements » (sous-entendu en province et après Paris)), on avait bien tenté en 1829 d’instaurer une chaire de droit administratif mais celle-ci ne fut pas véritablement matérialisée auprès du public estudiantin puisqu’après sa nomination et pendant qu’il en préparait a priori les leçons et le contenu, son titulaire, Carloman de Bastoulh (1797-1871), fils du doyen Jean-Raymond-Marc de Bastoulh (1751-1838), renonça à demeurer dans l’Université puisque – comme son père – sa fidélité légitimiste l’empêcha de jurer fidélité au nouveau Roi de la branche des Orléans et non des Bourbons.

Ce n’est alors, à Toulouse comme dans la plupart des Facultés françaises, qu’en 1838 (5) que fut nommé directement par le ministre Salvandy (1795-1856) (et non par concours et sans avoir dans un premier temps même le grade de docteur ce qui lui sera du reste reproché (et qu’il ira conquérir à Poitiers dont il était originaire en août 1839) l’avocat Chauveau qui s’était illustré déjà dans la direction et la publication de plusieurs recueils (comme le Journal des arrêts de la Cour royale de Poitiers ou le Journal du droit criminel) et ouvrages (à l’instar d’une Théorie du code pénal co-écrite avec Faustin Hélie (1799-1884) et surtout de Principes de compétence administrative) et était déjà reconnu comme spécialiste des contentieux privé mais aussi public. Comme beaucoup de ses contemporains, cela dit, Chauveau n’accepta la chaire toulousaine de droit administratif que parce qu’on lui promettait – par suite – d’en obtenir une autre (de procédure civile) à Paris ! L’histoire en ayant décidé autrement Chauveau s’installa durablement à Toulouse et y enseigna pendant trente années le droit administratif (1838-1868) en étant secondé par Batbie, nommé suppléant en ce sens, à partir de 1853 après un passage par Dijon (en 1852). Aidé de Batbie – donc – c’est en 1853 justement, qu’à Toulouse, Chauveau et Batbie fondèrent le JDA avec pour objectif affiché et assumé les principes suivants : « aider l’administrateur, éclairer l’administrer, vulgariser la législation administrative : tel est le but que nous nous sommes proposé » (JDA ; 1853 ; p. 05).

À bien y regarder, dans les vingt premières années au moins, la revue se revendiquait presque à l’instar d’un lien familial : le ton y était enjoué et les abonnés n’hésitaient pas à écrire au Journal pour contester, proposer, féliciter, etc. ainsi qu’on en prendra, infra, quelques témoignages. Cette « accessibilité » ou ce caractère « populaire » assumé étaient manifestes. On y trouve même (JDA, 1853 ; art. 56) la reproduction d’un échange étonnant (et que l’on n’imaginerait pas aujourd’hui dans une revue juridique) entre Chauveau et Batbie. Ce dernier n’étant évidemment pas Anselme Polycarpe mais son propre père, Marc-Antoine (Batbie) (dont les dates nous sont inconnues), notaire de son état (dans le Gers). Un média… familial donc !

Un premier média spécialisé. Il n’existait alors – sauf omission – aucun journal spécialisé en droit administratif (et même en droit public de façon générale) ; seuls étaient publiés des médias juridiques généralistes ou privatistes (on pense aux Revues de Foelix (1791-1853) et de Wolowsky (1810-1876), à la Revue générale du Droit (6) , à la Thémis, à la Gazette du Palais, etc.) ainsi que des recueils seulement prétoriens à l’instar du célèbre LEBON que fonda… Macarel. Autrement dit, le JDA de Chauveau fut manifestement le premier – et longtemps seul – média dédié au droit administratif et à ses études. Seul en 1866 l’avocat Bize (dont les dates nous sont inconnues) tenta-t-il sur le même modèle un journal nommé Le contentieux administratif et spécialement destiné aux préfectures et aux mairies. Cependant, ce périodique ne dépassa pas la dizaine d’années de publications. Le droit administratif était alors encore « secret » c’est-à-dire avec un accès restreint à ses seuls maîtres et praticiens les plus expérimentés. Ni l’administration ni ses juges (qu’il s’agisse des conseils d’État et de préfecture qui n’étaient alors que des juridictions de facto et non de jure et ce, jusqu’à la Loi du 24 mai 1872 ou encore des administrateurs-juges ou ministres-juges eux-mêmes) ne communiquaient sur l’existence de nouveaux textes ou encore de décisions. Parfois, même les plus fins spécialistes ne trouvaient pas leurs sources dans l’amas normatif qui se formait depuis des décennies sinon des siècles. Étonnamment, il a pourtant très peu été écrit à propos de ce média. À l’exception de sa présentation critique par notre collègue Rachel Vanneuville (7) (« Le JDA ou le droit administratif mis à la portée de tout le monde (1853-1920) » in Les revues juridiques au XIXe siècle (Paris, La Mémoire du Droit (en cours))), la doctrine contemporaine semble l’avoir ignoré. Peut-être est-ce parce qu’il a été créé à une époque à propos de laquelle les universitaires du « tournant 1900 » comme Hauriou (1856-1929) ont longtemps nié une légitimité doctrinale. Il est en tout cas dommage qu’un tel périodique qui a réussi à durer près de soixante-dix années soit aussi peu connu (mais son absence de numérisation contemporaine et sa difficulté d’accès dans de rares bibliothèques l’expliquent peut-être aussi).

Diffuser un droit administratif secret. La première mission du Journal du Droit administratif de 1853 fut donc d’abord – mais essentiellement – de divulguer ce droit à tous et pour tous en un lieu – unique – dédié. Certes, il ne s’agissait pas d’une esquisse privée de codification administrative (qui fut longtemps espérée des praticiens français) parce que le JDA n’a pas repris et exposé toutes les normes existant avant lui et ce, selon un ordonnancement hiérarchique propre, mais il s’agissait – au moins et déjà – de présenter – en droit positif – toutes les actualités animant – au présent – cette branche juridique. C’est ce que rappelait – alors qu’il était encore fréquentable – Raphaël Alibert (1887-1963) lors du soixantenaire du Journal (JDA 1913 ; p. 119) : « Ce petit recueil mensuel est aujourd’hui comme l’organe d’avant-garde du contentieux administratif. Il est aussi le talisman de tous ceux qui, obligés à un titre quelconque d’appliquer des arrêts, veulent chasser de leurs rêves le spectre de la jurisprudence inconnue ». Désormais – proposait le JDA – on trouverait dans un média dédié de l’actualité en matière administrative (8) , de la doctrine, des comptes rendus prétoriens et / ou normatifs, des propositions, des solutions pratiques, etc. Dans un premier temps, d’ailleurs, le JDA (cf. JDA 1856, art. 158) comprit pour se faire trois parties essentielles : celle relative à l’explication / la présentation des « matières administratives » de l’actualité (à laquelle, dès 1859, on ajoutera une partie spécialement consacrée à la « revue des décisions du Conseil d’État ») (I) ; celle reprenant les « lettres des administrés » ou autres questions posées par ces derniers (lecteurs et abonnés) et qui (on y reviendra infra) « en style familier » traitaient de questions pratiques (II) et celle des « revues » ou comptes rendus (III). À l’aube de la Troisième République (JDA 1871) cette présentation va évoluer pour devenir bien plus descriptive et bien moins critique : Lois (normes administratives) (I), Jurisprudence (du Conseil d’État puis des Conseils de préfecture) (II) et « varia » (III). Après 1893, quarante ans après sa fondation, le JDA comptait essentiellement deux parties : la prétorienne et la normative réglementaire avec très peu de propositions doctrinales.

Valoriser le droit administratif calomnié & dont la juridicité était niée. Par ailleurs, expliquait Chauveau (JDA 1854 ; art. 69), le Journal se donnait aussi pour mission non seulement de divulguer ce droit public trop « secret » mais encore de « dissiper certaines erreurs » ou de « détruire quelques préjugés » qui y étaient relatifs et conséquemment de « projeter un peu de clarté sur cette législation administrative ». En 1859, poursuivait Chauveau (JDA 1859 ; art. 245) même si d’aucuns pensaient que « la science du droit administratif était indigeste, informe, immense, inextricable, obscure, enchevêtrée de liens qui se croisent dans tous les sens, mille fois plus impénétrable qu’une forêt vierge de l’Amérique », il fallait lutter contre ces a priori et continuer – pour affaiblir ces idées reçues – à diffuser – toujours plus et mieux – le Journal du Droit administratif. Rappelons alors que jusqu’à l’âge d’or dudit droit (autour du changement de siècle), le droit public (constitutionnel comme administratif) était peu considéré dans les facultés de Droit : on l’enseigna tard et souvent même on lui dénia le caractère de « véritable » science juridique. C’est aussi pour faire évoluer cet état d’esprit et démontrer la « juridicité » des questions et des règles administratives que les fondateurs du JDA le mirent en place. Lors des propos introductifs du premier numéro, Chauveau & Batbie (JDA 1853 ; p. 07) signalaient ainsi : « Il est inutile de dire que notre Recueil ne sera pas goûté par les juristes qui n’ont de culte que pour les dispositions du droit civil. Nous savons qu’ils sont décidés à mourir en niant l’existence du droit administratif » !

Diffuser le droit administratif. Il s’agissait alors clairement d’un complément aux bulletins et journaux officiels (dont la multiplication et le caractère austère et désordonné rendaient la consultation malaisée) ainsi qu’aux recueils prétoriens. Complément, effectivement, car le JDA n’était pas originellement un Recueil LEBON bis ou un Journal officiel spécialisé en droit administratif (9) : il offrait des consultations, des propositions, des points de vue doctrinaux, des revues bibliographiques et se donnait pour mission une tâche extraordinaire : mettre le droit administratif « à la portée de tout le monde ». Il ne s’agissait donc pas « que » d’éléments sélectionnés de droit administratif (normes, jurisprudences, etc.) mais d’une présentation accompagnée et expliquée du droit public positif. Cette mission qu’on concevrait aujourd’hui comme logique et publique (du fait de l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme) n’était alors assumée par personne. Confiné dans quelques bibliothèques essentiellement parisiennes et proches des ministères et du Conseil d’État, le droit administratif était un secret bien gardé et ce n’est que la diffusion et l’application progressive de l’État de Droit qui vont y mettre un terme ce à quoi – affirmons-nous – le JDA a bel et bien participé en diffusant, en divulguant ce qui aurait pu rester confiné et secret.

Cette mission première de divulgation, le JDA de 1853 l’a pleinement et merveilleusement assumée. Ainsi, dès ses premières livraisons, le Journal avait-il présenté (dès ses articles 02 & 11 en 1853) et commenté le décret du 25 mars 1852 dit de décentralisation (mais traitant en fait de la déconcentration du Second Empire). De même, en 1868 avec un dossier reprenant et expliquant (grâce au projet de Loi et aux circulaires et autres commentaires) la nouvelle Loi sur les chemins vicinaux (du 11 juillet 1868).

Le « premier » JDA : 1853-1920. Concrètement, le journal a paru mensuellement de 1853 à 1920 et y ont participé (par des écrits ou des recensions parfois) de très grands noms du droit public comme ceux de Chauveau et Batbie, évidemment, mais encore de Rozy (1829-1882), d’Hauriou, de Ducrocq (1829-1913), de Rolland (1877-1956) ainsi que d’Alibert, de Romieu (1858-1953), de Corneille (1871-1943), d’Aucoc (1850-1932), de Larnaude (1853-1942), de Michoud (1855-1916), de Berthelemy (1857-1943) ou encore de Mazerat (1852-1926), etc.

Toulouse & Paris. Le Journal a longtemps été « toulousain » car fondé par deux universitaires de la Faculté de droit occitane (rapidement rejoints par des avocats, des administrateurs et des Conseillers d’État de toute la France) et même imprimé et diffusé depuis Toulouse (le bureau du JDA se situant dans un premier temps (1853-1855) aux Allées Louis-Napoléon (au 29) (actuellement Allée Jean Jaurès) pour rapidement rejoindre (1846-1882) une des rues partant de la place du Capitole (au 46, rue Saint-Rome au siège de l’ancienne Librairie centrale)). Dès 1856, la revue se vendait officiellement dans une librairie parisienne et Chauveau avait plaisir à indiquer que « sa publication », bien que née provinciale et toulousaine, se vendait « À Paris, place Dauphine (27) » ce qu’il fit écrire en tête des numéros mensuels afin de rivaliser avec les autres publications juridiques parisiennes qu’il rejoignait ainsi d’un point de vue qualitatif selon lui. Dès 1863, le JDA fut même associé à la Revue du notariat et de l’enregistrement (créée seulement en 1861 et dont les bureaux parisiens (rue Marsollier et place Dauphine) assuraient la diffusion pour la capitale à proximité de la Cour de cassation et des principaux cabinets d’avocats).

À partir de 1882-1883 (10) en revanche, le Journal va progressivement quitter la Haute-Garonne (Chauveau étant décédé depuis longtemps) pour établir ses bureaux à Paris (11) après quelques mois d’interim toulousain exercé par le professeur Henri Rozy. C’est alors l’exceptionnel éditeur Guillaume (12) Pédone-Lauriel (dont les dates de vie nous sont personnellement inconnues) qui accueille en premier lieu le JDA en 1883 au tout nouveau (13) (et encore actuel) siège de sa prestigieuse maison d’Éditions juridiques : au 13, de la rue Soufflot. Dès 1886, c’est la Librairie administrative Richer qui va abriter le JDA (au 15, rue du Bouloi puis au 14, de la rue Notre-Dame-de-Lorette) avant de rejoindre les prestigieuses Éditions Arthur Rousseau (qui seront rachetées par Dalloz en 1956) puis, à partir de 1912, les Éditions « Techniques » du JurisClasseur tout justes créées en 1907 (et alors domiciliées au 18 de la rue Séguier et non encore rue de Javel).

Titrage(s). Si le JDA a été connu et diffusé sous ce seul titre de Journal du Droit administratif de 1853 à 1920, le titrage exact du périodique a cependant un peu évolué.

À l’origine toulousaine, le média se nommait Journal du Droit administratif avec pour sous-titre premier « ou Le droit administratif mis à la portée de tout le monde » et ce, avec un second long sous-titre indiquant : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, aux patentables, etc., etc., ». Ce dernier sous-titre nous en dit long sur la volonté de littérature populaire du Journal. Il s’adresse aux administrateurs principalement (et non aux spécialistes universitaires) et même aux citoyens et futurs citoyens par le biais des instituteurs, des propriétaires, des contribuables et des patentables. En 1857-1859, lorsque le JDA est conjointement et temporairement hébergé et administré à Toulouse et à Paris, la revue perd (sur les frontispices de ses numéros mensuels) son long second sous-titre. En 1860, en revanche, il revient avec (ici soulignées) de légères modifications : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des administrateurs des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, etc., etc., » ; l’expression finale de « patentables » ayant disparu. En 1862, cette fois, le JDA se revendique comme : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux curés, Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, aux patentables, etc., etc., » incluant donc désormais explicitement l’administration ecclésiastique et faisant disparaître les établissements publics ! Enfin, de 1863 à 1865 (14) , le Journal se présente comme : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux membres des conseils de préfecture, Maires, membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des administrations des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, etc., etc., » faisant à nouveau disparaître patentables et curés !

De 1879 à 1882, le JDA – pendant la guerre – joue cette fois la carte de la simplicité et abandonne tous les sous-titres. Il est « le » Journal du Droit administratif. En 1883, en revanche, et jusqu’en 1920, le JDA devenu parisien se nommera « Le droit public » avec pour sous-titre (et non titre premier) : Journal du Droit administratif.

B. 2015 : un droit administratif
hyper diffusé à canaliser

Hypermédiatisation globalisée. En 2015, lorsque nous avons proposé de ressusciter le Journal du Droit administratif, la situation n’était plus du tout la même. Aux antipodes de 1853, le droit administratif contemporain bénéficie d’une forte médiatisation : non seulement parce que l’accès aux normes est bien plus aisé depuis qu’en 2002 le gouvernement français a mis en place un service public de diffusion du droit par l’Internet (http://www.legifrance.gouv.fr) qui permet – à chacun.e – d’avoir un accès aisé à la première source du droit public mais encore parce que les juridictions administratives – au premier rang desquelles le Conseil d’État – communiquent de plus en plus – et de mieux en mieux – sur leurs données et leurs productions juridictionnelles.

Informations brouillées. Par ailleurs, les manuels de droit administratif ne se comptent plus – comme en 1853 – sur les doigts d’une seule main mais sont si nombreux (et de tous niveaux et de toutes qualités) qu’il est parfois difficile de pouvoir et de savoir choisir. En outre, avec la multiplication des revues en ligne (spécialisées ou non en droit public), l’accès au droit administratif (normatif et / ou doctrinal) est aujourd’hui non seulement possible mais encore fait l’objet d’une offre pléthorique.

Précisément, telle a été la première mission du second JDA de 2015 : non plus divulguer un droit administratif méconnu mais canaliser une hyper diffusion de ce droit en proposant une sélection (subjective et jugée pertinente) de dossiers ou d’éléments d’actualité(s) notamment. Autrement dit, le JDA nouveau a désiré offrir à côté de désormais très nombreux médias non pas un média supplémentaire identique mais une présentation complémentaire du droit administratif contemporain et de ses actualités en reprenant le premier sous-titre originel de « droit administratif mis à la portée de tout le monde ». Ainsi, écrivions-nous en 2015 pour la première mise en ligne de janvier 2016 : « Tel est conçu le JDA : comme une rencontre et un dialogue permanent entre tous les acteurs du droit administratif à propos du droit administratif : depuis l’administrateur jusqu’à l’administré citoyen en passant par l’Université et la Magistrature. L’administré, précisément, jouera un rôle important au cœur du JDA puisque c’est pour lui qu’est mis en œuvre notre média et c’est avec lui qu’il s’accomplira ». Le but premier ainsi affiché est clair : renouer avec l’objectif d’une diffusion du droit administratif à destination première (on y reviendra infra) non de ses spécialistes mais des citoyens administrés.

Toulouse un jour, Toulouse toujours ? Par ailleurs, en 2015, le JDA nouveau a également réactivé une naissance toulousaine. En effet, le premier « Journal était porté, puisqu’initié à Toulouse, par plusieurs universitaires, avocats et administrateurs de l’actuelle région Midi-Pyrénées » et le second – en clin d’œil – fit de même en proposant désormais une version non publiée sur papier et par abonnements commerciaux mais en ligne en disposant « d’un site Internet propre » et proposant « comme son ancien média tutélaire, des dossiers, des résumés de jurisprudence, des notes historiques, des chroniques, des informations (etc.) tous relatifs au droit administratif dans toute sa diversité (collectivités, services publics, droit fiscal, droit des biens, fonction publique, actes, jurisprudence, etc.) ». Ce JDA « – nouvelle formule – a été (re)créé à Toulouse, salle Maurice Hauriou (Université Toulouse 1 Capitole) le 15 octobre 2015 » et n’a pas, faute de recul, la même longévité que son prédécesseur de 1853.

2015-2017. Au premier septembre 2017, ainsi, en moins de deux années, le JDA a déjà pu proposer à la lecture gratuite et disponible en tout lieu équipé d’une connexion Internet près de 200 articles [en 2019 nous avons dépassé les 250 items] principalement répartis en différents dossiers ou chroniques. En effet, à la différence du JDA de 1853, le JDA « nouveau » fonctionne moins périodiquement. Même s’il essaie (avec succès pour le moment) de proposer depuis janvier 2017 au moins une chronique (faite d’au moins un ou deux articles) par mois, l’essentiel de sa publication repose sur le choix de dossiers d’actualité « mis à la portée de tout le monde ».

Ont ainsi été publiés au JDA un premier dossier sur « l’État d’urgence mis à la portée de tout le monde » (JDA, 2016, Dossier 01 « État d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 07) ; un deuxième sur « les relations entre le public & l’administration » (JDA, 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 63) ; un troisième en collaboration avec une revue de sociologie et intitulé : « Laï-Cité(s) – Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (JDA, 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 111) ainsi qu’un quatrième portant le presque sulfureux nom de « 50 nuances de « Droit administratif » (JDA, 2017, Dossier 04 : « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 132). Les dossiers 05 et 06 portent respectivement sur « un an après la réforme de la commande publique » (dir. Hoepffner, Sourzat & Friedrich) ainsi que sur La régularisation en droit public : aspects français & étrangers (dir. Sourzat & Friedrich).

Deux autres dossiers sont par ailleurs lancés : l’un nommé Toulouse par le droit administratif et l’autre : « une décade de réformes territoriales » (dir. Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie). Comme on le constate, les dossiers du JDA essaient toujours de « surfer » (ce qui se tient pour un média en ligne) sur l’actualité du droit administratif : inauguré à l’automne 2015 alors qu’était proclamé l’État d’urgence, le JDA a utilisé cette actualité pour son premier dossier puis a régulièrement proposé des thèmes reprenant un bilan ou une présentation (après quelques mois ou années de mises en œuvre) d’une réforme contemporaine (le Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA), les réformes de la commande publique ou encore des collectivités territoriales). Parallèlement aux dossiers, des chroniques plus spécialisées (en droit des contrats publics (JDA, 2016-2017 ; chronique contrats publics ; (dir. Amilhat) Art. 103), en droit des services publics (JDA, 2017 ; chronique services publics ; (dir. Touzeil-Divina)), en droit administratif des biens (en cours), etc.) permettent à des spécialistes de présenter des actualités plus ciblées. La régularité de ces chroniques n’est pas assurée (mais l’est de façon assumée) ; seule la chronique des doctorant.e.s et jeunes docteur.e.s du Journal du droit administratif paraît de façon mensuelle et offre un regard sur l’actualité la plus directe (JDA, 2016-2017 ; chronique administrative ; (dir. Touzeil-Divina, Aliez, Djazouli, Orlandini & Sourzat) Art. 102 – Depuis 2019 ladite chronique est régie directement par le comité de rédaction).

Quelques articles – hors chroniques et dossiers – ont par ailleurs été publiés pour mettre en avant une actualité donnée, une parution d’ouvrage ou une jurisprudence du Conseil d’État ou même du Tribunal administratif de Toulouse, ce dernier étant partenaire privilégié et impliqué du JDA. Cela dit, le JDA de 2015 ne s’est pas donné pour vocation de n’être qu’une publication en droit positif et ne mettant en avant que l’actualité normative et prétorienne. Non seulement le Journal propose des comptes rendus et des débats doctrinaux mais aussi quelques articles relatifs à l’histoire du droit administratif avec – pour commencer – une mise en avant des deux premiers porteurs du JDA de 1853 : Messieurs Chauveau & Batbie.
Une vision complémentaire. Partant, le JDA « nouvelle formule » offre donc une autre vision – complémentaire – du Droit administratif en essayant – subjectivement – d’offrir à ses lecteurs un choix de thèmes, d’articles, de brèves et d’actualités qu’ils auraient peut-être eu du mal à trouver ailleurs, noyés sous les multiples sites et informations, médias et ouvrages existant en la matière aujourd’hui.


(1) BATBIE est cofondateur du JDA et co-directeur conséquent de ce dernier mais rapidement (dès 1855) il n’est officiellement que « collaborateur » au même titre que l’avocat GODOFFRE et seul règne CHAUVEAU sur « son » Journal, « sa publication » comme il la qualifie à plusieurs reprises. Dès 1853, du reste, à l’art. 10 du JDA rédigé par BATBIE, CHAUVEAU notait en introduction que la contribution suivante portait « la signature de [son] honorable collaborateur (sic) ».(2) De manière générale, à propos de l’enseignement du droit public et administratif au XIXe siècle, on se permettra de renvoyer à : TOUZEIL-DIVINA Mathieu, Éléments d’histoire de l’enseignement du droit public (…) ; Poitiers, LGDJ ; 2007.
(3) À son égard : THUILLIER Guy, L’ENA avant l’ENA ; Paris, PUF ; 1983 et nos développements in Éléments d’histoire….
(4) À propos de cet enseignement, voyez le numéro spécial de la RHFD (n° 33 ; 2013) consacré à DE GERANDO (avec notamment les contributions des pr. SEILLER, SERRAND & TOUZEIL-DIVINA).
(5) Et ce, outre une parenthèse ouverte par l’avocat ROMIGUIERES (1775-1847) qui enseigna autant que DE BASTOULH c’est-à-dire aucunement. À cet égard cf. in TOUZEIL-DIVINA Mathieu, La doctrine publiciste (1800-1880) ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009.
(6) Sur cette dernière il faut lire l’extraordinaire thèse de : CHERFOUH Fatiha, Le juriste entre science et politique. La Revue générale du Droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger (1877-1938) ; Paris, LGDJ ; 2017.
(7) Que nous remercions pour la communication de ses notes non encore publiées au colloque Les savoirs de gouvernement à la frontière entre « administration » et « politique » ; France-Allemagne ; XIX-XXe siècles (Berlin, juin 2010) : « Le Journal du droit administratif, ou comment mettre l’administration dans le droit (1853-1868) ».
(8) C’est clairement, dit CHAUVEAU, en 1855 (Art. 124) la raison d’être de « sa publication » et le titre choisi de « Journal » est topique de ce choix de se consacrer de façon récurrente à l’actualité : au quotidien.
(9) À l’article 11 du JDA de 1853, CHAUVEAU explique ainsi qu’il n’a pas « l’intention de donner place (…) aux textes des Lois ou décrets » de manière brute puisque son « projet est de les faire connaître par une exposition et de les expliquer par des rapprochements qui en feront mieux saisir la portée qu’une reproduction textuelle » seule.
(10) Avec (entre 1857 et 1859) une tentative de doubles bureaux à Toulouse et à Paris (11, rue de Monthyon).
(11) Ce qui explique peut-être pourquoi, vexée ( ?), l’Université toulousaine n’a pas conservé l’intégralité des numéros du Journal jusqu’en 1920 c’est-à-dire au-delà de la période toulousaine originelle !
(12) Le frère engagé (qui prôna l’abolition de la peine de mort) des célèbres éditeurs italiens (de Palerme) Giuseppe & Luigi PEDONE-LAURIEL.
(13) Le site Internet de la Maison PEDONE indique que le 13 de la rue Soufflot n’a été habité par les PEDONE-LAURIEL qu’en 1887 lorsque Guillaume déménagea de la place de la Sorbonne pour se spécialiser en Droit international et quitter ainsi les lettres classiques qu’il avait également éditées. Les publications de 1883 à 1887 du Journal du Droit administratif semblent contrarier cette information immobilière.
(14) En 1864, le typographe commet même une coquille dans ce long sous-titre en omettant la première lettre « p » dans l’expression « plus spécialement ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) I/III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 253.

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ParJDA

50 nuances de droit administratif ?

Mathieu Touzeil-Divina
Professeur de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou – Président du Collectif L’Unité du Droit
Fondateur du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Refondateur du Journal du Droit Administratif

Art. 139.

Qu’est-ce que le droit administratif ?
Vous avez cinq heures !

La question sonne à l’instar de celles posées par nos Maîtres lors de nos examens de DEA (nos anciens Masters II pour les plus jeunes !). Comment tout dire en quelques mots ? Quel(s) regard(s) donner sur cette matière, cette science académique et cette branche parfois si exorbitante du Droit ? C’est le défi que nous avons lancé à 50 juristes et apprentis juristes du droit public. 50 personnalités ici réunies et parmi lesquelles non seulement des « étoiles » parmi les plus confirmées et reconnues du droit public contemporain mais aussi, aux côtés d’universitaires et de praticiens du droit administratif, de jeunes juristes en devenir(s).

Des « étoiles » du Droit administratif :

Des praticiens du Droit administratif :

Des universitaires (français & étrangers) du Droit Administratif :

Des auteurs du Journal du Droit administratif (JDA) :

Des jeunes chercheurs & citoyens apprentis du Droit administratif :

Tel est effectivement bien l’esprit du Journal du Droit Administratif (JDA) : valoriser les actions mettant en avant – comme son « grand-frère » le premier JDA de 1853 – le « droit administratif à la portée de tout le monde« . Il fallait pour ce faire que des citoyens et des jeunes juristes aient également accès à la parole ici diffusée et que le questionnaire JDA ne soit pas réservé à 50 personnalités confirmées.

Nous avons concrètement posé treize questions auxquelles chacun.e. a répondu avec liberté(s) de ton(s), de forme(s) et de parole(s). A titre personnel, le directeur de publication voudrait en conséquence remercier toutes les contributrices et tous les contributeurs qui ont accepté de relever ce défi et qui l’ont généralement fait avec une grande rigueur. Un second merci – encore plus personnel – est adressé aux trois membres du JDA sans qui ces questionnaires n’auraient pas été aussi bien mis en formes : Mmes Delphine Espagno-Abadie, Lucie Sourzat et M. Abdesslam Djazouli.

Le présent éditorial – sans prendre trop du temps précieux du lecteur qui a hâte de lire et de découvrir les 50 questionnaires – voudrait alors insister sur quelques mouvements que semble traduire l’ensemble desdits questionnaires (auxquels ont répondu non seulement des publicistes français mais aussi étrangers (d’Allemagne, du Canada, d’Espagne, de Grèce & d’Italie).

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Etait-il vraiment possible – sans être original et après tant de doctrines connues et reconnues, célèbres et célébrées, de répondre à cette question fondamentale ? Nos contributeurs l’ont tenté et ce, quelquefois avec – précisément – une originalité des plus stimulantes. Et c’est peut-être notre collègue Caroline Lantero qui a en ce sens marqué les esprits en choisissant de prendre le contrepied des définitions les plus exhaustives. Avec un très bel effort de rigueur (et avec un humour qui n’échappera à personne), elle nous a proposé des réponses marquées de la matérialité des billets postés sur un célèbre réseau social en 140 caractères maximum. Cela donne ainsi, pour la définition du droit administratif :

L’auto-régulation d’une administration qui ne peut – par essence –  pas mal faire, et accepte de se soumettre à son (propre) droit.

D’autres (la plupart) ont repris les critères et les indices « traditionnels » depuis désormais près de deux siècles :

  • présence et matérialité de règles / normes
  • au coeur du droit public
  • mettant en avant l’intérêt général
  • et d’une part l’administration / personne publique / autorité administrative
  • face à un citoyen / usager / administré

Les termes de puissance publique, de service public, de juge administratif et d’Etat y étant souvent associés. Par ailleurs, près de la moitié des contributeurs, comme pour se réfugier derrière une autorité, ont cité dans leur proposition de définition un des grands Maîtres du droit administratif (ou d’autres auteurs ^^) ici regroupés :

  • André DE LAUBADERE
  • Chaïn PERELMAN
  • Charles de MONTESQUIEU
  • Charles EISENMANN
  • Didier TRUCHET
  • Dominique POUYAUD
  • Friedrich NIETZSCHE
  • Georges VEDEL
  • Grégoire BIGOT
  • Grégory KALFLECHE
  • Jacques CHEVALLIER
  • Jean-Anaud MAZERES
  • Jean-François LACHAUME
  • Jean-Jacques ROUSSEAU
  • Léon AUCOC
  • Léon DUGUIT
  • Marcel WALINE
  • Mathieu TOUZEIL-DIVINA
  • Maurice HAURIOU
  • Michel FOUCAULT
  • Prosper WEIL
  • Sophie THERON
  • Spyridon FLOGAITIS
  • Thomas HOBBES

Chaque auteur a été cité une fois (ce qui ne permet pas de tirer de conclusions importantes à part pour constater qu’il n’y a – précisément – pas unanimité quant à la définition finale mais au contraire plusieurs sensibilités. Seul un auteur a été cité cinq fois : le pr. Prosper Weil dont la doctrine a manifestement marqué plusieurs générations d’étudiants. Deux autres auteurs ont été cité deux fois (Marcel Waline & Maurice Hauriou) et un inconnu (Mathieu Touzeil-Divina) a même eu l’honneur d’être cité trois fois mais l’on ne veut voir dans cette citation multiple que la présence d’ancien.ne.s étudiant.e.s du susdit dans le panel des contributeurs 🙂 !

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Cette question a beaucoup intéressé nos contributeurs. 66 % d’entre eux y ont répondu favorablement tout en faisant généralement remarquer que si, effectivement, il y avait des différences notables entre hier et aujourd’hui, cela ne s’était transformé qu’à la suite d’une évolution constante et non au regard d’une fracture ou d’une opposition nette. Ceci explique alors peut-être le fait que 05 % des contributeurs aient préféré ne pas répondre !

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Vos pronostics ?

A la grande surprise du lecteur peut-être c’est la notion de service public (17 fois citée) qui s’impose ici et devance celle de puissance publique (12 citations). Et si l’on refaisait le match Duguit v/ Hauriou ? Il faut alors citer – pour l’art de cette synthèse – le Maître du droit administratif qui nous a fait l’honneur de parrainer le renouveau du Journal du Droit Administratif ainsi que d’offrir quelques réponses à notre questionnaire : le Professeur Pierre Delvolvé :

La notion de service public est évidemment le principal moteur (et en même temps critère de ce droit) mais on ne peut en séparer celle de puissance publique, comme instrument de la réalisation du service public.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Ici encore la question a divisé (plus qu’on ne l’aurait peut-être cru) les contributeurs et les contributrices. 31 (sur 50) ont répondu de façon plutôt positive (et 04 ne se sont pas prononcé) mais tout en actant le phénomène dit de globalisation, la plupart des interrogés ont affirmé que le phénomène de mondialisation / globalisation ne devait / ne pouvait être perçu qu’à l’instar d’une fatalité et – autrement dit – il ne s’agissait pas véritablement d’une « condamnation » du droit administratif national.

Comme toujours, la réponse du Président Stirn est des plus éclairantes en la matière :

Il ne s’agit pas d’une condamnation mais d’un contexte. Le droit s’inscrit de plus en plus au-delà des frontières, singulièrement en Europe. Droit national, droit européen et droit international s’interpénètrent de plus en plus. Le droit comparé est une nécessité. En Europe, un droit public européen se construit. Le droit administratif français, qui est un élément important de cet ensemble, y trouve de nouveaux horizons.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Onze auteurs sur 50 se sont ici défilés comme si la question n’existait pas 🙂 Cinq seulement y ont répondu de façon négative, la très grande majorité des contributeurs reconnaissant encore (sinon toujours) au Conseil d’Etat en particulier un rôle phare dans la création du droit administratif – y compris contemporain.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Si l’on ne retient que les réponses relatives au droit administratif français (mais rappelons qu’il existe aussi des réponses concernant ici les droits administratifs allemand, canadien, espagnol, grec et italien), 29 auteurs ont été cités (pour 50 contributions). En voici la liste par ordre de citation(s) :

  • Maurice Hauriou ; cité 31 fois
  • Léon Duguit 22 fois 
  • Edouard Laferrière 09 fois
  • Jean Rivero 06 fois
  • René Chapus 05 fois
  • Georges Vedel 05 fois

Avec moins de citations :

  • Joseph-Marie de Gerando ; cité 04 fois
  • Emile Victor Masséna Foucart ; idem
  • Louis Marie L. de Cormenin ; idem
  • Léon Aucoc ; cité 03 fois
  • Charles Eisenmann ; idem
  • Louis-Antoine Macarel ; cité 02 fois
  • Pierre Delvolvé ; idem
  • Raymond Odent ; idem
  • Le Conseil d’Etat ; idem

Ont fait l’objet d’une citation unique :

  • mon professeur
  • Jean Blanco
  • Marceau Long
  • Etienne Portalis
  • Marcel Waline
  • Jean Romieu
  • Alexandre François Vivien
  • Gaston Jèze
  • Marie René Edmond David
  • Léon Blum
  • Théophile Ducrocq
  • Prosper Weil
  • Jean-Pierre Théron
  • Léon Michoud

Il conviendrait de réfléchir ici à au moins trois observations à creuser :

  • le nombre de femmes citées ….
  • le nombre d’universitaires et de praticiens …..
  • le nombre d’auteurs vivants ou quasi contemporains qui traduit cette habitude actuelle de ne retenir (y compris comme « pères ») que les plus proches auteurs encore dans nos mémoires et délaissant – ce faisant – les véritables « pères » plus anciens et sans qui nous ne serions sûrement rien.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Au lieu d’un long discours, voici un graphe très parlant et permettant à chacun.e. de rassurer tous les promoteurs du mythe de la jurisprudence Blanco 🙂

Ici encore, il est intéressant de noter que dix de la quarantaine d’arrêts et de décisions cités sont postérieurs à l’an 2000.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?
12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?
13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les réponses à ces questions (quant elles ont été matérialisées) nous ont beaucoup plus. Il en ressort là encore une vision de diversité plus encore que d’Unité ou alors – peut-être – d’Unité dans la diversité à l’instar de l’Union européenne qui, elle aussi, on le sait est désormais au cœur de notre droit administratif.

Selon nos auteurs (avec parfois des explications étonnantes) le droit administratif serait (pour les citations les plus nombreuses) soit un félin (un chat, un lion, un tigre, etc.) soit un animal onirique (une licorne, un Léviathan entravé, etc.) mais – surtout – il aurait manifestement les visages de tout un bestiaire eu égard au nombre de propositions diversifiées !

Il en est de même pour les ouvrages et les oeuvres d’art avec deux exceptions :

  • le GAJA a été cité quatre fois comme « livre » du droit administratif
  • et La Liberté guidant le peuple (Delacroix) a manifestement les honneurs des goûts publicistes.

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 139.

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ParJDA

Toulouse par le droit administratif !

Art. 260.

par le comité de rédaction 2019-2020
du Journal du Droit Administratif

Le Jda (Journal du droit administratif ; ISSN 2494-6281) est un journal juridique en ligne (cfhttp://www.journal-du-droit-administratif.fr/) qui, depuis 2016, fait revivre le premier média français spécialisé en droit administratif créé à Toulouse en 1853. En septembre 2019, le Jda a continué sa progression en vous proposant de participer à un septième dossier « mis à la portée de tout le monde » qui fait en juin 2020 non seulement l’objet d’une publication partielle en ligne mais également d’une version « papier » imprimée. Le Jda poursuit ainsi le travail engagé par les fondateurs du premier Journal du droit administratif, créé par Adolphe Chauveau et Anselme-Polycarpe Batbie et demeure un Journal « mis à la portée de tout le monde ».

Histoire(s) toulousaine(s) & administrativiste(s). En 1853, c’est à l’Université de Toulouse (et non à Paris !) qu’à l’initiative des professeurs Chauveau et Batbie, on fonda le premier média juridique français spécialisé en matière de pratique et de droit administratifs : le Journal du Droit Administratif (Jda) dont le présent ouvrageest une forme de « continuité » sinon de résurgence.

Le Droit administratif à Toulouse ou Toulouse « par » le Droit administratif est donc sérieusement ancré dans notre histoire académique qu’incarne, bien après 1853 cela dit, le « Commandeur » de tous les publicistes de droits internes : le doyen de la Faculté de Droit de Toulouse, Maurice Hauriou.

Un lieu & du Droit. L’idée d’analyser un lieu ou un territoire (ici occitan) à travers les yeux et le prisme de juristes (en l’occurrence publicistes) se fera dans cet ouvrage en clins d’yeux successifs (et ce, pour garder toujours au moins un œil ouvert !) : d’abord, elle se fera – on l’a dit – dans la continuité des travaux (de 1853 puis de 2015) du Journal du Droit Administratif (désormais en ligne) dont les quatre membres du comité de rédaction ont lancé la présente initiative pour la première fois sur support également imprimé et ce, avec le concours de l’Université Toulouse 1 Capitole. Par ailleurs, l’ouvrage sort parallèlement à un second opus relatif à Orléans dans la jurisprudence des Cours suprêmes (dir. Charité & Duclos) au Tome XXVIII de la même collection « L’Unité du Droit » des Editions l’Epitoge (du Collectif L’Unité du Droit).

Trois parties entre Enseignement, Notions & Prétoires. Concrètement, le présent dossier est construit à partir de vingt-huit contributions réparties en trois temps : celui de l’enseignement du droit administratif à Toulouse (avant et après la figure solaire et charismatique du doyen Hauriou) (I) puis celui de plusieurs notions administrativistes appliquées et confrontées au territoire toulousain (intercommunalité, propriété, urbanisme, fonction publique, etc.) sans oublier l’importance tant quantitative que qualitative des droits européens intégrés et revendiqués (II). Enfin, ce sont les décisions et la jurisprudence que nos auteurs ont (ré)investies en mettant en avant de célèbres arrêts et jugements (allant de la dame veuve Barbaza à la société Giraudy en passant par la proclamation du Principe général du Droit à un salaire minimum) mais ce, sans oublier non seulement des affaires récentes (comme celles relatives à la privatisation de l’aéroport de Blagnac, à la tragédie d’Azf ainsi qu’au contentieux du boulevard périphérique nord) mais encore des décisions moins connues (III).

Toulouse est ainsi… aussi dans la… place contentieuse ! #Toulouserepresents

Particularismes toulousains : entre Puissance & Service publics. Cette place, cela dit, c’est aussi évidemment à Toulouse celle du Capitole dont l’ouvrage rappelle quelques particularités urbanistiques et même lyriques. Il faut dire que la « ville rose » ne se réduit pas – particulièrement en droit administratif – à un cassoulet ou à des saucisses accompagnées de violettes sur fond de briques avec pour commensaux des rugbymen qui disputeraient au Tfc une première place pour chanter du Nougaro et/ou du Big Flo & Oli ! En droit public, en effet, Toulouse c’est encore Météo-France, Airbus ou encore Toulouse Métropole mais c’est aussi, comme le souligne le professeur Delvolvé dans sa préface, un résumé du Droit administratif et de son histoire (là encore marquée du sceau d’Hauriou) entre puissance et service publics.

Actualités 2020 : entre Cour & Virus. Par ailleurs, à l’heure où nous publions ce livre, deux actualités ont également marqué les esprits à propos de Toulouse « par » le droit administratif. D’abord, c’est l’annonce par le Conseil d’Etat à l’automne 2019 de l’implantation, à Toulouse, de la future et neuvième Cour Administrative d’Appel ce qui va soulager la Cour bordelaise (mais faire grincer les dents des Montpelliérains) et compléter la présence, en premier ressort, du Tribunal Administratif. Par ailleurs, à la fin de l’hiver 2020, ce n’est pas Toulouse mais la planète entière qui a été terriblement impactée par la pandémie du Coronavirus ou Covid-19 qui a, elle-même, symptomatiquement sur-sollicité nos services hospitaliers. Nous n’oublions alors pas que c’est à Toulouse, en 1968, que la Commission Administrative des Hôpitaux de Toulouse créa le premier Service d’Aide Médicale Urgente (ou Samu) qui allait devenir national.

En vous souhaitant, malgré les confinements et avec l’accent (et en grignotant une véritable chocolatine), une bonne lecture toulousaine de notre Droit administratif.

Sous la direction de son comité de rédaction pour 2019-2020 : les docteurs Mathias Amilhat (UT1, IEJUC), Maxime Boul (UT1, IMH), Monsieur Adrien Pech (UT1, IRDEIC) & le Professeur Mathieu Touzeil-Divina (UT1, IMH), initiateur et directeur du JDA, ont ainsi lancé un appel à contribution(s) auquel les présents auteurs ont répondu favorablement :

Table des matières :

Lorsqu’une contribution apparaît en rouge / en lien c’est qu’il est possible (en cliquant dessus) d’en découvrir le texte ou des extraits !

Présentation

Par Mathieu Touzeil-Divina (dir.), Mathias Amilhat,
Maxime Boul & Adrien Pech

Toulouse, entre la puissance publique & le service public

Par Pierre Delvolvé

Toulouse & le Journal du Droit Administratif (Jda)

Par Mathieu Touzeil-Divina

Première Partie :
Toulouse par l’enseignement du droit administratif

Toulouse & le droit administratif enseigné I / III :
« le XV » avant Hauriou (1788-1888)

Par Mathieu Touzeil-Divina

Toulouse & le droit administratif enseigné II / III : Hauriou (1888-1929). De l’ambition contrariée au projet théorique

Par Julia Schmitz

Toulouse & le droit administratif enseigné III / III :
après Hauriou (après 1929)

Par Jean-Gabriel Sorbara

Deuxième Partie :
Toulouse par les notions du droit administratif

Toulouse & la fonction publique

Par Delphine Espagno-Abadie

Toulouse & l’Epci

Par Florence Crouzatier-Durand

Toulouse & la propriété publique

Par Maxime Boul

Toulouse & l’urbanisme

Par Céline Gueydan

Toulouse & les enseignes du Capitole

Par Hugo Ricci

Toulouse & l’Union européenne

Par Adrien Pech

Toulouse fait-elle la pluie et le beau temps ?

Par Adrien Pech

Troisième Partie :
Toulouse par le contentieux administratif

CE, 27 juin 1913, Etat c. ville de Toulouse

Par Clothilde Blanchon

CE, Sect., 25 avril 1958, Dame veuve Barbaza & alii

Par Mathieu Touzeil-Divina

CE, Sect., 13 juillet 1961, Ville de Toulouse c/ Tfc

Par Mathieu Touzeil-Divina

CE, 02 mai 1969, Société Affichage Giraudy

Par Maxime Boul

CE, Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse

Par Pierre Esplugas-Labatut

CE, Sect. 29 juillet 1983, Ville de Toulouse c. Tomps

Par Clemmy Friedrich

CE, Sect., 08 février 1991, Région Midi-Pyrénées

Par Quentin Alliez

CE, 10 avril 2002, Ministre des transports

Par Nadège Carme

TA de Toulouse, 02 juin 2008, M. R. c. Garde des Sceaux

Par Noémie Etchenagucia

CE, 11 mai 2009, Ville de Toulouse

Par Jean-Charles Jobart

TA de Toulouse, 09 mars 2011, Société Mc2i

Par Camille Cubaynes

CE, 17 décembre 2014, Ministre de l’écologie

Par Marine Fassi de Magalhaes

TA de Toulouse, 18 février 2016, Mme Nanette Glushak c. ville de Toulouse

Par Mathieu Touzeil-Divina

CE, 09 oct. 2019, Ministre de l’économie et des finances c. M. G. & alii

Par Mathias Amilhat

CE, 31 décembre 2019, Ministre de la cohésion des territoires

Par Clothilde Combes

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ;
Dossier VII, Toulouse par le Droit administratif ; Art. 260.

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ParJDA

L’accessibilité des / aux décisions de Justice

Art. 251.

Le Journal du Droit Administratif est heureux de soutenir un cycle de conférences proposé par l’Association des Doctorants et Docteurs de l’Institut Maurice Hauriou (ADDIMH) avec l’appui du professeur Touzeil-Divina (axe Transformation(s) du service public de l’Institut Maurice Hauriou). Ce cycle est relatif à l’accessibilité des / aux décisions de Justice. Vous en trouverez ci-dessous l’exposé dont il sera rendu compte ici même à chaque manifestation.


Première conférence : l’accessibilité des / aux décisions de la Justice administrative (18 novembre 2019 – 18h – salle Maurice Hauriou)

Participants :

– M. le rapporteur public Jean-Charles JOBART
(Tribunal administratif de Toulouse)

– Maître André THALAMAS
(Avocat au Barreau de Toulouse – T&L avocats)

– M. Dr. Dimitri LOHRER
(Maître de conférences à l’Université de Pau & des Pays de l’Adour)

sous la modération de Mme Anna Zachayus (doctorante IMH, ADDIMH)
& de M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina (IMH)

Deuxième conférence : l’accessibilité des / aux décisions de la Justice judiciaire (16 décembre 2019 – 18h – salle Maurice Hauriou)

Participants :

– M. le vice-président du TGI de Toulouse, Jean-Claude BARDOUT
(Tribunal de grande instance de Toulouse)

– Maître Jonathan BOMSTAIN
(Avocat au Barreau de Toulouse – Bomstain avocat)

– M. le professeur Marc NICOD
(Professeur de droit privé à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Directeur de l’Institut de droit privé)

sous la modération de Mme Anna Zachayus (doctorante IMH, ADDIMH)
& de M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina (IMH)

Troisième conférence : l’accessibilité des / aux décisions de la Justice constitutionnelle (et clôture du cycle) (20 janvier 2020 – 18h – salle Maurice Hauriou)

Participants :

– Monsieur Hugo RUGGIERI
(Responsable juridique & protection des données personnelles – Doctrine.fr)

– M. le professeur Pierre EGEA
(Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, IMH)

sous la modération de Mme Anna Zachayus (doctorante IMH, ADDIMH)
& de M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina (IMH)

Échanger sur l’accessibilité des décisions de justice implique d’admettre préalablement un accès effectif au juge. En effet, la décision existe uniquement dans l’hypothèse où le justiciable a eu accès à un juge qui a rendu une décision. Les questionnements relatifs aux conditions d’accès au juge ne sont pas l’objet des conférences. Nous nous plaçons chronologiquement après que cet accès ait été effectif : la décision est rendue, est-elle accessible ? Le Conseil constitutionnel a dégagé un objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Concernant les actes infra-législatifs, l’article 2 de la loi relative aux droits des citoyens dans leur relation avec l’administration prévoit que « les autorités administratives sont tenues d’organiser un accès simple aux règles de droit qu’elles édictent. La mise à disposition et la diffusion des textes juridiques constituent une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il appartient aux autorités administratives de veiller. » Lors de cette série de conférences, c’est la question de l’accessibilité de la jurisprudence qui est posée. Il semblerait logique – compte tenu de leur objectif premier de règlement des litiges – que les décisions de justice soient a minima accessibles et intelligibles pour les parties. Les articles L. 9 et L. 10 du code de justice administrative prévoient respectivement que « les jugements sont motivés » et que « les jugements sont publics. (…) Sous réserve des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique. »

Il convient alors d’établir plusieurs distinctions afin de guider et d’éclaircir le débat.

La première distinction est celle entre l’accessibilité et l’intelligibilité. L’accessibilité entendue strictement renvoie uniquement à la possibilité d’accéder matériellement à une décision. En retenant cette définition, une décision pourra être accessible mais inintelligible. Autrement dit, un justiciable peut avoir la possibilité de prendre connaissance d’une décision mais ne pas en comprendre le sens. Cependant, l’inverse n’est pas possible puisque « pour qu’une décision de justice soit intelligible, il faut qu’elle lui soit accessible » . Si l’on retient une définition plus large de l’accessibilité, nous pouvons envisager que sera considérée comme accessible une décision qui sera matériellement disponible mais aussi comprise. Dans ce cas l’intelligibilité devient un élément de l’accessibilité.

La deuxième distinction à établir est celle entre l’accès et la diffusion. L’accès suppose une démarche auprès d’un service et la diffusion conduit à une mise à disposition des décisions au public . « L’accès est qualitatif, là où la diffusion est quantitative. »

La troisième distinction qui nous permettra d’établir les deux axes proposés pour les conférences est la distinction entre l’accessibilité des décisions de justice et l’accessibilité aux décisions de justice.

L’« accessibilité des » paraît renvoyer à un « mouvement » des décisions vers le public. Dans ce mouvement, les décisions s’adressent évidemment en premier lieu aux parties au litige. Dans ce cas, il semblerait que l’accessibilité des décisions rejoigne l’intelligibilité de ces décisions.
Dans l’« accessibilité aux », le mouvement semble inverse : des personnes intéressées (professionnels, étudiants, journalistes, administrations, etc.) ont la possibilité d’accéder matériellement aux décisions. Cela nous permet d’intégrer la question de l’accès mais aussi celle de la diffusion des décisions de justice.

Accessibilité des décisions de justice (accessible car intelligible)

Si la condition d’intelligibilité des décisions semble être primordiale pour des raisons plus étendues que l’on pourrait imaginer (à la fois pour des questions de bonne administration de la justice, de bonne compréhension de la justice par les justiciables mais aussi par les journalistes, de sécurité juridique mais aussi de rayonnement international, en particulier pour le contentieux fiscal ), les initiatives quasi-simultanées des deux cours de cassation pour la modification des rédactions des décisions rappellent que ces décisions ne sont pas toujours aussi lisibles que ce qu’elles devraient. Avant d’arrêter et de publier des lignes directrices pour l’amélioration de la rédaction des décisions de justice, les cours ont mené des expérimentations.

Avez-vous, en tant que professionnel, participé à ces expérimentations ?
Quels sont, pour vous, les enseignements tirés de ces expérimentations ?

Plusieurs aspects peuvent ici être amenés au débat :

Le vocabulaire utilisé

Le CE dans son vade-mecum et la Cour de Cassation dans sa note présentent les expressions à abandonner ainsi que celles à maintenir. Plusieurs questionnements :

En vertu de l’accessibilité du service public de la justice, les décisions de justice ne devraient-elles pas être comprises de tous ?
L’abandon d’un vocabulaire spécifiquement juridique conduit-il à une dénaturation ou une imprécision de la matière ?
Le maintien d’un vocabulaire difficilement audible ne participe-t-il pas à l’élévation de la justice et donc à son autorité ou au contraire n’entretient-il pas une déconnexion entre la Justice et le justiciable ?

La structure des décisions

Le Conseil d’État, dans son vade-mecum, pose une structure de décision applicable à l’ensemble de la juridiction administrative. La Cour de Cassation pour sa part, dans sa note, pose une structure de décision applicables uniquement à elle.

L’uniformité des décisions dans leur structure est-elle une condition d’une meilleure intelligibilité ?
Quid d’une uniformisation
entre les deux ordres de juridictions ?

Le laconisme des décisions

Le Code de justice administrative et le Code de procédure civile exigent une motivation des décisions mais bien souvent, dans la jurisprudence, nous pouvons lire « le moyen est inopérant » sans autre forme de procès. Des évolutions sont proposées autant dans le vade-mecum du Conseil d’État que dans la note de la Cour de Cassation.

Les évolutions en la matière traduisent-elles une influence de la Cour européenne des droits de l’Homme ?
Concernant le juge administratif plus particulièrement, cela s’inscrit-il dans le mouvement plus général de prise en compte du justiciable traditionnellement illustré dans la « subjectivisation du recours pour excès de pouvoir » ?

Les deux documents pour le changement de la rédaction des décisions de justice dans les deux ordres de juridictions ont été publiés il y a bientôt un an :

Que pensez-vous des changements pris en application de ces documents ?
Les décisions sont-elles mieux rédigées ou du moins plus accessibles ?

Accessibilité aux décisions de justice (accessible car disponible)

Stricto sensu, l’accessibilité est la possibilité d’avoir accès. Traiter de l’accessibilité aux décisions de justice renvoie donc à la possibilité matérielle d’accéder aux décisions. Nous pouvons reprendre ici la subdivision entre l’accès et la diffusion qui peuvent être les deux modes d’accès. Une personne pourra demander à connaître une décision (accès) ou accéder directement via les différentes plateformes sur lesquelles sont mises à disposition les décisions (diffusion / Opendata).

Faut-il diffuser
les décisions ou simplement en garantir l’accès ?
Faut-il garantir une accessibilité à toutes les décisions de justice ?

L’accès aux décisions de justice par les tiers à l’instance

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 crée un article L. 10-1 du code de justice administrative qui prévoit que « les tiers peuvent se faire délivrer copie des jugements, sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique. Les éléments permettant d’identifier les personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage. »

Que pourrait-être une décision « abusive » ?

En procédure civile, l’article 11-3 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l’exécution et relative à la réforme de la procédure civile prévoit que « les tiers sont en droit de se faire délivrer copie des jugements prononcés publiquement ». Cependant, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a étendu les matières où les jugements ne sont pas publics au-delà des deux matières gracieuse et relatives à la capacité des personnes. Désormais, ne sont pas publics, en plus de ces deux matières, les débats sur les matières relatives au droit des affaires et celles intéressant la vie privée des personnes.
Une des différences également entre les deux ordres est le fait que lors d’une demande d’accès à une décision, le greffe d’un tribunal judiciaire transmettra la décision non anonymisée alors que devant la juridiction administrative est prévue une possibilité d’anonymisation . En tout état de cause, la diffusion se fait après procédure de pseudonymisation.

Cette extension des limites
est-elle un obstacle à l’accessibilité ?
Quid de l’anonymisation alors que lors de l’apprentissage du droit et en particulier du droit administratif, les étudiants doivent apprendre les arrêts avec le nom des requérants.

La diffusion des décisions de justice

La diffusion devrait notamment permettre d’éviter les demandes abusives aux greffes de transmission des décisions comme cela avait été le cas pour le site Doctrine.fr. Que ce soit dans l’ordre administratif ou dans l’ordre judiciaire , il est désormais prévu que « sans préjudice des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les jugements [/les décisions rendues par les juridictions judiciaires] sont mises à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées. »

Afin de garantir la vie privée, une procédure d’anonymisation est prévue avant la diffusion.

Quid de l’articulation entre les deux modes d’accès aux décisions dont l’un prévoit la pseudonymisation
et l’autre non ?
Toutes les décisions doivent-elles être diffusées ? Par qui ?

Perspectives d’ouverture

Si la diffusion en « open data » est désormais ouverte, quid des legaltechs et de la justice prédictive ? La loi de 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit une facilitation de l’accès au droit : « la dématérialisation progressive des procédures de justice, la possibilité de saisir en ligne la justice, le développement de l’offre en ligne de résolution amiable des différends, l’open data ». Concrètement, la loi dite « Justice » encadre les modes alternatifs de règlement des conflits en ligne et généralise la dématérialisation des procédures et en particulier la procédure civile (par exemple, dépôt de plaintes en ligne).

Quels impacts les algorithmes pourraient-ils avoir sur la rédaction des décisions de justice ?
L’accès à un service en ligne de justice permet-il un meilleur accès à la justice ? Et au juge ?

Éléments bibliographiques

  • Béry C., « Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects numériques », Recueil Dalloz, 2019, p. 1069.
  • Conseil d’État, « Vade-mecum sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative », 10 décembre 2018.
  • Cour de Cassation, Commission de mise en œuvre de la réforme de la Cour de Cassation, « Note relative à la structure des arrêts et avis et à leur motivation en forme développée », décembre 2018.
  • Cour de Cassation, « Le rôle normatif de la Cour de Cassation », Étude annuelle, 2018.
  • Donier V., Lapérou-Scheneider B., « L’accès au juge », Bruylant, 2013.
  • Garapon A., Lassègue J., « Justice digitale », PUF, 2018.
  • Jourdan-Marques J., « Délivrance des décisions de justice et vie privée : quand « ceinture et bretelles » rime avec danger », Dalloz actualité, 30 mars 2018.
  • Malhière F., « Comment rédiger une décision de justice au XXIème siècle ? », Dalloz, Coll. « Thèmes et Commentaires », mai 2018.
  • Mission d’étude et de préfiguration sur l’ouverture au public des décisions de justice, « L’Open data des décisions de justice », Rapport à Madame la garde des Sceaux, ministre de la justice, novembre 2017.
  • Péano D., « Qualité et accessibilité des décisions des juridictions administratives », AJDA, 2011, p. 612.
  • Thierry J.-B., « Réforme de la justice – La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, loi de réforme pour la justice numérique ? », JCP G, n° 19, 13 mai 2019.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Séminaire accessibilité ; Art. 251.

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ParJDA

Evolution des unes & des logotypes !

Art. 262.

Nous avons trouvé amusant de vous proposer ici quelques images plus encore que des textes relatant l’évolution des « unes » du Journal du Droit Administratif ainsi que du logotype de notre revue.

En 1853, c’est ainsi que se présentait le premier JDA
de MM. Chauveau & Batbie.
De 1853 à 1900, la première de couverture de chaque Journal a toujours été imprimée sur du papier bleuté dans un format 16/24 cm.
Autour de la Première Guerre mondiale, le format du Journal évolue pour tenir sur une pleine page type A4 à l’instar des revues juridiques modernes. En revanche la première de couverture est toujours bleutée et le nom des fondateurs encore présent.
En octobre 2015, grâce à M. Arnaud Duranthon, le JDA se dote d’un premier logotype pour son renouveau.
Dès 2016, pour marquer – comme sur un papier parchemin – le rappel de ses origines et du « premier » JDA de 1853, le logotype change de « fond ».
En 2019, enfin, le logotype du JDA se transforme mais ce, à partir du premier jet de 2015. Il garde la fluidité des trois lettres « JDA » mais s’installe sur la longueur. Par ailleurs, le logo adopte les couleurs « rouge & noir » du Droit mais aussi de Toulouse ! Autre clin d’oeil au premier JDA, le logo consacre un rappel de sa fondation originelle en 1853. Volontairement, certaines lettres ne sont pas achevées afin de montrer un média en évolution constante et tourné vers l’avenir.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 262.

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Transformations des fonctions publiques (séminaires)

Art. 252.

A l’heure où vient d’être adoptée la nouvelle Loi de « transformation de la fonction publique » (Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique), le Journal du Droit Administratif est heureux de soutenir la présente initiative toulousaine des Centre de Droit des Affaires (CDA) & Institut Maurice Hauriou (IMH) de l’Université Toulouse 1 Capitole avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit.

Le Centre de Droit des Affaires et l’Institut Maurice Hauriou proposent, sous la coordination des professeurs Isabelle Desbarats, Pierre Esplugas-Labatut et Mathieu Touzeil-Divina, de septembre 2019 à janvier 2020, un cycle inédit, sous forme de regards croisés entre spécialistes de droit du travail et droit des fonctions publiques, de cinq conférences mensuelles autour du thème : « Les transformations de la fonction publique : tous travailleurs ? ».

Toutes les conférences ont lieu
le mardi de 17h à 19h en salle Gabriel Marty
– site de l’Arsenal – Faculté de Droit
de l’Université Toulouse 1 Capitole

Ce cycle s’appuie sur l’importante loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de « transformation de la fonction publique ». L’objectif est d’évaluer si cette loi est véritablement appelée à transformer le statut des agents publics notamment par le mouvement dit de « travaillisation » du droit des fonctions publiques que ce texte porte.

Chacune de ces conférences s’articule autour d’un dialogue entre un chercheur de droit public et un chercheur de droit privé sur une thématique inclue dans la loi de transformation de la fonction publique. Ce dialogue se déroulera en présence d’un grand « témoin-praticien » (avocat, magistrat, responsable Ressources Humaines…). Le public visé est tout autant celui d’universitaires (chercheurs et étudiants) que celui de praticiens concernés (responsables RH de toutes les personnes publiques, représentants du personnel, magistrats avocats…).

Les actes de ces conférences sont appelés à être progressivement publiés en ligne sur les sites du Centre de droit des affaires et de l’Institut Maurice Hauriou (Université Toulouse 1 Capitole : http://www.ut-capitole.fr/)ainsi que sur ceux du Collectif L’Unité du droit (http://unitedudroit.org/) et du Journal du Droit administratif (www.journal-du-droit-administratif.fr)avec des comptes rendus de chaque événement. En fin de cycle, une publication est prévue dans la Revue Droit social.

Cette manifestation est organisée avec le soutien de la Faculté de droit de Toulouse, l’Institut fédératif de recherche de l’Université Toulouse 1 Capitole et le Collectif L’Unité du Droit.

Cette manifestation est organisée avec le soutien de la Faculté de droit de Toulouse, l’Institut fédératif de recherche de l’Université Toulouse 1 Capitole et le Collectif l’Unité du Droit.

La participation & l’inscription y sont gratuites
& l’on vous y attend nombreux.

Après chaque conférence du cycle, le CLUD en publiera en ligne un compte-rendu et des échos. L’ensemble des interventions fera (en mars 2020) par ailleurs l’objet d’une publication (dans la Revue Droit social).

Première conférence : 24 septembre 2019
Evolution ou révolution du droit des fonctions publiques ?

La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de « transformation de la fonction publique » transforme-t-elle véritablement le droit des fonctions publiques ?

Trop d’intitulés de lois dites de « modernisation » ou de « rénovation » de la fonction publique n’ont été qu’en trompe-l’œil. Ces lois n’ont été, en fait bien, souvent que des textes fourre-tout manquant d’unité et ne faisant qu’ajuster le droit en vigueur. La présente loi de transformation de la fonction publique échappe-t-elle à la règle ?

L’importation des principes en vigueur en droit du travail semble être le dogme de cette loi. Cela se vérifie aussi bien à propos du recours aux agents publics contractuels (conférence n° 2, 22 octobre 2019), la gestion des emplois des fonctionnaires (conférence n° 3, 26 novembre 2019), du dialogue social (conférence n° 4, 17 décembre 2019) ou de l’éthique des agents publics (conférence n° 5, 21 janvier 2020).

La « transformation » voulue par la loi éponyme est-elle le produit d’une évolution déjà entamée depuis longtemps ou change-t-elle radicalement et brusquement la vision traditionnelle de la fonction publique française ?  

Pour en débattre, trois spécialistes de Droit du travail et de droit des fonctions publiques (Professeurs Isabelle Desbarats, Pierre Esplugas-Labatut, Mathieu Touzeil-Divina) croiseront leurs analyses, lors d’un débat ouvert à tous.

Un compte-rendu de M. Mathias Amilhat pour le Journal du Droit Administratif de la présente conférence du 24 septembre 2019 se trouve en ligne ICI.

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

Deuxième conférence : 22 octobre 2019
Aujourd’hui fonctionnaires, demain tous contractuels ?

Un compte-rendu de M. Adrien Pech pour le Journal du Droit Administratif de la présente conférence du 22 octobre 2019 se trouve en ligne ICI.

Si l’ambition gouvernementale de supprimer 50 000 postes de fonctionnaires a été revue à la baisse, la loi n° 2019-828 du 6 aout 2019, dite de « transformation de le fonction publique » a pour objectif, non seulement de favoriser la mobilité des agents publics vers le secteur privé, mais aussi d’élargir les cas de recours au contrat, ce qui devrait réduire, à terme, le nombre de fonctionnaires.

De quelles façons les modalités de recrutement des agents publics sont-elles assouplies et le sont-elles semblablement dans les trois versants de la fonction publique ? 

Une rupture avec les dispositifs préexistants est-elle opérée ou bien les nouvelles dispositions ne font-elles, au fond, qu’amplifier un mouvement déjà bien entamé ?  Autrement dit, le verrou statutaire de l’article 3 de la loi n°83-634 statutaire (modifiée) du 13 juillet 1983 a-t-il été contré ou ne sommes-nous que sur une pente accentuée (mais non révolutionnée) du recours au contrat ?

Par ailleurs, la « contractualisation » opérée n’est-elle perceptible que par le biais de l’emploi contractuel (de droit public mais aussi de droit privé) ou n’est-ce pas la méthode contractuelle elle-même qui a fait sa révolution dans et par l’emploi public ?

Qu’en est-il alors de la situation sinon du « statut » de ces agents contractuels dont le nombre va aller croissant dans les collectivités publiques ? Quelle y est – en particulier – la place qui sera faite aux CDI de droit public face aux fonctionnaires, véritablement statutaires ?

Alors que l’on s’interroge sur l’éclosion d’une « fonction publique contractuelle », deux spécialistes de droit du travail (Morgan Sweeney, Maître de conférences, Université Paris-Dauphine) et de droit de la fonction publique (Emmanuel Aubin, Professeur, Université de Poitiers), débattront de l’ampleur de ce phénomène, en présence d’un grand « témoin-praticien » (Amaury Vauterin, magistrat au Tribunal administratif de Nantes) et de Mathieu Touzeil-Divina (Professeur, Université Toulouse-I Capitole).

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

Troisième conférence : 26 novembre 2019
La gestion des emplois des fonctionnaires

Un compte-rendu pour le Journal du Droit Administratif de la présente conférence du 26 novembre 2019 se trouve en ligne ICI.

C’est dans le but de renforcer l’efficacité de l’action publique que la loi n°2019-828 du 6 août 2019, dite de « transformation de la fonction publique », a doté les administrations de nouveaux leviers managériaux.

En effet, outre de nouvelles marges de manœuvres octroyées aux encadrants dans le recrutement de leurs collaborateurs via un assouplissement des cas de recours au contrat, d’autres outils pourront être désormais activés, ce qui devrait profondément transformer le cadre de gestion des Ressources Humaines.

En ce sens, que penser de la simplification des procédures de mouvement de mutation des fonctionnaires ?

Quels sont les effets attendus de la réforme des outils de reconnaissance de la performance professionnelle et de la généralisation de l’entretien professionnel comme modalité d’évaluation individuelle des agents publics ?

Qu’attendre des dispositifs instaurés pour favoriser la mobilité et accompagner les transitions professionnelles des agents publics, et dont certains sont clairement inspirés du droit du travail (portabilité des droits, rupture conventionnelle…) ?

Telles sont quelques-unes des interrogations qui seront évoquées lors des débats organisés entre une spécialiste de droit du travail (Florence Debord, Maître de conférences-HDR, Université Lyon II) et un spécialiste de droit de la fonction publique (Fabrice Melleray, Professeur IEP Paris), en présence d’un grand « témoin-praticien » (Cécile Chicoye, DGS, Université Toulouse-Capitole), et d’Isabelle Desbarats.

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

Quatrième conférence : 17 décembre 2019
Du monologue au dialogue social ?

NB : en raison – précisément – des mouvements sociaux,
la présente conférence a été reportée.

« Promouvoir un dialogue social plus stratégique et efficace, dans le respect des garanties des droits des agents » : tel est l’un des objectifs poursuivis par la loi du 6 aout 2019 dite de « transformation de la fonction publique » qui, pour ce faire, modifie profondément l’architecture, les attributions et le fonctionnement des instances de concertation. Il s’agit également, selon le rapport de la Commission des lois, de « déconcentrer les décisions individuelles au plus près du terrain » et de « responsabiliser les managers publics en développant les leviers qui leur permettront d’être de vrais chefs d’équipe » dans le respect des garanties individuelles des agents publics.

Dans ce contexte, quels sont les effets attendus et/ou redoutés de ce remodelage du dialogue social, se traduisant par la création de comités sociaux, pendants, dans le public, des comités sociaux et économiques institués par les « ordonnances Travail » dans le privé ?

Quelles seront, à l’avenir, les nouvelles prérogatives des commissions administratives paritaires dont la réforme a été jugée respectueuse du principe de participation des travailleurs par le Conseil Constitutionnel?

Demain, assistera-t-on, dans les fonctions publiques, à un développement de la négociation collective calqué sur celui opéré dans le secteur privé ?

Telles sont quelques-unes des questions qui seront débattues dans une approche croisée par deux spécialistes de droit du travail (Carole Giraudet, Ingénieur de recherche, Université de Université Lyon II) et de droit de la fonction publique (Didier Jean-Pierre, Professeur, Université Aix-Marseille), en présence d’un grand « témoin-praticien » (Eric Manoncourt, Directeur Général Ressources Humaines, Ville de Toulouse et Toulouse Métropole), et d’Isabelle Desbarats.

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

  • Mme Carole Giraudet
  • Pr. Didier Jean-Pierre
  • M. Eric Manoncourt

Cinquième conférence : 21 janvier 2020
Fonctionnaires, salariés, une même éthique ?

Un compte-rendu de M. Mathias Amilhat pour le Journal du Droit Administratif de la présente conférence du 21 janvier 2020 se trouve en ligne ICI.

La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de « transformation de la fonction publique » comporte un important volet destiné à renforcer la déontologie des agents publics.

Il est vrai que les agents publics ont toujours été perçus, selon l’expression d’Hauriou, comme des « citoyens spéciaux » destinés à avoir un comportement irréprochable.

En ce sens, la question se pose aujourd’hui de savoir si les obligations déontologiques assignées aux agents publics par cette loi sont suffisantes, efficaces et adaptées.

Au rebours, on peut se demander si le statut d’agent public implique une éthique qui soit fondamentalement différente de celle des salariés du secteur privé.

Ces interrogations seront au cœur des débats qui vont se nouer, sous la houlette du professeur Pierre Esplugas-labatut, entre un universitaire, spécialiste de droit public (Professeur Anthony Tallefait) et un avocat spécialisé en droit social (Maître Laurent Nougarolis).

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Séminaire Fonction publique ; Art. 252.

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« Petite révolution » en matière d’anormalité du dommage médical, Commentaire sous CE 4 fév. 2019, 413247

par Arnaud LAMI
Maître de conférences HDR, Université d’Aix-Marseille

Art. 250.

Le droit regorge de catégories, concepts et notions qui, pour être appliqués concrètement, nécessitent d’être précisés, ajustés en fonction de la diversité des situations rencontrées. Le droit de la santé non seulement, en sa qualité de branche du droit, partage naturellement cette particularité mais encore on a le sentiment qu’il est très friand de ces « incarnations » conceptuelles ou catégorielles au sein de l’univers singulier qui est le sien.  L’anormalité, à n’en pas douter, fait partie de ces passages difficiles de l’abstrait à la concrétude. La notion d’anormalité, originellement développée par les juridictions administratives pour identifier des situations exceptionnelles dans l’ensemble de la matière administrative1, a fait l’objet d’une approche spécifique dans le domaine de la responsabilité médicale2.

On eut pu croire qu’en raison de l’antériorité de l’utilisation de cette notion, dans le domaine santé, les contours de l’anormalité aient, au gré du temps, été définis avec précision. Mais une telle croyance ne pouvait pas résister à la complexité et à la vastitude de la matière médicale ainsi qu’à son incessante – et depuis un demi-siècle – foudroyante évolution. Servant autant à qualifier les pathologies3, qu’à définir les conséquences du traitement de celles-ci4, le concept d’anormalité a également, très tôt, été lié à la problématique de la responsabilité médicale. Reprenant les grandes théories dégagées par le droit commun5, les dommages médicaux anormaux, ou les dommages imputables à des malades ayant des comportements anormaux ont fait l’objet d’une analyse et de réponses juridiques particulières. Il y a donc eu, au fil des jurisprudences et des interventions législatives, « une extension de l’anormalité ou plutôt de l’idée que l’on se fait de l’anormalité médicale »6. Parce que la médecine est encore une science qui comporte en même temps exercice d’un « art », le traitement juridique des dommages subis par les patients, que ces dommages résultent d’acte de prévention, de diagnostic ou de soins, est lui aussi empreint de ces considérations d’évidence qui avaient conduit, il y a plus de 80 ans, à la célèbre distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat[a].

La progression spectaculaire du recours à la notion d’anormalité, en matière de responsabilité a, entre autres, été consacrée par le législateur au sein de l’article L.1142-1 II du Code de la santé publique. Néanmoins, malgré le recours massif à la formule « conséquences anormales », telle qu’évoquée dans ce texte, celle-ci laisse subsister bien d’incertitudes et d’imprécisions ainsi que de nombreux doutes. Par là se révèle à quel point l’usage de l’anormalité est aléatoire et incertain toutes les fois qu’il y a lieu d’en faire une application précise dans un cas déterminé. Qu’est-ce que l’anormalité ? Existe-t-elle en soi ou  bien par rapport à un ou plusieurs autres termes de comparaison ? Qu’en est-il de la pertinence du choix de ces derniers ? Existe-t-il, peut-il exister des valeurs absolues en dessous desquelles toute anormalité est exclue et d’autres au-dessus desquelles l’anormalité serait irréfragablement établie ?  Une décision récente du Conseil d’État[b], en ce qu’elle apporte une précision utile sur la question, mérite qu’une attention particulière lui soit portée.

En l’espèce, le requérant, qui a subi le 28 janvier 2011 au CHU de Caen une opération de remplacement du défibrillateur cardiaque, a été victime après le retour à son domicile d’un accident vasculaire cérébral. Le triste sort réservé au patient devait s’accompagner de nombreuses séquelles qui ont entraîné un déficit fonctionnel évalué, par les experts, à 90%. En raison de l’importance des dommages et de la gravité consécutive de leurs effets, le requérant, s’estimant victime d’une mauvaise prise en charge par l’établissement, adresse au CHU de Caen, selon une procédure classique en la matière, une demande préalable d’indemnisation. Après s’être vu opposé un refus de la part de l’établissement, qui estime ne pas être à l’origine du dommage et ne pas avoir commis de faute, le patient décide tout naturellement d’obtenir réparation de ses préjudices devant les juridictions administratives. Reprenant la logique de l’article L. 1142-1 du CSP, il demande à titre principal la condamnation du CHU et, à titre subsidiaire, l’indemnisation de son préjudice au titre des mécanismes indemnitaires de la solidarité nationale. Loin de connaitre un épilogue simple et clair, l’affaire a donné lieu à de longs débats juridictionnels autant qu’à des prises de position diamétralement opposées.

En première instance, le tribunal administratif de Caen, à la vue du rapport d’expertise,  condamne, l’établissement à indemniser le requérant. La juridiction considère que le dommage résulte d’une faute du CHU et qu’en conséquence il lui incombe d’indemniser la victime. La Cour administrative d’appel de Nantes, saisie par M. X.et par la Caisse primaire d’assurance maladie de la Manche ainsi que, par la voie de l’appel incident, par le CHU de Caen, a, se fondant sur une nouvelle expertise, opté pour une solution différente. En effet, elle a annulé ce jugement, rejeté les demandes de M. X. et de la CPAM de la Manche et mis l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) hors de cause. 

D’une part, elle estime que l’établissement n’ayant pas commis de faute, doit donc être rejetée toute demande indemnitaire reposant sur ce fondement. D’autre part, elle estime également que les conditions nécessaires à la mise en jeu de la solidarité nationale ne sont pas satisfaites. Ce dernier choix est, en l’espèce, justifié par l’absence de conséquence anormale du dommage alors que c’est là une condition sine qua non pour qu’il puisse être recouru au mécanisme indemnitaire au titre de la solidarité nationale. Pour la juridiction d’appel, le fait que la probabilité que le dommage survienne dont a été victime le demandeur soit de l’ordre de 3% n’est pas suffisant pour qualifier le dommage d’anormal.

C’est donc dans ce contexte que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Manche décidait de saisir le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation. La Haute juridiction devait donc non seulement se prononcer sur l’existence d’une faute et, le cas échéant, sur le seuil permettant de retenir qu’un dommage peut être ou ne peut pas être qualifié d’anormal. Si en l’espèce elle retient l’absence de faute, elle se détache en revanche de la solution émise par la Cour administrative d’appel, estimant que le seuil de 3% suffit à qualifier un dommage d’anormal.

La question de l’existence ou de l’absence de faute est, dans tout contentieux indemnitaire fondé sur la preuve qu’une faute est à l’origine d’un dommage, fondamentale en ce qu’il permet de décider d’une possible indemnisation et du mécanisme indemnitaire applicable. Toutefois, lorsque cette étape est dépassée et que l’absence de faute a été retenue, le juge est amené à appliquer la notion d’anormalité (I.) du dommage qui vient pallier l’absence de faute et donc de responsabilité. C’est précisément pour cette raison que les contours et la quantification de l’anormalité du dommage médical présentent, dans de nombreux contentieux, un enjeu essentiel pour les victimes (II.).

L’identification de l’anormalité du dommage médical

Juger de l’anormalité d’un dommage médical peut vite devenir une gageure tant cette notion, et l’interprétation qui en est faite, sont fluctuantes. Certes, la démarche permettant de consacrer l’existence du caractère anormal d’un dommage médical est, a priori, limpide, d’autant que le législateur a créé un canevas relativement efficace. En ce sens, c’est bien en l’absence de faute que l’anormalité du dommage doit être recherchée (A.). Ceci étant, la démarche et le cheminement qui en découlent ne doivent pas occulter la difficulté d’identification de l’anormalité. Il faut reconnaitre que derrière cette notion reprise par le droit, se cachent des considérations morales, éthiques7, qui en rendent son identification d’autant plus complexe (B.).

A. La recherche de la faute médicale préalable à l’analyse de l’anormalité du dommage

L’activité médicale offre à voir des espèces qui, sur le plan du contentieux et de la responsabilité, n’ont pas de pendants dans d’autres domaines du droit. Par nature à risque, l’acte médical est susceptible de créer des cas qui d’un point de vue juridique et humain peuvent rapidement devenir inextricables.

Un rapide regard sur la jurisprudence, de ces dernières années, suffit à démontrer la part grandissante que prend la problématique de l’anormalité du dommage8. Originellement marginale et rarement mise en avant par les parties, l’anormalité constitue aujourd’hui un moyen régulièrement invoqué dans le contentieux indemnitaire. Dans un système où la recherche de l’indemnisation est essentielle, les requérants et leurs conseils tentent d’établir l’existence d’une faute et, à défaut de l’existence de celle-ci la mise en jeu de la solidarité nationale9.

Reprenant l’esprit de l’article L. 1142-1 du CSP, le Conseil d’État rappelle, en l’espèce, qu’ « il résulte de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1, et II, du code de la santé publique que lorsqu’une faute a été commise lors de la réalisation de l’acte médical qui est à l’origine du dommage, cette faute est exclusive d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale ».

De là résulte que l’absence de faute est tout à la fois le fondement et la conséquence qui permet d’imputer le dommage à un aléa thérapeutique. La faute est apparue, en l’espèce, comme le premier point de tension des débats que ce soit entre les parties ou entre les juridictions administratives dont l’appréciation a fortement divergé.

Se fondant sur la logique de l’article L. 1142-1 du CSP, le requérant demandait, à titre principal, la condamnation du CHU et, à titre subsidiaire, -si cette dernière n’était pas prononcée- l’indemnisation de son préjudice au titre des mécanismes indemnitaires de la solidarité nationale. Les juridictions devaient donc se prononcer sur l’existence d’une ou plusieurs faute(s) résultant de trois situations différenciables.

La première interrogation à laquelle devaient répondre les juges et les experts était de savoir si le choix de pratiquer l’opération sous anesthésie locale, au lieu d’une anesthésie générale était fautif. L’enjeu de cette demande est d’importance, car si le médecin dispose d’une liberté de choix quant à l’exercice de son art, il doit toutefois agir en considérant les pratiques communément admises pour chaque type d’opération. Autrement dit, les juridictions considèrent que la liberté de prescription -principe déontologique fondamental (CSS, art. L. 162-2) -, doit être cohérente avec le diagnostic et ne doit pas faire peser, sur le patient, des risques disproportionnés au regard des bénéfices escomptés10.

La demande du requérant et la position des experts n’ont donc, en l’espèce, rien de fortuites ; on serait même tenté d’écrire qu’elles constituent l’essence même de l’analyse du respect des bonnes pratiques médicales. S’appuyant sur le rapport d’expertise qu’elle avait sollicitée, la Cour d’appel, suivie sur ce point par le Conseil d’État, retient que l’« anesthésie locale était le plus couramment pratiquée et le moins risqué pour le patient », ce qui implique « la conformité de l’absence d’anesthésie générale aux bonnes pratiques ». La réflexion eût pu en rester là si le requérant n’avait pas estimé, sur ce fondement, que le choix effectué par le praticien aurait dû, en raison des conséquences potentielles qu’il pouvait avoir, être porté à sa connaissance. À défaut d’être sollicité et informé des conséquences du choix médical, le patient estimait que l’obligation d’information n’était pas satisfaite. Contrairement à la position du tribunal administratif, le Conseil d’État ne retient pas l’argument qui eut aurait pu permettre de caractériser plus facilement la faute. Admettre cette position n’aurait pas été surprenant au regard de la jurisprudence classiquement établie. Le Conseil d’État a reconnu par le passé « que lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; …, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation »11. Il est probable, qu’en l’absence de régime de responsabilité sans faute, une telle décision, dans un souci d’indemnisation des victimes, aurait eu du sens ; mais en l’espèce, elle est purement et simplement exclue.

La deuxième interrogation concernait le caractère fautif de l’interruption du traitement du patient par anticoagulants, quatre jours avant l’intervention, sans que n’ait été administré un traitement de substitution. Là encore, le choix opéré par le médecin devait être passé au crible dans la mesure où l’absence de tout traitement anticoagulant provoque, chez certains patients, des thromboses à l’origine des AVC. Le problème qui se pose, en l’espèce, n’est pas de savoir si l’absence de traitement est à l’origine du dommage- ce qui pour les experts ne suscitait que peu de doutes- mais bien si cette absence de traitement est fautive. La différence de perspective est essentielle car, tout simplement, en l’absence de faute- et même en présence de dommage- le régime de responsabilité sans faute pourra seul être retenu.

À l’image de ce qui se pratique couramment dans ce genre de situation, les juges s’en sont remis aux connaissances techniques faisant foi en ce domaine. En l’espèce, c’est une recommandation d’avril 2008 de la Haute autorité de santé (HAS) qui a permis d’apporter une réponse. Il ressort de ce document classé niveau C (c’est-à-dire ayant une faible portée scientifique) que l’autorité publique indépendante n’a émis aucune prescription impérative, préférant laisser au praticien le soin de déterminer le meilleur choix pour le patient. Le Conseil d’État estime, selon une jurisprudence bien établie, qu’en l’absence d’obligation imposée au corps médical, celui-ci ne commet pas de faute en décidant d’arrêter ou de poursuivre le traitement. Le fait que la HAS soit revenue sur sa position en 2014 -pour adopter la solution inverse- n’entraine aucune conséquence12. Fidèle à la notion de donnés acquises de la science, le Conseil d’État s’est logiquement fondé sur l’état des connaissances et recommandations médicales applicables au moment de l’acte de soin, ne faisant pas cas des évolutions ultérieures. Ce qui est logique : le médecin ne peut se voir reprocher l’ignorance ou le non-respect de ce qui n’était pas alors une « donnée acquise de la science » selon la formule célèbre de l’arrêt Mercier précité.

Le second argument étant écarté, – et c’était là la troisième interrogation posée aux juges – restait à savoir si la prise en charge post-opératoire avait été effectuée de manière satisfaisante. Là encore, il semble que les expertises aient divergé. Néanmoins, l’arrêt ne retient pas de faute, estimant que la prise en charge a été effectuée dans des conditions normales. Bien que non examinée en l’espèce, gageons que la question de la responsabilité, en matière de prise en charge post-opératoire dans le cadre des soins ambulatoires va, dans les mois à venir, se poser avec insistance. L’augmentation considérable des cas de recours à cette pratique invitera assurément les requérants à fonder une partie de leurs arguments sur les mauvaises ou moins bonnes conditions de prises en charges imputables au caractère ambulatoire des soins, plus précisément encore, à la décision de recourir à cette forme particulière de soins.

B. La caractérisation du dommage anormal

L’absence de faute devait donc conduire les juridictions à analyser si les critères permettant de reconnaître la responsabilité sans faute pouvaient être retenus. Il est désormais acquis que les dommages imputables à un acte médical13, non fautif, lorsqu’ils présentent cumulativement14 un certain degré de gravité, qu’ils résultent d’un acte de diagnostic de prévention ou de soins, et qu’ils ont des conséquences graves et anormales pour le patient, peuvent donner lieu à réparation au titre de la solidarité nationale. Toutefois, derrière l’apparente limpidité des critères fixés par le législateur ceux-ci comportent en réalité de nombreuses incertitudes quant à leur application pratique. Si certains de ces critères ne soulèvent que peu de difficultés contentieuses, d’autres, en revanche, sont plus complexes à appréhender.15

En l’espèce la gravité du dommage et son origine médicale ne suscitent pas de débat, contrairement à celui de l’anormalité. Il n’y a rien d’étonnant à cela dans la mesure où le critère de l’anormalité est, indéniablement, celui qui suscite le plus d’ambiguïté. Dès 2013, le Conseil d’État a apporté des précisions sur la notion. Il reconnait que l’anormalité s’apprécie non seulement en considération du « risque interventionnel classique »16, mais également « au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état ». Partant, l’anormalité est évaluée selon deux considérations.

Premièrement, le critère de l’anormalité est satisfait chaque fois qu’un acte médical a eu des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé, de manière suffisamment probable, en l’absence de traitement. Dans ce cadre, l’anormalité s’apprécie en fonction de la situation médicale du patient, de la nature de l’opération, et de ses conséquences prévisibles. L’intervention, populairement qualifiée de dernière chance et/ou d’indispensable peut, dans cette hypothèse, difficilement entrainer la reconnaissance de l’anormalité du dommage. Comme le relève la Haute juridiction en l’espèce, les conséquences de l’acte médical « ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage. » A partir de ce raisonnement, la Cour administrative d’appel a relevé en l’espèce, « que les conséquences de l’intervention subie par M. D… n’étaient pas notablement plus graves que celles auxquelles il était exposé, de manière suffisamment probable, en l’absence de traitement ».

Deuxièmement, afin de limiter la rigueur de la première acception et de permettre, le cas échéant, l’indemnisation des victimes, le Conseil d’État admet la possibilité de retenir le critère de l’anormalité si la survenance du dommage, bien que possible au regard de la nature de l’acte pratiqué, a d’infimes chance de se réaliser. Le Conseil d’État ayant rejeté la première hypothèse devait, pour accepter d’appliquer le régime de responsabilité sans faute, se pencher sur l’application en l’espèce du critère de probabilité faible. Le juge administratif considère que ce critère est satisfait « lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible »17. L’idée est ici de permettre l’indemnisation de victimes qui n’auraient pas pu, normalement, dans les circonstances de l’espèce, y prétendre.

Le principe prolonge celui édicté dans l’arrêt Bianchi qui avait fait du caractère exceptionnel de la réalisation du risque un aspect fondamental de la responsabilité sans faute en matière médicale.

Toutefois, le critère de la probabilité connaît dans sa mise en œuvre des variantes. En ce sens, il dépend du contexte dans lequel l’acte a été accompli, de l’urgence de la situation, des moyens disponibles… Dans ce domaine, peut-être plus que dans d’autres, chaque élément est susceptible de modifier la perception qu’une juridiction se fait de la probabilité. Il est parfaitement envisageable que d’identiques actes médicaux impliquant, a priori, un même risque pour le patient donnent lieu -en raison de son contexte médical propre- à des solutions différentes.

II. La qualification du dommage anormal présentant une probabilité faible

En ouvrant la possibilité pour le requérant d’être indemnisé sur le fondement du régime de responsabilité sans faute, le Conseil d’État est amené à faire évoluer sa jurisprudence en la matière. Alors que les experts ont jugé que le dommage présentait 3% de chance de se réaliser, la Cour administrative d’appel, conformément à la jurisprudence alors en vigueur, refuse, sur ce fondement, d’admettre le caractère exceptionnel de la réalisation du risque. En retenant une solution différente, le Conseil d’État donne une nouvelle quantification de la probabilité faible (A.). Cette posture n’étant n’est pas sans interroger l’observateur (B.).

A. La nouvelle quantification de la probabilité faible

Ainsi que nous le révélions relevions précédemment, l’analyse de la « probabilité faible » est donc par nature fluctuante et casuistique. Indépendamment des faits de chaque espèce qui, naturellement, peuvent laisser place à des interprétations variables, la question de la quantification de ce qu’est une « faible probabilité », apparait encore plus essentielle.

La quantification de la probabilité faible est finalement l’enjeu majeur de nombreux contentieux, car elle est un des seuls éléments -pour ne pas dire le seul- à pouvoir uniformiser, a minima, l’approche et la résolution de ce contentieux. Le sujet est d’autant plus prégnant que les juridictions, judiciaire et administrative, de cassation, qui ont un pouvoir réduit sur l’analyse des faits de l’espèce, peuvent, par l’intermédiaire de cet élément, renforcer leur contrôle sur les juridictions du fond.

En l’espèce commentée, cette quantification de la probabilité apparait comme le point qui va cristalliser l’attention des juges. La cour administrative d’appel estime que le risque de 3 % pour un patient en fibrillation non anti-coagulé d’être victime d’un AVC, ne peut être regardé comme « une probabilité faible ». La position de la cour administrative d’appel n’est pas surprenante si on la considère à l’aune de la jurisprudence du Conseil d’État qui, en 2001, a estimé que la réalisation d’un dommage dans le cadre d’un acte médical dont le risque est estimé à 2% ne permet pas de qualifier ce risque d’exceptionnel18. La solution de la juridiction d’appel qui semble conforme à l’état de la jurisprudence alors en vigueur peut, néanmoins, sembler timorée, dans la mesure où depuis la loi du 4 mars 2002, les juridictions se montrent bienveillantes à l’égard des demandes d’indemnisation des victimes, ce qui aurait pu, dans la lignée de l’évolution du doit positif, entrainer une solution plus souple et, à notre sens, plus audacieuse.

C’est précisément d’audace qu’a fait preuve le Conseil d’État en décidant de casser le jugement de la cour administrative d’appel. En retenant que le seuil de 3% permet de qualifier la survenance d’un risque de probabilité faible, la Haute juridiction opte pour une solution courageuse et attendue.

Courageuse car elle permet de dépasser, largement, le seuil plancher qui avait été fixé à 1%. Seuil qui précisément semblait infranchissable dans la mesure où il manifestait, sans ambiguïté, le souhait d’encadrer le recours à la solidarité nationale. C’est en ce sens que Mme Fabienne LAMBOLEZ, dans ses conclusions sur l’arrêt Bourgeois du 12 décembre 2014, indique que « la barre avait été fixée très haut s’agissant de la condition tenant au caractère exceptionnel de la réalisation du risque. Un niveau de risque de 2 %, pourtant peu élevé dans l’absolu, n’a pas été regardé comme exceptionnel…il a été admis en pratique que le seuil de l’exceptionnel s’arrête à 1 % »19.

La position du Conseil d’État était également attendue car les juridictions du fond semblaient indécises et proposaient des solutions diamétralement opposées entre elles20. Afin de sécuriser l’état du droit, tant pour les victimes que pour la visibilité de ce contentieux, qui parait de plus en plus complexe, il était urgent qu’une ligne directrice soit donnée.

Il faut dire que dans le contexte de la loi du 4 mars 2002, le Conseil d’État n’avait eu que de rares occasions de se prononcer sur l’application de ce critère. Les quelques affaires dont il avait été saisi ne portaient que sur des seuils importants pour lesquels il eut guère été imaginable qu’il admette que le seuil de probabilité faible soit satisfait21. L’affaire commentée présentait une des premières opportunités intéressantes pour le Conseil d’État d’apporter un éclairage sur sa position, et d’esquisser clairement  une évolution de sa jurisprudence qui n’était jusque-là que potentielle sous l’empire de la loi du 4 mars 2002.

B. L’augmentation du seuil de gravité : une avancée à relativiser

L’arrêt commenté laisse, au final, un sentiment positif dans la mesure où il est, pour la victime, l’épilogue heureux d’une affaire longue et complexe. Le patient a obtenu une indemnisation et, plus essentiel encore, il a vu consacré, par le juge, son statut de victime. En dépassant le seul cas de l’espèce, la solution dégagée par le Conseil d’État présente un intérêt réel pour les victimes qui voient ainsi leur chance d’indemnisation augmenter.

On retiendra que le seuil de 3%, tout en constituant une avancée, permet de ne pas trahir l’esprit de la jurisprudence qui a, historiquement, appréhendé la notion de « probabilité faible », de façon restrictive. L’arrêt du 4 février 2019 donne l’impression d’une petite rupture dans la continuité.

Le pragmatisme reste de mise, cela d’autant plus que dans un contexte d’harmonisation des jurisprudences judiciaire et administrative, la Cour de cassation sera invitée à s’aligner sur le Conseil d’État sans trop de changement. La Haute juridiction judiciaire ayant récemment refusé de retenir des seuils supérieurs à 6%, là encore le palier des 3% n’est pas très éloigné des 1% que retient, également, le juge judiciaire. Au reste, le juge administratif s’est assuré contre d’éventuelles dérives, en rappelant dans son arrêt que le taux s’apprécie eu égard à l’acte pratiqué et aux conditions dans lesquelles la victime a été prise en charge. Les juridictions s’accordent, de facto, une réelle marge d’appréciation le pragmatisme garde ainsi tous ses droits car il n’y a nulle automaticité dans l’application du taux. Celui-ci s’apprécie en corrélation avec plusieurs paramètres. En définitive, il convient de ne pas s’arrêter à un taux abstraitement exprimé mais, bien au contraire, résultant du jeu combiné de plusieurs facteurs, c’est bien d’un taux multifactoriel qu’il s’agit. Les juges du fond sont ainsi invités à opérer une analyse approfondie, complète et proportionnée des circonstances de chaque espèce.

Alors que le législateur, par l’intermédiaire de la loi du 4 mars 2002, a assoupli les conditions permettant de retenir la responsabilité sans faute, il paraissait logique que la jurisprudence fasse preuve de plus de souplesse sur la question de la probabilité faible, et sur la manière d’analyser sous cet angle l’anormalité du dommage. In fine, cette jurisprudence s’inscrit dans le prolongement d’une démarche législative et jurisprudentielle engagée de longue date. La volonté de favoriser l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux non fautifs est, de façon non dissimulée, un élément important qu’il convient de considérer dans l’analyse des jurisprudences en matière de responsabilité médicale. Alors que l’ONIAM affiche des réticences à indemniser les victimes et s’est engagée, depuis plusieurs mois, dans une stratégie contentieuse – souvent stérile mais que justifie le souci de ménager les deniers publics en une période où ceux-ci sont à l’étiage – pour se décharger au maximum de sa responsabilité, les juridictions manifestent, une fois de plus, une approche inverse. Elles paraissent bien décidées à utiliser la solidarité nationale comme palliatif au régime de droit commun de la responsabilité.

Cependant, il y a fort à parier que la question de l’anormalité, et de la « probabilité faible » qui y est associée, se posera à nouveau dans les mois ou les années à venir car le législateur, pris entre ces deux tendances contradictoires, tranchera peut-être davantage du côté de la raison plutôt que de celui du cœur.

Le seuil de 3% reste cependant, en dépit de ce qui a été dit, indécis et incertain. Aujourd’hui pertinent, il est parfaitement envisageable qu’il soit dépassé dans quelques années car trop restrictif, ou au contraire, qu’il soit à nouveau diminué en raison, par exemple, des réticences des juges judiciaires à s’aligner sur ce seuil.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 250.


1 Par exemple : « l’anormalité de la dépense » en matière de contravention de grande voirie. CE, 18 juillet 1947, Coudry, p.328 ; CE, 1er décembre 1937, Breton, p.989

2« Bull. Bibliographique », Rec. Sirey, 1926, p. 10 « En tout cas la généralisation de l’expertise psychiatrique s’impose, car il est acquis que l’anormalité ne peut en général être décelée que par des spécialistes des maladies mentales ».

3 Psychiatrique : GRASSET (J.), La responsabilité des criminels, Paris, Bibliothèque internationale de science et de droit, 1908, p. 265 ; CANTIN (L.), « Essai chimico médicale », ???? Journal de chimie médicale, de pharmacie, et de toxicologie, 1833, p.108

4 Voir pour sur la question du diabète : LEMOINE MOREAU, (M.) , « Du diabète et des causes de son traitement », La France médicale, janvier 1866, p.18

5 PLANIOL (M.), « Étude sur la responsabilité civile », Revue critique, 1905, p.208 et sv. ; Savatier, « Vers une socialisation de la responsabilité », D.H., 1931, p.9

6 VALLY (J.), Naissance d’une politique de la génétique, Dépistage, biomédecine, enjeux sociaux, Paris, PUF, 2015

7 GAGNE (R.), MELANÇON (M.), (dir.), Dépistage et diagnostic génétiques : aspects cliniques, juridiques, éthiques et sociaux, Canada, Presses de l’Université de Laval, 1999, p.182

8 Si le contentieux a été relativement faible jusqu’en 2016, depuis cette date la moyenne de jugements et d’arrêts rendus annuellement par les juridictions administratives d’appel et le Conseil d’État a augmenté de manière spectaculaire. On peut estimer cette moyenne à une cinquantaine. Les juridictions judiciaires bien que beaucoup moins prolifiques sur ces questions ont, elles aussi, une fonction prétorienne essentielle.

9 Voir sur ce point LAMI (A.), VIOUJAS (V.), Droit hospitalier, 2018, Bruylant, coll. Paradygme

10 CE 26 juill. 1985, Centre hospitalier régional de Rennes c/ Époux Lahier, req. n° 34327

11 CE 5 janvier 2000, req. n°181899

12 HACENE (A.), Responsabilité du praticien : conformité de l’acte médical aux recommandations émises postérieurement, Civ. 1ère 5 avril 2018, n°17-15.620, D. actu., 2018

13 Civ. 1ère 14 novembre 2018, n°17-18.687 

14 Voir LAMI (A.), VIOUJAS (V.), Droit hospitalier, op. cit.

15 A titre d’exemple, le seuil de gravité du dommage fixé -par l’article D. 1142-1 du CSP- à 24% de déficit fonctionnel n’a pas provoqué un abondant contentieux. On retiendra que le Conseil d’État s’est contenté d’indiquer que la fixation d’un seuil pour déterminer de l’indemnisation d’une victime ne méconnait ni « l’intelligibilité de la norme », ni « le principe de sécurité juridique », ni « le principe d’égalité » : CE  2 décembre 2011, FNTH et APF, req. no 347609.

16 CE 16 décembre 2013, Mme A…, req. n° 354268,

17 CE 12 déc. 2014, req. n° 365211 ; AJDA, 2015, p. 769, note LANTERO (C.) Ne pas oublier de citer CE, 12 décembre 2014, ONIAM c/ M. Bondoni, n° 355052, p. 385,

18 CE 15 janvier 2001, Assistance publique – Hôpitaux de Paris c/ Mlle B.., req. n° 195774

19 LAMBOLEZ (F.), « La portée de la notion de « conséquences anormales » dans le régime d’indemnisation des accidents médicaux

Conclusions sur CE, 12 décembre 2014, Mme Bourgeois, n° 365211 et ONIAM c/ Bondoni, n° 355052 », RDSS, 2015, p.279

20 Les solutions rendues par les cours d’appels fluctuent. Certaines juridictions se montrent plutôt souple : Par exemple la CAA de Paris dans un jugement du 14 avril 2016 (n° 15PA01689) estime que le seuil de gravité faible se situe entre entre 0,3 et 2 % ; la CAA Nantes dans un jugement du 10 juillet 2017 (n° 15NT02175) retient pour sa part que le seuil de gravité faible est atteint entre 0,1 et 2,4 %. Au contraire d’autre juridictions sont moins bienveillante à l’encontre des victimes la CAA de Bordeaux a jugé le 1erfevrier 2016 (17 BX03104) qu’un taux de 2% n’est pas faible.

21 CE 29 avril 2013, req. n° 369473, p.156 ; Pour les juridictions judiciaires voir : Civ. 1ère 2 juillet 2014, n°13-15.750 ; v. aussi : Cass. civ. 1ère, 15 juin 2016, n° 15-16.824, Bull. civ. I, n° 138


[a] Cass. civ. 20 mai 1936, Mercier, D. 1936.1.88, concl. Matter, rapp. Josserand ; S. 1937.1.321, note Breton ; JCP 1936.1079

[b] CE 5e et 6e ch. réun., 4 février 2019, M. X. c/  CHU de Caen, req. n° 413247

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La régularisation des décisions illégales d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

par Mme Tatiana Georgia Love NDJOBO MANI

Étudiante en master 2 à la faculté des sciences juridiques
et politiques de l’université de Yaoundé II (Cameroun)

249.

L’exécution des contrats de la commande publique dénote un déséquilibre, fondé sur l’intérêt général, entre le cocontractant de l’administration et l’autorité publique partie au contrat au profit de cette dernière. Au Cameroun, elle bénéficie à cet effet d’un certain nombre de pouvoirs leurs permettant d’avoir une main mise sur la réalisation des prestations de leurs cocontractants. Ces pouvoirs se matérialisent par la prise de décisions administratives unilatérales qui sont parfois à l’origine de contestations lorsqu’elles sont entachées d’illégalités. La longue incapacité du juge à annuler les décisions administratives irrégulières d’exécution des contrats de la commande publique du fait de leur caractère exécutoire a favorisé l’essor de leur régularisation. Celle-ci effectuée par le juge de l’excès de pouvoirs mais les pouvoirs publics sont également habilités en la matière.

I) Les irrégularités pouvant entacher les mesures administratives d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

Les irrégularités contenues dans les décisions administratives d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun sont désignées par l’excès de pouvoir : il s’agit de « l’incompétence, du vice de forme, la violation d’une disposition légale et le détournement de pouvoir » (article 2 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs au Cameroun). Elles sont regroupées sous deux rubriques à savoir les irrégularités externes à la décision et les irrégularités qui lui sont internes.

A) Les irrégularités externes aux décisions d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

Les irrégularités externes pouvant entacher une décision d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun sont liées d’une part à l’incompétence de son auteur et d’autre part au vice de forme.

La notion d’incompétence en elle-même est assez ambivalente : elle peut être personnelle, matérielle, temporelle ou encore spatiale. Il y a incompétence rationae personae lorsque la mesure faisant grief est édictée par une autorité qui n’en était pas habilitée ; l’incompétence rationae materiae frappe les mesures prises par l’autorité contractante au-delà de la compétence que lui accorde les textes. On parle d’incompétence rationae loci lorsque la mesure impacte au-delà de sa compétence territoriale. L’incompétence rationae temporis quant à elle intervient lorsque la mesure est prise par une autorité qui n’est plus compétente ou qui ne l’est pas encore.

La forme de l’acte renvoie à sa présentation. Il se fait donc surtout référence à l’acte écrit et plus précisément aux mentions qu’on y retrouve. Toutefois, ces mentions étant d’aucunes facultatives à l’instar de mentions telles que la date et les visas et d’autres obligatoires comme la signature et les motifs. La décision doit en effet être authentifiée et la mesure justifiée par des raisons juridiques ou de fait (jugement n° 191/2012/CS/CA du 26 septembre 2012, Mme Abada Dorothée c/ État du Cameroun (MINEDUB). Ainsi, n’est donc constitutif de vice de forme que l’omission d’une sanction obligatoire.

B) Les irrégularités internes des décisions administratives d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

Les décisions administratives sont entachées d’irrégularités matérielles lorsqu’elles font l’objet d’un détournement de pouvoir ou encore lorsqu’elles violent la loi.

On est en présence d’un détournement de pouvoir lorsque l’autorité publique contractante exerce les prérogatives dont elle est bénéficiaire en cours des contrats de la commande publique à d’autres fins que les nécessités de service public.

Pour ce qui est de la violation de la loi, il peut s’agir du non-respect des formes et procédures en vigueur ou encore d’une violation matérielle. Pour les mesures de sanction par exemple, la loi les conditionne expressément à la mise en demeure préalable du cocontractant qui permettra à ce dernier d’apporter, au cours de cette période, des justificatifs au comportement fautif qui lui est reproché et par là, assurer les droits de sa défense.

II) Des régularisations des décisions administratives irrégulières prises en cours d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

La régularisation des mesures illégales d’exécution prend généralement la forme d’une réparation du préjudice qu’elles causent. Elle peut être l’apanage du juge de l’exécution ou de la personne publique elle-même.

A) De la régularisation des décisions illégales d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun avant l’intervention du juge de l’exécution

La régularisation des mesures administratives d’exécution des contrats de la commande publique – comme c’est le cas dans tous les autres domaines du droit administratif et même du droit public – répond à une procédure bien particulière. En effet elle est conditionnée par la saisine de la personne publique contractante en premier ressort par le biais du recours gracieux préalable pour la contestation de la légalité de l’acte. L’administration procède alors à une régularisation non juridictionnelle en réparant la situation juridique préjudiciable soit en annulant l’acte, soit en indemnisant les victimes. Ce mode de régularisation est ouvert aussi bien aux cocontractants de l’administration qu’aux tiers à partir du moment où ces derniers ont la capacité d’ester en justice ainsi que l’intérêt donnant qualité à agir.

En outre, la régularisation des décisions administratives illégales émises dans le cadre des contrats de la commande publique peut également prendre la forme d’une transaction administrative. Il s’agit d’une notion civiliste adaptée au droit de la commande publique qui y a exporté l’autorité de la chose jugée entre les parties. L’article 2044 du code civil définit la transaction comme étant un « contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naitre. Ce contrat doit être rédigé par écrit ». Au-delà, la transaction fait intervenir des concessions réciproques entre les parties. Le professeur Biakan précise d’ailleurs fort à propos que la transaction implique « que chacune des parties puisse faire valoir à l’égard de l’autre une prétention, c’est à dire, qu’elle soit engagée dans un rapport d’obligation réciproque qui permet de faire des concessions formalisées dans un acte écrit et signé » (J. Biakan, Précis de contentieux des contrats publics au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 55). Le protocole transactionnel a néanmoins un champ d’application très limité et peut, à titre exceptionnel faire l’objet d’un contrôle par le juge administratif.

B) De la régularisation des décisions illégales d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun après l’intervention du juge de l’excès de pouvoir

La caractéristique la plus remarquable de l’exécution des contrats de la commande publique est sans doute l’ensemble des prérogatives extraordinaires détenues par l’autorité publique contractante. L’une des conséquences de cet état de choses est que le juge de l’excès de pouvoir a pendant longtemps, jusqu’au relativement récent arrêt Commune Béziers II (CE, Ass., 21 mars 2011, Commune Béziers, n° 304806, Rec.), été dans l’incapacité d’annuler les mesures d’exécution de l’administration contractante qui se sont révélées illégales en raison de leur caractère exorbitant. C’est cette règle qui a d’ailleurs favorisé l’essor de la régularisation juridictionnelle qui consiste donc pour le juge de l’excès de pouvoir à veiller à la réparation du préjudice causé par les irrégularités contenues dans les décisions administratives faisant grief. Cette réparation est selon les cas, intégrale ou partielle. La réparation est intégrale lorsque la mesure mise en cause a été prise par l’autorité contractante en l’absence de défaillance du cocontractant ou du tiers le cas échéant : elle couvre alors l’ensemble du préjudice subi, aussi bien matériel que moral comme l’a précisé le juge administratif dans l’affaire AMSECOM/ AMSECONCOM c/ État du Cameroun (jugement n° 50/CS/CA du 1er février 1985). Elle est partielle lorsque ladite mesure est constitutive d’une sujétion imprévue soit parce qu’elle a été prise par une autorité publique autre que celle partie au contrat, soit parce qu’elle a été prise par l’autorité contractante agissant à un titre autre que celui partie au contrat.

En plus de la régularisation juridictionnelle dont il est le principal acteur, le juge administratif joue un rôle non négligeable de régularisation dans les mécanismes de règlement à l’amiable. D’abord les sentences arbitrales sont obligatoirement soumises à son contrôle et il peut exceptionnellement effectuer un contrôle sur la transaction administrative.

In fine, la régularisation peut être la réponse à des excès de pouvoir à contenu divers. Si le juge occupe une place angulaire en la matière, la régularisation juridictionnelle peut se révéler très onéreuse pour la personne publique, plus encore que le respect de leur légalité : c’est d’ailleurs en partie pour cette raison qu’il est en outre accordé à l’autorité publique contractante, la possibilité de régulariser la situation juridique faisant grief dont elle est l’auteure.

Mots clés : Commande publique – Contrats publics – Régularisation – Décisions illégales – Réparation – Prérogatives de puissance publique.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 249

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La régularisation des marchés publics en droit administratif marocain

par M. Mohammed ZAOUAQ

Doctorant à la faculté des sciences juridiques,
économiques et sociales de Salé (université Mohamed V de Rabat, Maroc)

Puisque le recours aux marchés publics constitue pour les responsables administratifs marocains l’un des principaux moyens de la satisfaction de l’intérêt public, le respect du droit régissant ces marchés par l’administration est, de plus en plus, perçu comme un indicateur de son bon fonctionnement. Cependant, malgré les améliorations réalisées quant au respect de la légalité administrative, plusieurs actes fautifs demeurent commis à la fois par les soumissionnaires et les titulaires des marchés publics et par les administrations contractantes.

De ce fait, la régularité de l’action publique et la satisfaction des intérêts des différents organismes administratifs contractants impliquent l’adoption de procédés de régularisation des fautes commises à l’occasion de la passation et de l’exécution des marchés dont ces derniers détiennent la maîtrise d’ouvrage.

En droit administratif marocain, la régularisation des marchés publics est reconnue de manière principale, par la réglementation en vigueur, aux administrations contractantes (I), et exercée accessoirement par les instances compétentes en matière de consultation et de médiation (II).

I) Une régularisation principale assurée par les administrations contractantes

En vue de garantir une meilleure gestion de la commande publique et une totale satisfaction des besoins des services publics contractants, la réglementation en vigueur en matière des marchés publics reconnait à l’administration la possibilité d’exercer une fonction de régularisation, et ce tout au long du processus d’exécution de la commande (du lancement jusqu’à la réception des prestations). Cette régularisation des actes de gestion des marchés visera deux principaux volets, à savoir : la passation (A) et l’exécution des contrats (B).

A) en matière de passation des contrats

La réglementation relative à la passation des marchés, prévue par le décret n° 2-12-349 du 8 Joumada I 1434 (20 mars 2013) relatif aux marchés publics, permet à l’administration contractante d’adopter des actes de régularisation en vue de garantir l’aboutissement de la procédure de passation même en cas de transgression du principe de légalité. Ainsi, il est permis à l’administration de publier des avis rectificatifs, sans aucune suspension de la procédure de sélection des soumissionnaires et d’attribution des marchés, en cas de fautes et d’illégalités commises aux niveaux des avis ou des dossiers des appels d’offres (art. 19 du décret).

De même que les actes irréguliers émanant de ses services, l’administration exerce un pouvoir de régularisation sur les fautes et les irrégularités commises par les différents soumissionnaires à ses appels d’offre. De ce fait, l’administration se doit d’inviter, par tout moyen de communication pouvant donner date certaine, les concurrents ayant présenté des offres pour régulariser toute discordance constatée entre les diverses pièces constituant leurs dossiers de candidature (art. 40 du décret).

En outre, l’administration peut inviter, pour les marchés de consultation architecturale, l’architecte auquel il est envisagé d’attribuer le contrat à rectifier les erreurs matérielles, arithmétiques ou toute discordance constatée dans son dossier de candidature (art. 107 du décret), et ce tout en maintenant la décision d’attribution du marché dont il bénéficie.

B) en matière d’exécution des contrats

En plus des pouvoirs de régularisation reconnus à l’administration en matière de passation des marchés, cette dernière est aussi habilitée à intervenir pour perpétuer un acte ou une situation illégale par le biais de mécanismes juridiques de régularisation. Dans ce sens, le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, approuvé par le décret n° 2-14-394 du 13 mai 2016, prévoit la possibilité de conclure des avenants entre les administrations contractantes et les titulaires des marchés dans la finalité de faire revivre les erreurs manifestes commises par les deux parties au cours de l’exécution des marchés (art. 12), et ce dans la finalité de garantir la stabilité des relations contractuelles et par conséquent la satisfaction de l’intérêt général comme principal moteur de l’action administrative.

L’administration en tant que partie contractante dotée de prérogatives de puissance publique peut exercer son pouvoir de direction et de contrôle ou de modification unilatérale des clauses du marché et imposer des actes irréguliers en matière d’exécution de l’acte contractuel, sans aucune possibilité de les annuler ou les suspendre. La régularisation de ces actes irréguliers puise son fondement de la théorie générale des contrats administratifs qui impose aux cocontractants de l’administration d’accepter tous les ordres de services reçus au cours de l’exécution du marché même s’ils présentent des caractères de faute contractuelle, et de maintenir les relations contractuelles, même déséquilibrées, nécessité par l’obligation de satisfaire l’intérêt public.

Parallèlement au pouvoir de régularisation principale exercé par l’administration en matière de passation et d’exécution des marchés publics, une mission de régularisation accessoire est confiée par la réglementation en vigueur à des instances de consultation et de médiation.

II) Une régularisation accessoire exercée par les instances de consultation et de médiation

La régularisation secondaire ou accessoire est exercée par deux principales instances qui sont amenées à intervenir dans le domaine des marchés publics et assurer des missions de médiation et de consultation au profit de l’administration et de ses différents cocontractants. À savoir : le Médiateur du Royaume (A) et la commission nationale de la commande publique (B).

A) Le Médiateur du Royaume

Cette institution créée par le dahir n° 1-11-25 du 17 mars 2011 et qui a pour principale mission la défense des droits des administrés et la propagation des principes de justice et d’équité, exerce, à l’occasion des plaintes et des doléances qui lui sont soumises, une mission de régularisation des actes illégaux et irréguliers commis par l’administration à l’occasion de son exécution des marchés publics, et ce par le biais des différentes recommandations qu’elle émet.

Suite à l’instruction des plaintes et des doléances relatives à l’exécution des marchés, le Médiateur émet des recommandations visant la réparation des dommages subis par les cocontractants sans toutefois suspendre ou annuler les actes fautifs et irréguliers à l’origine de ces plaintes. Ainsi, ces mêmes actes se perpétuent et retrouvent la régularité grâce aux décisions du Médiateur.

Parmi les principaux raisonnements abordés au niveau des recommandations du Médiateur pour justifier la régularisation des comportements irréguliers de l’administration on trouve :

  • « Le plaignant (titulaire du marché) est en droit de recevoir une indemnité réparatrice du préjudice subi suite aux dépenses et aux efforts fournis en vue de satisfaire la demande (illégale et injustifiée) de l’administration (contractante) » (Rapport annuel du Médiateur, 2015) ;
  • « La transgression des règles juridiques régissant la passation des marchés de fourniture par l’administration ne peut constituer un alibi pour empêcher son cocontractant de percevoir les sommes dues suite aux prestations fournies » (Rapport annuel, 2015).

Ces raisonnements sont utilisés comme des fondements de droit et de fait aux différents mécanismes juridiques de régularisation des illégalités commises dans l’exécution des marchés, dont l’indemnisation pécuniaire des cocontractants lésés qui constitue le principal mécanisme imposé par le Médiateur au niveau de ces différentes recommandations est (Rapports annuels, 2013, 2014 et 2015).

B) La commission nationale de la commande publique

À l’instar de l’institution du Médiateur, la commission nationale de la commande publique assure la régularisation des marchés publics dans la limite des compétences qui lui sont attribuées par la réglementation en vigueur. Ainsi, à l’occasion de son exercice des missions de consultation des réclamations émanant des concurrents, des attributaires ou des titulaires des commandes publiques (tel qu’il est prévu par le décret n° 2-14-867 du 21 septembre 2015 relatif à la commission nationale de la commande publique), la commission invente des mécanismes juridiques de régularisation des marchés et les recommande par les biais des différents avis qu’elle rend.

Par conséquent, le principal mécanisme de régularisation utilisé dans ce sens est le recours à la réglementation en vigueur et aux bonnes pratiques de gestion des marchés publics en vue d’en tirer des solutions juridiques et pratiques et replacer l’acte illégal dans la sphère de la légalité et de la régularité une nouvelle fois. Ainsi, il a été mentionné au niveau de l’avis n° 5/2018 au sujet de l’omission de l’inscription du RIB sur l’acte d’engagement, rendu le 17/04/2018 par la commission que « l’omission de l’inscription du RIB dans l’acte d’engagement ne constitue pas, au regard des dispositions du paragraphe 2 de l’article 40 précité, un motif fondé d’élimination des offres, dans la mesure où elle n’affecte pas le libre jeu de la concurrence, ne porte pas atteinte à l’égalité de traitement des concurrents et ne modifie pas l’objet du marché ».

À l’occasion d’un autre avis rendu le 2 avril 2018 sous le n° 3/2018 au sujet de l’impossibilité éprouvé par le cocontractant de l’administration de poursuivre l’exécution d’un marché de fourniture et la possibilité de procéder à la résiliation du contrat par la partie administrative, la commission a eu recours au texte général régissant les contrats (le code des obligations et des contrats promulgué par le dahir du 12 août 1913) en vue de permettre à l’administration de se soustraire à l’application de la réglementation en vigueur en matière des marchés publics et de permettre la régularisation de les actes de suspension et de résiliation du contrat.

En plus du recours à la réglementation générale et aux bonnes pratiques, la commission recommande la conclusion des avenants comme mécanisme de régularisation des actes irréguliers commis en cours de gestion des commandes publiques. Dans ce sens, la commission a recommandé, à l’occasion de son avis n° 01/2018, la conclusion d’un avenant au marché pour pouvoir régulariser l’erreur commise suite à la transgression de l’article 10 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés des travaux relatif au référentiel de l’identité bancaire.

De ce fait, la commission nationale de la commande publique s’efforce d’inventer différents mécanismes de régularisation, et ce en puisant à la fois dans les textes juridiques généraux régissant le domaine des contrats (le COD) et dans la pratique de la commande publique et les possibilités qu’elle offre dans ce sens, ce qui nous permet de la considérer comme l’organe de régularisation par excellence en matière des marchés publics.

En définitive, on peut dire que malgré l’importance du travail fourni à la fois par l’administration et par les instances de consultation et de médiation, l’enrichissement de la pratique de régularisation des marchés publics au Maroc ne peut atteindre ses résultats sans l’intervention du juge administratif dans ce domaine, et ce en dépassant dans ses différents jugements relatifs au contentieux des marchés la logique de légalité vers celle d’équité et de régularité.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 247

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La régularisation en droit du contentieux administratif turc

par Mme Fatma Didem SEVGİLİ GENÇAY

Docteure en droit public de l’université Jean Moulin-Lyon 3
& enseignante à l’université de Bursa Uludağ (Turquie)

Selon le code du contentieux administratif, le juge administratif turc doit tout d’abord se prononcer sur la recevabilité des requêtes. Cette procédure ressemble à celle suivie par le juge français mais il y a des points qui sont différents et qui ont changé l’avancement du droit administratif turc. Il est préférable de montrer la régularisation en droit du contentieux administratif turc en soulignant ses différences par rapport au droit français.

L’examen des requêtes devant les juridictions administratives suit l’ordre suivant : la compétence, la recevabilité et le fond. En effet, dès qu’une requête est introduite, un juge est nommé pour délibérer sur plusieurs points suivant l’ordre fixé par l’article 14 du code du contentieux administratif, ce qui est appelé, par le code même, phase de révision initiale. S’il n’y a pas de problèmes concernant les points de cette révision et le recours est par conséquent recevable, la juridiction administrative compétente peut examiner le fond. Il faut toutefois rappeler que la plupart de ces points sont considérés d’ordre public et les parties peuvent, par conséquent, en tout état de procédure, invoquer l’irrecevabilité de recours et le juge est dans l’obligation d’examiner d’office ces points fixés par la loi. Entre ces points il y a ceux qui ne sont pas régularisables (I), ceux que le juge régularise par de ses fonctions (II) et ceux, enfin, régularisable par le requérant (III).

I) Les points qui ne sont pas régularisables

A) La compétence de l’ordre administratif

Quelques une des irrégularités que le juge identifie ne peuvent pas être régularisées. En effet, le juge administratif examine premièrement si la requête est adressée au tribunal compétent. Bien évidemment, il s’agit tout d’abord de voir si l’ordre administratif est compétent. Ensuite, si la réponse est affirmative, le juge vérifie si la requête est adressée à la juridiction administrative compétente. Dans le cas où le litige ne relève pas du contentieux administratif, le juge administratif doit se déclarer incompétent et rejeter le recours. Dans ce cas, il revient au requérant de reprendre la procédure devant la juridiction civile qu’il estime compétente. Ce point ne peut donc pas être régularisé.

B) Le qualité du requérant

Concernant la capacité d’agir ou l’intérêt à agir du requérant, le droit turc n’a pas de particularité à souligner. Si le requérant n’a pas la capacité d’agir ou un intérêt lui donnant qualité à agir, le juge administratif prononce l’irrecevabilité. Sauf quelques exceptions qui existent également en droit français, ce point ne peut pas être régularisé. Bien que la jurisprudence soit abondante sur le sujet tant en Turquie qu’en France, la question de savoir qui a intérêt à agir n’entre pas dans les frontières de cette étude.

C) Le nature décisoire de l’acte

Le juge vérifie également si l’acte en question est un acte exécutoire. Seuls les actes exécutoires peuvent faire l’objet d’un recours en annulation. Donc, si par exemple le requérant a saisi le tribunal contre un acte préparatoire, sa requête sera irrecevable sans qu’il y ait de possibilité de régularisation. C’est-à-dire que même si un acte exécutoire prévoyant le même résultat est réellement pris, après que le requérant ait saisi la juridiction demandant l’annulation de l’acte préparatoire, le requérant ne peut que demander l’annulation du dernier en introduisant une nouvelle requête. En droit turc, sont appelées « acte administratif » non seulement les mesures décisoires mais toutes les mesures prises par l’administration y compris les mesures préparatoires, les avis ou les propositions. C’est la raison pour laquelle le code de contentieux administratif prévoit que la qualité exécutoire de l’acte soit un critère de recevabilité. Le juge vérifie donc si l’acte est susceptible de recours et ce point n’est pas régularisable.

D) Les délais de recours

Le dernier point non régularisable concerne les délais de recours. Ce point est très important et d’ordre public comme c’est également le cas en France. Il faut pourtant préciser quelques points : premièrement, à la différence de la France où les délais sont fixés à deux mois, en Turquie il s’agit d’un délai général de soixante jours non francs. Deuxièmement, selon l’article 12 du code du contentieux administratif, ceux dont un droit est lésé par un acte de l’administration peuvent exercer une action demandant annulation de l’acte en question et en même temps ils peuvent demander la réparation de leur préjudice respectant le délai de soixante jours à compter de l’exécution de l’acte. De la sorte, ici il s’agit d’une seule action avec deux demandes. Il est également possible d’exercer premièrement une action en excès de pouvoir et après une action en responsabilité dans le délai de soixante jours à compter de la notification de la décision sur le premier recours. Selon l’article 13 du même code, si le dommage est causé non pas par un acte mais par une action de l’administration, le requérant doit demander à l’administration de dédommager son préjudice dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle il a pris connaissance de l’action administrative et dans tous les cas cette obligation doit être remplie dans les cinq ans à compter de la date de l’action administrative. Cette stipulation du code pouvait causer des pertes des droits s’il était appliqué à la lettre par la juridiction administrative puisque dans certains cas le dommage peut resurgir longtemps après que l’action de l’administration soit terminée (en Turquie, il n’existe ni prescription quadriennale ni, bien évidemment, ses exceptions). Heureusement, le Conseil d’État considère que l’action est complète à la date où elle a effectivement causé des dommages (donc, par exemple, concernant une opération médicale l’action administrative est considérée comme complète à la date où ses effets nuisibles ont surgit) et la connaissance du dommage est considérée comme acquise par le requérant à la date de la connaissance du caractère administratif de l’action (donc par exemple le requérant a appris qu’il faut exercer une action non pas contre le médecin mais contre l’administration). Il est à souligner que ces délais d’un an et de cinq ans ne sont pas des délais de recours juridictionnel. Il s’agit de délais prévus pour réclamation indemnitaire auprès de l’administration après laquelle il est impératif d’attendre qu’un acte explicite ou implicite de rejet naisse.

Dernièrement, concernant les délais de recours, il faut signaler qu’en 2001, une phrase a été incorporée à l’article 40 de la constitution turque et que, depuis, l’administration est dans l’obligation de notifier, dans le texte même de l’acte en question, les possibles voies de recours, administratifs et juridictionnels, ainsi que leurs délais. Bien que pour certains actes exceptionnels les lois spécifiques fixent des sanctions, il n’existe pas de texte général fixant le résultat de manquements à cette obligation, ce qui engendrait des questions concernant les actes qui sont soumis par la loi à des délais de recours plus courts et dont la notification ne contient pas ce délai. Dans les années suivant la révision constitutionnelle, le Conseil d’État considéra que le manquement de signaler les délais plus courts avait pour effet de soumettre l’acte en question au délai général de soixante jours (CE, 10e chambre, 31 décembre 2007, E.2006/2232, K.2007/6691). Aujourd’hui, le Conseil d’État considère la notification incomplète si elle n’annonce pas les voies de recours dont dispose le destinataire à l’encontre de l’acte ou encore les délais de ces recours. Il en déduit logiquement que si la notification est incomplète, les délais de recours ne commencent pas à courir (CE, 13e chambre, 9 février 2018, E.2015/50, K.2018/357).

II) Les points régularisés par le juge

A) La compétence d’une autre juridiction administrative que celle actionnée par le requérant

Si l’ordre administratif est compétent mais que le litige est présenté devant une juridiction incompétente, le juge régularise cette irrégularité et renvoie la requête directement à la juridiction compétente. Le requérant n’est donc pas dans l’obligation de recommencer la procédure. Il est à souligner qu’en droit turc, comme c’est également le cas en droit français, même la compétence territoriale des tribunaux administratifs est considérée d’ordre public.

B) Le manquement du recours administratif préalable obligatoire

Le juge doit vérifier s’il est question d’absence de recours administratifs préalables obligatoires. Bien évidemment, le requérant peut exercer un recours administratif même si ceci ne soit pas obligatoire et ce recours, s’il est exercé dans le délai de recours contentieux, a pour effet d’interrompre ce délai comme c’est également le cas dans le droit français. L’absence de recours administratif préalables obligatoire entraine, par contre, l’irrecevabilité du recours. Toutefois, dans ce cas, contrairement au droit français, le juge administratif turc ne prononce pas l’irrecevabilité de la requête mais il prononce l’envoi de la requête à l’autorité administrative compétente. Dans ce cas, la date où le requérant a introduit sa requête est considérée comme la date de l’exercice du recours administratif préalable. Si, par contre, le délai prévu par la loi pour exercer le recours administratif est expiré à la date de l’exercice du recours juridictionnel, le juge n’envoie pas la requête à l’administration, mais cette fois il en prononce l’irrecevabilité pour forclusion.

C) La personne publique adversaire

Tout d’abord, il faut préciser qu’en droit du contentieux turc une action peut être engagée seulement contre les personnes publiques. Les personnes morales de droit privé ne peuvent se voir comme adversaires devant les juridictions administratives à l’exception des cas peu fréquent où elles utilisent le pouvoir public et que leurs actions aient un caractère administratif. Selon l’article 14 du code du contentieux administratif, un autre point à discuter est celui de savoir si une personne publique est montrée dans la requête comme adversaire et, si la réponse est affirmative, de voir si cette personne publique est le véritable adversaire de la requête. Ce point peut s’avérer difficile à déterminer pour les requérants. En effet, s’agissant du contentieux en annulation par exemple, le requérant qui n’est pas obligé de se faire représenter par un avocat peut diriger la requête contre une personne publique qui n’est pas effectivement l’auteur de l’acte. Dans le cas d’un acte de tutelle par exemple, la détermination de la personne publique adversaire peut s’avérer difficile. Nous sommes bien au courant du fait qu’en France le contrôle de l’État sur les actes des collectivités n’est plus une tutelle mais un contrôle de légalité mais en cela reste le contraire en Turquie. En effet, par exemple, la loi sur les communes a été révisée en 2005 et la possibilité pour les préfets, donc l’autorité de tutelle, d’exercer un recours en excès de pouvoir a été prévue. Cependant la Cour constitutionnelle de la Turquie a décidé en 2010 qu’un tel contrôle ne satisfaisait pas aux exigences de la constitution qui stipule qu’il existe un pouvoir de tutelle de l’État sur les collectivités territoriales. En résumé, en Turquie, le contrôle de l’État sur les actes de collectivités territoriales s’appelle toujours la tutelle et il s’agit d’une véritable tutelle tant dans les textes que dans les considérations de la Cour constitutionnelle. D’ailleurs, dans le contentieux en responsabilité, il est encore plus difficile de déterminer la personne publique responsable. Cependant, en Turquie, ce point ne crée pas de contraintes pour le requérant puisque le code de contentieux turc demande dans son article 3 que la personne publique adversaire soit mentionnée dans la requête mais son absence ou l’erreur dans la détermination de la personne publique adversaire n’est pas sanctionnée. L’inexactitude de ce point est régularisée par le juge et la requête est adressée à la véritable autorité administrative défenderesse.

III) Les points régularisables par le requérant

A) L’absence d’informations nécessaires fixées par l’article 3

Selon l’article 3 du code du contentieux administratif, la requête doit indiquer les noms et prénoms des parties, ainsi que, éventuellement, ceux de leurs représentants, leurs adresses et leurs numéros d’identité. Elle doit contenir le sujet et les motifs du litige ainsi que les preuves avancées par le requérant. En outre, la date de notification de l’acte doit être indiquée et l’acte en question ou un exemplaire de celui-ci doit être fourni. Le juge administratif vérifie si la requête est introduite conformément aux prescriptions de cet article. À défaut, le juge invite le requérant à régulariser sa requête dans un délai de trente jours à l’expiration duquel les irrégularités ne seraient plus régularisables.

Il est temps de mentionner premièrement qu’en droit turc si le requérant choisit d’être représenté, il doit l’être par un avocat mais qu’il n’existe pas d’obligation de l’être. À chaque étape de la procédure, le requérant peut donc suivre lui-même sa requête. Quant aux avocats, il n’existe aucune catégorie ou différences entre eux concernant leur habilité à représenter devant le Conseil d’État, la Cour administrative d’appel, la Cour de cassation, la Cour des comptes ou devant les tribunaux administratifs ou judiciaires.

Deuxièmement, le juge administratif turc n’est pas lié par les moyens apportés par les parties. En effet, il est tenu d’examiner d’office tous les moyens, d’ordre public ou non, négligés par le demandeur ou par le défendeur. C’est pourquoi, bien que le demandeur soit obligé d’apporter ses moyens, ceux-ci ne sont pas fondamentaux, contrairement à ce qu’ils sont en France.

B) L’absence du montant demandé

En droit du contentieux administratif turc, la chose demandée doit être nette et il n’existe pas des conclusions subsidiaires ou conditionnelles. Concernant les demandes indemnitaires, le juge vérifie si un montant demandé est chiffré, sauf le cas des fonctionnaires demandant un paiement en application de textes les concernant (CE, Conseil de l’unification des jurisprudences, E.1983/1, K. 1983/10, Recueil du CE, t. 54-55, p. 129). Si le requérant néglige de chiffrer un montant précis, le juge l’invite à le régulariser dans un délai de trente jours l’expiration duquel ceci ne serait plus régularisable et provoquerait une décision de rejet.

En outre, jusqu’en 2013 ce montant ne pouvait plus être modifié ultérieurement. Ajoutons l’interdiction pour le juge de statuer au-delà de ce qui lui est demandé, sans oublier l’absence de l’hypothèse pour le requérant en Turquie de se réserver la possibilité de chiffrer ses conclusions au vu du rapport de l’expertise et le fait que dans plupart des cas les requérants ne connaissent pas le véritable montant de dommage avant ce rapport de l’expertise qu’ils demandent au juge de prescrire. Ceci constitue un véritable obstacle à surmonter pour le requérant.

En 2013, l’article 16 du code du contentieux administratif a été judicieusement révisé et, depuis cette révision de la loi, il est possible pour le requérant d’augmenter le chiffre du montant demandé une fois jusqu’à ce que le jugement soit prononcé. Ainsi, aujourd’hui après avoir vu le rapport de l’expertise, le requérant peut régulariser le chiffrage de ses conclusions.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 246

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La régularisation des irrecevabilités devant le juge administratif

par M. Antoine CLAEYS

Professeur de droit public à l’université de Poitiers
– membre de l’Institut de droit public (EA2623)

L’article 2 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance consacre au profit des administrés un « droit à régularisation en cas d’erreur » (art. L. 123-1 du code des relations entre le public et l’administration). Dans le cadre du procès administratif, ce droit à régularisation a très tôt été reconnu au bénéfice du requérant en cas de non-respect des conditions de recevabilité du recours. À l’instar des règles de compétence, les règles relatives à la recevabilité des recours revêtent pourtant, en principe, un caractère d’ordre public devant les juridictions administratives (C. Debouy, Les moyens d’ordre public dans la procédure administrative contentieuse, Paris, PUF, 1980, p. 285 s. ; E. Akoun, Les moyens d’ordre public en contentieux administratif, Paris, Mare & Martin, 2017, v. annexe IV, arborescence schématique). Ce caractère d’ordre public explique que le défendeur ne puisse pas renoncer à opposer une fin de non-recevoir qu’il a préalablement soulevée (CE, 26 novembre 1984, n° 35104, T.). Il justifie surtout que le juge soit astreint à une véritable obligation de relever d’office une cause d’irrecevabilité du recours. L’examen du bien-fondé de ce dernier n’est effectivement possible que si le juge a acquis la certitude que les conditions de recevabilité ont bien été respectées par le demandeur (sur l’ensemble de la question, v. A. Ciaudo, L’irrecevabilité en contentieux administratif français, Paris, L’Harmattan, 2009). L’importance qui leur est accordée est d’ailleurs parfaitement légitime car « comme tous les jeux, le jeu juridictionnel obéit à des règles : celles de la procédure déterminent notamment les conditions de recevabilité des recours contentieux. Qui méconnaît ces règles se disqualifie : l’arbitre le déclare perdant, autrement dit, le juge oppose à la demande une fin de non-recevoir et la rejette sans en examiner le bien-fondé » (R. Odent, « Le destin des fins de non-recevoir », Mélanges en l’honneur de Marcel Waline, Paris, LGDJ, 1974, p. 653).

Pour autant, de sérieuses raisons ont toujours fait obstacle à une application par trop mécanique de ces « règles du jeu ». Le professeur Chapus notait avec justesse que « si l’exercice des recours ne saurait être abandonné aux convenances de chacun, son régime ne saurait, sans être injuste, exclure tout libéralisme » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 2008, n° 517). La fonction sociale du juge consiste avant tout à trancher des différends. Le cadre procédural dans lequel il exerce cette mission, pour nécessaire qu’il soit ne doit pas se transformer en carcan. Les usagers du service public de la justice sont certes tenus de le respecter au risque de ne pas voir leur(s) prétention(s) examinée(s). Il est cependant non moins évident que des erreurs peuvent être commises au stade de la saisine du juge et de la présentation de la requête. Il s’agit d’un aléa quasi inéluctable en raison de la complexité du droit du contentieux administratif mais aussi de la possibilité parfois reconnue aux requérants de saisir le juge sans l’assistance d’un conseil. Ces erreurs doivent-elles systématiquement et automatiquement conduire à un rejet du recours pour irrecevabilité avant même tout examen au fond de la requête ? La jurisprudence, au-devant ou au-delà des textes, s’y est depuis longtemps refusée à un point tel que le président Odent estimait, dès 1974, que « les fins de non-recevoir ont un destin qui paraît s’apparenter à un déclin » (art. préc., p. 664). Cet augure s’est révélé exact. Sa signification doit être cependant bien comprise. Il ne s’est jamais agi d’affirmer que les irrecevabilités bénéficient désormais d’une sorte d’immunité. Les conditions personnelles, temporelles et matérielles de recevabilité conservent bien une force obligatoire et contraignante. Le déclin dont il est question renvoie en réalité au traitement contentieux libéral dont les fins de non-recevoir font l’objet. La fin de non-recevoir désigne, en effet, non pas l’irrecevabilité elle-même mais la sanction qui en découle. Or, cette sanction n’est prononcée qu’ultima ratio. Entre le moment où la cause d’irrecevabilité est détectée et celui où la sanction est prononcée – le rejet du recours, s’ouvre une période au cours de laquelle le requérant se voit offrir la possibilité de régulariser son recours. En somme, une irrecevabilité avérée et opposée n’est pas toujours forcément définitive et irrémédiable. Avant que le couperet de la fin de non-recevoir ne tombe, le requérant va être en mesure de rectifier son erreur si celle-ci est corrigible. Au final, en cas de régularisation, c’est le principe de bonne administration de la justice qui sort doublement gagnant puisque les « règles du jeu » procédural auront été respectées en même temps que le litige aura été résolu au fond.

Au cours du procès administratif, la régularisation des requêtes dépasse le seul champ des irrecevabilités. Parce qu’elle est également un « instrument de la mise en état du procès administratif », elle intègre des mécanismes correctifs qui concernent davantage le déroulement de l’instruction que l’accès au juge proprement dit (sur cette autre dimension de la régularisation, v. H. Lepetit-Collin, « La régularisation de la requête », A. Perrin (dir.), La régularisation, Paris, Mare & Martin, 2019 [nous remercions le professeur Alix Perrin d’avoir eu l’amabilité de nous communiquer le texte de cette contribution]). La régularisation des irrecevabilités, qui sera seule étudiée dans le cadre de cette contribution, s’effectue selon plusieurs modalités (I) et doit être appréciée à l’aune de l’office du juge administratif (II).

I) Les modalités de la régularisation des irrecevabilités

La régularisation des irrecevabilités poursuit une finalité unique : épurer un recours entaché d’un ou plusieurs vices de présentation. La régularisation agit en quelque sorte comme une purge. Elle lave la requête de toutes ses impuretés procédurales. La régularisation fait bien plus que neutraliser l’irrégularité. Elle la corrige. Devant la juridiction administrative, les modalités de régularisation sont plurielles. Il est possible d’en identifier deux formes principales en distinguant selon que la régularisation est explicite ou implicite. Si la première correspond à un dispositif en partie réglementé (A), la seconde est la manifestation d’une pratique juridictionnelle (B).

A) La régularisation explicite : un dispositif en partie réglementé

Après avoir été consacré par la jurisprudence, le dispositif de régularisation des requêtes est aujourd’hui codifié à l’article R. 612-1 du code de justice administrative (CJA) en ce qui concerne les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et le Conseil d’État. Devant les juridictions administratives spéciales, les possibilités de régularisation continuent à être instituées par la jurisprudence selon des modalités identiques (pour un exemple récent, v. CE, 18 décembre 2017, n° 403734, T.). Dans les deux cas, si le principe de la régularisation est la règle (1), il connaît néanmoins quelques exceptions (2).

1) La régularisation : un principe général

La portée du principe de la régularisation est très étendue. Peu de causes d’irrecevabilité demeurent incorrigibles. En revanche, le temps de la correction n’est pas le même dans tous les cas de figure.

Deux types d’irrecevabilité ne sont, en effet, régularisables qu’avant l’expiration du délai de recours contentieux, c’est-à-dire dans un laps de temps très bref. Le défaut de notification des recours en matière d’urbanisme ne peut être ainsi couvert que dans un délai de quinze jours suivant la saisine du juge. Il s’agit en réalité du délai laissé au débiteur de l’obligation (préfet ou requérant) pour exécuter ladite formalité (art. R. 600-1 du code de l’urbanisme non modifié sur ce point par le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018). Fort logiquement, compte tenu de la finalité assignée à l’exigence de notification (informer le bénéficiaire de la décision de l’existence d’un recours), la communication par le juge de la requête au défendeur dans les quinze jours n’est pas de nature à couvrir l’irrecevabilité (CE, 11 décembre 2000, Baudet, n° 212329, T.). L’irrecevabilité tenant à l’absence de preuve de la réalisation de la notification est quant à elle régularisable jusqu’à la clôture de l’instruction si celle-là a été régulièrement accomplie dans le délai réglementaire (CE, 19 décembre 2008, Époux Montmeza, n° 297716, T.). Les chances de régularisation sont en réalité infimes en raison de la très grande brièveté du délai de correction. Pour cette raison, certains auteurs rangent d’ailleurs cette cause d’irrecevabilité dans la catégorie des irrecevabilités non régularisables (R. Chapus, op. cit., n° 519). La régularisation du défaut de motivation du recours est également enfermée dans un délai abrégé au nom des exigences du principe du contradictoire. Aux termes de l’article R. 411-1 al. 2 du CJA, « l’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours ». L’absence de conclusions dans la requête peut être régularisée dans des conditions analogues selon la jurisprudence. Le cadre temporel de la régularisation s’avère une nouvelle fois particulièrement contraignant pour le requérant. Un droit à l’erreur lui est certes reconnu. Cependant, la porte laissée entrouverte à la régularisation se refermera rapidement sur lui s’il ne réagit pas avec suffisamment de diligence au défaut de motivation. Cette restriction temporelle au principe de la régularisation ne concernera toutefois en pratique que le requérant véritablement négligent, c’est-à-dire celui dont la requête ne contient l’exposé « d’aucun moyen » ou d’aucune conclusion.

Les « irrecevabilités susceptibles d’être couvertes après l’expiration du délai de recours » (art. R. 612-1du CJA) forment la cohorte la plus conséquente. Le CJA ne les énumère pas. Il s’agit d’une catégorie résiduelle constituée des irrecevabilités autres que celles précédemment mentionnées et que celles dont la régularisation est impossible (v. infra, B). Y figurent les irrecevabilités relatives au requérant : absence de capacité à agir (d’un mineur : CE, Sect., 9 juillet 1997, Melle Kang, n° 145518, Rec.), de qualité pour agir (d’un parent au nom de son fils majeur : CE, Ass., 13 mai 2011, Mme M’Rida, n° 316734, Rec. ; d’un individu au nom d’une personne morale : CE, 16 janvier 1998, Association « Aux amis des vieilles pierres d’Aiglemont », n°153558, T.), d’intérêt à agir (le requérant « peut invoquer à tout moment, y compris pour la première fois en appel, une qualité lui donnant intérêt à agir », CE, 10 décembre 1997, Société Norminter Gascogne Pyrénées, n°158064, T.) ou bien encore de ministère d’avocat (CE, Sect., 27 janvier 1989, Chrun, n° 68448, Rec.). La plupart des irrecevabilités afférentes au recours sont également concernées. Il en va ainsi de l’absence de signature de la requête en cas d’envoi de celle-ci par télécopie (CE, 13 mars 1996, Diraison, n° 112949, Rec.) ou courriel. Son authentification ultérieure peut être réalisée soit par la production d’un exemplaire dûment signé du mémoire, soit par l’apposition par le requérant de sa signature au bas du document. Le développement de l’application Télérecours et la création récente d’un téléservice (art. R. 414-6 du CJA, créé par le décret n° 2018-251 du 6 avril 2018) limitent désormais la portée de ces jurisprudences puisque l’identification de l’auteur de la requête, au moyen de ces procédés, vaut signature de la requête (art. R. 414-2 et R. 414-8 du CJA). Sont également corrigibles jusqu’à la fin de l’instruction les irrecevabilités tenant à la non-production de la décision attaquée (CE, 17 mars 1995, Touati, n° 154596, T.) ou des copies exigées (CE, 1er juin 1994, Marangoni, n°143770, Rec.), à la non-rédaction du recours en langue française (CE, 18 octobre 2000, Société Max-Planck-Gesellschaft, n° 206341, Rec.) ou à l’omission de produire la justification de la notification du recours conformément aux prescriptions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme (CE, 19 décembre 2008, Époux Montmeza, préc.). De même, en cas de requête collective personnelle ou matérielle, s’il n’existe pas un lien suffisant soit entre les requérants, soit entre les décisions, le ou les requérants pourront régulariser leur recours, dans le délai fixé par le juge, en présentant autant de requêtes distinctes que nécessaire (CE, Sect., 30 mars 1973, David, n° 80717, Rec.). S’agissant enfin du non-respect de l’exigence de liaison du contentieux, le Conseil d’État a consacré des possibilités de régularisation assez larges lorsque l’administration n’a pas opposé expressément une fin de non-recevoir tirée justement de l’absence de décision préalable (la régularisation est alors exclue, v. CE, Sect., 13 juin 1984, Association Club athlétique de Mantes-la-Ville, n°44648, Rec.). En effet, la jurisprudence a admis que l’intervention de la décision en cours d’instance avait pour effet de régulariser le recours, y compris en cas de saisine de l’administration postérieurement au dépôt de la requête aux fins de lier le contentieux (CE, 8 juillet 1970, Andry, n° 72891, Rec.). De façon non moins libérale, le juge a considéré que le fait pour le défendeur (l’administration) de conclure à titre principal (CE, 21 février 1997, Quille, n° 86678, Rec.) au rejet au fond des prétentions du requérant valait décision « liant le contentieux » (v. par ex. CE, 1er juin 1984, Commune de Vieux-Boucau, n° 26989, Rec.). Ces solutions ont toutefois en partie été remises en cause par le décret « JADE » du 2 novembre 2016 dans le cadre du contentieux indemnitaire. L’article R. 421-1 alinéa 2 du CJA dispose désormais que « lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

Dans quel délai précis les irrecevabilités mentionnées à l’article R. 612-1 du CJA peuvent-elles être régularisées ? De sa propre initiative, le requérant peut régulariser sa requête à tout moment, alors même que ni le juge, ni le défendeur n’ont opposé une fin de non-recevoir. Une régularisation spontanée d’une irrecevabilité peut donc éventuellement intervenir y compris après qu’une ordonnance de clôture de l’instruction a été prise (CE, avis, 28 juillet 1995, Mme Tourteaux, n° 167629, Rec.). Dans l’hypothèse où le juge a relevé d’office l’irrecevabilité et a invité le requérant à la régulariser dans un délai déterminé, l’expiration de ce dernier rend l’irrecevabilité définitive et non régularisable, le juge pouvant alors avoir recours aux ordonnances dites « de tri » (art. R. 122-12 et R. 222-1 du CJA). Enfin, si la fin de non-recevoir est opposée par le défendeur, la régularisation doit être effectuée avant la clôture de l’instruction (v. CE, 18 décembre 2017, préc.). Au-delà, elle n’est plus envisageable sauf si la partie apporte la preuve qu’elle n’était pas en mesure d’y procéder avant que l’instruction ne prenne formellement fin (CE, 19 décembre 2008, Époux Montmeza, préc.).

2) La régularisation impossible : l’exception

Les « irrecevabilités manifestes non susceptibles d’être couvertes en cours d’instance », pour reprendre la formulation de l’article R. 612-1 du CJA, ne peuvent pas l’être en raison de leur nature même ou de la finalité qu’elles poursuivent. Ici, le respect du caractère d’ordre public des règles de recevabilité ne peut s’accommoder d’aucune forme de régularisation. En présence d’une irrecevabilité de cette nature, le juge peut rejeter le recours en usant du procédé expéditif des ordonnances de l’article R. 122-12 ou R. 222-1 du CJA. La liste des conditions de recevabilité dont le respect s’impose ab initio a été établie de façon limitative par la jurisprudence.

La règle du délai de recours fait partie de celles-là. L’exercice hors délai du recours expose inéluctablement son auteur au rejet de sa requête. La forclusion est irrémédiable. Admettre le contraire ôterait tout intérêt à la règle du délai de recours qui vise autant à protéger l’efficacité de l’action administrative que les droits des tiers dans le cadre des relations triangulaires. En fait, « permettre la régularisation serait renoncer à l’exigence même du délai de recours » (R. Chapus, op. cit., n° 519).

Des raisons différentes expliquent le rejet de toute régularisation de la requête en cas de non-exercice d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) (CE, 19 février 2001, El Hirach, n° 228994, Rec.). Ce n’est plus la tardiveté du recours juridictionnel qui est en cause mais, au contraire, son caractère prématuré. Par définition, le recours préalable est obligatoire afin de tenter de parvenir à une résolution à l’amiable du litige. L’instauration d’un mécanisme contraignant de règlement non juridictionnel des litiges serait vidée de sa substance s’il était permis au requérant, une fois son recours contentieux introduit, de régulariser le défaut de saisine préalable de l’autorité administrative. C’est pourquoi, l’exercice du RAPO en cours d’instance et la production des décisions prises sur ce recours ne sont pas susceptibles de régulariser le recours juridictionnel précoce (CE, 26 avril 1976, n° 95585, Rec.). De même, est sans incidence sur l’irrecevabilité le fait que l’administration a discuté le fond de la protestation du requérant sans lui opposer une fin de non-recevoir tirée du défaut d’exercice du recours préalable (CE, 6 mai 1977, Garrigues, n° 02962, Rec.). En revanche, si l’administré a bien exercé le RAPO mais a saisi le juge avant que l’autorité n’ait statué sur sa demande, l’irrecevabilité pourra être couverte si la décision intervient en cours d’instance (CE, Sect., 4 janvier 1974, n° 87418, Rec.).

Toute forme de régularisation est enfin exclue en cas de recours juridictionnel contre un acte non décisoire ou bien injusticiable (v. par ex. à propos d’un recours contre une mesure préparatoire : CE, 19 juillet 2017, n° 403827, T.). Seules sont contestables des actes administratifs répondant à des caractéristiques définies par la jurisprudence. Or, un acte qui ne possède pas les attributs d’un acte justiciable au jour de la saisine du juge ne pourra pas voir sa nature modifiée en cours d’instance. Ce « principe » d’immutabilité des caractères de l’acte administratif rend dès lors sans intérêt l’application du principe de la régularisation des recours. Cette hypothèse ne doit toutefois pas être confondue avec celle où le requérant n’a pas respecté la règle de la liaison du contentieux. Dans ce dernier cas de figure, nous savons que des possibilités de régularisation existent.

B) La régularisation implicite : une pratique juridictionnelle

Le principe dispositif, qui constitue un des piliers de la procédure civile, ne s’est pas imposé avec la même rigueur en procédure administrative contentieuse. La maîtrise par les parties de la matière du procès n’y est pas aussi absolue. Si les possibilités d’intervention du juge administratif au cours de l’instance sont fort nombreuses et connues, il en est une qui contribue à assouplir le caractère d’ordre public des fins de non-recevoir. Il s’agit de la pratique juridictionnelle en vertu de laquelle le juge s’autorise à interpréter la requête lorsque les conclusions qu’elle renferme sont formulées de façon maladroite ou bien imprécise (ce pouvoir d’interprétation concerne en réalité l’ensemble des écritures des parties, v. C. Meurant, L’interprétation des écritures des parties par le juge administratif français, Thèse, Université Jean Moulin Lyon 3, 2017). Cette opération de requalification poursuit comme objectif soit de donner au recours une portée utile, soit de couvrir une irrecevabilité. C’est sous ce dernier aspect que la pratique de l’interprétation constructive remplit une fonction de régularisation qui ne dit pas son nom.

L’ingérence du juge est en soi assez remarquable car, en principe, « c’est la demande des parties, qui, dans les limites des lois et des règlements de droit public, fixe le terrain juridictionnel des litiges » (Riboulet, concl. sous CE, 26 juillet 1912, Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans et du Midi c/ État, Rec. 889). Le juge ne peut donc statuer ni au-delà ni en deçà de ce qui lui est demandé par le requérant dans ses conclusions. En vérité, le pouvoir d’interprétation tempère sans le dénaturer le principe d’immutabilité de l’instance. La requalification ne conduit jamais le juge à statuer infra ou ultra petita (contra, J.-M. Auby, « L’‘‘ultra petita’’ dans la procédure contentieuse administrative », Mélanges en l’honneur de Marcel Waline, Paris, LGDJ, 1974, t. 2, p. 267 (spéc. p. 278). Pour le professeur Chapus, en effet, « dire que le juge doit statuer sur ce qui lui est demandé ne peut raisonnablement exprimer que son obligation de statuer sur ce qui lui est réellement demandé » (« De l’office du juge : contentieux administratif et nouvelle procédure civile », EDCE 1977-1978, n° 29, p. 13, spéc. p. 46). L’ambition du juge n’est autre que « démonter l’apparence de la demande pour en faire apparaître l’essence. Le juge agit comme une sorte d’éclaireur de la volonté du requérant » (C. Debbasch, « L’interprétation par le juge administratif de la demande des parties », JCP 1982, I, 3085, n° 4). Les formules utilisées dans les arrêts attestent de cette entreprise de reconstitution-révélation des intentions réelles du requérant : « il y a lieu de regarder la requête comme dirigée contre » (CE, 1er mars 2012, n° 355133, T.) ; « la demande doit s’analyser comme tendant à l’annulation » (CE, 31 juillet 1992, n° 116810, T.) ; « le requérant doit être regardé comme ayant attaqué » (CE, 4 juin 1976, Desforets, n° 96356, Rec.) ; « le requérant n’attaque, en réalité » (CE, Sect., 2 juin 1972, Fédération française des syndicats de pilotes maritimes, n° 78410, Rec.) ; « la demande devait en réalité être regardée comme dirigée » (CE, 23 décembre 1994, n° 78118, inédit).

Afin de révéler une volonté qu’il suspecte d’avoir été mal exprimée, le juge se livre à un véritable « travail d’orthopédie juridique » (R. Odent, art. préc., p. 663) et met en œuvre des méthodes d’interprétation éprouvées, au premier rang desquelles l’exégèse (C. Meurant, thèse préc., p. 180 s.). Le juge se fiera donc principalement à « l’argumentation de la demande », aux « pièces du dossier » ou bien encore aux « termes » de la requête. Bien que le libéralisme du juge l’amène parfois à pousser assez loin les limites de son pouvoir d’interprétation, ce dernier ne le conduit jamais à dégager une volonté factice du demandeur. Si, au terme d’une analyse précise des pièces du dossier, le juge est convaincu que la présentation formelle des conclusions correspond à l’intention réelle du requérant, il refusera de requalifier la demande. Il lui est, en effet, impossible de substituer aux conclusions défaillantes sa propre appréciation et créer artificiellement les conditions de la recevabilité du recours.

En tant que technique de régularisation implicite, l’interprétation des conclusions opère presque exclusivement à l’égard de la condition de recevabilité tenant à l’existence d’une décision susceptible de lier le contentieux. L’opération de requalification vise alors le plus souvent à substituer à l’acte attaqué, lequel ne fait pas grief, une décision attaquable. À titre d’illustration, peut être citée la décision récente par laquelle le Conseil d’État a jugé « qu’il appartient au juge administratif, s’il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d’interpréter les conclusions qui lui sont soumise comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale ». En effet, en cas de recours juridictionnel consécutif au rejet d’un recours gracieux, seuls les vices propres de la décision initiale peuvent être utilement contestés (CE, 7 mars 2018, n° 404079, Rec.).

La place importante accordée aux mécanismes de régularisation des irrecevabilités est assez révélatrice de la façon dont le droit d’accès au juge est entendu libéralement devant la juridiction administrative. L’existence de ces dispositifs de régularisation explicite ou implicite est également riche d’enseignements sur l’office du juge en aidant à mieux en percevoir certains des ressorts.

II) La régularisation des irrecevabilités et l’office du juge administratif

Il est impossible de dissocier la question de la régularisation des irrecevabilités et celle de l’office du juge administratif. La première est intimement liée à la seconde. Les procédures de régularisation mettent en évidence, à petite échelle, la singularité de cet office. Elles sont, en effet, une manifestation de l’existence « du juge administratif ‘‘providence’’ » (C. Meurant, thèse préc., p. 160 s.). Ce dernier, au nom de l’exigence de bonne administration de la justice (A), est en effet assujetti à des obligations plus ou moins contraignantes (B) au regard du principe de régularisation.

A) Régularisation et bonne administration de la justice

Si la régularisation des irrecevabilités emprunte des chemins variés, ils se rejoignent s’agissant de leurs fondements. De prime abord, les mécanismes de régularisation des irrecevabilités trouvent leur raison d’être dans la concrétisation du droit au recours à laquelle ils contribuent. Le droit d’accéder à un juge ne se limite pas à la seule reconnaissance du droit d’action mais inclut également les modalités d’exercice de ce droit. Or, justement, la technique de la régularisation offre aux requérants, dans l’hypothèse où leur recours ne satisfait pas à une des conditions de recevabilité des requêtes, la possibilité de corriger leur erreur et de redresser la cause de l’irrégularité. En cela, la régularisation se rattache aux instruments de protection des droits procéduraux des justiciables et du caractère équitable du procès. En outre, parce qu’elle permet le franchissement de l’obstacle de l’irrecevabilité, la régularisation donne au requérant la garantie d’un examen au fond de son affaire. Quand bien même le juge lui donnerait tort au final, cela est toujours plus satisfaisant, pour le demandeur que de se voir opposer une fin de non-recevoir qui peut générer, chez lui, une forme de frustration et lui donner le sentiment que sa cause n’a pas été examinée. Dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir, cette justification a pu être contestée. Le requérant y est traditionnellement présenté comme un « gardien de la légalité administrative méconnue ». Ainsi, la régularisation ne poursuivrait en réalité pas d’autre objectif que de rendre possible la soumission de l’administration au principe de légalité. La discussion est en vérité assez stérile. Il est difficile de nier que le recours pour excès de pouvoir s’est mué au fil des ans en un « recours personnalisé » où le requérant est le défenseur de ses propres intérêts avant d’être celui de la légalité in abstracto (A. Claeys, La protection juridictionnelle de l’administré au moyen du recours pour excès de pouvoir, Thèse, université de Poitiers, 2005). La protection des droits procéduraux du requérant constitue un élément de la protection juridictionnelle que lui apporte le recours au juge. Le but immédiat de la régularisation du recours vise donc bien à préserver les chances de succès de l’action contentieuse qu’il a introduite. Si la régularisation favorise également l’exercice par le juge de son contrôle de légalité, ce n’est alors que de façon incidente.

Appréhendée à l’aune de ses fondements, la technique de la régularisation n’en présente pas moins un caractère ambivalent. Par-delà la protection du requérant, elle se rapporte également à l’exigence de bonne administration de la justice, fréquemment convoquée par la jurisprudence à l’appui de solutions diverses (pour un exemple récent : CE, 25 juin 2018, SAS L’immobilière Groupe Casino, n° 416720, T.). Cette exigence est doublement satisfaite grâce à la régularisation. Elle l’est, tout d’abord, parce que les règles gouvernant la recevabilité des recours sont respectées. La régularisation ne fait qu’apporter un tempérament au principe du caractère d’ordre public des fins de non-recevoir. Elle n’y déroge pas. Ainsi que le notait le professeur Debouy, « la régularisation affecte l’une des conséquences de la fin de non-recevoir, non cette fin de non-recevoir elle-même. L’irrecevabilité demeure d’ordre public, seulement ce caractère ne pourra déployer ses effets que lorsque la demande de régularisation, quand elle est possible, n’a pas été suivie d’effets. La demande de régularisation se présente alors comme une formalité préalable, un avertissement au requérant » (C. Debouy, thèse préc., p. 366). La bonne administration de la justice sort encore renforcée par la régularisation qui donne au juge l’opportunité de vider le litige et de remplir ainsi sa mission première. Partant, une magistrate administrative considère qu’« en réalité, [la régularisation] n’est pas tant liée aux parties au procès administratif qu’à ce procès lui-même et au rôle confié à son juge ». Et de poursuivre, que « dans le procès administratif [elle] apparaît comme une procédure dont la maîtrise et la raison d’être servent davantage le juge administratif que son justiciable » (H. Lepetit-Collin, « La régularisation de la requête », art. préc.). Nous croyons, pour notre part, qu’il n’existe pas de hiérarchie réelle parmi les fondements et les finalités assignés à la régularisation. Dire qu’elle sert les intérêts des justiciables n’est pas incompatible avec le constat de ses liens avec l’office du juge. La bonne administration de la justice s’apprécie depuis des points de vue multiples qui correspondent à ceux de l’ensemble des acteurs du procès administratif. Il est vrai cependant que la régularisation soumet le juge à des obligations spécifiques et s’adresse donc particulièrement à lui.

B. Régularisation et obligations du juge

Les obligations du juge varient en fonction des types de régularisation. Alors qu’elles sont relativement peu contraignantes lorsqu’il s’agit de l’interprétation des conclusions, elles sont beaucoup plus marquées dans le cadre du dispositif de régularisation explicite établi par le code de justice administrative.

En ce qui concerne l’interprétation constructive des conclusions, la faculté est la règle, l’obligation l’exception. Cédric Meurant, dans sa thèse déjà citée, a parfaitement démontré comment le juge administratif se reconnaissait une liberté étendue pour interpréter ou non des écritures erronément présentées (thèse préc., p. 339 s.). Il a bien entendu le devoir de les analyser puis de la viser. En revanche, il n’est pas tenu, en principe, de les rectifier s’il décèle une quelconque anomalie pouvant déboucher sur le rejet pour irrecevabilité du recours. Dans quelques hypothèses, toutefois, la faculté se transforme en impératif. S’agissant de la régularisation implicite des irrecevabilités, l’obligation d’interpréter est exclusivement posée par la jurisprudence. Elle concerne presque exclusivement l’hypothèse où plusieurs décisions s’enchaînent. Ainsi, en cas de recours juridictionnel consécutif à un recours gracieux contre une décision administrative, nous savons déjà que le juge doit nécessairement interpréter les conclusions présentées contre le rejet de ce recours comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale (CE, 7 mars 2018, préc.). En cas de recours administratif préalable obligatoire, le recours formé contre la décision initiale doit être regardé comme exercé en réalité contre la décision prise par l’autorité de recours (CE, 19 décembre 2008, Mellinger, n° 297187, Rec.). Dans le même ordre d’idée, lorsqu’un requérant conteste, dans les délais de recours, une décision implicite de rejet et une décision expresse de rejet intervenue postérieurement, le juge doit interpréter ses conclusions comme visant uniquement la seconde décision, qui s’est substituée à la première (CE, 28 mai 2010, Société IDL, n° 320950, T.). En dehors de ces circonstances particulières, le juge recouvre son entière liberté d’interpréter ou non.

Il en va différemment en cas de régularisation explicite où la logique s’inverse. L’obligation est la règle, la faculté l’exception. L’article R. 612-1 du CJA énonce, en effet, que « lorsque des conclusions sont entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d’office cette irrecevabilité qu’après avoir invité leur auteur à les régulariser ». Cette règle de portée générale fut originellement consacrée par la jurisprudence (CE, Sect., 11 février 1966, Denis, n° 62284, Rec. ; CE, Sect., 30 mars 1973, David, préc.) avant d’être reprise à son compte par le pouvoir réglementaire (v. anc. art. R. 149-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel dans sa rédaction issue du décret n° 97-563 du 29 mai 1997). L’obligation faite au juge d’inviter le requérant à régulariser sa requête partie de celles « qui s’imposent à la juridiction dans la conduite de l’instruction des affaires dont elle est saisie » (CE, 22 juin 1988, SCI Ponderosa, n° 62214, inédit). Manifestation du caractère inquisitorial de la procédure contentieuse, cette obligation d’information répond parfaitement aux exigences d’une bonne administration de la justice.

Le champ d’application de l’obligation est étendu. Dès lors que l’irrecevabilité est susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours, le juge devra inviter le requérant à la régulariser. Pour les irrecevabilités incorrigibles ou bien celles qui peuvent l’être avant l’expiration du délai de recours, le juge est libéré de tout devoir d’information. Dans la première hypothèse, la demande de correction n’a pas de sens. Dans la seconde, la brièveté du temps de correction la prive de son utilité. Pour les irrecevabilités du premier groupe – celles qui donnent lieu à information –, l’obligation d’inviter à régulariser n’est pas opposable au juge des référés (art. R. 522-2 du CJA). Dans le cadre de la procédure ordinaire, elle ne l’est que s’il entend « relever d’office » ces irrecevabilités. Si le défendeur a invoqué une fin de non-recevoir, le juge est donc délié de toute responsabilité. La fin de non-recevoir étant communiquée au demandeur, par le simple jeu du débat contradictoire, l’exigence d’information est considérée comme remplie. Cette solution, qui fut inaugurée par la jurisprudence (CE, 28 avril 1997, Association des commerçants non sédentaires de Corbeil-Essonnes, n° 164820, Rec. ; ab. jur., CE, 25 février 1987, Mortet, n° 45269, T.) puis codifiée dans le CJA (elle conserve son caractère jurisprudentiel pour les juridictions administratives spéciales, CE, 18 décembre 2017, préc.), n’est pas à l’abri de toute critique. Elle revient effectivement à mettre sur le même plan une fin de non-recevoir invoquée par le défendeur et une invitation à régulariser produite par le juge. Or, on peut aisément imaginer qu’un requérant sera plus enclin à se conformer à une demande émanant de l’autorité juridictionnelle qu’à un moyen de défense présenté par son « adversaire ». Sachant qu’il est assez fréquent en pratique que les défendeurs soulèvent des fins de non-recevoir, les perspectives de régularisation provoquée s’en trouvent potentiellement altérées. Le professeur Chapus critiqua assez sévèrement le revirement de jurisprudence de 1997 qui, selon lui, marque « un recul, quant à la sécurité juridique des administrés en litige avec l’administration » (op. cit., n° 533). À bien des égards, il serait souhaitable que l’invocation d’une fin de non-recevoir par le défendeur cesse de neutraliser l’obligation faite au juge d’inviter à régulariser une irrecevabilité relevant du champ d’application de l’article R. 612-1 du CJA.

La jurisprudence pourrait avoir fait un premier pas en ce sens. Dans sa décision Alloune, le Conseil d’État a jugé que l’invitation à régulariser devait être envoyée « par lettre remise contre signature ou par tout autre dispositif permettant d’attester la date de réception ; que la communication au requérant par lettre simple d’un mémoire en défense soulevant une fin de non-recevoir ne saurait, en principe, dispenser le juge administratif de respecter l’obligation ainsi prévue, à moins qu’il ne soit établi par ailleurs que le mémoire en défense a bien été reçu par l’intéressé » (CE, 14 novembre 2011, Alloune, n° 334764, T. ; CE, 9 mars 2018, Commune de Rennes-les-Bains, n° 406205, T.). Il ne s’agit pas à proprement parler d’un retour à la jurisprudence Mortet de 1987. Néanmoins, la dispense d’intervention du juge est désormais cantonnée aux seuls cas où il est acquis que la communication de la fin de non-recevoir a été réalisée selon des modalités propres à garantir l’information réelle du requérant. S’agissant plus spécifiquement des modalités d’envoi de l’invitation à régulariser, la jurisprudence a précisé, en outre, qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit à une juridiction d’adresser dans un même pli une information sur l’état de la procédure et une mise en demeure de régulariser celle-ci (CE, 27 juillet 2005, Hamoumi, n° 260294, T.). Une régularisation par courrier électronique – en dehors de l’application Télérecours – est envisageable. Le greffe de la juridiction est alors tenu de demander au requérant de lui adresser un courrier postal portant sa signature et reprenant le contenu de son courriel (CE, 16 mars 2016, n° 389521, T.).

Le contenu a minima de l’invitation adressée par le juge est déterminé par le pouvoir réglementaire. L’article R. 612-1 al. 3 du CJA prévoit, en effet, que « la demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l’expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours ». Un délai plancher de quinze jours est donc établi en matière de régularisation. En conséquence, le juge ne peut pas se montrer trop évasif et se contenter d’inviter le requérant à régulariser « dans les meilleurs délais » (CE, 9 mars 2009, Mme Gourdain, n° 303983, inédit). Le délai de régularisation prescrit par le juge est nécessairement prorogé en cas de demande d’aide juridictionnelle. Dans l’hypothèse où cette demande serait rejetée, un nouveau délai de régularisation commencerait à courir à compter de la notification de ce rejet. La juridiction ne peut alors pas, « sauf à méconnaître les règles générales de procédure applicables devant elle » et le droit de toute personne à un recours effectif (CE, 7 avril 2010, Bruguier, n° 315123, inédit), examiner la requête avant l’expiration de ce nouveau délai (CE, 11 octobre 2006, Mme Etienne, n° 282107, T.). Toujours dans le souci de donner une portée utile à l’intervention du juge, l’invitation à régulariser doit également indiquer la sanction encourue – le rejet du recours pour irrecevabilité – par le requérant qui n’y donnerait pas une suite favorable. L’information doit être précise et fiable. Tel n’est pas le cas d’une demande qui se contente d’indiquer qu’elle a pour objet « de compléter l’instruction » sans mentionner explicitement que la requête pourra être déclarée irrecevable à défaut de réponse dans le délai imparti (CE, 25 octobre 2004, Préfet de police c/ Mme de Sousa, n° 256944, T.). L’alinéa 3 de l’article R. 612-1 du CJA indique, enfin, que « la demande de régularisation tient lieu de l’information prévue à l’article R. 611-7 » (v. cependant CE, 28 mars 2018, n° 410552, T.). Celui-ci impose au juge de soumettre au débat contradictoire un moyen qu’il envisagerait de relever d’office. L’équivalence des procédures d’information n’est cependant pas réciproque. Lorsque le juge entend soulever d’office le moyen tiré de l’irrecevabilité de la requête, il ne peut pas se contenter de respecter la procédure prévue à l’article R. 611-7 du CJA. Il doit également adresser au requérant une invitation à régulariser répondant aux prescriptions de l’article R. 612-1 du CJA (CE, 13 juillet 2016, M. Delhaye, n° 388803, T.).

Le respect de l’obligation d’inviter à régulariser une irrecevabilité conditionne la régularité du jugement ou de l’arrêt rendu in fine. Si le juge rejette un recours après avoir soulevé d’office une cause d’irrecevabilité mais sans avoir adressé de demande de régularisation, sa décision sera annulée en cas d’appel ou de pourvoi en cassation. S’il statue au fond sans avoir préalablement opposé une fin de non-recevoir et que l’irrecevabilité de la requête initiale est avérée, la situation est plus complexe. La section du contentieux du Conseil d’État a fini par apporter une solution équilibrée à cet épineux problème juridique. Le juge d’appel, s’il est confronté à cette difficulté, doit en principe nécessairement relever d’office l’irrecevabilité de la demande initiale et annuler le jugement rendu pour irrégularité. En n’opposant pas l’irrecevabilité, le juge a effectivement ipso facto manqué à son devoir d’information. Toutefois, l’annulation ne pourra légalement intervenir qu’après que le juge d’appel aura lui-même invité – sans succès – le requérant à régulariser l’irrecevabilité. En tout état de cause, le juge d’appel « ne saurait sans méconnaître l’étendue de ses pouvoirs » se soustraire à cette obligation au prétexte que l’irrégularité de la procédure de première instance tenant au défaut d’invitation à régulariser n’aurait pas été invoquée en appel (CE, Sect., 29 décembre 2000, Caisse primaire d’assurance maladie de Grenoble, n° 188378, Rec.).

Les larges possibilités de régularisation des irrecevabilités et les obligations subséquentes du juge témoignent des facilités d’accès au juge administratif et de l’intérêt porté à la situation du requérant (v. B. Seiller, « Une efficacité renforcée par un accès accru aux prétoires : approche juridique », in R. Matta Duvignau et M. Lavaine (dir.), L’efficacité de la justice administrative, Paris, Mare & Martin, 2016, p. 185). Elles sont également la manifestation de l’importance reconnue aux règles de recevabilité dans le cadre du procès administratif. Le régime de la régularisation des irrecevabilités illustre finalement parfaitement combien le droit de la procédure administrative contentieuse est un droit au service des justiciables et d’une justice de qualité.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 245

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De la régularisation en marché public

par Mme Pauline GALLOU

Doctorante en droit public à l’université Toulouse 1 Capitole
membre de l’Institut Maurice Hauriou (EA 4657)

S’interroger sur les liens qu’entretiennent la régularisation et les marchés publics peut sembler surprenant. Il est en effet très souvent reproché aux marchés publics d’être caractérisés par la grande rigidité de leurs procédures et un formalisme excessif. D’ailleurs, quel juriste n’a jamais entendu que l’efficacité économique de l’achat public était sacrifiée sur l’autel de sécurité juridique ? Cette affirmation doit cependant être relativisée. La preuve en est avec la possibilité offerte à l’acheteur public, sous certaines conditions, de procéder à des régularisations en matière de marché public. Par cette action, il opère une mise en conformité a posteriori d’un acte de procédure ou d’un acte juridique (le contrat). Or, opérer une régularisation en marché public implique que l’acheteur public prenne le risque d’amoindrir la sécurité du processus d’achat ou, tout au moins, qu’il prenne le risque d’une contestation de celui-ci. Pourtant, il convient de démontrer que la balance entre l’appréciation de la légalité et la stabilité du processus d’achat ne penche pas toujours en faveur d’une orthodoxie de la légalité. Parfois, le pragmatisme de l’acheteur motive une régularisation de l’achat public. Aussi, il n’est pas toujours aisé pour l’acheteur de déterminer avec certitude les contours d’une irrégularité.

Néanmoins, le mécanisme de régularisation bénéficie d’un espace limité en matière de marché public. Auparavant, l’article 52 du code des marchés publics donnait la possibilité à l’acheteur public de régulariser les candidatures pour lesquelles il constatait que des pièces réclamées étaient absentes ou incomplètes. Le terme de régularisation était uniquement employé concernant les candidats n’ayant pas justifié de leur capacité juridique. L’acheteur, s’il optait pour une régularisation des candidatures (lato sensu), devait demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai identique et n’excédant pas dix jours. Alors que la régularisation des candidatures pouvait être mise en œuvre pour toutes les procédures, le code des marchés publics ne permettait pas de régulariser les offres en procédure d’appel d’offre. En vertu de l’article 59 du code des marchés publics, l’acheteur public pouvait uniquement demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre lors d’un appel d’offre. L’offre irrégulière devait être éliminée sans être analysée, ni classée. Le juge avait cependant admis la régularisation d’erreurs purement matérielles (CE, 21 septembre 2001, Département des Hauts-de-Seine, n° 349149, Rec.). Lorsqu’à la suite d’un appel d’offres ou dialogue compétitif, seules des offres irrégulières ou inacceptables étaient proposées, le pouvoir adjudicateur qui était tenu de les rejeter pouvait relancer la procédure avec un marché négocié après publicité préalable et mise en concurrence (I, 1° art. 35 du code des marchés publics).

En revanche si l’acheteur avait lancé un appel d’offres pour lequel aucune candidature ou aucune offre n’avait été déposée ou pour lequel seules des offres inappropriées ont été déposées, la procédure pouvait être relancée par un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence (II, 3° art. 35 du code des marchés publics). En procédure adaptée, la régularisation des offres irrégulières était admise lors de la négociation, à condition toutefois de préserver l’égalité entre les candidats et de ne pas neutraliser un critère (CE, 27 avril 2011, n° 344244, T.). Alors que la doctrine administrative semblait exclure de la régularisation les offres inappropriées, c’est-à-dire sans rapport avec le marché public (Rép. du Min. de l’économie à la QE n° 70215 de D. Fidelin, JO AN du 4 mai 2010, p. 5009), le juge n’avait semble-t-il pas retenu cette limitation. Ainsi, l’acheteur public pouvait admettre les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables à négocier et ne pas les éliminer d’emblée. Si, à l’issue de la négociation, l’offre conservait son caractère irrégulier, inacceptable ou inapproprié, l’acheteur devait la rejeter sans la classer (CE, 30 novembre 2011, n° 353121, T.). En revanche, le V de l’article 66 du code des marchés publics imposait pour les procédures négociées que les offres inappropriées au sens du 3° du II de l’article 35 du code des marchés publics soient éliminées.

Ainsi, une distinction était opérée en matière de régularisation selon d’une part la procédure de passation et d’autre part la nature de l’irrégularité.

De son côté, la nouvelle réglementation des marchés publics emploie expressément le mot « régularisation » à deux reprises. Tout d’abord, l’article 45 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics énonce pour certaines exclusions aux marchés publics la possibilité dans certains cas pour le soumissionnaire de régulariser sa situation (hypothèses du 4° et 5° de l’art. 45) et d’éviter que sa candidature ne soit rejetée conformément au IV de l’article 55 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

Ensuite, l’article 59 du décret du 25 mars 2016 envisage la régularisation des offres. Les acheteurs identifient cependant d’avantage de cas de régularisation que ceux expressément qualifiés par la législation. Si la régularisation en marché public reste en théorie marginale, on ne peut toutefois nier son existence. Étudier la régularisation en matière de marché public nécessite de s’intéresser à la polysémie du mot et à la grande diversité des mécanismes pouvant être utilisés par les acheteurs publics. Pour avoir une photographie d’ensemble, il pourrait être nécessaire d’élargir l’étude à d’autres hypothèses que celles expressément visées par les textes et développées ci-après. Seule sera abordée ici la régularisation utilisée par l’acheteur lors de la passation du marché public.

Il conviendra alors de rappeler dans un premier temps le raisonnement de l’acheteur conduisant à une possible régulation et les caractères de cette dernière (I) avant d’étudier les deux principales régularisations pouvant être utilisées par l’acheteur public au stade de la passation (II).

I) Le raisonnement de l’acheteur et les caractéristiques de la régularisation

A) Le raisonnement juridique menant à une possible régularisation

La régularisation peut être regardée comme l’aboutissement du raisonnement juridique de l’acheteur public. La première étape du raisonnement de l’acheteur en matière de régularisation vise à déterminer si le fait qu’il observe peut-être qualifié d’irrégularité. Cela nécessite d’opérer une qualification juridique du fait. Ce fait est ensuite confronté à une règle de droit afin de déterminer sa légalité. La nature et la source de cette dernière peuvent être multiples puisqu’il peut s’agir d’une norme extrinsèque (une norme internationale, législative, réglementaire) ou d’une règle intrinsèque, définie dans les pièces du marché ou de la consultation visant à traduire le besoin de l’acheteur public.

Cette étape cruciale de qualification juridique n’est pas toujours aisée en matière de marché public car elle implique notamment que la définition des besoins soit parfaitement réalisée en amont et qu’elle soit ensuite fidèlement traduite dans les pièces du marché. Un arrêt du tribunal administratif de Paris du 4 septembre dernier illustre cette difficulté (TA Paris, 4 septembre 2018, n° 1815042/3-5). En l’espèce le ministère de la défense avait lancé un accord-cadre mono-attributaire pour l’acquisition d’appareils portatifs de radiographie avec générateur de rayons X. Conformément à une recommandation de l’Autorité de sûreté nucléaire, le ministère désirait acheter un équipement pouvant être déclenché à distance. Pour traduire cette exigence technique, l’acheteur a introduit dans son cahier des charges une référence à une norme technique (NF C 74-100) en pensant que cette norme contenait cette exigence. Lors de l’examen des offres, l’acheteur a rejeté une offre d’un candidat comme irrégulière car ce dernier proposait le déclenchement de l’équipement au moyen d’un retardateur et non pas un déclanchement à distance. Or, la norme visée par le cahier des charges n’imposait qu’un dispositif de commande sans préciser son emplacement.

Ainsi, un appareil présentant un déclanchement à distance ou un appareil se déclenchant à retardement pouvaient être admis. La mauvaise définition du besoin a conduit le ministère à commettre une erreur de droit en rejetant une offre irrégulière d’un candidat qui ne l’était pas au regard de la norme visée dans le cahier des charges. Cette jurisprudence illustre le risque de contestation qu’encourt le rejet d’une offre pour irrégularité. Le juge administratif a pu encourager le pragmatisme de l’acheteur public en jugeant que l’utilisation du mauvais BPU n’entraîne pas nécessairement l’irrégularité de l’offre (CE, 16 avril 2018, Collectivité de Corse n° 417235, inédit).

La deuxième étape du raisonnement mené par l’acheteur consiste à se demander si l’irrégularité identifiée est susceptible d’être régularisée. Si tel est le cas, l’acheteur doit choisir la méthode la plus appropriée. Si la régularisation n’est pas possible ou qu’il ne la souhaite pas, l’acheteur public détermine et applique la sanction appropriée. Cette sanction se manifeste par le rejet de la candidature ou de l’offre.

B) Les caractères communs de la régularisation

La régularisation implique une action de l’acheteur réalisée a posteriori du dépôt des plis des candidats. La régularisation est une initiative de l’acheteur public qui bénéficie au candidat. Cependant, la mise en œuvre de la régularisation est une simple faculté laissée à l’appréciation de l’acheteur public (CE, 21 mars 2018, Département des Bouches-du-Rhône, n° 415929, inédit ; CE, 26 avril 2018, Département des Bouches-du-Rhône, n° 417072, inédit). L’acheteur n’a donc pas l’obligation de régulariser une offre irrégulière, ni ne doit motiver sa décision.

S’il choisit d’opter pour une régularisation, celle-ci doit respecter les principes de la commande publique et notamment les principes d’égalité entre les candidats et de transparence. L’acheteur doit donc inviter l’ensemble des candidats irréguliers à régulariser leur situation dans des conditions identiques et appropriées. C’est ensuite au candidat d’agir, l’acheteur ne peut procéder seul à une régularisation.

Voyons plus précisément les différences entre une régularisation intervenant lors de la phase de candidature et une régularisation au stade de l’offre.

II) La régularisation des candidatures et des offres

A) Le maintien de la faculté de régularisation des candidatures

L’article 55 du décret du 25 mars 2016 dispose que « l’acheteur qui constate que des pièces ou informations dont la présentation était réclamée au titre de la candidature sont absentes ou incomplètes peut demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai approprié et identique pour tous ». L’acheteur n’a qu’une alternative : tout ou rien.

En effet, soit il demande à tous les candidats concernés de fournir les pièces ou informations manquantes, soit il ne leur demande pas et élimine leurs candidatures après les avoir jugées irrecevables. Si à l’issue de la demande effectuée par l’acheteur une candidature demeure incomplète ou irrégulière, le candidat est éliminé.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que le décret du 25 mars 2016 ne qualifie pas de régularisation ce mécanisme, contrairement aux acheteurs publics. S’il ne bouleverse pas l’état du droit antérieur concernant ce mécanisme, il allège l’obligation de l’acheteur. En effet, il ne prévoit plus l’obligation pour l’acheteur public d’informer les candidats dont la candidature est régulière lors de la mise en œuvre de la régularisation. À côté de la suppression de cette obligation contribuant à la transparence de la procédure, les candidats ne bénéficient plus de la possibilité de compléter leur candidature complète.

En outre, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou l’analyse des offres, le candidat ou le soumissionnaire pressenti qui ne peut fournir les éléments demandés dans le délai imparti est éliminé. Le décret du 25 mars 2016 prévoit que l’acheteur décline ce mécanisme en cascade tant qu’il reste des offres qui ne sont pas sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables.

La nouvelle règlementation établit la possibilité de régulariser les offres.

B) L’extension de la régularisation au stade de l’analyse des offres

Le décret du 25 mars 2016 consacre la possibilité de régulariser les offres des candidats sans toutefois faire de cette possibilité le principe (art. 59 du décret du 25 mars 2016). Il transpose ainsi l’opportunité offerte par les directives européennes de 2014 (art. 56.3 de la directive 2014/24/UE ; art. 76 de la directive 2014/25UE) sous réserve de respecter les principes d’égalité de traitement et de transparence. Cette évolution vient mettre fin à des situations dans lesquelles des oublis ou des erreurs mineures conduisaient notamment l’acheteur à exclure des offres économiquement avantageuses.

Le texte rappelle tout d’abord que les offres arrivées hors délais sont éliminées et que l’acheteur vérifie ensuite que les offres reçues sont régulières, acceptables et appropriées. Le décret du 25 mars 2016 définit ensuite les typologies d’irrégularités :

« Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. / Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché public tels qu’ils ont été déterminés et établis avant le lancement de la procédure. / Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché public parce qu’elle n’est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l’acheteur formulés dans les documents de la consultation ».

Comme sous le code des marchés publics, le principe reste celui de l’élimination des offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables, quel que soit la procédure. La grande nouveauté se situe dans l’introduction de la régularisation en matière d’appel d’offre. Lors des procédures d’appel d’offres et des procédures adaptées sans négociation, les acheteurs peuvent, s’ils le souhaitent, régulariser les offres irrégulières stricto sensu. La régularisation ne peut donc s’étendre pour ces procédures aux offres inappropriées ou inacceptables. Pour les autres procédures, l’acheteur peut choisir de régulariser les offres irrégulières ou inacceptables. Les offres anormalement basses et les offres inappropriées ne peuvent donner lieu à régularisation. À noter que l’acheteur dispose également toujours en appel d’offre ouvert (art. 67 du décret du 25 mars 2016) et restreint (art. 70 du décret du 25 mars 2016) de la faculté de demander aux candidats des précisions sur la teneur de leur offre.

En revanche, la mise en œuvre de la régularisation n’est pas sans limite. Le IV de l’article 59 du décret du 25 mars 2016 dispose que « la régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres ». La jurisprudence donnera très certainement un éclairage sur les éléments pouvant donner lieu à régularisation et ceux ne pouvant être régularisés. La dématérialisation des offres à compter du 1er octobre 2018 qui a d’ores et déjà suscité de nombreuses questions sur la possible régularisation des offres papiers en sera peut-être une illustration.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 244

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La régularisation en droit de l’urbanisme

par M. Henri BOUILLON

Maître de conférences à l’université de Bourgogne Franche-Comté – membre du CRJFC (EA 3225)

Le droit de l’urbanisme est un laboratoire idéal pour analyser la régularisation des actes administratifs. La régularisation est désormais une technique incontournable en droit administratif, et elle est en conséquence de plus en plus étudiée par la doctrine. La constitution de ce dossier par le JDA en atteste. Mais en dépit de cette attention doctrinale croissante, la régularisation reste difficile à circonscrire tant elle est polymorphe. La diversité des domaines où elle s’inscrit, et dont les articles ici rassemblés montrent l’hétérogénéité, révèle aussi la plasticité de cette technique, dont les multiples facettes ne se laissent pas percevoir aisément.

Il convient de cerner la notion de régularisation par opposition à celle, qui lui est sœur, de réfection. Au sens strict, la régularisation est la régularisation d’un acte juridique : c’est le mécanisme qui consiste à purger un acte administratif, unilatéral ou contractuel, d’un vice qui l’entache, afin de lui épargner une censure qui le ferait disparaître de l’ordre juridique. Cette régularisation permet de faire perdurer l’acte juridique (protection de la sécurité juridique), tout en le purgeant de ses irrégularités (protection de la légalité) : la légalité de l’acte est rétablie sans que l’ordre juridique s’en trouve modifié. Avec cette première technique, coexiste la régularisation d’une situation de fait. En ce second cas, l’acte juridique entaché d’irrégularité est banni de l’ordre juridique mais, pour que la situation de fait qu’il régissait ne soit pas privée de base juridique, l’administration adopte un nouvel acte pour couvrir juridiquement cette situation : il s’agit là d’une réfection de l’acte, qui « procède (…) à la confirmation d’une situation factuelle par octroi d’une nouvelle base juridique » (E. Langelier et A. Virot-Landais, « Mérites et limites du recours à la régularisation des actes viciés », JCP A 2015, n° 30-34). La différence fondamentale entre ces deux hypothèses est que, dans la régularisation stricto sensu, l’acte juridique perdure, alors que la réfection consiste en l’adoption d’un nouvel acte pour assurer le maintien d’une situation de fait. Tiré du droit de la fonction publique, l’exemple de l’arrêt Cavallo (CE, Sect., 31 décembre 2008, n° 283256, Rec.) fait saisir cette distinction. L’arrêt impose à l’administration de proposer à l’agent public contractuel, dont le contrat est irrégulier, « une régularisation de son contrat afin que son exécution puisse se poursuivre régulièrement » ; il s’agit là d’une régularisation de l’acte. Mais « si le contrat ne peut être régularisé », l’administration doit, dans la limite des droits résultant du contrat initial, proposer à l’agent un emploi de niveau équivalent ou, à défaut, tout autre emploi, « afin de régulariser sa situation » ; il s’agit alors d’une réfection, destinée à remplacer le contrat initial pour pérenniser la situation de l’agent. Il ne sera présentement question que de la régularisation des actes.

Même ainsi délimité – et réduit –, le sujet reste vaste. Car le droit de l’urbanisme connaît diverses hypothèses de régularisation d’un acte administratif : la régularisation peut y intervenir à l’initiative de l’administration ou à l’initiative du juge administratif, soit a priori, c’est-à-dire durant l’instance et avant le jugement définitif de l’affaire (articles L. 600-5-1 et L. 600-9 du code de l’urbanisme), soit a posteriori, c’est-à-dire après annulation conditionnelle de l’acte par le juge administratif (article L. 600-5 du même code). C’est pour ce motif que l’étude du droit de l’urbanisme est riche d’enseignements et que, compte tenu du recul que l’on commence à avoir sur ces techniques, il permet d’apprécier les tenants et aboutissants de la régularisation.

Il n’est pas douteux que l’objectif de ces hypothèses de régularisation est, en toute occurrence, de préserver la sécurité juridique, qui avait pu être précarisée par des recours contentieux nombreux et parfois abusifs. La régularisation d’un acte permet en effet de le maintenir en vigueur, en le purgeant des illégalités détectées. Elle évite la censure totale ou partielle de l’acte, avec l’effet rétroactif qui s’attache à l’annulation juridictionnelle, et favorise ainsi la stabilité du droit. Or pour des opérations d’urbanisme, qui engagent le plus souvent des travaux et des frais importants, la permanence des règles encadrant ces opérations est de la toute première importance. Le rapport Pelletier, intitulé Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d’urbanisme, de février 2005, y insistait (il est à l’origine de certains des mécanismes que nous allons évoquer).

Mais, comme tout ce qui est humain est imparfait, cet avantage de la régularisation est contrebalancé par un inconvénient qu’on ne doit pas négliger : l’oubli de la révérence due au principe de légalité, principe traditionnel du droit administratif, cœur de l’État de droit et qui impose à l’administration le plein respect des règles de droit. Certes, de prime abord, l’atteinte à ce vénérable principe paraît bénigne : la légalité est respectée puisque les vices entachant l’acte administratif sont régularisés. Mais la purification de l’acte n’équivaut pas à son immaculée conception. Régulariser un vice de procédure, par exemple, n’est jamais totalement équivalent au respect préalable de cette procédure. Une règle de forme n’a en effet de sens que si elle précède l’adoption de l’acte et concourt à la qualité de celui-ci. Si une autorité administrative qui doit émettre un avis n’est consultée, pour régularisation, qu’après la mise en œuvre de l’acte, l’avis n’aura en rien amélioré la formation de l’acte adopté : la finalité de l’avis, quelle qu’elle soit (autorisation, recommandation, prise en compte d’intérêts différents, etc.), est méconnue. Ainsi, par exemple, de la régularisation de l’avis omis de l’Architecte des bâtiments de France (CAA Paris, 11 juillet 1997, Serane, Kahn-Shriber et Hamel, n° 95PA03910). La vanité de cette régularisation est comparable, si l’on nous permet ce futile rapprochement, à celle que fait l’automobiliste qui n’actionne son clignotant qu’après avoir changé de voie sur l’autoroute, car la finalité de cette obligation est d’avertir les autres automobilistes de ses intentions. La légalité est formellement respectée, mais on ne peut néanmoins s’empêcher de penser qu’il y a là un artifice peu satisfaisant, qui méconnaît l’utilité et la finalité de la règle violée.

En présentant les mécanismes de régularisation en droit de l’urbanisme, il ne paraît donc pas inutile de s’interroger incidemment sur l’équilibre établi entre la légalité et la sécurité juridique. Or il est très net que, ces dernières années, la sécurité juridique est avantageusement promue au détriment de la légalité. Le législateur a joint ses efforts à ceux du juge pour favoriser la sécurité juridique des différents actes d’urbanisme et sécuriser ainsi les opérations qu’ils permettent ou encadrent.

Pour expliquer le plus simplement possible les subtilités de la régularisation en droit de l’urbanisme, cette présentation s’appuiera sur la distinction entre régularisation a priori et régularisation a posteriori. Seront d’abord évoqués les différents mécanismes de régularisation a priori, c’est-à-dire intervenant avant la décision du juge administratif (I). Pourra ensuite être étudié l’article L. 600-5, qui institue un mécanisme de régularisation a posteriori, effectuée après la censure de l’autorisation d’urbanisme par le juge administratif (II).

I) La régularisation a priori

La régularisation a priori intervient avant la décision du juge administratif, le plus souvent en cours d’instance. Contrairement à la régularisation a posteriori donc, cette régularisation n’intervient pas à la suite d’une annulation juridictionnelle. « Elle est toutefois intimement liée à un risque d’annulation puisqu’en l’absence de régularisation dans le délai imparti par le juge, l’annulation interviendra immanquablement » (S. Roussel et C. Nicolas, « Documents d’urbanisme : régulariser à tout prix », AJDA 2018, p. 272). Plus concrètement, « la régularisation a pour effet de purger le vice affectant l’acte : la conséquence pour le litige est radicale, il perd son objet » (R. Noguellou, « Régularisation et droit de l’urbanisme. Note sous CE, Sect., 22 décembre 2017, Commune de Sempy », RFDA 2018, p. 370).

Deux articles du code de l’urbanisme consacrent la faculté pour le juge d’offrir à l’administration la possibilité de régulariser son acte durant l’instance : l’article L. 600-5-1 pour les autorisations d’urbanisme (A) et l’article L. 600-9 pour les documents d’urbanisme (B). Le juge a aussi admis que l’administration puisse, durant l’instance, procéder spontanément à cette régularisation (C).

Le grand avantage de ces techniques est que la régularisation est aux mains de l’administration. C’est elle qui procède à la régularisation – quoique ce ne soit pas toujours spontanément –, ce qui évite tout soupçon de juge-administrateur, même si la régularisation s’opère toujours sous le contrôle du juge qui appréciera si celle-ci suffit à couvrir les irrégularités. Toutefois la question de l’articulation entre légalité et sécurité juridique perdure, puisque la régularisation colmate les fissures faites à la légalité afin de maintenir l’acte en vigueur, sans que cette réparation soit équivalente à un plein respect de la légalité de l’acte dès son édiction.

A) La régularisation a priori des autorisations d’urbanisme

L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 a introduit dans le code de l’urbanisme un article L. 600-5-1. Il institue un mécanisme particulier de régularisation a priori des autorisations d’urbanisme, c’est-à-dire des permis de construire, permis de démolir et permis d’aménager. Selon cet article, « le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ». L’article dispose ainsi que le juge peut, par un jugement avant-dire-droit, surseoir à statuer et demander la régularisation du permis à l’administration. Si, dans le délai imparti par le juge, l’administration délivre un permis modificatif pour supprimer l’illégalité relevée, la régularisation ainsi opérée permet au juge de déclarer l’acte légal et de mettre fin à l’instance, qui a perdu son objet. La sécurité juridique est ainsi pleinement garantie, puisque l’acte, même irrégulier, se trouve pérennisé suite à sa comparution devant le juge.

Dans quelles conditions peut jouer l’article L. 600-5-1 ? L’arrêt SCI Rivera Beauvert (CE, 30 décembre 2015, n° 375276, inédit) a précisé ces conditions dans un considérant de principe clair : le juge administratif doit « apprécier si le vice qu’il a relevé peut être régularisé par un permis modificatif. Un tel permis ne peut être délivré que si, d’une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés – sans que la partie intéressée ait à établir devant le juge l’absence d’achèvement de la construction ou que celui-ci soit tenu de procéder à une mesure d’instruction en ce sens – et si, d’autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale » (point 4).

De façon générale donc, l’article L. 600-5-1 ne peut être mis en œuvre que si l’autorisation d’urbanisme peut être régularisée par un permis modificatif. Le permis modificatif est un acte de régularisation : il s’incorpore au permis initial, dont les irrégularités sont effacées, qu’il s’agisse de la méconnaissance d’une règle de fond (CE, 9 décembre 1994, Sarl Séri, n° 116447, T.) ou d’un vice de forme ou de procédure (CE, 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers, n° 238315, T.). Le permis modificatif modifie – comme son nom l’indique – le permis initial sans s’autonomiser de lui. Et à compter du jugement avant-dire-droit prononcé sur le fondement de l’article L. 600-5-1, seuls des moyens dirigés contre le permis modificatif pourront être invoqués (CE avis, 18 juin 2014, Société Batimalo, n° 376760, Rec. point 4). Cette restriction est logique dans la mesure où les autres dispositions du permis initial (celles qui n’ont pas à être régularisées) ont été reconnues légales par ce jugement avant-dire droit, l’article L. 600-5-1 précisant que le juge ne peut permettre la régularisation qu’« après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés » ; ces dispositions ne pourront plus être remises en cause dans la suite de l’instance, alors même que la nouvelle articulation dont elles feront l’objet avec les dispositions régularisées par le permis modificatif pourrait faire douter de leur légalité future. Par un arrêt Association NARTECS (CE, 6 avril 2018, Association Nature, aménagement réfléchi, territoire, environnement, culture sauvegardés, n° 402714, T. point 8), le Conseil d’État a précisé les conditions de la contestation du permis modificatif : les parties peuvent le contester, non seulement pour ses vices propres, mais encore pour « le motif que le permis initial n’était pas régularisable », notamment s’il était entaché d’un vice d’une telle gravité qu’il ne pouvait être régularisé.

Toute la question est alors de savoir dans quelles hypothèses un permis de construire modificatif peut être émis. La jurisprudence SCI Rivera Beauvert subordonne cette édiction à deux conditions :

Premièrement, cette jurisprudence imposait que « les travaux autorisés par le permis initial ne [soient] pas achevés ». Cette condition était logique dans la mesure où l’achèvement des travaux implique en principe que l’autorisation d’urbanisme n’ait plus lieu d’être, puisqu’elle n’a plus d’objet. Cette condition a toutefois été abandonnée par la jurisprudence. Un arrêt Bonhomme (CE, 22 février 2017, n° 392998, Rec. point 3) indique que l’article L. 600-5-1 ne subordonne pas « par principe, cette faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n’aient pas été achevés ». L’objectif est clair : les travaux ayant été réalisés, la régularisation du permis les ayant autorisés permet de mettre les constructions à l’abri de toute remise en cause ultérieure. La sécurité juridique des travaux se trouve ainsi garantie par la régularisation de l’acte les ayant autorisés. Toutefois, l’autorisation d’urbanisme disparaissant en principe avec l’achèvement des travaux qu’elle permet, on se trouve ici à la frontière entre réfection (régularisation de la situation, des constructions ici) et régularisation de l’acte administratif : la régularisation d’un acte devenu sans objet, qui vise à assurer une base juridique légale à des constructions, ne se confond-elle pas avec une réfection spécifique, consistant à faire revivre un acte éteint (et non pas seulement à régulariser un acte en vigueur) pour éviter la remise en cause des constructions ?

La deuxième condition, logique au regard de la technique de régularisation par l’entremise d’un permis modificatif, est que la régularisation ne porte pas atteinte à la conception générale de l’ouvrage. L’idée est qu’un permis modificatif qui bouleverserait la conception générale des travaux autorisés serait en réalité un nouveau permis, puisqu’il concernerait en quelque sorte des travaux de facture différente (CE, Sect., 26 juillet 1982, Le Roy, n° 23604, Rec.). Le Conseil d’État retient toutefois une conception très souple de ce qu’est la conception générale de la construction, en jugeant par exemple que l’implantation, les dimensions ou l’apparence de la construction ne sont pas à intégrer dans sa conception générale et peuvent ainsi faire l’objet d’un permis modificatif (CE, 30 décembre 2015, SCI Rivera Beauvert, n° 375276, inédit).

Ce mécanisme présente une parenté étroite avec celui institué à l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme, qui ne porte néanmoins pas sur les mêmes actes.

B. La régularisation a priori des documents d’urbanisme

Issu de l’article 137 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR), l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme s’inspire du dispositif fixé à l’article L. 600-5-1, à cette différence importante qu’il ne vise pas les mêmes actes : tandis que l’article L. 600-5-1 concerne les autorisations d’urbanisme, l’article L. 600-9 permet la régularisation des schémas de cohérence territoriale (SCOT), des plans locaux d’urbanisme (PLU) et des cartes communales. Hormis cette notable distinction, l’article L. 600-9 permet, à l’instar de l’article L. 600-5-1, à cette régularisation d’intervenir devant le juge, dans le cadre d’une instance unique. « Régulariser plutôt qu’annuler, donner plus rapidement, dans le cadre de l’instance initiale, une solution définitive au litige : tels sont les objectifs de ce texte » (J. Burguburu, « Régularisation et droit de l’urbanisme. Conclusions sur CE, Sect., 22 décembre 2017, Commune de Sempy », RFDA 2018, n° 2, p. 357).

Lorsque le juge estime qu’une telle régularisation est possible, il peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, après avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le principe de l’application de l’article L. 600-9, constater, par une décision avant-dire-droit, que les autres moyens ne sont pas fondés et surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour permettre, selon les modalités qu’il détermine, la régularisation du vice relevé (CE, 12 octobre 2016, Kerwer, n° 387308, Rec.). Le juge est, dans ce dispositif, le « maître du jeu » (S. Roussel et C. Nicolas, « Documents d’urbanisme : régulariser à tout prix », AJDA 2018, p. 272) : il n’a pas besoin d’être saisi d’une demande des parties pour faire application de l’article L. 600-9. Il a, en outre, « le dernier mot, d’une part et en amont, sur la qualification du caractère régularisable de l’illégalité viciant l’acte litigieux, d’autre part et en aval, sur la régularisation à laquelle il est procédé » (ibid.). Par ailleurs, le Conseil d’État a autorisé le juge d’appel à faire application de l’article L. 600-9 alors que le premier juge n’avait pas estimé nécessaire ou possible de le faire (CE, Sect., 22 décembre 2017, Commune de Sempy, n° 395963, Rec. point 4). Cela « témoigne de la volonté du Conseil d’État de prolonger autant que possible le temps de la régularisation devant les juges du fond, en dérogeant au besoin aux règles générales du contentieux administratif » (R. Bonnefont, « Possibilité de régulariser en appel une autorisation d’urbanisme annulée en première instance », AJCT 2018, p. 351). La sécurité juridique se trouve ici promue avec une vigueur toute particulière. Elle l’est d’autant plus que cette possibilité de régularisation évite que d’anciennes dispositions, parfois obsolètes, soient remises en vigueur suite à une annulation contentieuse : l’article L. 600-12 du même code précise en effet que « l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur ». La régularisation du document d’urbanisme évite ainsi de faire revivre l’ancien document.

Néanmoins, le problème de la conciliation entre légalité et sécurité juridique est ici plus pressant encore que dans le cadre de l’article L. 600-5-1, puisque les actes concernés ne sont pas individuels mais ont une portée générale. Modifier un SCOT, un PLU ou une carte communale, applicables par définition à différentes situations, n’est pas nécessairement sans impact sur la sécurité juridique, pourtant visée au premier chef par ce mécanisme, puisque la modification peut se répercuter sur d’autres autorisations d’urbanisme délivrées conformément au document modifié. Quant à la légalité, elle fait l’objet de la même révérence artificielle : elle n’est prise en considération que parce qu’elle a été initialement méconnue. D’ailleurs, le mécanisme de l’article L. 600-9 soulève une difficulté importante : il paralyse le principe selon lequel l’administration est tenue de ne pas appliquer un règlement illégal, puisque l’administration a bel et bien fait application d’un acte de portée générale qui était irrégulier au moment où il a servi de base légale à la délivrance d’une autorisation individuelle, celui-ci faisant simplement l’objet d’une correction a posteriori en vue de gommer – rétroactivement – l’illégalité commise.

En revanche, comme pour compenser la majoration de ces difficultés, l’article L. 600-9 limite les régularisations possibles, contrairement à l’article L. 600-5-1 précédemment évoqué. L’article distingue en effet les cas selon qu’est identifié un vice de forme ou de procédure ou un autre type de vice. En cas d’illégalité pour vice de forme ou de procédure (article L. 600-9, 2°), l’illégalité n’est régularisable que si elle a eu lieu « après le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durables ». Pour les vices qui ne sont ni de forme ni de procédure (article L. 600-9, 1°), les SCOT et les PLU ne peuvent être régularisés que par une modification respectant la procédure imposée par le code de l’urbanisme à cette fin ; dans ce second cas, il ne s’agit que d’une limite procédurale aux possibilités de régularisation.

La distinction entre ces deux catégories de vices a aussi une incidence sur la date à laquelle l’administration doit se placer pour connaître les règles applicables à la régularisation. L’arrêt Commune de Sempy (CE, Sect., 22 décembre 2017, n° 395963, Rec. point 6) indique que, pour les vices de forme ou de procédure, l’administration doit appliquer les dispositions en vigueur à la date à laquelle elle a pris sa décision ; en cas de vice de fond au contraire, l’administration doit faire application des règles en vigueur au moment de la régularisation. « Il existe en effet une différence significative entre les deux : la régularisation d’un vice de forme se traduit par la réparation de l’acte ; la régularisation d’une illégalité de fond prend la forme d’une réédition de celui-ci. Dans le premier cas, s’appliquent les règles existantes à la date d’édiction de l’acte. Dans le second devraient s’appliquer les règles existantes au jour où la réfection intervient » (O. Le Bot, « Chronique de contentieux administratif. Décisions d’octobre à décembre 2017 », JCP A 2018, n° 18-19).

Le Conseil d’État a enfin précisé que la légalité de l’acte de régularisation doit être contestée dans le cadre de la même instance et que les parties ne sont « pas recevables à présenter devant le tribunal administratif une requête tendant à l’annulation de cet acte » (CE, 29 juin 2018, Commune de Sempy, n° 395963, Rec. point 4). Il ajoute que les parties peuvent, pour contester l’acte de régularisation, « invoquer des vices affectant sa légalité externe et soutenir qu’il n’a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant-dire droit. Elles ne peuvent soulever aucun autre moyen, qu’il s’agisse d’un moyen déjà écarté par la décision avant-dire droit ou de moyens nouveaux, à l’exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation » (point 4). Cette formulation rejoint la solution dégagée, à propos de l’article L. 600-5-1, par l’arrêt Association NARTECS, avec ces différences néanmoins que la jurisprudence Commune de Sempy exclut explicitement les moyens nouveaux et ne dit rien du caractère régularisable ou non du vice détecté dans le document initial.

C) La régularisation a priori à l’initiative de l’administration

Hors ces hypothèses textuelles, le juge a aussi admis que l’administration puisse régulariser spontanément l’acte administratif vicié durant l’instance.

En premier lieu, de manière générale et somme toute classique, l’administration peut spontanément régulariser l’acte qui fait l’objet du recours, durant l’instance et avant même que le juge se prononce. De même qu’un litige relatif au refus de l’administration de délivrer un agrément s’éteint si l’administration délivre finalement l’agrément au requérant, la régularisation de l’acte, à la supposer complète, met un terme à l’instance. La régularisation coupe en quelque sorte l’herbe sous le pied du requérant, puisque la régularisation anticipée par l’administration prive le recours de son objet. Un permis modificatif peut ainsi régulariser en cours d’instance le permis initial entaché d’un vice de procédure ou de fond (CE, 9 décembre 1994, SARL Seri, n° 116447, T. ; CE, 7 mars 2018, Commune de Wissembourg, n° 404079, Rec. point 8), à condition toutefois que ce permis modificatif soit sans influence sur la conception générale du projet initial et ne constitue pas en réalité un nouveau permis de construire. « Lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises » (CE, 30 mars 2015, Société Eole-Res, n° 369431, T. point 3). En application de la jurisprudence SCI La Fontaine de Villiers (CE, 2 février 2004, n° 238315, T.), les illégalités régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial. Et si la régularisation intervient après l’ordonnance de clôture de l’instruction, l’acte de régularisation permet de rouvrir l’instruction (CE, 28 avril 2017, Commune de Bayonne, n° 395867, T. point 3).

Deuxièmement, la régularisation spontanée faite par l’administration peut, pour les autorisations d’urbanisme, intervenir dans le cadre de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : le Conseil d’État a admis que l’administration peut régulariser le permis spontanément, sans y avoir été préalablement invitée par le juge (CE, 22 février 2018, SAS Udicité, n° 389518, T.). Si l’administration transmet au juge des éléments visant à la régularisation du vice, le juge n’est pas « tenu de surseoir à statuer » : il peut directement prendre acte de la régularisation effectuée, « dès lors qu’il a préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur la question de savoir si ces éléments permettent une régularisation » ; en revanche, si les éléments transmis sont insuffisants pour regarder le vice comme régularisé, le juge peut « surseoir à statuer en vue d’obtenir l’ensemble des éléments permettant la régularisation » (point 16). Laisser ainsi l’administration prendre l’initiative est a priori peu conforme au texte, qui réserve l’initiative au juge ; on voit par là que le juge favorise autant que possible la régularisation des autorisations d’urbanisme, en reconnaissant cette faculté à l’administration. Et ce d’autant plus que, dans l’arrêt SAS Udicité, l’initiative de l’administration intervenait en appel, alors que le juge de première instance avait annulé le permis initial, ce qui paraît en contradiction avec la position du Conseil d’État selon laquelle un permis modificatif ne saurait faire revivre un permis annulé (CE, 29 décembre 1997, SCI Résidence Isabella, n° 104903, inédit).

Enfin, la régularisation spontanément effectuée par l’administration peut intervenir dans le cadre de l’article L. 600-9. Là aussi, l’administration peut proposer au juge des éléments de régularisation des vices de forme ou de procédure qui affectent un SCOT, un PLU ou une carte communale. Et, là encore, le juge est dispensé de prononcer un jugement avant-dire-droit et il pourra recueillir les observations des parties avant le jugement définitif ou le prononcé du non-lieu à statuer. C’est ce qu’a permis l’arrêt Commune de Sempy (CE, Sect., 22 décembre 2017, n° 395963, Rec. point 5). Il semble que cette possibilité ne soit pas en correspondance avec la lettre de l’article L. 600-9. Mais, selon le professeur Le Bot, « la mise à l’écart de la première phase (à savoir la discussion sur le principe même du recours à cet article) est parfaitement justifiée : en effet, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer pour permettre une régularisation qui, selon les écritures de l’administration, a d’ores et déjà été réalisée » (O. Le Bot, « Chronique de contentieux administratif. Décisions d’octobre à décembre 2017 », JCP A 2018, n° 18-19). Dans ce cas, le juge peut apprécier librement la pertinence de la régularisation opérée et, éventuellement, considérer que les éléments fournis ne suffisent pas à opérer la régularisation nécessaire ; il peut alors revenir au principe initial, c’est-à-dire « surseoir à statuer en vue d’obtenir l’ensemble des éléments permettant la régularisation» (point 5). Sur ce point, les jurisprudences interprétant les articles L. 600-5-1 et L. 600-9 se recoupent.

La possibilité offerte à l’administration de régulariser spontanément l’autorisation d’urbanisme ou le document d’urbanisme illégal favorise indéniablement les possibilités de régularisation. Mais celle-ci est également accrue par la possibilité – étroite – d’opérer une régularisation a posteriori.

II) La régularisation a posteriori

La régularisation a posteriori ou « post-juridictionnelle » (R. Thiele, « Annulations partielles et annulations conditionnelles », AJDA 2015, p. 1364) intervient après une censure juridictionnelle, totale ou partielle, d’un acte administratif entaché d’une ou plusieurs irrégularités. En régularisant l’acte vicié, l’administration neutralise en quelque sorte la censure juridictionnelle et l’anéantissement de son acte, en remédiant aux irrégularités qui ont justifié la censure. Cette régularisation est donc très particulière puisque, en principe, un acte censuré par le juge est banni totalement ou partiellement de l’ordre juridique et ne peut plus faire l’objet d’une modification par l’administration. La régularisation a posteriori n’est donc possible que si elle a été expressément autorisée par le juge. Aussi la régularisation a posteriori ne peut-elle « exister que parce que la décision du juge administratif, plutôt que d’annuler purement et simplement l’acte en raison des irrégularités relevées, admet que l’administration puisse procéder à sa régularisation : on dira alors que l’annulation prononcée par le juge est conditionnelle, car elle ne prendra effet que si l’administration n’opère pas les modifications prescrites par le juge. L’annulation conditionnelle consiste, pour le juge, à prononcer l’annulation, totale ou partielle, d’un acte ou la résiliation d’un contrat, sous réserve de régularisation par l’administration » (H. Bouillon, « La régularisation d’un acte administratif après annulation conditionnelle : une technique en gestation », AJDA 2018, p. 142). La sécurité juridique est donc préservée en dépit de l’intervention de la décision juridictionnelle, car l’acte va être réparé.

En droit de l’urbanisme, cette technique a été introduite à l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme par l’article 11 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (dite ENL). L’article L. 600-5 dispose : « Lorsqu’elle constate que seule une partie d’un projet de construction ou d’aménagement ayant fait l’objet d’une autorisation d’urbanisme est illégale, la juridiction administrative peut prononcer une annulation partielle de cette autorisation. L’autorité compétente prend, à la demande du bénéficiaire de l’autorisation, un arrêté modificatif tenant compte de la décision juridictionnelle devenue définitive ». Relatif aux autorisations d’urbanisme (comme l’article L. 600-5-1), ce mécanisme associe donc deux techniques : une annulation partielle (A) et une annulation conditionnelle (B). Il faudra également dire un mot des pouvoirs détenus ici par le juge (C).

A) Un mécanisme induisant une annulation partielle

L’article L. 600-5 du code de l’urbanisme induit tout d’abord une censure partielle de l’acte : l’article permet en effet à la juridiction administrative (c’est une faculté) de limiter l’annulation d’une autorisation d’urbanisme à la partie du projet affectée par l’illégalité relevée, après avoir vérifié qu’aucun moyen ne justifiait une annulation totale (CE, 16 octobre 2017, SARL Promialp, n° 398902, T. point 2). Une annulation partielle peut être prononcée à l’endroit de tout acte administratif, y compris des actes relevant du droit de l’urbanisme. Mais l’annulation partielle permise par l’article L. 600-5 diffère des annulations partielles classiques de par les conditions particulières qui sont les siennes. Relatif à un permis de construire, l’arrêt Époux Fritot (CE, 1er mars 2013, n° 350306, Rec.) prend bien soin de distinguer les deux hypothèses d’annulation partielle et d’en mentionner les critères.

Selon la jurisprudence Époux Fritot et en conformité avec la lettre de l’article L. 600-5 (par opposition aux annulations partielles classiques), le juge peut « procéder à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme dans le cas où une illégalité affecte une partie identifiable du projet et où cette illégalité est susceptible d’être régularisée par un arrêté modificatif de l’autorité compétente, sans qu’il soit nécessaire que la partie illégale du projet soit divisible du reste de ce projet » (point 6). Pour que l’article L. 600-5 soit mis en œuvre, l’illégalité décelée doit remplir une double condition : elle doit affecter une partie identifiable du projet d’autorisation et, d’autre part, elle doit pouvoir être couverte par l’intervention d’un nouvel acte – de régularisation – adopté par l’autorité compétente.

La première condition est que l’illégalité soit restreinte à une partie identifiable du projet d’autorisation, c’est-à-dire d’une partie divisible du reste du projet. Cette condition paraissait être une restriction à l’utilisation de cet article, puisqu’elle semblait induire que toute illégalité affectant l’ensemble de l’acte (indivisible) empêche l’application de cet article et ne puisse conduire qu’à l’annulation totale de l’acte sans possibilité de le régulariser. Pourtant, le juge a admis que l’article L. 600-5 concerne tant les vices de fond que les vices de forme et de procédure : l’incompétence elle-même ne fait pas obstacle à l’application de ces dispositions (CE, 27 novembre 2013, Association Bois-Guillaume Réflexion, n° 358765, T. point 5), alors même que ce vice est par définition attaché à l’intégralité de l’acte et n’est pas limité à une part de l’autorisation d’urbanisme, comme l’impose pourtant l’article L. 600-5 et la jurisprudence Fritot. Contrairement aux annulations partielles classiques, la divisibilité n’est donc plus une condition nécessaire. En réalité, « le Conseil d’État a remplacé la condition légale de la première phrase selon laquelle ‘‘seule une partie d’un projet de construction’’ doit être illégale par celle de ‘‘seule une irrégularité non substantielle même non localisée’’ peut donner prise à une résection partielle » (J.-M. Staub, « Le permis de construire confronté à la normativité du SCOT et à une annulation partielle. Note sous CAA Lyon, 8 novembre 2011, Société investissements internationaux et participations », LPA 2012, n° 114, p. 14).

La seconde condition dévoile toutes les particularités de l’annulation partielle prévue par l’article L. 600-5. En principe, une annulation partielle classique n’est envisageable que pour les dispositions d’un acte administratif qui, divisibles du reste de l’acte, peuvent en être retranchées sans porter atteinte à la viabilité de l’acte subsistant (H. Bouillon, « Pour une subjectivisation de l’annulation partielle des actes administratifs unilatéraux », AJDA 2017, p. 217). Or l’application de l’article L. 600-5 n’est possible – et c’est sa seconde condition – que si l’illégalité entachant le permis est régularisable par un permis modificatif. Il en résulte que le juge peut délaisser la question de la divisibilité des dispositions viciées (comme l’indique l’interprétation jurisprudentielle de la première condition), puisque la régularisation permettra de toute façon de combler les lacunes créées dans l’acte par l’ablation de certaines de ses dispositions. « Cette disposition peut trouver à s’appliquer alors même que l’autorisation contestée serait indivisible » (E. Vital-Durand, « Régularisation du permis de construire en cours d’instance : le Conseil d’État étend opportunément le recours au permis modificatif », JCP A 2017, n° 42).

Une telle spécificité rejaillit nécessairement sur la question de la légalité et permet de cerner une autre spécificité de l’annulation partielle permise par l’article L. 600-5. En principe, l’annulation partielle classique n’est possible que si la partie de l’acte qui demeurera applicable est légale : le juge doit donc s’inquiéter de la légalité de l’acte, une fois que celui-ci aura été délesté des dispositions viciées. Normalement, une annulation partielle ne peut donc être prononcée que si la partie de l’acte qui subsiste est légale. Or, dans le cadre de l’article L. 600-5, le juge n’a pas à se préoccuper de cette question de la légalité future de l’acte partiellement laissé en vie, car l’acte ainsi survivant, qu’il soit alors illégal ou non, devra être régularisé par son auteur. Ce sera donc à l’autorité administrative de se soucier de sa légalité au stade de la régularisation, et non au juge de l’intégrer à sa réflexion au stade de la censure juridictionnelle.

L’effet majeur de cette technique est donc que le juge n’hésite plus à prononcer des annulations partielles, sachant que la partie de l’acte qui subsistera sera viable grâce à la régularisation. La sécurité juridique est ainsi mieux assurée. L’inconvénient est toutefois de sacrifier le strict respect de la légalité, puisque son analyse se voit repoussée à une phase ultérieure de la procédure et que son respect est laissé aux bons soins de l’administration qui régularisera le permis. Toutefois, la légalité, si elle n’est pas immédiatement garantie, est au moins préservée par le fait que « l’annulation de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme interdit toute exécution du permis jusqu’à ce que celui-ci ait été régularisé. Il s’agit donc d’une annulation sous réserve de non-régularisation » (R. Thiele, « Annulations partielles et annulations conditionnelles », AJDA 2015, n° 24, p. 1362). Cette spécificité assure que le reliquat de l’acte amputé, illégal ou non, ne sera pas appliqué en l’état. Cette annulation sous réserve de non-régularisation est précisément ce que l’on appelle une annulation conditionnelle. Telle est la seconde technique présente au sein de l’article L. 600-5.

B) Un mécanisme induisant une annulation conditionnelle

L’article L. 600-5 retient encore l’attention par la seconde technique qu’il enferme. Sa mise en œuvre est en effet conditionnée par le fait que l’illégalité relevée soit régularisable, après l’instance, par la délivrance d’un permis modificatif. L’annulation est alors dite conditionnelle, car elle n’interviendra que si l’administration ne régularise pas l’illégalité ; elle est conditionnée à l’absence de régularisation. Et tant que la régularisation n’est pas faite, l’application de l’acte est suspendue.

Sont ici intimement liées les annulations partielles et conditionnelles : il y a « annulation partielle à caractère conditionnel » (J.-M. Staub, « L’annulation partielle du permis de construire », Dr. Adm. 2014, n° 2, comm. 16). En effet, le juge administration a lié les deux aspects de l’article, puisque la faculté de prononcer une annulation partielle d’un permis de construire est reconnue au juge si et seulement si l’illégalité qu’il contient peut être corrigée par l’obtention d’un permis modificatif (CE, 23 février 2011, SNC Hôtel de la Bretonnerie, n° 325179, T.). Nous avons indiqué que c’était là la seconde condition posée par la jurisprudence Fritot.

La délivrance de ce permis modificatif doit répondre à des conditions très proches de celles établies dans le cadre de l’article L. 600-5-1, puisque la jurisprudence SCI Rivera Beauvert précitée (CE, 30 décembre 2015, n° 375276, inédit) s’applique aux deux articles. En principe, un permis modificatif ne peut être délivré qu’à deux conditions, déjà citées :

D’une part, les travaux autorisés par le permis initial ne doivent pas être achevés, car l’achèvement des travaux rend caduc le permis de construire initial (qui n’a plus d’objet), de telle sorte que sa régularisation est impossible. La partie intéressée n’a pas à démontrer que la construction n’est pas achevée et le juge n’est pas tenu de procéder à une mesure d’instruction en ce sens (CE, 1er octobre 2015, Commune de Toulouse, n° 374338, Rec. ; CE, 30 décembre 2015, SCI Rivera Beauvert, n° 375276, inédit). Nous avons indiqué que cette condition a été supprimée pour l’article L. 600-5-1, dans le cadre de la régularisation a priori. Elle ne perdure que pour la régularisation a posteriori. Si la différence de traitement s’explique mal, la solution toujours applicable pour la régularisation a posteriori semble plus conforme à la logique juridique, dans la mesure où l’achèvement des opérations de travaux fait perdre son objet à l’autorisation d’urbanisme et que sa régularisation paraît anachronique (nous en avons dit les motifs). On peut se demander si cette différence va perdurer ou si le juge va supprimer aussi cette condition pour l’article L. 600-5.

D’autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier à l’illégalité ne doivent pas, en raison de leur nature ou de leur ampleur, remettre en cause sa conception générale. Si le permis modificatif affectait l’économie générale du permis initial, il constituerait lui-même un nouveau permis. « Si l’économie générale du projet est atteinte, seule une annulation totale, et par voie de conséquence le dépôt d’un nouveau permis, se conçoivent » (J.-M. Staub, « L’annulation partielle du permis de construire », Dr. Adm. 2014, n° 2, comm. 16). Mais, comme nous l’avons indiqué, le Conseil d’État retient une conception souple de la notion de conception générale de la construction projetée, ce qui accroît les possibilités de régularisation.

C) Les pouvoirs du juge dans le cadre de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme

Relativement aux pouvoirs du juge, l’article L. 600-5, et particulièrement son alinéa 2, ne lui confère par lui-même aucun pouvoir d’exécution (CAA Lyon, 8 novembre 2011, Société investissements internationaux et participations, n° 10LY01628). En outre, pour statuer, le juge n’est pas tenu de solliciter l’avis des parties pour savoir s’il peut ou non procéder à une annulation partielle et si l’illégalité pourra être régularisée par la suite, contrairement à ce qui est nécessaire pour les moyens soulevés d’office (CE, 4 octobre 2013, Andrieu et Perrée, n° 358401, T. point 10) : dans le cadre de l’article L. 600-5, « le juge administratif, compte tenu de son expérience de la vie administrative, est parfaitement à même de mesurer seul si l’illégalité décelée, qui est d’ailleurs connue des requérants et sur laquelle ils ont pu échanger leurs points de vue, est susceptible d’être corrigée ensuite par l’autorité administrative » (J.-M. Staub, « L’annulation partielle du permis de construire », Dr. Adm. 2014, n° 2, comm. 16).

Une fois que le juge a prononcé l’annulation partielle à caractère conditionnel, l’article L. 600-5 précise que « l’autorité compétente prend, à la demande du bénéficiaire de l’autorisation, un arrêté modificatif tenant compte de la décision juridictionnelle devenue définitive ». C’est au bénéficiaire du permis d’en demander la régularisation à l’administration, mais celle-ci est tenue de délivrer le permis modificatif demandé, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle : elle est en situation de compétence liée. Le juge peut, le cas échéant, s’il l’estime nécessaire, assortir sa décision d’un délai pour que le pétitionnaire dépose une demande d’autorisation modificative afin de régulariser l’autorisation subsistante, partiellement annulée (CE, 1er mars 2013, Fritot, n° 350306, Rec.).

Un tel mécanisme, on le voit, sauvegarde la sécurité juridique de l’opération envisagée en garantissant la pérennité de l’autorisation d’urbanisme qui, sans ce mécanisme, serait remise en cause par la détection d’illégalités par le juge. Rappelons que l’article L. 600-6 du code de l’urbanisme dispose que « lorsque la juridiction administrative, saisie d’un déféré préfectoral, a annulé par une décision devenue définitive un permis de construire pour un motif non susceptible de régularisation, le représentant de l’État dans le département peut engager une action civile en vue de la démolition de la construction ». L’article L. 600-5 constitue donc une échappatoire possible à cette conséquence radicale qu’est la démolition de la construction réalisée. L’inconvénient, comme nous y avons insisté, est bien sûr que la légalité n’est qu’artificiellement respectée, par une régularisation qui n’est jamais équivalente au plein respect de la légalité ab initio.

Conclusion

Il est certain que, en droit de l’urbanisme, la recherche d’une régularisation des actes administratifs fait la part belle à la sécurité juridique, à tel point que l’on a pu redouter une « absolution automatique » (F. Bouyssou, « La sécurisation des autorisations d’urbanisme. Du territoire contentieux à l’absolution automatique », AJDA 2006, p. 1268) des irrégularités commises par l’administration.

Un tel constat peut être mis en perspective avec d’autres dispositifs juridiques qui cherchent à préserver les permis de construire de toute remise en cause. Il en est ainsi de la définition donnée de l’intérêt à agir par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui prévoit qu’une personne ne peut demander l’annulation de l’autorisation d’urbanisme « que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe ». Or l’arrêt Brodel (CE, 10 juin 2015, n° 386121, Rec.) a interprété cette disposition comme imposant au requérant « de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance de son bien », même si le voisin immédiat possède en principe un intérêt à agir (CE, 13 avril 2016, Bartolomei, n° 389798, Rec.). La restriction de l’intérêt à agir ainsi opérée, en limitant le risque contentieux, est un facteur indéniable de la sécurité juridique des autorisations d’urbanisme.

Néanmoins, on peut s’inquiéter de cette prévalence de la sécurité juridique au détriment de la légalité. M. Benjamin Hachem s’est fait l’écho de ces préoccupations : « Depuis déjà plusieurs années, on constate ce qu’il faut bien appeler une dérive visant à museler les contestations à l’encontre des autorisations d’urbanisme. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que les différents gouvernements, mais également les différents groupes de travail, généralement présidés par un conseiller d’État, donnent de la résonance à ce mouvement de fond instigué par les professionnels de l’immobilier. (…) Pour ces derniers la lutte contre les recours en matière d’urbanisme, notamment dirigés contre les permis de construire autorisant la création de logements collectifs, constitue une grande cause nationale au motif que ces recours seraient le principal frein à la production de logements neufs en France » (B. Hachem, « Lettre ouverte à ceux qui souhaitent (encore) restreindre le droit au recours en matière d’urbanisme », JCP A 2018, n° 24).

Il s’opère ainsi un mouvement qui dépasse assez largement le seul droit de l’urbanisme : la prévalence d’une conception instrumentale du droit, mis au service d’intérêts divers, notamment économiques, au détriment des exigences du principe de légalité et de l’intérêt général que sert ce principe. « La conception classique du droit de l’urbanisme était en effet la prééminence de la règle, sur laquelle devaient s’aligner les projets individuels, sous peine d’illégalité. Or, de plus en plus, le projet préexiste, de manière collective ou individuelle : la règle est écrite pour permettre la réalisation de ce projet, ou la révision simplifiée est ordonnée en vue de permettre un projet déterminé » (F. Bouyssou, « La sécurisation des autorisations d’urbanisme. Du territoire contentieux à l’absolution automatique », AJDA 2006, p. 1268). Il est bien évident que le droit ne doit pas être un frein au développement urbanistique et qu’il doit au contraire sécuriser les opérations immobilières. Il faut toutefois éviter l’écueil inverse, qui subordonnerait le maintien des règles juridiques à la réalisation de différents projets et placerait ainsi le droit dans une situation d’instabilité qui, outre l’atteinte qu’elle porterait au paradigme du principe de légalité, serait in fine néfaste à la sécurité juridique elle-même.

Il s’opère ainsi un mouvement qui dépasse assez largement le seul droit de l’urbanisme : la prévalence d’une conception instrumentale du droit, mis au service d’intérêts divers, notamment économiques, au détriment des exigences du principe de légalité et de l’intérêt général que sert ce principe. « La conception classique du droit de l’urbanisme était en effet la prééminence de la règle, sur laquelle devaient s’aligner les projets individuels, sous peine d’illégalité. Or, de plus en plus, le projet préexiste, de manière collective ou individuelle : la règle est écrite pour permettre la réalisation de ce projet, ou la révision simplifiée est ordonnée en vue de permettre un projet déterminé » (F. Bouyssou, « La sécurisation des autorisations d’urbanisme. Du territoire contentieux à l’absolution automatique », AJDA 2006, p. 1268). Il est bien évident que le droit ne doit pas être un frein au développement urbanistique et qu’il doit au contraire sécuriser les opérations immobilières. Il faut toutefois éviter l’écueil inverse, qui subordonnerait le maintien des règles juridiques à la réalisation de différents projets et placerait ainsi le droit dans une situation d’instabilité qui, outre l’atteinte qu’elle porterait au paradigme du principe de légalité, serait in fine néfaste à la sécurité juridique elle-même.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 241

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