Art. 397.
La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).
L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).
Xavier Latour
Professeur de droit public, Université Côte d’Azur, Cerdacff
Doyen de la Faculté de droit et science politique
Secrétaire général de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense
En donnant un sérieux coup d’accélérateur à la décentralisation, le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, ne pensait sans doute pas à modifier en priorité la façon de gérer les questions de sécurité intérieure. Pourtant, depuis quarante ans, la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales a connu, en droit et en fait, des évolutions significatives. Contemporain des lois de décentralisation, le rapport Bonnemaison[1] (1983), du nom du président de la commission des maires, avait posé les bases de ce mouvement. Il défendait, notamment, l’idée d’une coopération accrue entre l’État et les communes afin de mieux lutter contre la délinquance. Cette conception peut surprendre dans un État unitaire, marqué par une tradition jacobine, surtout en ce qui concerne l’exercice d’une compétence régalienne. Pourtant, l’État a besoin de se réformer en permanence. Il n’est pas figé, et réfléchit à la coordination de ces trois niveaux, central, déconcentré et décentralisé. Cela vaut aussi pour la sécurité telle au sens de l’article L. 111-1 du Code de la sécurité intérieure (Csi), bien qu’elle soit confiée avant tout à l’État. Mais, pas plus que l’État, la manière de piloter la sécurité n’est monolithique.
En particulier en matière de prévention de la délinquance du quotidien, les administrés attendent d’exercer leurs libertés sans crainte. Ils rappellent à l’État ses responsabilités, sans nécessairement faire la distinction entre les différentes strates. Ils se tournent vers la puissance publique qu’elle relève de l’État central ou des collectivités territoriales qui incarnent aussi à leurs yeux l’autorité. Les institutions nationales insistent régulièrement sur la prééminence de l’État souverain et détenteur du monopole de la contrainte. Néanmoins, la coproduction de sécurité, ou le continuum, sont une solide ligne directrice[2]. La lutte contre la délinquance suppose une diversité d’intervenants, tous très impliqués, même de manière différente[3]. Lorsqu’elles en ont les moyens et la volonté politique, les collectivités, tout particulièrement communales, agissent en matière de sécurité.
L’importance de la commune n’est pas le fruit du hasard. D’abord, le maire est sollicité en raison de sa proximité. Autorité connue car élue, il symbolise l’autorité locale. Ensuite, il dispose, traditionnellement, de prérogatives de police administrative. Depuis 1884, les dispositions codifiées par les articles L. 2212-1 et 2 du Code général des collectivités territoriales (Cgct) ont conservé leur cohérence. Le Csi reflète des évolutions législatives et réglementaires qui ont conforté la place de l’édile. Enfin, les élus investissent le champ de la sécurité en raison de la sensibilité politique du sujet.
De son côté, bien que souvent contesté le département perdure, tandis que des régions moins nombreuses ont gagné en importance.
Par conséquent, la gestion de la politique publique de sécurité relève de plusieurs échelons ou, en d’autres termes, de différentes sphères, nationale et locales. Cela pourrait provoquer de la confusion, susciter des incertitudes ou des attentes déçues. La sécurité intérieure illustre une tendance lourde de l’évolution de l’État. Cela soulève plusieurs questions générales appliquées à un cas particulier : quel est le meilleur niveau d’action ? Comment répartir les compétences ? Comment faire travailler efficacement divers intervenants nationaux et locaux ? Les réponses, souvent partielles et sans cesse renouvelées, se construisent en deux temps pour souligner, d’abord, l’imbrication croissante des sphères (I), avant de mettre en évidence la persistance d’un déséquilibre entre elles (II).
I. L’imbrication croissante des sphères
Les compétences progressivement accordées par le législateur aux collectivités territoriales ne sont pas théoriques. Les bénéficiaires les exercent. Dès lors, la sécurité implique de travailler sur des missions communes, mais avec des pouvoirs différents. Cette imbrication des sphères se caractérise essentiellement par l’existence de la solidité du tandem constitué par le préfet de département et le maire (A), et l’exigence d’un partenariat entre les polices (B).
A. La solidité du tandem préfet de département – maire
Chaque autorité agit dans sa sphère de compétences, en relation avec l’autre. Chacune a aussi sa légitimité. Le préfet représente le gouvernement ; le maire est l’exécutif élu.
Sur le fondement du Csi, le préfet est responsable de l’ordre public et de la sécurité des populations (Article R. 132-1 du Csi). L’article L. 122-1 du Csi lui confie l’animation et la coordination de « l’ensemble du dispositif de sécurité intérieure » (à l’exception de la police judiciaire). À ses traditionnels pouvoirs de police administrative, la loi a ajouté d’autres prérogatives. Alors qu’il était déjà chargé de diriger l’action des services de police, il s’est vu octroyer un pouvoir de direction sur les unités de gendarmerie. Il dispose ainsi des deux principaux leviers étatiques pour garantir l’ordre public. Tout au long de l’année, le préfet dialogue avec les responsables des services de police et de gendarmerie, tout comme avec les élus.
Car les maires n’ont rien perdu de leur importance, au contraire[4]. Au fil des siècles, si leurs missions varient, leur rôle perdure. L’étatisation de la police durant la première moitié du XXe n’a pas empêché de leur conférer une responsabilité accrue par la suite. À cet égard, la loi n°2007-297 du 5 mars 2007 a constitué une étape significative en consacrant le rôle pivot du maire en matière de délinquance[5].
La loi municipale du 5 avril 1884 demeure, quant à elle, une référence en termes d’organisation des communes. Non seulement les prérogatives de police administrative ont conservé leur pertinence comme en témoignent les dispositions du Cgct (Article L. 2212-1) et du Csi, mais encore le maire sort renforcé des dernières décennies. Rien ne laisse présager un changement dans les années à venir. Même le maire de Paris ne suscite plus les réserves de l’État, au point d’avoir gagné le droit de diriger une véritable police municipale dont la construction est parachevée par la loi dite Sécurité globale n°2021-646 du 25 mai 2021[6]. L’État a confié au maire une place significative, puisqu’il « concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique » (Article L. 132-1 du Csi).
Pour fonctionner, le tandem a besoin de courroies de transmission.
Elles prennent, d’abord, la forme des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (Clspd – Articles L. 132-4 et s. du Csi), présidés par le maire et auxquels participe le préfet. Malgré son ancienneté[7], la formule se cherche encore. Éclairé par un rapport de l’Assemblée nationale[8], le législateur a profité de la loi n°2021-646 du 25 mai 2021 pour abaisser le seuil de création obligatoire de 10.000 à 5.000 habitants, et l’imposer dans les communes comprenant un quartier prioritaire de la ville. Elle valorise, à juste titre, le rôle du coordonnateur dans les communes de plus de 15.000 habitants (Article L. 132-4 du Csi), puisqu’il devient obligatoire. De son côté, le procureur « peut créer et présider » des groupes locaux de traitement de la délinquance (Article L. 132-10-2 du Csi) pour mieux coordonner les actions répressives et les échanges d’informations.
Ensuite, les contrats locaux de sécurité[9] (Cls), initiés à la fin des années 1990, puis renommés « stratégies territoriales de sécurité[10] » sont censés inciter les uns et les autres à clarifier les objectifs à atteindre et les moyens mobilisés par la commune et l’État.
Également, les conventions de coordination (Articles L. 512-4 et s. du Csi) conduisent le préfet et les autorités locales à s’accorder sur l’organisation des relations entre les polices (gendarmerie ou police nationale et la police municipale). Cette voie retient les faveurs de l’État puisqu’il en corrige régulièrement les défauts. Convaincu de son bien-fondé, il tend ainsi à élargir son champ d’application. À cette fin, la loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019 a fixé le seuil de signature obligatoire de cinq à trois agents de police municipale.
Également, le droit incite les différents intervenants à se parler, y compris dans des domaines sensibles. En 2020 et sur la base d’une circulaire[11], 155 chartes de confi-dentialité ont été signées entre des maires et des préfets. Elles permettent des échanges d’informations relatives aux menaces terroristes et, ponctuellement, sur des individus fichés pour radicalisation violente dans le cadre d’un dialogue renforcé entre l’État et les maires.
Enfin, les contrats de sécurité intégrée présentés par le Premier ministre fin 2020[12] poursuivent l’ambition de consolider les relations entre l’État et les collectivités pour mieux faire face à la délinquance quotidienne. La mise à disposition de forces de sécurité nationales passe par l’acceptation par la commune d’efforts particuliers en matière, par exemple, de police municipale ou de vidéoprotection, ce qui nécessite un examen précis des besoins et des capacités mobilisées ou pas. La coordination laisse la place à une recherche de complémentarité.
La pluralité d’autorités et de forces de sécurité donne son sens à la notion de sécurité globale, comme elle justifiait auparavant les réflexions sur la co-production et le partenariat.
B. L’exigence d’un partenariat entre les polices
L’État et les communes mettent en œuvre leurs prérogatives et assurent le respect de leurs décisions par l’intermédiaire de forces de sécurité. Or, les polices nationales (à statut civil ou militaire) et les polices municipales ont noué des partenariats malgré leurs différences.
Les effectifs de la police (environ 140.000) et de la gendarmerie (environ 100.000) sont certes largement supérieurs à ceux des polices municipales, ces dernières représentent cependant un apport très important dans l’organisation de la sécurité sur le territoire. Depuis la loi n°99-421 du 15 avril 1999, le nombre de communes dotées de policiers municipaux est passé de 3.000 à plus de 4.000, tandis que les effectifs ont dépassé les 20.000 agents. Cette croissance démontre l’implication des communes, souvent pour répondre aux attentes des administrés et indépendamment des majorités politiques. Elle confirme aussi que le cadre juridique élaboré par l’État a favorisé l’expansion de ces polices. La flexibilité offerte pour les faire fonctionner permet, en effet, de les employer comme des instruments de prévention de proximité, ou des bras armés du maire et, au-delà, de l’État. Les avantages pour ce dernier ne manquent pas. Les effectifs locaux ont facilité l’allégement des effectifs nationaux et leur redéploiement sur des missions du cœur de métier répressif.
La montée en puissance des polices municipales n’est pas synonyme d’uniformité[13]. Conformément à la libre administration, les maires optent pour des doctrines d’emploi parfois très différentes. Toutefois, elles s’inscrivent dans un mouvement de fond selon lequel leurs missions tendent à dépasser la seule bonne application des arrêtés de police du maire.
En plus de la faculté d’agir en flagrance de délit ou de crime, comme n’importe qui, les policiers municipaux ont bénéficié d’un accroissement continu de leurs prérogatives judiciaires. Afin de soulager les forces nationales, différentes lois ont permis de diversifier les contraventions qu’ils verbalisent. Le Code de la route offre plusieurs illustrations. Le mouvement ne se limite pas à ce domaine. Leur compétence concerne aussi les animaux dangereux, la protection de l’environnement, les agressions sexistes… La loi Sécurité globale enrichit encore la liste[14]. La conséquence de cette judiciarisation est double : d’un côté, le maire est associé à des objectifs répressifs ; de l’autre, il est contraint de travailler davantage avec les autorités étatiques, les forces de sécurité nationales, le préfet ainsi que le procureur.
Les polices municipales participent, par ailleurs, de plus en plus activement à des missions de prévention conjointes avec les forces nationales. La sécurisation des événements (Article L. 511-1-6 du Csi) justifie leurs pouvoirs de palpation et d’inspection visuelle des bagages. Dans un même ordre d’idées, ils contribuent au bon fonctionnement des périmètres de protection (Article L. 226-1 du Csi).
Dans ces conditions, les instruments de partenariats, en particulier, les conventions de coordination et les contrats de sécurité intégrée prennent un relief tout particulier. Les moyens matériels des policiers municipaux vont dans le même sens.
Les communes les plus riches disposent de capacités financières qui les incitent à bien doter leurs policiers municipaux. L’État conserve malgré tout la maîtrise de ce qui est possible. Or, sur ces aspects également, il a beaucoup œuvré en faveur des collectivités parce que cela servait aussi ses intérêts.
En droit, pour commencer, les dispositions applicables à l’armement et aux règles d’usage en sont une première illustration (Articles L. 511-5 et s. du Csi et Article L. 435-1 du même Code). De même, la vidéoprotection collective[15] (Articles L. 223-1 et s. du Csi) ou individuelle (caméras portées, Article L. 241-2 du Csi) connaît un engouement certain que seul autorise un cadre législatif adéquat. Dans ce registre, le déploiement des drones a été ralenti par la censure de la loi Sécurité globale par le Conseil consti-tutionnel[16]. Réécrivant le texte en suivant les préconisations des Sages, le législateur ne s’est pas découragé. Il a profité du texte sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure pour répondre à la sollicitation des communes en autorisant leur expérimentation (Article L. 242-7 du Csi). La reconnaissance faciale pourrait bénéficier, à terme, du même renfort étatique. À l’accélération technologique s’ajoute, en effet, une forte demande de certaines communes prêtes à s’engager toujours plus avant.
En fait, l’État soutient l’acquisition des matériels par les communes. Il mobilise pour cela le Fonds interministériel de prévention de la délinquance. Le maillage territorial en caméras lui doit beaucoup, avant que les priorités soient partiellement revues.
L’État et les communes partagent ainsi des intérêts communs. Le premier n’a pas besoin de les contraindre à s’équiper de caméras par exemple (y compris en matière de lutte contre le terrorisme, Article 223-8 du Csi). Les collectivités ont bien compris l’importance politique et opérationnelle de ces technologies qui répondent souvent aux attentes de leurs administrés comme de leurs agents[17]. Quant à l’État, il fait peser sur les communes l’essentiel des coûts de matériels. Or, ils bénéficient aussi aux forces nationales (Article L. 252-2 du Csi), même si la loi dite Sécurité globale a amélioré les capacités de visionnage par des agents locaux[18]. La réalité de l’imbrication des sphères n’implique pas leur équivalence. Au contraire, elles demeurent déséquilibrées.
II. La persistance d’un déséquilibre des sphères
La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 397.
[1] Rapport au Premier ministre, « Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité ».
[2] Watin-Augouard, M. « Sécurité intérieure : conceptions partenariales et régaliennes », Droit et Défense 1998/1, p. 13.
[3] Latour X., « L’organisation territoriale et la sécurité intérieure », Jcp A 2015, 2375.
[4] Donier V., « L’objectif de renforcement du pouvoir de police du maire : quelle effectivité ? », Rfda 2020, p. 247.
[5] Latour X., « La loi relative à la prévention de la délinquance et le maire », Bjcl 2007, p ; 218.
[6] Renaudie O., « La création de la police municipale parisienne », Jcp A 2021, 2216.
[7] Les premiers conseils communaux ont été créés en 1983.
[8] AN Mission « flash » sur L’évolution et l’amélioration des conseils de sécurité et de prévention de la délinquance, Peu S. & Rebeyrotte R., 14 décembre 2020.
[9] Maugüé C., « Les réalités du cadre contractuel dans l’action administrative. L’exemple des contrats locaux de sécurité », Ajda, n°spécial juillet-août 1999, p. 38.
[10] Millet J., « Préfets, procureurs et maires : des contrats locaux de sécurité aux stratégies territoriales de sécurité » in Préfets, procureurs et maires. L’autorité publique au début du XXIe siècle, Puam, 2011, p. 91.
[11] Circulaire n°INTK1826096J du 13 novembre 2018.
[12] Circulaire n°6258-SG – Nor : PRMX2119950C du 16 avril 2021.
[13] Cour des comptes, Les polices municipales, Rapport thématique annuel, octobre 2020.
[14] Articles. L 511-4-1 et L 214-2 Csi sur l’immobilisation des véhicules en fuite ; introduction dans un local professionnel, commercial, agricole ou industriel en violation flagrante (article 226-4 Code pénal).
[15] Latour X., « La vidéoprotection et les collectivités territoriales » in Les politiques publiques locales de sécurité intérieure, L’Harmattan, 2015, p. 265 et s.
[16] DC 20 mai 2021, n°2021-81 ; Pauvert B., « L’utilisation des drones à l’appui de la sécurité », Jcp A 2021, n°2220.
[17] Latour X., « Les technologies et la loi relative à la sécurité globale : un flop ? », Ajda 2021, p. 1502 et s.
[18] Warusfel B., « La place de l’image : caméras et vidéoprotection dans la sécurité globale », in Jcp A 2021, n°2219.
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