par Mme Saskia DUCOS-MORTREUIL
Avocate au barreau de Toulouse
La législation sur l’immigration, codifiée au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), prévoit l’admission exceptionnelle au séjour, procédure de régularisation au cas par cas pour les étrangers non européens en situation irrégulière.
Depuis une quarantaine d’années, la régularisation des ressortissants étrangers sans papiers est devenue une pratique qui permet de prendre en considération les situations humaines les plus dramatiques mais aussi de contrôler la situation des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.
Une politique de régularisation par circulaire s’est peu à peu développée, avec en dernier lieu la publication de la circulaire relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, dite circulaire « Valls », du 28 novembre 2012 (NOR : INTK1229185C).
Dans ce cadre, des efforts ont été déployés afin de définir juridiquement la régularisation en droit des étrangers. Ces efforts avaient notamment pour but de répondre aux vives critiques dénonçant le caractère aléatoire de la pratique de la régularisation par les différentes préfectures et ainsi assurer davantage de sécurité juridique aux ressortissants étrangers souhaitant y prétendre.
Pour autant, la faible portée des moyens juridiques employés a conduit à rendre le droit à la régularisation totalement illusoire.
I) La tentative de définition d’un droit de la régularisation
La régularisation est définie par le CESEDA de manière pour le moins vague. En effet, l’admission exceptionnelle au séjour, définition juridique de la pratique de la régularisation en droit des étrangers, est régie principalement par les dispositions de l’article L. 313-14 du CESEDA précité aux termes desquelles :
« La carte de séjour temporaire mentionnée à l’article L. 313-1 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l’article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 313-2 ».
Ces dispositions permettent ainsi la délivrance d’une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », « salarié » ou « travailleur temporaire », même dans le cas où le ressortissant étranger demandeur ne présente pas de visa d’entrée régulière sur le territoire français. Elles consacrent ainsi la possibilité pour les ressortissants étrangers en situation irrégulière d’accéder à un droit au séjour en France.
Si le principe est ainsi posé, restent les difficultés causées par l’impossible définition de ce que sont des « considérations humanitaires » ou des « motifs exceptionnels ». De telles notions conduisent nécessairement à des appréciations aléatoires et à une insécurité juridique dans la mise en œuvre des dispositions relatives à l’admission exceptionnelle au séjour des ressortissants étrangers.
C’est dans ce cadre que ce sont développées les circulaires de régularisation.
Comme toutes les précédentes, la circulaire du 28 novembre 2012, présentée comme une circulaire « de régularisation », était donc très attendue. Nombre de ressortissants étrangers ont espéré que leur situation administrative, source de précarité et d’insécurité, s’améliorerait.
Les objectifs annoncés étaient ambitieux : « Définir des critères objectifs et transparents pour permettre l’admission au séjour des étrangers en situation irrégulière, (…) guider les préfets dans leur pouvoir d’appréciation et ainsi limiter les disparités ».
Ainsi, la circulaire prévoit, par exemple, que la demande de régularisation émanant du ou des parents d’un enfant scolarisé est examinée au vu de deux critères cumulatifs :
- une installation durable du demandeur sur le territoire français (cinq ans ou exceptionnellement moins),
- une scolarisation en cours à la date du dépôt de la demande d’au moins un des enfants depuis au moins trois ans.
La circulaire prévoit également par exemple la possibilité d’être régularisé au titre du travail lorsque le ressortissant étranger justifie :
- détenir un contrat de travail ou une promesse d’embauche,
- avoir travaillé huit mois, consécutifs ou non, sur les vingt-quatre derniers mois ou trente mois, consécutifs ou non, sur les cinq dernières années,
- une ancienneté de séjour en France d’au moins cinq ans.
La régularisation semble ainsi fondée sur des critères précis et objectifs et permettre une pratique de l’autorité administrative assurément transparente et uniforme sur l’ensemble du territoire français. À la lecture de la circulaire, tout laisse à croire qu’il suffit de remplir les conditions définies pour se voir délivrer une carte de séjour et voir sa situation administrative régularisée.
Cette introduction d’une apparente objectivité dans le cadre de l’appréciation des demandes de régularisation a conduit des milliers de ressortissants étrangers à se rendre aux guichets des préfectures.
Il faut toutefois mesurer la portée d’une simple circulaire et la distinguer de dispositions législatives ou réglementaires. Parmi les différents types de circulaires, celles qui visent à une régularisation sont des circulaires dites interprétatives, dénuées de tout caractère impératif.
Ainsi, les moyens employés pour définir un droit de la régularisation en apparence fondé sur des critères objectifs font en réalité obstacle à l’existence d’un droit à la régularisation au bénéfice des ressortissants étrangers.
II) Le refus de reconnaissance d’un droit à la régularisation
Dès 1996, le Conseil d’État, alors interrogé par le gouvernement sur l’existence d’un droit à la régularisation des ressortissants étrangers en situation irrégulière, introduisait son avis ainsi :
« Il convient, tout d’abord, d’observer qu’il ne peut exister un « droit à la régularisation », expression contradictoire en elle-même. (…) Si donc le demandeur de régularisation a un droit, c’est celui de voir son propre cas donner lieu à examen » (CE avis, 22 août 1996 n° 359622).
Le choix de définir des critères de régularisation par circulaire n’est pas neutre : elle laisse en effet une grande liberté à l’administration et ne permet aucune contestation, ni aucun contrôle juridictionnel des critères qu’elle pose.
Elle ne confère pas de droits aux personnes concernées mais donne seulement des consignes, plus ou moins floues, à l’administration. L’appréciation discrétionnaire de l’administration prend le pas sur l’apparente objectivité des critères de régularisation et confronte nécessairement les demandeurs de régularisation à une situation d’insécurité juridique.
La circulaire fait en définitive l’objet d’une mise en œuvre aléatoire sur l’ensemble de territoire, au gré notamment des sensibilités politiques ou encore des « pratiques » locales.
Surtout, l’absence totale de contrôle dans la mise en œuvre des critères de régularisation, pourtant précisément définis par la circulaire, laisse aux ressortissants étrangers souhaitant faire valoir leurs « droits » un profond sentiment d’injustice.
Le non-respect par l’autorité administrative des critères de régularisation prévus par la circulaire n’est pas sanctionné par le juge administratif.
Le contrôle de légalité n’est pas un contrôle de l’opportunité.
Les conditions de traitement des dossiers soulèvent plus que jamais la question de l’évolution de la jurisprudence administrative sur la nature des circulaires de régularisation et donc sur l’opposabilité de ces dernières.
La réponse du Conseil d’État a été sans équivoque.
Alors que plusieurs cours administratives d’appel avaient reconnu le caractère invocable de la circulaire du 28 novembre 2012, en énonçant qu’elle contenait des « lignes directrices », le Conseil d’État, statuant au contentieux, a considéré que ce texte n’est pas invocable à l’appui d’un recours formé devant le juge administratif (CE, 4 février 2015, n° 373267, T.).
La régularisation est une mesure d’exception et relève d’une appréciation par l’administration de l’opportunité d’en faire bénéficier le ressortissant étranger demandeur.
De quels droits peuvent dès lors encore se prévaloir les demandeurs de régularisation ?
La protection face à l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration.
Ignorant les critères objectifs de régularisation, le juge administratif limite son contrôle à celui de la proportionnalité entre les buts en vue desquels les mesures défavorables sont prises par l’administration et le droit des personnes qui en font l’objet.
Ce contrôle s’exercera souvent à l’aune des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le droit à la protection de la vie privée et familiale des ressortissants étrangers semble en définitive être la seule contrainte imposée à l’administration dans le cadre de l’appréciation des demandes de régularisation.
C’est en tout cas en ce sens que le Conseil d’État concluait son avis en 1996 en indiquant :
« Il est d’autant plus utile que le gouvernement exerce, dans les situations où ce droit est en cause, l’examen individuel qui lui incombe de toute façon que les mesures de régularisation éventuelles cessent alors de relever de l’opportunité pour se situer sur le terrain de la légalité » (CE avis, 22 août 1996, n° 359622).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 242
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