Art. 301.
Depuis le décret impérial du 17 mars 1808, les académies n’ont pas connu de grands bouleversements. De manière presque empruntée, « ces divisions administratives territoriales »[1] ont discrètement passé les années. Pour autant, leur existence n’a quasiment jamais été remise en cause, signe historique, s’il en était besoin, de leur importance dans la gestion des questions liées à l’enseignement. Curieusement, la pérennité des académies dans un paysage institutionnel et politique, qui, en près de deux siècles, a connu de nombreux changements, n’a que peu suscité l’intérêt ou la curiosité de la doctrine. Laissant souvent, à tort, le sentiment d’institution impassible aux évolutions qui façonnent le paysage administratif français, les académies donnent- pour le profane- l’image d’une administration surannée, encore largement, régie par les principes fondateurs de l’Université impériale.
Institutions de l’ombre, les académies connaissent pourtant, depuis quelques années, un mouvement de réforme significatif largement justifié et impulsé par la montée en puissance des nouvelles régions. Les transformations engagées au niveau des collectivités territoriales ont conduit à l’adoption du décret du 10 décembre 2015, créant les régions académiques. C’est dans le cadre de cette réforme que le décret n°2019-1200 du 20 novembre 2019, relatif à l’organisation des services déconcentrés des ministres chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a vu le jour. C’est, enfin, dans le prolongement de ce dernier texte que le décret n° 2019-1554 du 30 décembre 2019, relatif aux attributions des recteurs de région académique et des recteurs d’académie, a été publié.
A priori, le mouvement qui touche les académies n’a rien de spectaculaire. Il pourrait même être jugé banal au regard des observations déjà effectuées en matière de décentralisation territoriale. Décentralisation qui entraine concomitamment – et quasiment mécaniquement- une évolution des services déconcentrés de l’État. Un tel constat, largement éprouvé, notamment en matière préfectorale, n’a toutefois pas trouvé d’application en matière académique, ce qui rend la réforme actuelle d’autant plus intéressante.
Malgré l’ancrage territorial de leurs missions, les académies pour des raisons politiques, conjoncturelles, n’ont pas été intégrées au découpage territorial classique. Le système académique est, dès ses origines, calqué sur celui des structures judiciaires et sur la carte des lycées[2]. L’organisation, sans équivalent, a contribué, dès la Constitution de l’an VII, à octroyer aux services déconcentrés de l’éducation des missions élargies aux contours dépassant le cadre départemental.
A l’exception de la courte et trouble période de 1850 à 1854[3], qui a entrainé un processus « de départementalisation », les académies n’ont cessé de développer des actions qui, par essence, dépassent les frontières départementales. La réalité du paysage académique ainsi que la manière dont celui-ci a évolué semblent, logiquement, favorable à la consécration d’un processus de régionalisation.
Le décret du 20 novembre dernier, qui doit également être considéré au regard des autres textes qui lui ont succédé, fixe ce que l’on pourrait qualifier le contenu de la nouvelle organisation des régions académiques. On notera, néanmoins, que le titre du décret se réfère à l’organisation déconcentrée et non aux régions académiques, en tant que telles, qui concernent pourtant l’intégralité des dispositions du texte. Le choix sémantique, qui peut surprendre, paraît dicté par le souhait du gouvernement de mettre l’accent sur le processus de déconcentration et non de régionalisation, permettant ainsi de ne pas laisser planer le sentiment de vouloir exclure les académies. Dans le prolongement du texte précédent, le décret du 30 décembre affiche, dès son titre, la volonté de clarifier les attributions entre les recteurs de régions et leurs homologues d’académies.
Les décrets, bien que pas toujours très limpides au premier abord, proposent une sorte de douce rupture tout en s’inscrivant la continuité du décret de 2015. Ils reposent sur un équilibre qui oscille entre la volonté de préserver l’existant et celle d’apporter plusieurs innovations. Au titre des mesures emblématiques, mais au périmètre limité, on retiendra d’abord la suppression de « la fonction de vice-chancelier des universités de Paris » et, en conséquence, la modification de « l’organisation de l’académie de Paris » ; on notera enfin, la création d’une nouvelle académie à Mayotte.
Les décrets du 10 décembre 2015, celui du 6 novembre 2017 (n°2017-1543) ont, chacun en ce qui les concerne, contribué à modifier le Code de l’éducation, en créant dans un premier temps et en abondant, par la suite, au sein de la partie règlementaire du Code, le chapitre 2 du deuxième titre du livre 2 « consacré aux régions académiques et circonscriptions académiques »[4]. Les décrets de 2019 quant à eux, transforment une partie de ce récent édifice règlementaire, dont les fondations n’ont pas encore cinq ans. Les régions académiques -mises en place depuis le 1er janvier 2016- sont consolidées et renforcées dans leur principe[5] (I.).
La nouvelle mouture des régions académiques repose sur un renforcement des pouvoirs attribués aux recteurs de régions, à qui « il appartient d’arrêter l’organisation fonctionnelle et territoriale » de l’institution qu’il administre (II.). Les fonctions rectorales régionales, mais aussi celles des recteurs d’académies sont en partie repensées. Ces nouveautés, plus ou moins importantes, appellent de nombreuses remarques sur l’organisation et la structure du paysage académique.
I. Les difficultés rencontrées par les régions académiques
L’organisation académique de la France repose, sur une architecture pyramidale dans laquelle les régions académiques sont, en principe, composées d’une ou de plusieurs circonscriptions académiques. Cette organisation, déjà éprouvée dans d’autres administrations, répond à ses propres objectifs et mécanismes (A.) Pour autant, la structure académique telle que mise en place depuis plusieurs années n’a pas apporté pleinement satisfaction, obligeant les décrets de 2019 à introduire des ajustements (B.).
A. Le principe de la régionalisation de l’action académique
La réforme de l’organisation des services déconcentrés de l’Éducation se pose avec une acuité nouvelle. Ne pouvant rester éternellement indifférentes aux évolutions structurelles et techniques qui ont touché les collectivités territoriales, les académies ont été invitées à prendre « en compte la nouvelle configuration régionale »[6].
Ce vœu n’est toutefois pas facile à concrétiser car, précisément, la déconcentration en matière d’enseignement doit composer avec un tissu local d’établissements nombreux, aux formes juridiques et aux fonctionnements très différents. La diversité des territoires et des besoins fait que toute tentative d’uniformisation des politiques publiques peut vite devenir une gageure. « l’Éducation nationale étant encore perçue comme l’administration de l’ascenseur social ! Toucher à son organisation »[7] revient à s’exposer à de nombreuses oppositions.
Les vagues de décentralisation territoriale (transfert de compétence au profit des collectivités) et de décentralisation technique (processus d’autonomie d’établissement) qui ont successivement accompagné le paysage de l’enseignement en France changent, naturellement, les équilibres sans forcément les bouleverser totalement. L’accroissement de la décentralisation a eu des conséquences majeures sur l’action des académies, sur leur capacité d’innovation, d’adaptation, mais aussi sur leurs relations avec les élus locaux. Le renforcement de l’autonomie a modifié les pratiques de la déconcentration, sans remettre en cause l’organisation structurelle des académies[8].
Un décalage a pu quelquefois être perçu entre, d’une part, l’évolution des besoins et des attentes des usagers et, d’autres part, les difficultés pour les responsables d’académie d’y répondre à l’échelle d’un territoire[9]. En ce sens, le Sénat a pu, récemment, regretter que « l’éducation nationale ne s’est que trop peu intéressée jusqu’à présent aux données territoriales »[10], retenant toutefois l’importance de l’apport d’initiatives des académies. De façon paradoxale et alors que « le dialogue de proximité avec les établissements »[11] et les élus est une réalité quotidienne, l’organisation des services déconcentrés apparait insuffisamment adaptée voire décalée, devant les enjeux inhérents aux politiques territoriales. Dans le contexte de régionalisation des politiques publiques, la relation entre académies et régions est devenue un objectif incontournable du pilotage du système éducatif[12].
Si l’existence des académies n’est pas contestée, et a même été légitimée par le Conseil constitutionnel[13], leur organisation peut, eu égard aux réalités de la décentralisation, être jugée inefficace.
C’est en partant de cette recherche d’équilibre que l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (l’IGAENR), dans son rapport d’avril 2015, proposait de repenser l’existant à travers un ensemble de solutions. Alors que l’administration est, généralement, avide d’uniformité, les rédacteurs du rapport invitaient à une réforme à géométrie variable tentant de considérer chaque spécificité territoriale. De sorte que si certaines académies devaient fusionner, d’autres, au contraire, conserveraient leur configuration, enfin les académies de l’île de France en raison de leur importance étaient considérées isolément. Les alternatives envisagées, tout en avançant avec prudence, pour les cas les plus complexes, faisaient preuve d’ardeur, notamment , à travers la proposition de fusion de plusieurs académies selon le nouveau cadre régional créé par la loi du 16 janvier 2015. Le décret du 10 décembre 2015 s’est montré beaucoup plus timoré, se contentant de poser les bases d’une coopération interacadémique.
Face à des solutions extrêmes pouvant aller jusqu’à la fusion, ou la création d’une Agence régionale dotée de la personnalité morale -comme cela a été le cas en matière sanitaire- le gouvernement a choisi la solution la plus neutre politiquement, mais aussi la plus modeste au plan juridique. Le « redécoupage des académies » ne faisant pas consensus[14], cette alternative a été rapidement écartée.
B. Les vicissitudes de l’organisation des régions académiques
Le décret de 2015 et ceux de 2019 conservent les académies existantes en leur ajoutant une entité supérieure : la région académique. C’est ainsi que l’article R.222-1 du Code de l’éducation dispose que « La France est divisée en régions académiques, composées d’une ou de plusieurs circonscriptions académiques, définies à l’article R. 222-2 ». Le choix retenu repose sur un mode de fonctionnement pyramidale qui ajoute un échelon à celui préexistant. Les régions académiques n’ont pas supprimé les académies, on pourrait même écrire qu’elles les ont confortées dans leur existence.
Depuis le 1er janvier 2016, se sont donc 17 régions académiques (dont la liste est fixée à l’article R.222-2) qui ont été créées. Si quatre d’entre elles regroupent trois académies ; huit, au contraire ne comprennent qu’une seule académie.
Le paysage académique reste donc très épars et largement soumis aux rapports humains qui régissent les relations entre les différents responsables académiques. Le sentiment de tâtonnement a pu être accentué par des expérimentations menées sur quelques territoires. A ce titre, on retiendra la réussite qu’a pu constituer la nomination d’un recteur de région comme administrateur de l’ensemble des académies de la région académique de Normandie[15] . Le succès de cette expérience a incité le pouvoir réglementaire à intégrer, au sein de l’article R.222-1 du Code de l’éducation, une disposition permettant par dérogation à un recteur de région académique d’être chargé , « par décret pris en conseil des ministres, d’administrer les autres académies de la même région académique ».
Même si elles peuvent sembler modestes, les expérimentations entreprises au niveau régional ont permis de démontrer, dans nombres d’hypothèses, l’enjeu majeur que peut avoir une approche régionale.
L’organisation repensée des services déconcentrés, telle qu’entreprise depuis 2015 et confirmée en 2019, propose de répondre au double objectif de proximité et de la régionalisation. Le système actuel, et le recours aux régions académiques, doit « favoriser le travail plus en lien avec les collectivités » tout en créant « des partenariats constructifs ». Toutefois, il doit également, conserver l’originalité académique en l’impliquant dans le processus de régionalisation.
Le système mis en place depuis 2015, et récemment confirmé, n’a pas suscité un enthousiasme débordant. Il faut reconnaitre qu’indépendamment de son intérêt la régionalisation académique a suscité, à l’heure des premiers bilans de sérieuses réserves et cela pour plusieurs raisons.
Premièrement, les choix opérés affichent, pour l’heure, des résultats très variables d’une région à l’autre. Il faut bien admettre que la construction des régions académiques n’a pas été des plus franche. Les tâtonnements et les hésitations qui ont accompagné leur mise en place ont conduit à ce que les régions académiques soient « avant tout conçues comme le lieu d’une réflexion stratégique plus que de gestion »[16]. A cela s’ajoute un manque de visibilité et quelquefois une dualité entre les actions des régions académiques et celles des académies.
Deuxièmement, la Cour des comptes a souligné en 2017 « la fragilité de ces régions académiques, qui ne disposent ni d’autorité hiérarchique, ni de missions d’allocation des moyens »[17]. Ainsi, malgré les évolutions structurelles, « apparaît un décalage croissant entre l’organisation territoriale de l’éducation nationale et celles des autres services de l’État au niveau régional, au moment où les enjeux interministériels des politiques publiques s’accroissent ».
Enfin, tout une série de constats ont pu être faits allant du coût potentiel de cette organisation[18], aux problèmes du lieu du siège de la région académique qui, dans plusieurs cas, ne se situe pas dans la ville accueillant l’hôtel de région. Ces choix justifiés « par des spécificités territoriales plus ou moins convaincantes, n’apparai(ssent) guère judicieux, notamment en ce qu’il(s) contrarie(nt) l’objectif, plusieurs fois rappelé par les pouvoirs publics dans le cadre de la réforme territoriale, de constituer un « état-major régional » autour du préfet de région »[19].
Ces critiques sérieuses mettent en avant les limites du mécanisme pyramidale. Entre les risques d’enchevêtrement des compétences, le manque de moyens octroyés aux recteurs de régions et les faiblesses de la structuration académique, les choix opérés en 2015 ont montré leurs limites. Les décrets de 2019 essaient donc de conserver la structure pyramidale en corrigeant ses faiblesses.
II. Le renforcement du rôle des régions académiques
Les difficultés rencontrées par les régions académiques ont été largement dépeintes et sont désormais bien connues. Les possibilités pour remédier à cette situation étaient nombreuses, des plus radicales au plus insignifiantes, le choix des possibles était grand. Les décrets de 2019 optent, sans ambiguïtés, pour le maintien de la structure mise en place dès 2015 (A.). Le renforcement du rôle du recteur de région devant concourir à renforcer la légitimité et le rôle des régions académiques aux dépens des académies (B.).
A. Des régions académiques légitimées dans leurs missions
Pour pallier les limites de fonctionnement des académies, le gouvernement a, un temps, annoncé la suppression de certains rectorats au profit des seules régions académiques. Cette alternative jugée trop brutale a finalement été rejetée[20]. La problématique du découpage territorial s’est posée de façon quasiment identique à la réflexion entreprise en 2015. La pertinence de superposer des strates ou d’en supprimer apparaissant, pour des questions économiques et de rationalisation de l’action publique, comme un enjeu fort de la déconcentration. Une nouvelle fois, l’alternative arrêtée a été de conserver le découpage actuel, sans pour autant renoncer à la réorganisation du territoire régional de l’éducation. Partant, tout l’enjeu des derniers décrets a été de renforcer l’action régionale, tout en maintenant et en confirmant l’objectif de subsidiarités au niveau académique.
Les régions académiques affichent au regard des textes de 2019 une réelle montée en puissance. Alors que le gouvernement ne s’adonne pas à une explication aussi péremptoire, les décrets quant à eux affichent une nette tendance au renforcement de l’échelon régional.
L’ambiguïté de certaines formules pourrait de prime abord laisser penser que l’évolution annoncée n’a pas eu lieu. Le qualificatif « d’entité stratégique » (R.222-16), ou encore le manque de précisions de certaines dispositions ne permettent pas d’endiguer les salves de critiques adressées à la première mouture des régions académiques.
Ceci étant, à y regarder de plus près, les décrets mettent en place de nouveaux mécanismes favorables à la légitimation de l’action des régions académiques. La création de services régionaux, la mutualisation de services interacadémiques -notamment chargés des affaires juridiques et des systèmes d’information- concourent à défendre l’hypothèse que la région académique va bénéficier, dans les mois à venir, d’une plus grande légitimité et de nouveaux moyens d’action.
Les critiques sérieuses et nombreuses faites aux régions académiques auraient pu opérer un changement radical. Toutefois, les décrets de 2019 n’optent clairement pas pour une telle solution. A la lecture des textes, il paraît que l’équilibre des compétences entre les académies et les régions académiques, un temps favorable aux premières, semble désormais s’inverser.
On retiendra que c’est essentiellement à travers la fonction rectorale, et le renforcement du positionnement du recteur de région, que la montée en puissance de la région académique est envisagée.
Le code de l’éducation ne laisse sur ce point que peu de doutes. Le recteur de région « fixe les orientations stratégiques des politiques de la région académique pour l’ensemble des compétences relevant des ministres chargés de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation » (R.222-16). Pour mener à bien sa mission, le recteur dispose de nouveaux moyens. Au sein des régions comportant plusieurs académies, « un secrétaire général de région académique est chargé, sous l’autorité du recteur de région académique, de l’administration de la région académique » (R.222-16-4).
A priori, les régions académiques et les recteurs qui les administrent devraient avoir les moyens de leurs ambitions.
La teneur de la présentation du décret du 20 novembre 2019 est relativement claire : il s’agit de renforcer « le rôle et les attributions du recteur de région académique ». Cette affirmation n’est pas synonyme de la fin des recteurs d’académie, dont certains sont aussi recteur de région. Le choix des mots étant souvent révélateur des tendances, on notera que le gouvernement a fait usage (au 5ème alinéa de l’article R.222-1), probablement maladroitement et peut-être involontairement, de l’expression « du recteur d’académie de région académique » soulignant ainsi -peut-être inconsciemment- que le recteur de région est aussi un recteur d’académie. Est ainsi réaffirmé que les deux fonctions sont davantage complémentaires qu’opposées.
Néanmoins, la distinction est réelle et il est vite apparu que, pour accompagner la régionalisation, il fallait logiquement renforcer les pouvoirs de son responsable et, in fine, réduire ceux susceptibles de limiter ce mouvement. Les oppositions et divergences peuvent, en l’absence de répartition des compétences, s’avérer délicates à gérer, notamment en matière de désaccord. La répartition des compétences et des missions étant nécessaire au bon fonctionnement d’une institution, il devenait impératif d’identifier avec précision le rôle des recteurs susceptibles d’intervenir sur un même territoire.
La nécessité de clarification était d’autant plus essentielle qu’elle était de nature à rendre davantage lisible l’action académique, notamment dans ses relations avec les collectivités ou les autres services déconcentrés. Symbole de cette réalité, les juridictions administratives ont pu éprouver des difficultés à distinguer entre les missions des recteurs d’académie et celles des recteurs de régions, ne percevant pas toujours avec netteté les différences relatives aux deux fonctions[21].
Ces atermoiements nécessitaient une réponse urgente au risque de voir, dans l’avenir, les situations conflictuelles se multiplier.
B. L’importance grandissante du recteur de région académique
Les décrets de 2019 s’adonnent à la recherche d’un périlleux équilibre, s’efforçant de maintenir les fonctions rectorales, mais en les hiérarchisant.
D’un côté, le décret du 30 décembre en substituant, dans de nombreux articles du Code de l’éducation, au terme « d’autorité académique » celui de « recteur d’académie », rappelle l’importance et le rôle de ce dernier.
D’un autre côté, et non sans paradoxe, l’évolution sémantique que nous donne à voir les décrets, ne signifie pas pour autant que les recteurs d’académies sont renforcés dans leurs missions. C’est davantage la tendance inverse qui semble se confirmer. Pour le dire autrement, si la fonction de recteur d’académie est réaffirmée dans son principe, son influence est amenée à s’amoindrir eu égard au renforcement des pouvoirs du recteur de région.
Le risque de conflits entre les recteurs de région et leur homologues académiques, dont les périmètres peuvent se confronter, est résolu par le premier alinéa de l’article R.222-1. « Dans les régions académiques comportant plusieurs académies, le recteur de région académique a autorité sur les recteurs d’académie. Les décisions de ces derniers s’inscrivent dans les orientations stratégiques définies par le recteur de région. L’autorité du recteur de région sur les recteurs d’académie ne peut être déléguée ».
Le décret n’instaure pas de hiérarchie au sens juridique du terme, mais affirme l’autorité du recteur de région. La « chaine hiérarchique »[22] n’est en rien bouleversée ; en revanche, une priorisation des actions académiques est clairement consacrée. La formulation de l’article R.222-1, dont la portée sera probablement précisée par la pratique, affirme, sans équivoque, qu’en cas de conflit et de désaccord la position régionale doit prévaloir.
Le postulat parait par ailleurs transposable aux rapports entre le recteur de région et le nouveau recteur délégué, « compétent pour les questions relatives à l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation ». Alors que les textes n’évoquent pas l’autorité du recteur de région sur le recteur délégué il parait, cependant, logique qu’un rapport d’autorité s’instaure au profit du recteur de région.
La transposition de l’esprit de l’article R.222-1 aux relations qui unissent le recteur de région et le recteur délégué est d’autant plus perceptible, que le préambule du décret de novembre précise explicitement que le recteur de région est « secondé » par le recteur délégué. Le recteur délégué sur lequel il y aurait beaucoup à écrire (et à spéculer) est dépositaire d’une mission qui est actuellement imprécise. Comme souvent en matière d’éducation, les lacunes des textes et leur manque de clarté seront compensés par la pratique, les visions personnelles des acteurs et les rapports qui seront amenés à se dégager entre eux.
Dans un souci de rationalisation, le recteur de région peut déléguer sa signature aux recteurs ou au secrétaire général d’académie, pour pourvoir à l’exercice de différentes missions régionales (R.222-17). Là encore, ces délégations de signatures maintiennent la responsabilité du recteur de région qui détient la compétence de principe en matière régionale.
La logique régionale ne repose pas uniquement sur la « hiérarchisation des fonctions », mais également sur l’augmentation des pouvoirs et le renforcement de la position institutionnelle des recteurs de région.
Sur ce dernier point, l’action des recteurs est quelquefois apparue timorée face au rôle des préfets. Le détachement territorial des académies des départements a constitué autant un avantage pour les recteurs -en matière d’autonomie- qu’un inconvénient en matière d’implication dans les politiques déconcentrées de l’État. Cet éloignement a été, en partie, corrigé par la participation du recteur de région au comité d’administration régional. Les décrets de 2019 renforcent la place du recteur de région au sein de ce comité, il est par ailleurs conforté dans son rôle grâce, notamment, à une intégration renforcée au processus de régionalisation [23].
Les vagues successives de décentralisation techniques et territoriales qui ont touché l’éducation et l’enseignement ne pouvaient rester sans incidences dans l’organisation académique. Entre promoteurs d’une réforme totale et partisans d’une évolution en douceur, la deuxième tendance a clairement été privilégiée. Néanmoins, le curseur n’est pas des plus simples à trouver. Les décrets de 2019 tentent, avec une habilité à peine dissimulée, de contrecarrer les critiques qui ont résulté des premiers bilans liés à l’existence des régions académiques. Le caractère emprunté de ces dernières devait entrainer une réponse de la part du gouvernement, ce qui a été fait. Les textes laissent finalement un sentiment mitigé, notamment à travers les incertitudes et incohérences que laissent planer leur rédaction, et la conviction que des mesures complémentaires devront être adoptées pour donner tout son sens à l’action des régions académiques.
Espérons que la nouvelle étape réglementaire, que nous sommes en train de vivre, permettra de franchir un palier et d’assurer aux régions académiques la place qu’elles méritent. Gageons que le rôle et le positionnement des recteurs de région seront déterminants pour l’avenir et la légitimité de ces institutions.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Arnaud Lami, « Les dernières évolutions des régions académiques »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ; Art. 301.
[1] D. Raymond, Dictionnaire d’éducation publique et privée, tant en France qu’à l’étranger, Paris, J.-P. Migne, 1853, p.1669
[2] Titre I. art 4 du décret impérial du 17 mars 1808, portant organisation de l’Université impériale, Turin, Imprimerie Vincent Bianco, 1808, p.3
[3] J. DELABROUSSE, La décentralisation administrative et les universités régionales, Paris, A. Fontemoing,, 1900, p.36
[4] B. Beignier, A. Lami , « La réforme territoriale de l’éducation nationale », in Culture, Société territoires, Mélanges en l’honneur du professeur Serge Regourd, Institut universitaire Varenne, 2019, p.1030
[5] Voir à cet égard Question Ass. N, du député S. Dumilly, JO, 11/09/2018, p.7918, réponse, JO, 16/10/2018 p.9362
[6] Rapport IGAENR,n°2015-021, Quelle évolution de l’Etat territorial pour l’Education nationale, l’enseignement supérieur et la recherche, avril 2015, p.21
[7] « Les nouvelles « Régions académiques » : débats et enjeux. Questions à Jean-Louis Nembrini », Administration & Éducation, vol. 162, no. 2, 2019, pp. 113
[8] Rapport Sénat, n°43, MM. Laurent Lafon et Jean-Yves Roux, les nouveaux territoires de l’éducation, 9 octobre 2019, Sénat n°43, p. 30
[9] Rapport IGEN et IGAENR, n° 2018-010, Mission ruralité. Rapport d’étape, février 2018
[10] Rapport Sénat, n°43, MM. Laurent Lafon et Jean-Yves Roux, les nouveaux territoires de l’éducation, op.cit., p.8
[11] Rapport annuel des inspections générales, L’autonomie des établissements scolaires : pratiques, freins et atouts pour une meilleure prise en compte des besoins des élèves, 2019, p.41
[12] F. Weil, O. Dugrip, M.-P. Luigi, A. Perritaz, Rapport sur la réorganisation territoriale des services déconcentrés de l’EN et de l’ESRI, mars 2018
[13] Cons. Constit., 15 octobre 2015, Décision n° 2015-258 L, JO, n°0241 du 17 octobre 2015 p. 19381, texte n° 60
[14] Rapport Ass.N., MMES Fannette Charvier ET Anne-Christine Lang, n°1629, Pour une école de la confiance, 31 janvier 2019, p.9
[15] Décret du 8 nov 2017 qui permet à titre dérogatoire au Conseil des ministres de nommer un recteur « chargé d’administrer les autres académies de la même région académique ».
[16] Rapport IGENR n°20017-076, Mieux intégrer les statistiques, fev.2018, p.21
[17] Cour des comptes, Les services déconcentrés de l’état clarifier leurs missions, adapter leur organisation, leur faire confiance, rapport thématique,11 décembre 2017, p.101
[18] Ibidem, Avec notamment la multiplication des déplacements, p.90
[19] Ibidem, p.89
[20] B. Beignier, A. Lami, « La réforme territoriale de l’éducation nationale », in Culture, Société territoires, Mélanges en l’honneur du professeur Serge Regourd, op.cit., p.1031 et sv.
[21] Voir en ce sens CE, 27 juin 2016, req. n° 392145 « pour l’exercice des missions relatives à l’organisation de l’action éducatrice, le recteur et l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale, sous réserve des attributions dévolues aux préfets de région et de département pour le premier, et des attributions dévolues aux préfets en ce qui concerne les investissements des services de l’Etat dans le département pour le second, prennent les décisions dans les matières entrant dans le champ de compétence du ministre chargé de l’éducation exercées, pour le recteur, à l’échelon de la région académique , de l’académie et des services départementaux de l’éducation nationale, et pour l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale, à l’échelon du département. »
[22] CAA Bordeaux, 19 décembre 2019, n° 18BX00290
[23] Le recteur de Région peut proposer au préfet d’associer, pour les affaires qui les concernent, les autres recteurs de la région académique (R.222-16-1).
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