Art. 326.
Le présent article, rédigé par M. Hugo Ricci (doctorant en droit public, UT1 Capitole, IMH) s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Nouvelle évolution de l’obligation d’information du patient par les praticiens & appréciation de la perte de chance
Conseil d’Etat, Sect., 20 novembre 2020,
req. 422248, Publié au recueil Lebon
Le Conseil d’État a souhaité apporter un certain nombre de précisions quant à la notion de possibilité raisonnable de refuser les soins. Issue de la jurisprudence M. Telle[1] et complété par la jurisprudence Beaupère et Lemaitre[2], cette possibilité de refuser les soins appelle directement au consentement et à l’obligation préalable d’information du patient, non seulement sur les « risques connus de décès ou d’invalidité, (…) la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement »[3] ne dispensant pas les médecins de cette obligation. La réparation du non-respect de cette obligation est l’indemnisation pour la perte de chance de refuser l’intervention, mais également le préjudice d’impréparation notamment en prenant certaines dispositions personnelles, ces deux types d’indemnisation étant autonomes[4] ; le défaut d’information étant constitutif d’un préjudice autonome[5] de la perte de chance, Conseil d’État et Cour de Cassation ayant une position commune à ce sujet[6].
Ainsi, il est donc possible pour les magistrats d’écarter la perte de chance, ce qui est le cas lorsque « l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus », mais d’indemniser la victime pour le préjudice d’impréparation.
En l’espèce, une patiente chute sur son lieu de travail, qui entraine un déplacement musculaire au niveau du genoux, nécessitant une intervention chirurgicale en vue de refixer le tendon à l’origine de ce déplacement. À l’issue de l’intervention médicale, une paralysie du pied nécessite une nouvelle intervention, qui met en évidence une compression accidentelle d’un nerf, étant survenu au cours de la première intervention. La patiente ayant engagé des poursuites de l’établissement auprès du tribunal administratif de Fort-de-France obtient une réparation du préjudice « de perte de chance ayant résulté pour elle du manquement de cet établissement à son obligation d’information sur les risques inhérents à l’intervention ».
Cette décision sera annulée par la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, qui estimait que compte tenu de l’absence d’alternative thérapeutique à l’intervention chirurgicale qui lui était proposé, la victime aurait consenti à cette opération même si elle avait été informée des risques d’atteinte au nerf fibulaire, et que de ce fait, le manquement de l’établissement n’avait privé la victime d’aucune chance de se soustraire au risque en renonçant à l’opération chirurgicale. La décision sera cassée en Conseil d’État, puis renvoyé devant la CAA de Bordeaux, qui avait – comme la premier fois – rejetée la demande de la requérante. Dans cette ultime décision du Conseil d’État, les magistrats vont apporter un certain nombre de précisions sur l’obligation d’information, tout en rejetant la demande de la requérante.
Origine, contenu et qualité de l’information délivré au patient
L’origine de l’obligation d’information (A) est lointaine et sa source est évolutive, mais le contenu et sa qualité (B) semble se renforcer au fil des années.
A. Origine de l’obligation d’information
Le fondement de l’obligation d’information du médecin à son patient trouve l’un des premiers points de départ dans les arrêts Mercier[7]de 1936 et Teyssier[8] de 1942, illustrant l’information comme un élément au contrat médical[9] qui se créé entre le patient et médecin. La jurisprudence sera constante en matière d’information préalable du patient, désormais élevé au rang du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine[10], et étroitement lié au droit au respect de l’intégrité corporelle. Ce dernier ne permet aucune atteinte au corps sans le consentement de son titulaire, qui suppose une information préalable, et qui découle du code civil[11] depuis 1994[12]. Les mêmes exigences existent par ailleurs en droit européen[13]. La loi du 4 mars 2002[14] apporte au code de la santé publique l’article L. 1111-2 qui consacre le droit pour toute personne « d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver »[15].
B. Contenu et qualité de l’information
Le patient doit être informé afin d’être à même de se rendre compte de la gravité potentielle de sa pathologie, c’est-à-dire porter sur son état de santé, sur les gestes entrepris, la nature de l’opération ou de l’intervention, son ampleur et ses conséquences possibles, et les risques et les complications potentielles. En outre, les conséquences prévisibles en cas de refus, les alternatives thérapeutiques doivent également être détaillées.
La différence importante de niveau de connaissance technique entre le professionnel et le patient rend difficile, sinon impossible, la communication de données médicales « en l’état », qui serait une source d’incompréhension très grande[16]. En l’absence de texte, la jurisprudence a qualifié l’information comme devant être « simple, approximative, intelligible et loyale »[17], avant de faire disparaitre l’approximation de l’information[18], le médecin étant aujourd’hui tenu à « une information loyale, claire et appropriée ». Pour autant, les magistrats administratifs ont recherché une précision de la qualité de l’information, qui s’étend également aux résultats des examens, qui compte tenu des conditions dans lesquels ils sont conduit, peuvent « être affecté d’une marge d’erreur inhabituelle »[19].
La terminologie jurisprudentielle sera reprise[20] dans le code de déontologie médicale en son article 35, qui est désormais réglementaire[21] : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ».
Les conséquences du défaut d’information
Deux conséquences juridiques au défaut d’information viennent sanctionner celui-ci par le biais de la responsabilité, à travers le préjudice d’impréparation (A) et la perte de chance (B), ces deux mécanismes étants autonomes.
A. Le préjudice d’impréparation
L’existence du préjudice d’impréparation a été consacrée par la décision du Conseil d’État « Beaupère et Lemaître » [22], et sa définition pourrait être celle d’un « préjudice moral, résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle »[23], bien que les hauts magistrats de l’ordre judiciaire, s’inspirant de la solution rendue en 2012, définiront postérieurement ce préjudice de façon plus large, comme « résultant d’un défaut de préparation aux conséquences » d’un risque inhérents à un acte d’investigation, de traitement ou de prévention.
La jurisprudence précitée ouvre le droit à réparation pour le patient, né du manquement des médecins à leur obligation d’informer, pour les troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à l’éventualité que certains risques se réalisent.
Ces troubles, peuvent prendre la forme de l’impossibilité de prendre certaines dispositions personnelles, comme les impacts professionnels, en matière successorales ou assurantielles, et qui, fondées sur la possible survenance d’un risque, auraient permis au patient, s’il avait été informé, d’en anticiper les conséquences. Ainsi, tous les troubles subis du fait de la survenance du risque qui n’avait été signalé, semblent pouvoir donner lieu à réparation, à condition d’en apporter la preuve devant le juge.
B. La perte de chance de se soustraire au risque qui s’est finalement réalisé
Cour de Cassation[24] et Conseil d’État[25] ont utilisé la théorie de la perte de chance de se soustraire au risque, lorsque celui-ci s’est finalement réalisé, pour indemniser les victimes, en prenant en compte la faction du préjudice directement en lien avec le défaut d’information. Cette technique permet notamment au juge de prendre en compte les risques qui subsistent en cas de renonciation aux soins[26]. C’est en ce sens que dans la décision de l’espèce, les précisions des magistrats sont importantes : le manquement à l’obligation d’information entraine la responsabilité de l’hôpital lorsque ce manquement entraine « un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n’a pas été porté à sa connaissance », la réparation du préjudice résidant dans la « perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l’opération ». Le Conseil d’État[27] insistant sur la nécessité pour le juge administratif de systématiquement se prononcer sur la nature et l’importance des dommages physiques et des troubles dans les conditions d’existence subis par l’intéressé, en prenant en compte cet équilibre entre les risques de l’intervention et les risques encouru en cas de refus de traitement. Encours l’annulation la décision qui n’établirait pas le rapprochement entre ces deux éléments.
Si le patient « ne dispose d’aucune possibilité raisonnable de refus, le défaut d’information ne peut normalement entraîner une perte de chance de se soustraire au risque que cette intervention comporte »[28]. S’il existe des alternatives thérapeutiques moins risquées[29], le juge en déduit que l’intervention n’est pas impérieusement requise, auquel cas le défaut d’information fait perdre au patient une chance d’échapper à l’accident médical survenu[30].
A contrario, si l’état de santé nécessite de manière vitale une intervention, et en l’absence d’alternative thérapeutique moins risquée, le patient ne pourra invoquer la notion de perte de chance, le patient ne pouvant se soustraire à ce risque[31]. Il en va de même lorsque l’intervention est urgente et nécessaire[32]. Aucune indemnisation ne peut donc être versé à ce titre. Ainsi, dans les hypothèses dans lesquelles le patient ne peut se soustraire à l’intervention, le juge considère que le défaut d’information, même fautif[33], n’a pas à être sanctionné[34]. Par ailleurs, selon des mécanismes juridiques qui fondent le principe même de la justice, la proportionnalité ou l’équilibre sera toujours recherché, entre l’information sur les risques, et la nécessité de l’acte médical. Ainsi, nulle perte de chance s’il est « raisonnablement improbable » pour le patient qu’il refuse à consentir à une opération, même averti de tous les risques : le juge se fondant sur l’équilibre entre « l’information [qui] aurait dû mettre en parallèle d’une part, les risques encourus, limités et le bénéfice escompté et d’autre part (…) l’évolution prévisible de son état de santé en cas d’inaction »[35]
Dans la décision qui nous concerne, le juge ne peut que présumer que la patiente, même informé « des risques d’atteinte au nerf fibulaire » que comportait l’opération, et « compte tenu de ce qu’était l’état de santé du patient et son évolution prévisible en l’absence de réalisation de l’acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu’il aurait fait » aurait consenti à l’acte en question. Ainsi, même si effectivement le centre hospitalier régional n’apportait pas la preuve de l’information qui lui incombait, ce manquement n’avait privé la justiciable « d’aucune chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l’opération ».
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 326.
[1] Conseil d’État, 5 janvier 2000, n° 181899, publié au recueil Lebon
[2] Conseil d’État, 5èmes et 4èmes sous-sections réunies, 10 octobre 2012, 350426, Publié au recueil Lebon
[3] Conseil d’État, 5 janvier 2000, précité
[4] Conseil d’État, 10 octobre 2012, précité
[5] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 23 janvier 2014, 12-22.123, Publié au bulletin
[6] Caroline LANTERO, « Devoir d’information du patient : le Conseil d’Etat rejoint la Cour de cassation », AJDA, nᵒ 40, 2012, p. 2231.
[7] Cour de cassation, Civil., 20 mai 1936, Mercier
[8] Cour de Cassation, Chambre des requêtes, 28 janvier 1942, Teyssier
[9] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 3 juin 2010, 09-13.591, Publié au bulletin
[10] Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 9 octobre 2001, 00-14.564, Publié au bulletin ; et plus récemment : Civ. 1re, 12 juin 2012 n° 11-18.327
[11] Code civil, article 13-3. Voir en ce sens Cour de cassation, Chambre civile 1, 28 janvier 2010, 09-10.992, Publié au bulletin
[12] Loi no 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain
[13] CEDH 2 juin 2009, n° 31675/04
[14] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
[15][15] Idem
[16] Bien qu’il existe désormais des patients experts.
[17] Cour de cassation, Chambre Civile 1, 21 février 1961 (publication n°115)
[18] Cour de cassation, Chambre Civile 1, 5 mai 1981, Gazette au Palais, 1981, p.352
[19] Conseil d’Etat, Section, du 14 février 1997, 133238, publié au recueil Lebon
[20] Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale
[21] Code de la santé publique, Article R4127-35 (la formulation demeurante inchangée).
[22] Conseil d’Etat, 5èmes et 4èmes sous-sections réunies, 10 octobre 2012, Beaupère c/ CHRU de Rouen, n°350426, Publié au recueil Lebon
[23] Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 juillet 2012, 11-17.510, Publié au bulletin
[24] Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 7 février 1990, 88-14.797, Publié au bulletin
[25] Conseil d’État, 5 janvier 2000, précité
[26] Voir en ce sens Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 02/02/2011, 323970, Inédit au recueil Lebon
[27] Conseil d’État, du 5 janvier 2000, 198530, inédit au recueil Lebon
[28] Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 06/03/2015, 368010, Inédit au recueil Lebon
[29] En réalisant un équilibre entre le risque effectivement réalité, et un éventuel autre risque probable le cas échéant ; voir en ce sens Cour Administrative d’Appel de Nantes, 3ème chambre, 07/04/2016, 14NT02841, Inédit au recueil Lebon
[30] Solution qui est différente hors des situations urgente. Voir en ce sens Conseil d’État, 5ème / 4ème SSR, 03/07/2015, 372257, Inédit au recueil Lebon, décision dans laquelle la haute juridiction considère que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en se fondant sur l’absence de l’existence d’autres techniques médicales pour déceler une malformation sur un fœtus, comme ne suffisant pas à caractériser l’absence de toute possibilité raisonnable de refus.
[31] Conseil d’État, 5 / 7 SSR, du 15 janvier 2001, 184386, mentionné aux tables du recueil Lebon. Voir également Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 10/10/2012, 350426, Publié au recueil Lebon
[32] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 3 juin 2010, 09-13.591, Publié au bulletin
[33] Conseil d’Etat, 5 / 7 SSR, du 15 janvier 2001, 184386, mentionné aux tables du recueil Lebon
[34] Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 13 novembre 2002, 01-00.377, Publié au bulletin
[35] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, ch. 10, 13 février 2014, n° 2014/00070
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