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ParMathias AMILHAT

Les évolutions textuelles : un droit de la commande publique en constante mutation

Art. 356.

Extraits de la 5ème chronique Contrats publics (septembre 2021)

Mathias Amilhat,
Maître de conférences de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole , IEJUC,
Comité de rédaction du JDA

L’année écoulée a permis de constater une nouvelle fois que le droit de la commande publique fait preuve d’une capacité d’adaptation importante. Il est d’ailleurs possible que ces adaptations se poursuivent tant la commande publique semble aujourd’hui mise en avant comme un outil de relance économique (v. not. P. Terneyre et T. Laloum, « Droit des contrats administratifs : renversons quelques tables pour la reprise économique ! », Contrats-Marchés publ. 2021, étude 5). Il n’est pas question ici d’anticiper des changements éventuels mais il est possible de relever que ceux qui ont eu lieu lors de cette période si particulière ont toujours été pensés au bénéfice des opérateurs économiques. Or, si l’utilisation de la commande publique au service des politiques publiques nous semble constituer un élément positif, il est regrettable que le but d’intérêt général poursuivi par les personnes de la sphère publique ne semble envisagé que de manière secondaire, après la recherche de protection des opérateurs économiques. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que, derrière les garanties apportées aux opérateurs économiques, se trouvent généralement des hausses d’impôts dénoncées par les mêmes qui plaident en faveur de la protection des entreprises.

Parmi les évolutions les plus marquantes, on retrouve l’adoption de la loi ASAP – qui semble parachever les évolutions provoquées par la pandémie de COVID-19 – et celle des nouveaux cahiers des clauses administratives générales (CCAG) applicables en matière de marchés publics.

La loi ASAP 

La loi d’accélération et de simplification de la commande (ASAP) du 7 décembre 2020 (Loi n°2020-1525, JORF du 8 déc. 2020) est le premier texte de loi apportant des modifications significatives au droit de la commande publique depuis l’adoption du code en 2019. Ce n’était pourtant pas l’objectif initial du projet de loi qui ne devait modifier le code de la commande publique qu’à la marge. En effet, la seule modification prévue initialement concernait les contrats passés avec des avocats ayant pour objet des services juridiques de représentation ou des services juridiques de consultation. Elle a été maintenue dans le texte adopté : ces contrats intègrent désormais la catégorie des « autres marchés » et des « autres contrats de concession », ce qui signifie qu’ils peuvent être passés sans qu’une procédure de publicité et de mise en concurrence ne soit mise en œuvre (ils relevaient auparavant de la procédure adaptée).

Les modifications ASAP du droit de la commande publique ne se sont cependant pas arrêtées là. Elles se retrouvent aux articles 131 à 133 et 140 à 144 de la loi et permettent de sanctuariser certaines mesures adoptées dans le cadre de la législation d’exception mise en place pour faire face à la pandémie de Covid-19 (Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de COVID-19, JORF du 26 mars 2020 ; Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire, JORF du 13 mai 2020 ; Ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique, JORF du 18 juin 2020).

  • En premier lieu, la loi crée une nouvelle exception permettant aux acheteurs de conclure leurs marchés sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque le respect d’une telle procédure est manifestement contraire « à un motif d’intérêt général » (CCP, art. L. 2122-1 et L. 2322-1). Pour autant, les acheteurs ne sont pas compétents pour identifier de tels motifs d’intérêt général. Il faut donc attendre que le pouvoir réglementaire intervienne pour fixer la liste de ces motifs.  
  • En deuxième lieu, la loi modifie les dispositions du code de la commande publique pour interdire l’exclusion des entreprises en redressement judiciaire si elles bénéficient d’un plan de redressement (CCP, art. L. 2141-3 et L. 3123-3). Dans le même sens, les acheteurs et les autorités concédantes se voient interdire de résilier un contrat au seul motif qu’une entreprise est placée en redressement judiciaire lorsqu’elle bénéficie d’un plan de redressement (CCP, art. L. 2195-4, L. 2395-2 et L. 3136-4).
  • En troisième lieu, la loi étend le dispositif applicable aux marchés de partenariat pour faciliter l’accès des PME, des TPE et des artisans aux marchés globaux. Désormais ces contrats doivent fixer « la part minimale de l’exécution du contrat que le titulaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans » (CCP, art. L. 2171-8). De plus, « la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans » figure dorénavant parmi les critères d’attribution de ces marchés globaux (CCP, art. L. 2152-9).
  • La loi crée également, et en quatrième lieu, deux nouveaux livres intégrés dans le code de la commande publique et intitulés « dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles » : le premier concerne les marchés publics, le second les contrats de concession. Leur contenu est proche de celui de l’ordonnance du 25 mars 2020 et cherche à permettre une réactivité plus importante face à de telles circonstances (CCP, art. L. 2711-1 à L. 2728-1 et L. 3411-1 à L. 3428-1). D’un point de vue pratique, les mesures prévues pour faire face aux circonstances exceptionnelles pourront être activées par décret, ce qui devrait permettre de réagir plus rapidement, sans intervention du législateur.
  • En cinquième lieu, conformément au texte initial du projet de loi, la loi ASAP intègre les marchés et contrats de concession ayant pour objet des « services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle » ou des « services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation d’une telle procédure » dans la catégorie des « autres marchés » (CCP, art. L. 2512-5) et des « autres contrats de concession » (CCP, art. L. 3212-4). Ils échappent donc désormais au respect des procédures de publicité et de mise en concurrence. Le législateur a expliqué ce choix par la volonté de mettre fin à la surtransposition des directives qui avait conduit à soumettre ces contrats au respect d’une procédure adaptée.
  • En sixième lieu et de manière subtile, la loi ASAP fait fortement évoluer les règles applicables aux marchés réservés. Pour rappel, il s’agit de contrats qui font l’objet de procédures de publicité et de mise en concurrence mais pour lesquels seuls certains opérateurs économiques peuvent candidater, parce qu’ils emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés. Jusqu’à présent, une distinction était opérée en fonction des structures : les marchés pouvaient soit être réservés aux entreprises adaptées et aux établissements et services d’aide par le travail, soit être réservés aux structures d’insertion par l’activité économique. Désormais, cette distinction n’existe plus, ce qui signifie que les acheteurs peuvent mettre en concurrence l’ensemble de ces opérateurs lors de l’attribution d’un marché réservé (CCP, art. L. 2113-14).
  • En septième lieu, la loi crée un nouveau seuil de 100 000 euros hors taxes pour les marchés publics de travaux (inspiré du seuil provisoire de 70 000 euros mis en place dans le cadre de la législation d’exception). Il prévoit que les marchés de travaux qui répondent à des besoins dont la valeur estimée est inférieure à ce seuil, ainsi que les lots inférieurs à ce seuil et qui portent sur des travaux dans la limite de 20% de la valeur totale du marché peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables. Il ne s’agit pour l’heure que d’un seuil provisoire applicable jusqu’au 31 décembre 2022 (art. 142 de la loi ASAP, non codifié).
  • En huitième lieu, la loi met fin au décalage qui existait entre les marchés publics et les contrats de concession en matière de modifications en cours d’exécution. En effet, lors de la transposition des directives de 2014, le législateur avait prévu que les règles concernant les modifications en cours d’exécution des contrats de concession s’appliqueraient également aux modifications concernant des contrats de concession conclus avant le 1er avril 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance « concessions ». Or, cette règle ne concernait pas les marchés publics passés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance « marchés publics » du 23 juillet 2015. La loi ASAP revient donc sur ce décalage : désormais tous les contrats de la commande publique « pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à la publication avant le 1er avril 2016 peuvent être modifiés sans nouvelle procédure de mise en concurrence dans les conditions définies par le code de la commande publique ».
  • En dernier lieu, la loi crée une nouvelle catégorie parmi les marchés globaux sectoriels qui peuvent être utilisés par l’Etat (CCP, art. L. 2171-4, 5°) et elle modifie les règles applicables aux marchés globaux sectoriels conclus par la Société du Grand Paris (CCP, art. L. 2171-6).

Enfin, il convient de souligner qu’un premier décret a été adopté en application de la loi ASAP le 30 mars 2021 (Décret n° 2021-357 du 30 mars 2021 portant diverses dispositions en matière de commande publique). Son principal apport est de fixer à 10 % la part de l’exécution des marchés publics globaux qui doit être confiée à des PME, des TPE ou des artisans. Il permet également de modifier la partie réglementaire du code de la commande publique pour tenir compte des modifications législatives concernant les services juridiques ; de reformuler les hypothèses de dispense de jury pour l’attribution des marchés globaux ; et d’intégrer dans le code le point de départ du délai de paiement du solde des marchés publics de maîtrise d’œuvre précisé dans le nouveau CCAG.

De nouveaux CCAG pour les marchés publics

Les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) font partie de ces documents qui, bien qu’indispensables aux praticiens de la commande publique, sont rarement étudiés en tant que tels.

Pour rappel, le code de la commande publique envisage expressément le recours aux CCAG. Il est en effet prévu que les clauses des marchés publics « peuvent être déterminées par référence à des documents généraux tels que :

1° Les cahiers des clauses administratives générales, qui fixent les stipulations de nature administrative applicables à une catégorie de marchés ;

2° Les cahiers des clauses techniques générales, qui fixent les stipulations de nature technique applicables à toutes les prestations d’une même nature » (CCP, art. R. 2112-2).

Pour l’exprimer plus simplement, les CCAG constituent en quelque sorte des « modèles » contractuels auxquels les acheteurs peuvent se référer. Comme le rappelle la DAJ dans sa notice de présentation des nouveaux textes, « les CCAG sont des documents-types » qui « déterminent les droits et obligations des cocontractants sur toute la vie du contrat : délais d’exécution, sous-traitance, garanties et assurances, prix et paiement, prestations supplémentaires, pénalités, admission et réception, résiliation, ajournement et règlement des différends, etc » (DAJ, Réforme des cahiers des clauses administratives générales (CCAG) 2021, https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/CCAG/RefonteCCAG/Notice%20pr%C3%A9sentation%20CCAG.pdf ). A ce titre, les CCAG constituent un outil indispensable pour les praticiens.

Pour autant, les CCAG n’avaient pas évolué depuis leur révision en 2009. Or, la disparition du code des marchés publics et son remplacement par le code de la commande publique appelaient une réforme de ces textes. C’est désormais chose faite avec l’adoption de six arrêtés ministériels le 30 mars 2021 (v. la liste et les renvois aux différents textes sur le site de la DAJ : https://www.economie.gouv.fr/daj/cahiers-clauses-administratives-generales-et-techniques ), chacun d’eux portant approbation d’un nouveau CCAG :

  • Le CCAG Marchés de fournitures courantes et services (CCAG-FCS)
  • Le CCAG Marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI)
  • Le CCAG Marchés publics de travaux (CCAG Travaux)
  • Le CCAG Marchés publics industriels (CCAG-MI)
  • Le CCAG Marchés publics de techniques de l’information et de la communication (CCAG-TIC)
  • Le CCAG Marchés publics de maîtrise d’œuvre (CCAG-MOE).

Les marchés publics de maîtrise d’œuvre ont donc désormais droit à leur propre CCAG, ce qui signifie que les acheteurs n’auront plus à se référer au CCAG-PI lorsqu’ils concluront de tels marchés.

Ces nouveaux CCAG sont tous entrés en vigueur le 1er avril 2021 (un décret ayant autorisé leur entrée en vigueur immédiate). Les cinq premiers prévoient cependant un dispositif transitoire. En effet, en principe ils ne s’appliquent pas aux marchés pour lesquels « une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence envoyé à la publication entre 1er avril 2021 et le 30 septembre 2021 », sauf si ces marchés se réfèrent expressément aux nouveaux CCAG. Les CCAG de 2009 vont donc continuer à s’appliquer pour quelques mois encore, sauf pour les marchés publics de maîtrise d’œuvre.

Du point de vue de la méthode, un groupe de travail a été créé dès septembre 2019 réunissant des représentants des différents acteurs du droit de la commande publique. Ce groupe de travail a permis la rédaction de projets de CCAG, soumis à consultation publique entre le 15 janvier et le 5 février 2021. Ce sont donc les projets de ce groupe de travail, enrichis par la consultation publique, qui ont été adoptés.

La question est alors de savoir quels sont les (principaux) changements apportés par ces textes.

Outre l’harmonisation terminologique nécessaire au regard des évolutions de la réglementation (pour davantage de précisions sur ce point, voir : DAJ, Notice de présentation, préc.), l’une des principales nouveautés réside dans l’adoption, déjà évoquée, d’un sixième CCAG spécifique pour les marchés de maîtrise d’œuvre. Auparavant, les acheteurs se référaient au CCAG-PI de 2009 mais ils « étaient contraints d’y déroger de façon massive, notamment en ce qui concerne les prix provisoires, l’assurance-construction, la propriété intellectuelle, le paiement du solde, ou de rédiger un cahier des charges spécifique complet » (DAJ, Notice de présentation, préc.). Le nouveau CCAG-MOE devrait permettre de remédier à cette situation peu satisfaisante et de sécuriser davantage les marchés publics conclus sur son fondement.

Autre nouveauté, les nouveaux CCAG comportent tous un préambule qui précise son champ d’application (quels sont les marchés publics concernés par ledit CCAG) et les conditions dans lesquelles les acheteurs peuvent se référer à plusieurs CCAG. Ces préambules rappellent en effet que, « par principe, un marché ne peut se référer qu’à un seul CCAG » mais envisagent deux dérogations :

  • La première est une dérogation générale qui concerne les marchés globaux (CCP, art. L. 2171-1). L’objet particulier de ce type de contrats justifie en effet que les acheteurs se réfèrent à plusieurs CCAG. Pour autant, la référence à plusieurs CCAG n’est pas sans risques et ce sont donc les acheteurs qui doivent « veiller à assurer la parfaite cohérence entre les différentes clauses » des CCAG auxquels ils se réfèrent.
  • La seconde dérogation concerne les prestations secondaires qui « doivent être régies par des stipulations figurant dans un autre CCAG que celui désigné dans le marché ». Dans ce cas, les acheteurs ne peuvent pas se référer à deux CCAG : ils doivent se référer à un CCAG principal et « reproduire, dans le cahier des clauses administratives particulières ou dans tout autre document qui en tient lieu, les stipulations retenues ou tout autre document qui en tient lieu, sans référence au CCAG dont elles émanent ».

Les clauses contenues dans les différents CCAG évoluent également. Chaque CCAG connaît ses propres évolutions et/ou adaptations mais certaines sont communes à l’ensemble des CCAG. La directrice des affaires juridiques du ministère de l’Économie, des Fiannces et de la Relance, Laure Bédier, les qualifie de « clauses transversales », par opposition aux clauses « spécifiques à chaque catégorie de marché » (H. Hoepffner, « Entretien avec Laure Bédier », Contrats-Marchés publ. 2021, dossier 3). Ainsi, le montant des avances versées aux cocontractants repose désormais sur le choix entre une option A qui permet de favoriser les PME et une option B qui conduit à une application plus classique des dispositions du code, le montant des pénalités de retard est davantage encadré, les modalités de versement des primes sont harmonisées et clarifiées et les ordres de services doivent désormais être valorisés sous peine de voir leur mise en œuvre refusée par le cocontractant. Par ailleurs, l’utilisation de la dématérialisation est facilitée, ainsi que le recours aux modes de règlement amiable des différends. Enfin, tous les CCAG intègrent une clause relative à la propriété intellectuelle, des clauses environnementales, une clause d’insertion sociale et aussi une clause visant à anticiper les difficultés rencontrées par les cocontractants en cas de circonstances imprévisibles.

Les nouveaux CCAG cherchent donc à orienter davantage l’action des acheteurs lors de la rédaction de leurs marchés publics. Ils ont également pour objectif de sécuriser davantage l’exécution des marchés publics (avances, ordres de services…). Pourtant, et en toutes hypothèses, le recours aux CCAG reste volontaire ce qui signifie que les acheteurs sont libres d’y déroger. Ce n’est généralement pas le cas en pratique mais, le code de la commande publique comme les CCAG envisagent cette possibilité, au grand dam des professionnels du secteur (v. not. H. Hoepffner, « La liberté de déroger aux CCAG pourrait-elle et devrait-elle être limitée ? », Contrats-Marchés publ. 2021, repère 7). Est-ce à dire que les CCAG pourraient rapidement évoluer ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Mathias Amilhat ; chronique contrats publics 05 ; Art. 356.

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ParJDA

La notion de contrat administratif et son régime : quelques évolutions

Art. 229.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Comme annoncé (Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 191. ; http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1870), la notion de contrat administratif continue de faire parler d’elle ! Du point de vue de cette notion elle-même, le développement des qualifications législatives devrait avoir pour conséquence de ne plus devoir se prononcer qu’à la marge sur la question de la qualification des contrats. Pourtant, des incertitudes demeurent. Ainsi, s’agissant de la qualification comme contrat administratif ou comme contrat de droit privé, la convention passée par la commune de Fontvieille afin de confier l’exploitation de deux sites touristiques continue de faire parler d’elle et démontre toutes les difficultés qui peuvent surgir dans certaines hypothèses. Par ailleurs, le contentieux des contrats passés par des personnes privées dans le cadre des concessions d’aménagement permet de confirmer la rigidité du critère organique retenu dans le cadre de la définition jurisprudentielle de la notion de contrat administratif. Enfin, le développement de la contractualisation amène à s’interroger davantage sur la distinction entre les vrais contrats et les « faux » contrats. Le Conseil d’Etat a dû rendre un arrêt en ce sens au mois de juillet 2017, refusant de voir un contrat là où les textes semblaient en reconnaître un.

Au-delà des interrogations que continue de susciter ponctuellement la notion même de contrat administratif, c’est son régime juridique qui continue d’évoluer. Le contentieux contractuel a en effet connu de nouveaux développements au détriment du recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’Etat vient en effet de reconnaître l’existence d’un nouveau recours en résiliation du contrat ouvert aux tiers. Par ailleurs, les décisions rendues concernant le régime juridique des contrats administratifs confirment qu’il ne s’agit pas de contrats comme les autres. Ainsi, le Conseil d’Etat continue de façonner l’intérêt général susceptible d’être invoqué pour préserver le contrat en intégrant désormais les conséquences financières qu’une résiliation peut avoir pour la personne publique contractante. Enfin, il sera fait état d’un arrêt de cour administrative d’appel qui confirme que ce même intérêt général irrigue le régime juridique des contrats administratifs en refusant que l’exception d’inexécution ne soit largement admise.

Retour de Fontvieille : des difficultés de qualifier une convention confiant la gestion d’un site touristique à un tiers !

La Cour administrative d’appel de Marseille a dû se prononcer à propos de la convention par laquelle la commune de Fontvieille avait confié à Madame B la gestion et l’exploitation de deux sites touristiques (CAA Marseille, 29 mai 2017, n° 16MA04745, B. c/ Cne Fontvieille ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 216, note G. Eckert). Cet arrêt fait suite à celui rendu par le Conseil d’Etat à la fin de l’année 2016 (CE, 9 décembre 2016, n° 396352, Cne Fontvieille ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 52, note G. Eckert ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 02 ; Art. 109, note C. Cubaynes, http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1191; Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 190 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1869 ). En effet, le juge administratif suprême avait cassé l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel en février 2015 avant de renvoyer l’affaire devant elle.

La question posée à la Cour était, une fois de plus, celle de la qualification de la convention liant Mme B à la commune de Fontvieille. Sur ce point, la Cour commence par rejeter la qualification de délégation de service public en reprenant la solution retenue par le Conseil d’Etat. Elle s’appuie pour cela sur l’ « absence d’implication dans l’organisation de l’exploitation touristique des sites en cause de la commune » mais également sur « la faculté donnée à la preneuse de révoquer la convention à tout moment » et sur « la brièveté du préavis applicable ». Elle en déduit donc que le contrat « n’avait pas pour objet de faire participer directement Mme B…à l’exécution du service public culturel en raison de la dimension historique et littéraire des lieux ; qu’elle ne saurait, dès lors, être regardée comme une délégation de service public ». Pour autant, la Cour ne s’arrête pas là et s’interroge plus largement sur la possibilité de qualifier cette convention de contrat administratif. Elle va, sur ce point, rejeter tour à tour les différentes possibilités permettant de retenir une telle qualification. C’est ainsi en premier lieu la qualification de convention d’occupation du domaine public qu’elle rejette. Elle précise ainsi que l’un des deux sites touristiques appartient à des personnes privées, tandis que le second ne constitue pas une dépendance du domaine public de la commune mais relève de son domaine privé. Sur ce fondement la Cour en déduit donc que « la convention en litige ayant pour objet, pour partie, la sous-location d’immeubles privés et pour partie, la mise en valeur, par sa mise à la disposition d’une personne privée, d’une dépendance du domaine privé communal, n’affectant ni son périmètre, ni sa consistance, ne peut être regardée comme une convention d’occupation du domaine public ». Cette solution est néanmoins discutable car, pour rejeter l’appartenance du second site au domaine public communal, la Cour relève l’absence d’affectation à un service public ou à l’usage direct du public. Or cette même Cour, pour rejeter la qualification de délégation de service public, a considéré que la convention ne faisait pas participer « directement » Mme B au service public culturel, ce qui laisse à penser qu’il y avait donc bien un service public dans cette affaire…

Quoi qu’il en soit, la Cour administrative d’appel de Marseille rejette cette seconde possibilité de qualification du contrat. Elle va ensuite successivement préciser que la convention « ne porte pas sur la réalisation de travaux publics » et « qu’elle ne comporte aucune clause exorbitante du droit des communes » afin d’exclure – définitivement ? – sa qualification comme contrat administratif. Partant de ce constat, la Cour considère que le litige est porté devant une juridiction incompétente pour en connaître. Ce sont donc les juridictions judiciaires qui doivent en connaître, « sans que puisse y faire obstacle la clause d’attribution de compétence à la juridiction administrative figurant à son article 9, ni la circonstance que le Conseil d’État, se prononçant comme juge de cassation dans sa décision susvisée du 9 décembre 2016, n’a pas relevé d’office un moyen d’ordre public tiré de l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître du présent litige ». Cette solution est surprenante à deux points de vue. Tout d’abord, comme le souligne le commentaire de Gabriel Eckert sous cet arrêt, parce qu’ « une telle solution, adoptée après sept années de procédures et cinq décisions des juridictions administratives, illustre la complexité des qualifications juridiques du droit des contrats publics et la difficulté de la situation des parties qui peut en découler » (préc.). Ensuite, et peut-être surtout, parce qu’il n’est pas certain que la qualification retenue par la Cour soit confirmée par la suite. En effet, le premier arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille en 2015 envisageait la qualification du contrat comme convention d’occupation du domaine public, même si c’était pour considérer qu’il avait « pour objet essentiel de faire participer Mme B. à l’exécution du service public culturel en raison de la dimension historique et littéraire des lieux » et n’emportait que « de manière accessoire occupation du domaine public » (CAA Marseille, 13 févr. 2015, n° 13MA02242, D. c/ Cne Fontvieille ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 96, obs. H. Hoepffner). Enfin, il n’est pas certain que les juridictions judiciaires retiennent un même raisonnement et qualifient le contrat de droit privé, d’autant que, comme le relève la Cour, le Conseil d’Etat n’a pas relevé un tel moyen qui est pourtant d’ordre public… Cet arrêt, s’il n’offre pas une solution nouvelle, permet donc de mesurer qu’il existe encore des hypothèses dans lesquelles la qualification d’un contrat passé par une personne publique comme contrat administratif ou comme contrat de droit privé continue de poser des difficultés !

Contrat administratif ou de droit privé : quand le Conseil d’Etat rappelle la prévalence du critère organique de définition…

Dans son arrêt du 25 octobre 2017 (CE, 25 oct. 2017, n° 404481, Sté Les Compagnons Paveurs ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 269, obs. H. Hoepffner), le Conseil d’Etat est venu rappeler toute l’importance du critère organique de définition pour qualifier un contrat d’administratif. En l’espèce, était en cause un marché conclu par la société d’économie mixte d’aménagement Brest Métropole Aménagement (BMA) avec la société  » Les Compagnons Paveurs « . Il s’agissait donc d’un marché conclu entre deux personnes morales de droit privé même si l’une d’entre elles, la société d’économie mixte, était chargée de réaliser une zone d’aménagement concertée (ZAC) par une personne publique. En effet, la société d’économie mixte avait conclu une concession d’aménagement avec la communauté urbaine Brest Métropole Océane. Or, cette société avait décidé de résilier le marché passé avec la société « Les compagnons paveurs » pour un motif d’intérêt général. C’est donc afin d’obtenir réparation du préjudice résultant de la résiliation de ce contrat que l’attributaire du marché a décidé de saisir le tribunal administratif de Rennes. Ce dernier a rejeté la demande en raison de l’incompétence de la juridiction administrative tandis que, saisie en appel, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête d’appel. Après avoir cassé l’ordonnance rendue par la cour administrative d’appel de Nantes, le Conseil d’Etat a choisi de régler l’affaire au fond et de se prononcer sur la qualification du contrat.

De manière classique, le Conseil d’Etat refuse de qualifier le marché en cause de contrat administratif en rappelant l’absence du critère organique de définition. En effet, la présence d’une personne publique au contrat est un critère quasiment indispensable pour qualifier un contrat de contrat administratif (TC, 3 mars 1969, Société Interlait ; rec. 682 ; AJDA 1969, p. 307, concl. J. Kahn, note A. de Laubadère), ce qui est confirmé par le Conseil d’Etat en plusieurs étapes.

Il commence par envisager l’une des seules hypothèses permettant de contourner le critère organique en s’interrogeant sur l’existence d’un mandat confié par une personne publique à la société d’économie mixte. Cette possibilité est admise depuis longtemps (CE, sect., 30 mai 1975, Société d’équipement de la région montpelliéraine ; rec. p. 326 ; AJDA 1975, p. 345, chron. M. Franc et M. Boyon ; D. 1976, jurispr. p. 3, note F. Moderne ; RDP 1976, p. 1730 ; TC, 7 juill. 1975, Commune d’Agde ; rec. p. 798 ; D. 1977, jurispr. p. 8, note C. Bettinger ; JCP G 1975, II, 18171, note F. Moderne) mais ses conditions de mise en œuvre sont désormais resserrées. Or, le juge administratif considère de façon classique que les conventions d’aménagement ne constituent pas des mandats lorsqu’elles n’ont pas pour seul objet de faire réaliser des ouvrages destinés à être remis à la personne publique dès leur achèvement (CE, 11 mars 2011, n° 330722, Communauté d’agglomération du Grand Toulouse ; BJDU 2011, p. 198, concl. N. Boulouis ; AJDA 2011, p. 534 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 130, obs. P. Devillers ; RDI 2011, p. 278, note R. Noguellou ; AJCT 2011, p. 238, obs. O. Didriche). C’est justement ce qui justifie le rejet de la présence d’un mandat en l’espèce. En effet, le Conseil d’Etat indique que la concession d’aménagement en cause « n’a pas comme seul objet de faire réaliser des ouvrages destinés à être remis à la communauté urbaine Brest Métropole Océane dès leur achèvement ou leur réception ; que, dès lors, la société BMA ne peut être regardée comme un mandataire agissant pour le compte de la communauté urbaine, y compris lorsqu’elle conclut des marchés de travaux ayant pour objet la réalisation d’équipements destinés à être remis à la personne publique dès leur achèvement ». Il considère alors que  « le contentieux relatif à l’exécution et à la résiliation du marché de travaux conclu entre la société BMA et la société  » Les Compagnons Paveurs « , qui sont deux personnes morales de droit privé, ne relève pas de la compétence du juge administratif ».

Pour autant, le Conseil d’Etat prend soin de préciser – ce qui ne semblait nullement indispensable en l’espèce – que les prérogatives de puissance publique confiées à la société d’économie mixte, la qualité de pouvoir adjudicateur au sens de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, le fait que le marché fasse référence au cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, les clauses exorbitantes contenues dans ce marché, et le fait qu’il ait pour objet l’exécution de travaux publics sont sans incidence sur sa qualification comme contrat de droit privé. Ce faisant, le juge administratif suprême rappelle plusieurs choses. Tout d’abord, contrairement à ce qui est possible s’agissant des actes administratifs unilatéraux, l’exercice de prérogatives de puissance publique par une personne privée ne permet pas de dépasser le critère organique de définition du point de vue du droit des contrats administratifs. L’existence de clauses exorbitantes est également sans incidence (TC, 6 mars 1990, AFPA ; Dr. adm. 1990, comm. 341). Par ailleurs, le caractère attractif de la notion de travail public ne permet pas non plus de passer outre ce critère. En effet, « le critère organique a un effet attractif au profit de l’ordre judiciaire qui prime sur l’effet attractif au profit du juge administratif des travaux publics » (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs, Dalloz 2016, p. 77 ; l’auteur rappelle la jurisprudence Solon : TC, 7 janvier 1972, SNCF c/Solon, rec. p.844). Enfin, et surtout, l’unité du droit de la commande publique ne permet pas de dépasser le clivage entre contrats administratifs et contrats de droit privé même si, sur le fond, ces contrats obéissent en grande partie à un régime juridique identique.

Cette solution, rendue sous l’empire de la réglementation antérieure à la réforme de la commande publique, ne devrait cependant pas évoluer dans l’immédiat. Le contentieux des contrats de la commande publique reste partagé entre les deux ordres de juridiction sur le fondement de la qualification administrative ou de droit privé du contrat. Or, la définition jurisprudentielle de la notion de contrat administratif reste strictement encadrée, notamment au travers du critère organique de définition.

Vrai contrat et faux contrat : prévalence de la situation légale et réglementaire des usagers d’un service public administratif géré par une personne publique

Le contrat est partout et l’action publique ne semble plus en mesure de se passer de l’utilisation de l’outil contractuel. A cette « époque du tout contractuel » (L. Richer, « La contractualisation comme technique de gestion des affaires publiques », AJDA 2003, p. 973), la question de la qualification des actes utilisés dans le cadre de la contractualisation continue d’interroger. Or, ce sont souvent les administrés qui se trouvent placés au cœur de ces interrogations, les habillages contractuels ayant tendance à obscurcir les situations. L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 5 juillet 2017 en constitue une parfaite illustration (CE, 5 juill. 2017, n° 399977, A… ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 226, note G. Eckert ; AJDA 2017, p. 2418, note G. Clamour ).

Dans cette affaire le juge devait se prononcer sur la situation de Madame B, une personne âgée prise en charge par le centre communal d’action sociale (CCAS) de Quimper et bénéficiant à ce titre d’une prestation d’aide à domicile. A l’occasion d’un transfert sur fauteuil roulant par un agent du CCAS, Madame B. a été victime d’une chute entraînant une intervention chirurgicale et son hospitalisation. Madame B, puis sa fille intervenant en sa qualité d’ayant-droit, ont donc cherché à engager la responsabilité du CCAS. Le tribunal administratif de Rennes et la cour administrative d’appel de Nantes ont successivement rejeté leurs demandes d’indemnisation sur le fondement de la responsabilité contractuelle. En effet, Madame B avait signé un « contrat de prise en charge » avec le CCAS conformément à l’article L. 311-4 du code de l’action sociale et des familles, lequel prévoit que, dans une telle situation, « un contrat de séjour est conclu ou un document individuel de prise en charge est élaboré avec la participation de la personne ». Les juges de première instance et d’appel ont donc considéré que ce contrat de prise en charge constituait le fondement de la relation entre Madame B et le CCAS et que, par conséquent, l’action en responsabilité était engagée sur le terrain contractuel. Ce n’est cependant pas la position retenue par le Conseil d’Etat dans cette affaire, rappelant la précarité des qualifications retenues par les textes dans le cadre de la contractualisation.

Il rappelle en effet que le CCAS est un établissement public administratif prenant en charge un service public administratif, ce qui induit « que les usagers de ce service public ne sauraient être regardés comme placés dans une situation contractuelle vis-à-vis de l’établissement concerné, alors même qu’ils concluent avec celui-ci un « contrat de séjour » ou qu’est élaboré à leur bénéfice un « document individuel de prise en charge ». Ainsi, le Conseil d’Etat considère que la qualification retenue par le code de l’action sociale et des familles doit céder le pas face au principe selon lequel les usagers d’un service public administratif géré par une personne publique sont dans une situation légale et réglementaire de droit public. Afin de faire prévaloir cette règle et pour justifier l’annulation de l’arrêt attaqué, il précise d’ailleurs « que le moyen tiré de ce qu’un litige opposant un tel service public administratif à un de ses usagers ne peut être réglé sur un fondement contractuel est relatif au champ d’application de la loi et est, par suite, d’ordre public ». Dès lors, il est possible d’affirmer que, pour le Conseil d’Etat, le contrat signé n’en est pas véritablement un. Il confirme ainsi que, dans le cadre de l’action publique, l’habillage contractuel ne suffit pas et qu’il existe à la fois de « vrais » contrats administratifs et de « faux » contrats.

Du changement pour les tiers : fin du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables de l’exécution du contrat et admission du recours en résiliation du contrat

Depuis 1964 les tiers au contrat bénéficiaient de la possibilité de contester les actes détachables de l’exécution du contrat par la voie du recours pour excès de pouvoir (CE, sect., 24 avr. 1964, SA de livraisons industrielles et commerciales : Lebon, p. 239 ; AJDA 1964, p. 293, chron. J. Fourré et M. Puybasset et p. 308, concl. M. Combarnous). Le principal intérêt de ce recours était de leur permettre de contester le refus de la personne publique de résilier le contrat. Toutefois, le maintien de cette solution semblait peu cohérent au regard des évolutions du contentieux de la passation des contrats administratifs. En effet, « ce contentieux relève désormais pour l’essentiel de la pleine juridiction qu’il soit engagé à l’initiative des parties (CE, ass., 28 déc. 2009, n° 304802, Cne Béziers : JurisData n° 2009-017292) ou à celle des tiers (CE, ass., 4 avr. 2014, n° 359994, Dpt Tarn-et-Garonne) », ce qui rendait « donc paradoxal que le recours pour excès de pouvoir subsistât dans le contentieux de l’exécution où son existence est toujours apparue comme peu naturelle » (F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « Le nouveau recours en résiliation du contrat ouvert aux tiers », Contrats-Marchés publ. 2017, repère 8).

C’est donc la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a abandonné sa jurisprudence de 1964 dans son arrêt SMPAT du 30 juin 2017 (CE, sect., 30 juin 2017, n° 398445, Synd. mixte de promotion de l’activité transmanche-SMPAT ; AJDA 2017, p. 1359 et p. 1669, chron. G. Odinet et S. Roussel ; AJ contrat 2017, p. 387, obs. J.-D. Dreyfus ; AJCT 2017, p. 455, obs. S. Hul ; RTD com. 2017, p. 587, obs. F. Lombard ; RFDA 2017, p. 937, concl. G. Pellissier ; JCP A 2018, n°2, 2015, obs. F. Linditch ; DA 2017, comm. 51, note F. Brenet ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 249, note J.-P. Pietri ; repère 8, préc.). Dans cet arrêt, était en cause la délégation de service public conclue par le SMPAT avec la société Louis Dreyfus Armateurs SAS pour l’exploitation d’une liaison maritime entre Dieppe et l’Angleterre. Probablement mécontentes de la concurrence que cette liaison faisait peser sur leurs activités, les sociétés qui exploitent le tunnel sous la Manche ont demandé au SMPAT de prononcer la résiliation de ce contrat en considérant qu’il ne s’agissait pas d’une délégation de service public mais d’un marché public, lequel aurait dû être passé en application des dispositions du code éponyme. Le silence gardé par le président du SMPAT pendant plus de deux mois ayant fait naître une décision implicite de rejet, les sociétés exploitant le tunnel sous la Manche ont alors cherché à mettre en œuvre la jurisprudence LIC de 1964 afin que le juge impose au SMPAT de résilier le contrat. Leur recours pour excès de pouvoir contre la décision implicite refusant de résilier le contrat a d’abord été rejetée par le tribunal administratif de Rouen avant d’être, en appel, accueillie par la Cour administrative d’appel de Douai. Appliquant la jurisprudence classique en la matière, cette dernière a en effet considéré que le contrat passé devait être qualifié de marché public et que la décision implicite de refus devait être annulée en raison du non-respect des dispositions du code. Elle a donc enjoint au SMPAT de résilier le contrat dans un délai de six mois. Le SMPAT a alors saisi le Conseil d’Etat. Afin d’éviter que cette solution n’entraîne des conséquences trop importantes avant que l’avenir de la convention ne soit envisagé en cassation, le juge administratif suprême a décidé d’ordonner le sursis à exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel en attendant de statuer sur le pourvoi. C’est donc ce pourvoi qui a été examiné par la section du contentieux le 30 juin 2017.

En toute logique, et si l’on s’en tient à sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat aurait dû valider la solution retenue par la cour administrative d’appel, ne serait-ce que du point de vue de la recevabilité du recours (la qualification du contrat pouvant être sujette à davantage de discussions). Il a cependant préféré abandonner sa jurisprudence antérieure au profit d’une solution nouvelle qui semble plus cohérente au regard des évolutions récentes du contentieux contractuel. Le Conseil d’Etat affirme ainsi, dans un nouveau considérant de principe, « qu’un tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat ; que s’agissant d’un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département ».

Il consacre ainsi un nouveau recours de plein contentieux ouvert aux tiers aux contrats administratifs pour contester les mesures d’exécution de ces derniers, ainsi qu’aux membres des organes délibérants des collectivités territoriales et au représentant du département. Il s’inscrit dans la lignée directe de sa jurisprudence Tarn et Garonne confirmant que le contentieux contractuel doit désormais se régler avant tout devant le juge du contrat et non devant le juge de l’excès de pouvoir. En effet, en consacrant l’existence d’un tel recours, le Conseil d’Etat abandonne la possibilité pour les tiers de saisir le juge de l’excès de pouvoir afin de faire annuler les mesures d’exécution du contrat, et notamment les décisions refusant de le résilier. Cette nouvelle solution permet d’ « éviter que les tiers au contrat disposent de plus de droits que les parties elles-mêmes et puissent obtenir des annulations auxquelles ces dernières ne peuvent prétendre » (F. Llorens et P. Soler-Couteaux, préc.). En effet, le juge encadre strictement les conditions d’utilisation de ce nouveau recours, tant du point de vue des moyens invocables que de l’intérêt à agir.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat offre une énumération stricte des moyens susceptibles d’être invoqués par les tiers devant le juge du contrat. Trois hypothèses sont ainsi envisagées. En premier lieu, ils peuvent demander la résiliation du contrat lorsque « la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours » et qu’elle ne l’a pas fait. En deuxième lieu, la demande de résiliation peut intervenir lorsque « le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office ». Enfin, et en dernier lieu, la résiliation peut être demandée au nom de l’intérêt général, le juge précisant qu’il faut alors que « la poursuite de l’exécution du contrat (soit) manifestement contraire à l’intérêt général » et que « les requérants peuvent se prévaloir d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général ». Dès lors, les moyens à la disposition des tiers requérants apparaissent comme davantage limités qu’auparavant dans le cadre du recours pour excès de pouvoir. Il n’est notamment plus question pour eux de fonder leur demande sur l’illégalité de la procédure de passation – ce qui semble logique dans la mesure où de tels moyens sont utilisables dans le cadre du recours Tarn et garonne –, comme le précise le Conseil d’Etat de manière superfétatoire à la fin de son arrêt. Il n’est pas non plus possible de fonder les recours devant le juge du contrat sur des irrégularités « tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise ».

Par ailleurs, confirmant sa jurisprudence récente, le Conseil d’Etat choisit d’encadrer strictement l’intérêt à agir des requérants. Il considère en effet par principe que « les moyens soulevés doivent […] être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut ». Cela signifie pour le juge que les requérants ne peuvent pas se présenter devant lui comme des défenseurs objectifs de la légalité (on serait tenté de dire comme des justiciers de la légalité !). Il n’en va autrement que lorsque le recours en résiliation émane du représentant de l’Etat dans le département ou de l’un des membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales qui a passé le contrat, cette solution étant justifiée « compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge ». Ces derniers sont en effet supposés agir au nom de l’intérêt général, qu’il soit national ou local, afin notamment de préserver les finances des personnes publiques cocontractantes (même si l’on a vu, dans le cadre de cette même chronique, que l’appréciation de leur intérêt à agir n’est pas sans limite : voir les développements sur les règles de la commande publique). En l’espèce, c’est justement cette question de l’intérêt à agir qui justifie que le Conseil d’Etat casse l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Douai. Le juge considère en effet qu’en se fondant seulement sur « l’atteinte portée par l’exécution de la convention en litige » aux intérêts commerciaux des sociétés requérantes « compte tenu de la situation de concurrence existant entre la liaison maritime transmanche objet du contrat et l’exploitation du tunnel sous la Manche », sans rechercher si la poursuite de l’exécution du contrat « était de nature à léser les intérêts de ces sociétés de façon suffisamment directe et certaine, la cour administrative d’appel de Douai a entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

Enfin, il convient de souligner que même dans l’hypothèse où le recours s’avèrerait recevable et fondé, le juge du contrat n’est pas tenu d’ordonner la résiliation du contrat. Il peut renoncer à le faire si sa décision porte « une atteinte excessive à l’intérêt général ». De plus, même lorsqu’il décide qu’il doit être mis fin au contrat, le juge a la possibilité d’ordonner cette résiliation avec un effet différé. Le juge administratif apparaît ainsi comme le garant de l’intérêt général au travers de la stabilité des relations contractuelles.

Dans son arrêt du 30 juin le Conseil d’Etat n’a cependant pas eu à s’interroger sur la nécessité de maintenir le contrat au-delà de certaines illégalités. Il a en effet considéré que c’était à bon droit que le tribunal administratif de Rouen avait rejeté les demandes des deux sociétés exploitant le tunnel sous la Manche dans la mesure où « leur seule qualité de concurrent direct sur les liaisons transmanche de courte durée […] ne suffit pas à justifier qu’elles seraient susceptibles d’être lésées dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l’exécution du contrat […] pour être recevables à demander au juge du contrat qu’il soit mis fin à l’exécution de celui-ci ». Il s’agit d’une solution relativement stricte dans la mesure où – en dépit des différents modes de transport utilisés – les sociétés requérantes se trouvent en concurrence avec l’attributaire du contrat sur les liaisons transmanche. Elle démontre ainsi que ce qui importe réellement c’est le lien qui doit exister entre les moyens soulevés et les intérêts lésés, ce qui confirme la volonté du juge du contrat de ne pas ouvrir trop facilement son prétoire aux tiers.

En abandonnant la voie du recours pour excès de pouvoir contre les décisions refusant la résiliation et en encadrant strictement les possibilités d’action des tiers dans le cadre du nouveau recours en résiliation du contrat, le Conseil d’Etat tend à asseoir l’idée selon laquelle les contrats administratifs sont avant tout des contrats, ce qui implique que leur contentieux soit en principe réservé aux parties.

L’intérêt général intègre les considérations financières lorsqu’il s’agit de refuser la résiliation du contrat

Saisi en cassation d’un recours contre la délibération d’un conseil municipal approuvant l’attribution d’un contrat de partenariat, le Conseil d’Etat va confirmer que la procédure de passation était irrégulière mais refuser d’ordonner la résiliation du contrat (CE, 5 juill. 2017, n° 401940, Cne Teste-de-Buch ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 250, note G. Eckert ; AJDA 2017, note D. Riccardi). Il rappelle en effet « qu’il appartient au juge de l’exécution, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ». Il s’agit là d’une reprise de son considérant classique en la matière (CE 21 février 2011, n° 337349, Société Ophrys ; AJDA 2011, p. 356 ; RDI 2011, p. 277, obs. R. Noguellou ; AJCT 2011, p. 419, obs. F. Scanvic ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 226, obs. F. Llorens, et comm. 123, note. J.-P. Pietri).

Or, en l’espèce, le Conseil d’Etat considère que la cour administrative d’appel de Bordeaux a entaché son arrêt d’erreur de qualification juridique en en jugeant que la résiliation ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général. Le juge administratif suprême considère en effet que les conséquences importantes qu’aurait la résiliation pour les finances de la commune portent une atteinte excessive à l’intérêt général. Les intérêts financiers des collectivités intègrent donc, en matière contractuelle, la notion plus large d’intérêt général.

Maintien (relatif) du rejet de l’exception d’inexécution

Dans son arrêt Grenke Location (CE, 8 oct. 2014, n° 370644, Sté Grenke location : Contrats-Marchés publ. 2014, repère 11, F.L. et P.S-C. et comm. 329, note G. Eckert ; AJDA 2015, p. 396, note F. Melleray ; BJCP 2015, n° 98, p. 3, concl. G. Pellissier ; Dr. adm. 2015, comm. 12, note F. Brenet ; RFDA 2015, p. 47, Ch. Pros-Phalippon), le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour les parties à un contrat administratif de prévoir « les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles ». Cette possibilité n’est cependant ouverte que si le contrat « n’a pas pour objet l’exécution même d’un service public ».

Néanmoins, et c’est ce qu’est venu rappeler la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 12 avr. 2017, n° 16NT00758 , A c/ Cne Rivière Saint-Sauveur ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 163, obs. H. Hoepffner), si le contrat ne prévoit pas une telle possibilité dans ses clauses, il est impossible pour le cocontractant de l’administration de se prévaloir d’une quelconque exception d’inexécution. Cette solution, déjà exprimée par le Conseil d’Etat (CE, 19 juill. 2016, n° 399178, Sté Schaerer Mayfield France ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 238, obs. H. Hoepffner), confirme que « le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d’en assurer l’exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l’Administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l’initiative de résilier unilatéralement le contrat ».

Les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’administration justifient donc le maintien du contrat administratif même en cas de défaillance de cette dernière. Ce principe ne souffre d’aucune exception lorsqu’il tire son fondement de l’objet de service public du contrat, et il n’admet que des dérogations limitées dans les autres hypothèses sur le fondement de la liberté contractuelle.

Ces différentes affaires permettent de mesurer à quel point la notion de contrat administratif peut se révéler déterminante. Même si cela ne représente qu’une part infime du contentieux contractuel, elle permet encore dans un certain nombre d’hypothèse de déterminer quel doit être le régime juridique applicable. Surtout, elle continue d’entraîner l’application d’un nombre important de règles spécifiques fondées sur la poursuite de l’intérêt général et qui ne concernent pas les contrats de droit privé, même lorsque ces derniers constituent des contrats publics ou de la commande publique. Cette dernière situation peut cependant surprendre si l’on considère que les contrats publics de droit privé cherchent également – mais sans doute de manière moins directe – à satisfaire l’intérêt général.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2018 ; chronique contrats publics 03 ; Art. 229.

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ParJDA

Les notions du droit de la commande publique (2)

Art. 190.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Les notions du droit de la commande publique : des clarifications attendues…et en attente !

La notion même de commande publique reste difficile à saisir. Si l’on considère que sont des contrats de la commande publique ceux qui seront intégrés dans le futur code éponyme, seuls les contrats qualifiables de marchés publics ou de contrats de concession seraient concernés. Dans une approche plus large, d’autres catégories de contrats sont susceptibles d’être considérés comme tels, à commencer par les conventions d’occupation du domaine public. L’idée de commande pose néanmoins certaines difficultés dans la mesure où elle implique que le contrat conclu le soit à la demande d’une personne publique ou de la sphère publique, voire même que ce contrat soit conclu pour répondre aux besoins de cette même personne.

La loi Sapin 2 permet d’opérer une certaine clarification en précisant que le futur code regroupera « les règles relatives aux différents contrats de la commande publique qui s’analysent, au sens du droit de l’Union européenne, comme des marchés publics et des contrats de concession ». Il est donc possible de considérer que les marchés publics et les contrats de concession constituent ensemble une catégorie propre, celle des contrats de la commande publique soumis au code, laquelle doit être distinguée des autres contrats publics. Le droit des contrats publics continue donc d’être un droit multiple reposant sur des catégories hétérogènes. La simplification annoncée dans le cadre de la réforme permet d’isoler les contrats qualifiables de marchés publics ou de contrats de concession mais elle reste imparfaite, surtout lorsque l’on tient compte du fait que les notions européennes de marché public et de concession sont des notions extensives.

Quoi qu’il en soit, il est désormais nécessaire de se familiariser avec le nouveau découpage opéré entre les notions et de définir quelles sont les frontières qui se dressent entre elles. L’actualité législative et jurisprudentielle a notamment permis de mieux cerner trois notions essentielles à la détermination du champ d’application du futur code de la commande publique : celle de concession de services, celle de transfert de compétence, et celle de convention d’occupation du domaine public. D’autres notions moins indispensables à la détermination de ce champ d’application ont également été précisées. Les notions de concession d’aménagement, de délégation de service public, ou encore d’activités exercées essentiellement pour le compte du ou des pouvoirs adjudicateurs seront donc également abordées.

Une première réception jurisprudentielle de la notion de concession de service

L’inspiration européenne du droit de la commande publique est désormais clairement actée : les rédacteurs de la réforme ont choisi de consacrer la distinction binaire entre les marchés publics et les contrats de concession. La loi Sapin 2 confirme ce choix en précisant que le futur code de la commande publique regroupera les dispositions applicables à ces deux catégories de contrats.

Parmi les nouveautés introduites par la réforme, la notion de contrat de concession revêt donc une place particulièrement importante. Elle se décompose elle-même en deux sous-catégories de contrats, en fonction de l’objet du contrat : les concessions de travaux et les concessions de services. L’Ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession calque les définitions de ces deux catégories de contrats sur celles retenues par la directive 2014/23. Or, si les concessions de travaux préexistaient au travers de l’ordonnance de 2009 qui leur était consacrée, les concessions de service constituent une catégorie inédite, qui était jusqu’alors inconnue en droit français. Ainsi que cela a pu être souligné, leur reconnaissance vient reléguer la notion de délégation de service public au second plan, cette dernière n’étant désormais qu’une sous-catégorie de concession de service (Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 104 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1155).

Encore fallait-il que le juge administratif prenne acte de ces évolutions et fasse sienne la notion de concession de service. C’est désormais chose faite avec l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 14 février 2017 (CE, 14 février 2017, n° 405157, Société de manutention portuaire d’Aquitaine et Grand port maritime de Bordeaux ; AJDA 2017, p. 326 ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 99 et 100, notes G. Eckert).

Etait en cause en l’espèce une convention de terminal conclue le 19 décembre 2014 entre le Grand port maritime de Bordeaux, qui est un établissement public administratif, et la société Europorte en application de l’article R. 5312-84 du Code des transports. Par cette convention, le Grand port maritime de Bordeaux confiait à la société l’exploitation du port du Verdon. Parmi les missions confiées, la société devait exploiter le port, développer ses activités, entretenir les biens présents et réaliser les investissements nécessaires à l’exploitation. En contrepartie, la convention prévoyait que l’exploitation du port donnerait lieu au versement d’une redevance par le Grand port maritime à la société, celle-ci étant composée d’une part fixe et d’une part variable en fonction du trafic portuaire.

Si l’affaire a été portée devant le Conseil d’Etat, c’est que cette convention n’a pas reçu d’exécution de la part de la société. Après l’échec d’une procédure de médiation, le Grand port maritime de Bordeaux a donc décidé de confier l’exécution de cette convention à la société SMPA, sous-traitante de la société Europorte. Le Grand port maritime a donc décidé de conclure avec cette société une convention de mise en régie, comme le permettait la convention de terminal. Or, la conclusion de cette nouvelle convention a été contestée par un autre opérateur, la société Sea Invest Bordeaux. Elle a saisi le Tribunal administratif de Bordeaux d’un référé contractuel en considérant qu’une procédure de mise en concurrence aurait dû être mise en œuvre. Ce dernier a fait droit à sa demande et a annulé la convention de mise en régie.

Le Grand port maritime de Bordeaux et la SMPA se sont pourvus en cassation contre l’ordonnance du juge des référés. La question posée au Conseil d’Etat était ici celle de savoir si la convention litigieuse pouvait ou non être contestée dans le cadre d’un référé contractuel. En effet, l’article L. 551-1 du Code de justice administrative précise que l’exercice d’un référé précontractuel n’est possible que lorsque le contrat contesté est un « contrat administratif ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique ». Ce champ d’application matériel est le même lorsque le recours intenté est un référé contractuel.

Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat va successivement qualifier la convention de terminal et la convention de mise en régie de concessions de services au sens de l’Ordonnance du 29 janvier 2016. Cette qualification lui permet d’apporter certaines précisions.

Tout d’abord, la notion de concession de service est indépendante de celle de service public, ce qui signifie qu’il existe désormais des concessions de services qui ne sont pas des services publics et des concessions de services publics. Le Conseil d’Etat le confirme en ne recherchant pas l’existence d’une activité de service public ; il concentre son analyse sur l’existence « d’une prestation de services rémunérée par une contrepartie économique constituée d’un droit d’exploitation, et qui transfère au cocontractant le risque d’exploitation ». Conformément à la définition européenne, le Conseil d’Etat semble retenir une conception assez large de la notion de concession de service : il ne la limite pas aux contrats ayant pour objet de confier la gestion même d’un service mais intègre également ceux qui se contentent de confier la réalisation de certaines prestations de services, sans confier la gestion du service lui-même (sur ce point, v. F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « A propos de la reconnaissance jurisprudentielle des concessions de services, Contrats-Marchés publ. 2017, repère 4).

Par ailleurs, le juge administratif précise quel est le critère de distinction à utiliser pour différencier les « simples » conventions d’occupation du domaine public et les concessions de services. Depuis l’adoption de l’Ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, l’article L. 2122-6 du CGPPP les autorisations d’occupation du domaine public ne peuvent plus « avoir pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, pour le compte ou pour les besoins d’un acheteur soumis à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ou d’une autorité concédante soumise à l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ». Le Conseil d’Etat confirme ici que l’objet du contrat est au cœur de la distinction entre les « simples » conventions d’occupation et les concessions. Si, comme en l’espèce, le contrat a pour objet de « répondre au besoin » d’une autorité concédante en confiant la réalisation de prestations de services à un cocontractant, celui-ci doit être qualifié de concession de service indépendamment du fait qu’il confie également au cocontractant « la gestion et la valorisation du domaine ». C’est donc la réponse aux besoins exprimés par une personne qualifiable d’autorité concédante en termes de travaux ou de services qui permet d’identifier l’existence d’un contrat de concession (à condition que la contrepartie du contrat réside dans l’existence d’un droit d’exploitation faisant peser un risque sur le cocontractant car, à défaut, le contrat serait qualifié de marché public).

Enfin, cet arrêt est l’occasion pour le juge administratif de préciser que la mise en régie d’un contrat en cas de faute grave du cocontractant fait partie « des règles générales applicables aux contrats administratifs ». Le Conseil d’Etat confirme ainsi que l’existence de ce pouvoir de sanction n’est plus rattachée au principe de continuité du service public (en ce sens, v. déjà en matière de marchés publics : CE, ass., 9 novembre 2016, n° 388806, Sté Fosmax : Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 25, obs. P. Devillers) mais concerne l’ensemble des contrats administratifs. Le principe de continuité du service – qui n’est pas un service public – justifie quant à lui que la convention de mise en régie soit conclue sans mise en concurrence, lorsque l’urgence le justifie.

Le Conseil d’Etat prend donc acte de la place centrale de la notion de concession – notamment de services – au sein du droit de la commande publique. Surtout, en taisant toute référence au service public, il confirme que cette notion n’a plus vocation qu’à occuper une place marginale à l’intérieur du droit des contrats publics.

Une distinction attendue : marché public vs. transfert de compétences

La définition du champ d’application du droit européen des contrats publics est une question épineuse, renforcée par le fait que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices des Etats membres rivalisent d’imagination pour pouvoir y échapper. Le droit de l’Union admet cependant des exceptions qui évitent raisonnablement que certains contrats passés par des pouvoirs adjudicateurs ou par des entités adjudicatrices ne soient passés après une procédure de publicité et de mise en concurrence.

C’est sur l’une de ces exceptions que la Cour de justice a dû se prononcer dans son arrêt Remondis du 21 décembre 2016 (CJUE, 21 décembre 2016, aff. C-51/15, Remondis GmbH c/ Région de Hanovre en présence du Syndicat de collectivités Région Hanovre ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 36, note G. Eckert ; JCPA 2017, comm. 2067, note S. Brameret ; Europe 2017, comm. 62, note D. Simon ; AJCT 2017, p. 159, note J.-D. Dreyfus). Il lui revenait d’établir une distinction claire entre la notion de marché public et celle de transfert de compétences.

Le juge européen était saisi de deux questions préjudicielles par un Tribunal régional supérieur allemand à l’occasion d’un litige opposant la société Remondis à la région de Hanovre à propos de l’activité d’enlèvement et de traitement des déchets sur les territoires de l’arrondissement de Hanovre et de la ville de Hanovre. En effet, jusqu’en 2002 la région et la ville de Hanovre étaient compétentes et géraient elles-mêmes ces activités. Au cours de cette année 2002, la ville de Hanovre a transféré sa compétence en la matière à la région de Hanovre puis, ensemble, elles ont créé un syndicat de collectivités auquel elles ont transféré certaines de leurs compétences, notamment l’enlèvement des déchets. Ce syndicat exerce les activités d’enlèvement et de traitement des déchets depuis le 1er janvier 2003

La société Remondis a saisi les juridictions allemandes car elle considérait que « l’opération globale ayant consisté en la fondation de ce syndicat et le transfert concomitant de missions à celui‑ci par les collectivités territoriales qui en sont membres constitue un marché public » (pt. 24). Elle soutenait en effet que, si les relations entre ce syndicat et les collectivités membres pouvaient initialement être considérées comme relevant de l’exception « in house », ce n’est plus le cas depuis 2013 car le syndicat ne réalise plus l’essentiel de ces activités avec ses membres. A l’inverse, la région de Hanovre et le syndicat considéraient que l’opération constituait un transfert de compétences et ne pouvait donc pas être qualifiée de marché public.

La question posée à la Cour était donc de déterminer si un transfert de compétence à une entité juridique distincte peut et doit être considéré comme un marché public. Ainsi que le relève l’avocat général Paolo Mengozzi dans ses conclusions, cette question avait été évoquée par la Cour dans deux affaires précédentes sans être « spécifiquement » traitée, la qualification de marché public ayant été systématiquement retenue (CJCE, 20 octobre 2005, aff. C-264/03, Commission c/ Rép. française : Rec. CJCE 2005, p. 883 ; CJUE, 13 juin 2013, aff. C-386/11, Piepenbrock Dienstleistungen GmbH c/ Kreis Düren : Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 213, note W. Zimmer).

Se prononçant en application des directives de 2004, la Cour opère un choix clair en distinguant les notions de marché public et de transfert de compétences. Pour étayer son argumentation elle se réfère également aux nouvelles directives de 2014, notamment au considérant 4 et à l’article 1er de la directive 2014/24. Or, cet article prévoit explicitement que « Les accords, décisions ou autres instruments juridiques qui organisent le transfert de compétences et de responsabilités en vue de l’exécution de missions publiques entre pouvoirs adjudicateurs ou groupements de pouvoirs adjudicateurs et qui ne prévoient pas la rémunération de prestations contractuelles, sont considérés comme relevant de l’organisation interne de l’État membre concerné et, à ce titre, ne sont en aucune manière affectés par la présente directive ». Les évolutions textuelles du droit européen des contrats publics invitaient donc à la Cour à admettre que les transferts de compétences entre pouvoirs adjudicateurs ne constituent pas des marchés publics.

La Cour commence par préciser que l’objet des activités transférées ne saurait à lui seul permettre de retenir la qualification de marché public en précisant que « le fait qu’une activité relevant de la compétence d’une autorité publique constitue un service visé par ladite directive ne suffit pas, à lui seul, à rendre celle‑ci applicable, les autorités publiques étant libres de décider de recourir ou non au marché pour l’accomplissement des tâches d’intérêt public qui leur incombent » (pt. 39). Elle renvoie sur ce point à sa jurisprudence antérieure (CJCE, 9 juin 2009, aff. C-480/06, Comm. CE c/ Rép. fédérale d’Allemagne ; Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 226, note H. Hoepffner). Cette précision peut paraître superflue mais elle permet de rappeler que le droit de l’Union européenne n’impose pas aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices de faire réaliser l’ensemble des activités qualifiable de travaux, de fournitures ou de services dans le cadre de marchés publics ou de contrats de concession. Lorsqu’une personne de la sphère publique exerce des activités relevant de ses compétences, sa liberté première reste en effet de les réaliser elle-même !

Ce premier rappel effectué, la Cour va en effectuer un second qui va servir de fondement à la solution retenue. Elle précise en effet « que la répartition des compétences au sein d’un État membre » relève de « l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles », laquelle est protégée par l’article 4§2 du TUE (pt. 40). Or, la Cour considère que cette protection s’étend également aux « réorganisations de compétences à l’intérieur d’un Etat membre » (pt. 41). Elle consacre ainsi la spécificité de la notion de transfert de compétences, afin de pouvoir la distinguer de la notion de marché public.

La différence entre les deux résulte de la définition de la notion de marché public. La Cour rappelle en effet que le marché public se définit comme un contrat conclu à titre onéreux, ce qui implique que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice qui passe le marché reçoive « une prestation devant comporter un intérêt économique direct », moyennant une contrepartie. La caractéristique essentielle d’un marché public » est donc son « caractère synallagmatique » (pt. 43). Or, contrairement à ce qui se passe dans le cadre d’un marché public, le transfert de compétences conduit l’autorité publique à se décharger d’une activité qu’elle exerçait précédemment et à ne plus avoir d’ « intérêt économique » dans la réalisation de cette activité (pt. 44). En l’absence de ce caractère synallagmatique, le fait que l’autorité qui transfère sa compétence « s’engage à assumer la charge des éventuels excédents de coûts par rapport aux recettes pouvant résulter de l’exercice de cette compétence » est sans incidence sur la qualification de l’opération et ne peut pas être considérée comme une rémunération (pt. 45). Il existe donc une véritable différence de nature entre un marché public et un transfert de compétences.

Néanmoins, afin de ne pas permettre aux Etats membres d’échapper trop facilement aux règles applicables en matière de marchés publics, une opération ne sera analysée comme un transfert de compétences que si « l’autorité publique nouvellement compétente » exerce ces compétences « de manière autonome et sous sa propre responsabilité » (pt 51).

Trois conditions sont nécessaires ; elles sont clairement identifiées par l’avocat général dans ses conclusions (pts. 53 à 57 des conclusions) et reprises en substance par la Cour (pts 48 à 54). Tout d’abord, il faut que le transfert de compétences soit un transfert global, ce qui implique un dessaisissement total de la part de l’autorité initialement investie de ses compétences. Il se distingue ainsi du simple transfert ponctuel de compétences, même s’il n’est pas nécessaire que le transfert soit irréversible. Ensuite, l’entité attributaire de la nouvelle compétence doit pouvoir agir « en pleine autonomie » (concl., pt. 55). Cela signifie que l’autorité transférante ne doit plus pouvoir « interférer dans l’exécution de la mission transférée » (concl., pt. 55), elle peut seulement conserver un « contrôle de type politique » (concl., pt. 56). Enfin, l’entité qui se voit transférer cette nouvelle compétence doit bénéficier d’une « autonomie financière dans l’accomplissement de la mission publique pour laquelle les compétences lui sont transférées ». Cette autonomie financière suppose que l’entité « ne doit pas dépendre financièrement de l’autorité transférante » : elle doit bénéficier des ressources nécessaires, ce transfert de ressources étant défini comme « le nécessaire corollaire du transfert de compétences » (concl., pt. 57). Lorsque ces différentes conditions sont réunies, l’opération doit s’analyser comme un véritable transfert de compétences et n’est donc pas soumise aux règles européennes applicables en matière de marchés publics ou de contrats de concession.

La Cour identifie donc ici une ligne de partage assez claire entre les notions de marché public et de transfert de compétences qui permet de mieux cerner le sens de l’exception désormais prévue aux articles 1ers des directives de 2014, reprise aux articles 7 des ordonnances marchés publics et contrats de concession. Elle semble ainsi confirmer, après une période d’extension continue, que le droit de l’Union européenne cherche désormais à circonscrire les notions de marché public et de contrat de concession.

Des précisions nécessaires quant aux conventions d’occupation du domaine public

A l’intérieur du droit des contrats publics, la question de la place des conventions d’occupation du domaine public et de leur soumission à des procédures de mise en concurrence a fait couler beaucoup d’encre (voir, par exemple : F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « L’attribution des conventions domaniales », Contrats-Marchés publ. 2005, repère 8 ; S. Nicinski, « Faut-il soumettre la délivrance des titres d’occupation du domaine public à une procédure de mise en concurrence ? », in Mélanges E. Fatôme, Bien public, bien commun, Dalloz, 2011, p. 377 ; Ch. Vautrot-Schwarz, « L’avenir de la publicité et de la mise en concurrence dans la délivrance des titres d’occupation domaniale », Contrats-Marchés publ. 2012, étude 8).

Sur cette question, le Conseil d’Etat avait retenu une solution discutée et discutable dans son célèbre arrêt Jean Bouin (CE, 3 déc. 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin ; Contrats et Marchés pub. 2011, comm. 25 obs. G. Eckert ; AJDA 2011, p. 18, étude S. Nicinski et E. Glaser ; BJCP 74/2011, p. 36, concl. N. Escaut ; Dr. adm. 2011, comm. 17, obs. F. Brenet et F. Melleray) en précisant « qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ; qu’il en va ainsi même lorsque l’occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel ». Cette solution était manifestement contraire au droit de l’Union européenne mais avait pour effet de préserver les droits de la personne publique propriétaire sur son domaine.

C’est donc de manière heureuse que la Cour de justice a initié une clarification de la situation par son arrêt Promoimpresa de juillet 2016 (CJUE, 14 juillet 2016, aff. C-458/14 et aff. C-67/15, Promoimpresa Srl Mario , Melis e.a. ; Contrats-Marchés publ. 2016, repère 11 et comm. 291, note F. Llorens ;  AJDA 2016, p. 2176, note R. Noguellou). Saisie par le tribunal administratif régional de Lombardie et par son homologue de Sardaigne, la Cour de justice devait se prononcer sur la conformité au droit de l’Union européenne de règles permettant le renouvellement ou l’attribution de concessions domaniales. Le juge européen va ainsi préciser que trois séries de règles sont susceptibles de s’appliquer lors de la délivrance d’autorisations domaniales.

Premièrement, si l’autorisation repose sur un contrat qui est qualifiable de concession de service au sens du droit de l’Union, il convient d’appliquer les dispositions de la directive 2014/23 et notamment les règles de publicité et de mise en concurrence qu’elle prévoit.

Deuxièmement, si l’autorisation ne repose pas sur un contrat ou si elle repose sur un contrat qui n’est pas qualifiable de concession de service car l’activité de services exercée n’a pas été déterminée par un pouvoir adjudicateur ou par une entité adjudicatrice, il faut vérifier si cette activité relève du champ d’application de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Si tel est le cas, l’article 12 de ce texte prévoit que « l’octroi d’autorisations, lorsque leur nombre est limité en raison de la rareté des ressources naturelles, doit être soumis à une procédure de sélection entre les candidats potentiels, laquelle doit répondre à toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment de publicité adéquate ». Dans la mesure où la plupart activités économiques relèvent du champ d’application de ce texte, la quasi-totalité des décisions autorisant ou renouvelant une occupation domaniale doivent être considérées comme devant être soumises à des règles de publicité et de mise en concurrence.

Troisièmement, si l’autorisation est une concession qui ne relève du champ d’application d’aucune des deux directives, c’est-à-dire s’il s’agit d’une concession de service inférieure aux seuils européens, son attribution et son renouvellement ne peuvent être effectués qu’en respectant « les règles fondamentales du traité FUE en général et le principe de non-discrimination en particulier » (pt. 64 de l’arrêt). Il convient alors de vérifier si cette attribution ou ce renouvellement présentent un « intérêt transfrontalier certain ». Si tel est le cas, des règles minimales de publicité et de mise en concurrence s’imposeront.

En ce sens, la solution retenue par la Cour de justice peut être considérée comme « l’épilogue du feuilleton Jean Bouin » (Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 03 ; Art. 128. http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1385). Elle a eu pour conséquence l’adoption de l’article 34 de la loi Sapin 2 habilitant le gouvernement à réformer le droit de la domanialité publique par ordonnance.

C’est désormais chose faite avec l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques (sur cette question, v. J.-M. Pastor, « Obligation de publicité pour les autorisations domaniales », AJDA 2017, p. 836 ; G. Clamour, « Une nouvelle donne pour l’occupation domaniale », Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 114). Les nouvelles règles ne concernent que le domaine public, alors même que les commentateurs s’accordent pour considérer que les obligations européennes sont indifférentes à la distinction française entre le domaine public et le domaine privé des personnes publiques.

A compter du 1er juillet 2017 la délivrance des titres d’occupation du domaine public devra en principe passer par une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable, en application du nouvel article L. 2122-1-1 du CGPPP. Des exceptions sont cependant d’ores et déjà prévues. D’abord, cet article prévoit que des dispositions législatives contraires peuvent déroger à cette réglementation. Ensuite, il prévoit qu’une publicité préalable à la délivrance du titre suffit « lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité ». Enfin, les articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3 prévoient des exceptions plus précises : si une procédure de mise en concurrence a déjà eu lieu, si le titre est conféré par un contrat de la commande publique, si l’urgence le justifie, s’il est « impossible ou non justifié » de mettre en œuvre la procédure prévue…

Les autorisations d’occupation du domaine public, lorsqu’elles ne sont pas conférées par un marché public ou par un contrat de concession, doivent donc être considérées comme ne relevant pas du droit de la commande publique au sens du futur code. Néanmoins, leur soumission à des règles de publicité et de mise en concurrence confirme que ces autorisations, lorsqu’elles sont effectuées par contrat, relèvent du régime général du droit européen des contrats publics.

Des éclaircissements complémentaires : concessions d’aménagement et commande publique, « in house » et activités exercées pour des personnes publiques tierces, et notion de délégation de service public

L’actualité de ces derniers mois s’agissant des notions du droit de la commande publique permet de faire état de trois affaires qui se dégagent du point de vue de leurs apports.

C’est d’abord la Cour administrative d’appel de Versailles qui, le 1er décembre 2016, est venue préciser que tous les contrats conclus dans le cadre d’opérations d’aménagement ne sont pas des concessions d’aménagement et ne relèvent donc pas du droit de la commande publique (CAA Versailles, 1er déc. 2016, n° 15VE02822, Cts E. et SARL Le Viking : JurisData n° 2016-028943 ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 37, note G. Eckert).

La solution est bien connue : les concessions d’aménagement sont des contrats de la commande publique. Le code de l’urbanisme suppose en effet qu’elles constituent soit des marchés publics soit des contrats de concession. Cette solution est acquise depuis que le décret du 22 juillet 2009 a pris acte de la solution retenue par la Cour de justice dans son arrêt Auroux (CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05, Jean Auroux c/ Cne Roanne ; Rec. CJCE 2007, I, p. 385 ; AJDA 2007, p. 1124, chron. E. Broussy, F. Donnat et Ch. Lambert ; Contrats-Marchés publ. 2007, comm. 38, note W. Zimmer). Les articles R.300-4 à R.300-9 s’appliquent aux concessions d’aménagement transférant un risque économique, tandis que les articles R.300-11-1 à R.300-11-3 fixent la procédure applicable aux concessions d’aménagement ne transférant pas un risque économique. Les premières correspondent à des contrats de concession et obéissent en grande partie aux règles fixées par l’ordonnance du 29 janvier 2016, tandis que les secondes sont des marchés publics et relèvent de la même manière de l’ordonnance du 23 juillet 2015. Dans les deux cas, des règles spécifiques sont prévues pour tenir compte des particularités de ce type de contrats. Néanmoins, la Cour administrative d’appel de Versailles a eu l’occasion de préciser que toutes les conventions conclues dans le cadre d’opérations d’aménagement ne sont pas concernées.

Se prononçant sous l’empire de l’ancienne réglementation, elle considère que les conventions de participation au financement des équipements publics réalisés dans le cadre d’une opération d’aménagement en application de l’article L. 311-4 du code de l’urbanisme et qui ont pour objet de prendre en charge la part de ceux-ci excédant les besoins des habitants de la zone ne sont pas qualifiables de marchés publics au sens du code. Cette solution trouvera à s’appliquer dans le cadre de la nouvelle réglementation, de tels contrats ne pouvant être qualifiés ni de marchés publics, ni de contrats de concession.

C’est ensuite la Cour de justice qui a apporté des éclaircissements sur les conditions du « in house », bien que se prononçant à propos d’une situation antérieure relevant des directives de 2004 (CJUE, 8 déc. 2016, aff. C-553/15, Undis Servizi Srl c/ Comune di Sulmona ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 38, note M. Ubaud-Bergeron ; AJDA 2017, p. 1127, note S. Brameret).

Elle commence par rappeler que le droit européen des marchés publics et des concessions s’applique dès lors qu’un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice « envisage de conclure par écrit, avec une entité juridiquement distincte, un contrat à titre onéreux, que cette entité soit elle-même un pouvoir adjudicateur ou non » (pt. 28). Néanmoins, en application d’une jurisprudence désormais classique (CJCE 18 nov. 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano, Rec. CJCE I-8121), la Cour admet que les règles de publicité et de mise en concurrence n’ont pas à s’appliquer lorsque le contrat conclu peut s’analyser comme une attribution « in house ». Deux conditions doivent alors être réunies : le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice doit exercer sur l’entité attributaire un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services, et cette entité doit réaliser l’essentiel de ses activités au profit du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent.

En l’espèce la Cour devait se prononcer sur la seconde condition, à savoir le fait que l’entité contrôlée exerce l’essentiel de ses activités pour le compte du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent. Elle devait déterminer comment prendre en compte des activités exercées par l’entité contrôlée mais pour le compte de collectivités publiques différentes de celles qui la contrôlent, la difficulté provenant du fait que l’exercice de ces activités lui est imposé par une autre collectivité. La société concernée dans cette affaire ne réalise en effet que 50% de ses activités pour le compte des collectivités qui la contrôlent, tandis que la plupart de ses autres activités sont réalisées au profit d’une région italienne en application de dispositions spécifiques du droit national. La Cour de justice va toutefois considérer que le fait que ces activités soient imposées et soient réalisées au bénéfice de collectivités publiques est sans incidence sur l’appréciation des conditions du « in house ». Par ailleurs, la Cour a pu préciser que dans le cadre d’un pluri-contrôle public, les activités exercées avant que ce contrôle conjoint ne soit effectif peuvent être prises en compte pour déterminer si l’entité réalise l’essentiel de son activité pour les pouvoirs adjudicateurs qui la contrôlent.

Bien qu’elle raisonne sous l’empire des directives de 2004, la solution retenue par la Cour devrait trouver un écho dans le cadre de la nouvelle réglementation. Les directives de 2014 codifient en effet l’exception « in house » en excluant de leur champ d’application les marchés publics et les contrats de concession passés entre entités appartenant au secteur public. Or, parmi les conditions exigées pour que cette exception s’applique, il est désormais prévu que « plus de 80 % des activités de (la) personne morale contrôlée (doivent être) exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle ». Il ne fait dès lors pas de doute que, pour apprécier cette condition reformulée, la Cour retiendra une interprétation identique à celle formulée dans son arrêt du 8 décembre 2016 : pour déterminer si le seuil de 80% des activités exercées est atteint, seules les activités réalisées pour le compte des pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices contrôlant l’entité doivent être prises en compte. Les activités réalisées pour le compte d’autres personnes de la sphère publique ne doivent donc pas être prises en compte, même lorsqu’elles sont imposées.

Enfin, l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 9 décembre 2016 mérite une attention particulière lorsque l’on s’intéresse aux notions du droit de la commande publique (CE, 9 décembre 2016, n° 396352, Cne Fontvieille ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 52, note G. Eckert ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 02 ; Art. 109 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1191). Dans cette affaire, le juge administratif applique sa jurisprudence désormais classique en matière de service public (CE, sect., 22 février 2007, n° 264241, APREI ; rec. p. 92, concl. C. Vérot ; AJDA 2007, p. 793, chron. F. Lenica et J. Boucher ; RFDA 2007, p. 802, note C. Boiteau) pour déterminer si le contrat par lequel une commune confie l’exploitation d’un site touristique à une personne privée constitue ou non une délégation de service public.

Retenant une interprétation stricte de la jurisprudence APREI, les juges du palais royal refusent la qualification de service public en relevant « l’absence d’implication dans l’organisation de l’exploitation touristique des sites en cause » (cons. 3). Le fait que la commune définisse les jours d’ouverture et impose le respect du caractère historique et culturel des sites n’est pas suffisant pour faire apparaître son intention de faire de cette activité un service public. De plus, la personne privée cocontractante pouvait « révoquer la convention à tout moment », ce qui n’est possible que lorsque le contrat « n’a pas pour objet l’exécution même du service public » (CE, 8 octobre 2014, n° 370644, Sté Grenke location ; AJDA 2015, p. 396, obs. F. Melleray ; BJCP 2015, p. 3, concl. G. Pellissier ; Dr. adm. 2015, comm. 12, note F. Brenet ; JCP A 2014, comm. 2327, obs. S. Ziani ; Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 329, note G. Eckert). Le Conseil d’Etat en conclut fort logiquement que la convention en cause ne constitue pas une délégation de service public et qu’elle n’avait donc pas à respecter l’ancien article L. 1411-2 du CGCT.

Cet article ayant été abrogé par l’ordonnance du 29 janvier 2016, le problème soulevé dans l’arrêt du 9 décembre pourrait paraître caduque. Il n’en reste pas moins révélateur du caractère restrictif de la notion de délégation de service public par opposition à celle de concession de service. Il y a en effet fort à parier que la convention litigieuse serait qualifiée de concession de service dans le cadre de la nouvelle réglementation. Or, l’article 31 de l’ordonnance du 29 janvier étend désormais l’obligation de justifier dans le contrat les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances à l’ensemble des contrats de concession, nonobstant la qualification de délégation de service public. Le Conseil d’Etat nous donne donc une occasion supplémentaire d’affirmer que la notion de contrat de concession devrait progressivement effacer celle de délégation de service public !

Les réformes textuelles et les évolutions jurisprudentielles confirment ainsi le grand chambardement du droit de la commande publique. La clarification attendue devrait donc rester longtemps incomplète, à moins que le futur code n’aille au-delà de nos espérances.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 190.

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La notion de contrat administratif (2)

Art. 191.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

La notion de contrat administratif : quelques confirmations utiles

Cela n’aura rien de surprenant pour le lecteur de ces lignes mais la notion de contrat administratif n’est pas la plus affectée par les évolutions de ces derniers mois. Il convient en effet de rappeler que la réforme de la commande publique n’abandonne pas la notion de contrat administratif mais confirme sa perte d’utilité progressive : la qualification de contrat administratif est maintenue pour les contrats passés par certaines personnes publiques à l’intérieur du nouveau droit de la commande publique mais son incidence sur le régime juridique des marchés publics et des contrats de concession reste assez limité (Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 105. http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1157). De plus, les catégories de contrats « nommés » étant de plus en plus nombreuses, ce n’est que rarement que les juges ont à connaître de contrats dont la qualification comme contrat administratif ou comme contrat de droit privé pose de réelles difficultés.

Un arrêt rendu à la fin de l’année 2016 par le Tribunal des conflits mérite néanmoins l’attention en ce qu’il rappelle le caractère circonscrit du critère matériel du service public parmi les critères jurisprudentiels de définition de la notion de contrat administratif.

Par ailleurs, saisi à propos d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public français et une personne de droit étranger, ce même juge a rappelé que – sous certaines conditions – la qualification administrative d’un contrat emporte l’application d’un régime impératif de droit public que seule la juridiction administrative est en droit de connaître.

Critères jurisprudentiels de définition : seule la participation à l’exécution même du service public permet la qualification de contrat administratif 

En l’absence de qualification législative du contrat, le Tribunal des conflits a dû rappeler qu’il convient de retenir une interprétation stricte du critère matériel du service public lorsque l’on cherche à vérifier si un contrat est administratif ou de droit privé (TC, 14 novembre 2016, n° 4065, Assoc. professionnelle des hôteliers, restaurateurs, limonadiers (APHRL) ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 35, note P. Devillers ; AJCT 2017, p. 215, note G. Le Chatelier).

En l’espèce, le Tribunal des conflits devait se prononcer à propos d’un contrat conclu entre une association et la région Ile-de-France. Ce contrat a pour objet la location par la région de locaux destinés à accueillir un lycée d’enseignement technologique. Estimant que la région ne remplissait pas ses obligations d’entretien, l’association a saisi le tribunal de grande instance de Paris pour qu’il prononce la résiliation de cette convention de mise à disposition. Ce dernier a toutefois décliné sa compétence en considérant que la convention faisait participer l’association au service public de l’enseignement et devait donc être qualifiée de contrat administratif. L’association s’est alors tournée vers le tribunal administratif de Paris, lequel a considéré que la juridiction judiciaire était compétence et a décidé de surseoir à statuer et de renvoyer l’affaire devant le juge départiteur en prévention d’un conflit négatif.

Les contrats de location de biens immobiliers par une personne publique ne sont pas considérés comme des marchés publics et ne peuvent donc pas être considérés comme des contrats administratifs « par détermination de la loi » en application de l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (ou, anciennement, en application de la loi MURCEF). Ces contrats font ainsi partie des rares conventions pour lesquelles le juge doit encore aujourd’hui vérifier si les critères jurisprudentiels de définition du contrat administratif sont réunis. En l’espèce, le critère organique est bel et bien présent : la convention est passée par la région Ile-de-France, personne morale de droit public. C’est donc du point de vue du critère matériel que la question de la qualification se posait. Il est acquis que ce critère n’est rempli que dans trois hypothèses : lorsque le contrat est soumis à un régime exorbitant du droit commun, lorsqu’il contient une clause exorbitante du droit commun, ou lorsqu’il présente un lien suffisamment étroit avec le service public.

La convention de mise à disposition passée entre la région et l’association ne baignait manifestement pas dans une « ambiance » de droit public (concl. M. Rougevin-Baville sur CE, sect., 19 janv. 1973, n°82338, Sté d’exploitation électrique de la Rivière du Sant) et, comme le relève le rapporteur public Frédéric Desportes dans ses conclusions, il n’est pas possible d’identifier une clause exorbitante « dans les stipulations de la convention, somme toute banales, imposant que les locaux soient utilisés conformément à leur destination ou mettant à la charge de l’association certains travaux » (F. Desportes, conclusions disponibles sur le site du Tribunal des conflits : http://www.tribunal-conflits.fr/PDF/4065_Conclusion_conclusions_tc_4065.pdf ). A la suite du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris, la question de la qualification administrative ou de droit privé du contrat dépendait donc ici du fait de savoir si le contrat conclu présentait un lien suffisamment étroit avec le service public.

Or, la jurisprudence révèle qu’il existe « une gradation selon le degré d’implication du cocontractant dans le fonctionnement du service public » (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs, Dalloz, 2016, p. 89). Cela sera le cas dans trois sous-hypothèses au regard de l’objet du contrat : s’il confie l’exécution même du service public au cocontractant (CE, sect., 20 avril 1956, Epoux Bertin, rec. p. 167 ; D. 1956.433 note A. De Laubadère ; RDP 1956 p. 869, concl. Long, note. M. Waline), s’il constitue une modalité d’exécution du service public (CE, sect., 20 avril 1956, Ministre de l’Agriculture c./ Consorts Grimouard, rec. P. 168 ; AJDA 1956, II, p. 187, concl. Long), ou s’il fait participer ou associe le cocontractant à l’exécution du service public (TC, 8 décembre 2014, n°3980, Chambre nationale des services d’ambulances, Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 60, note M. Ubaud- Bergeron).

En l’espèce, le Tribunal des conflits va considérer que la convention ne présente pas un lien suffisamment étroit avec le service public en précisant qu’elle « a pour seul objet de répondre aux besoins de fonctionnement d’un établissement public local d’enseignement et non pas de confier au cocontractant l’exécution d’un service public dont la région a la charge ». Il confirme ici, conformément aux conclusions du rapporteur public, « la règle constamment réaffirmée […] selon laquelle ne peuvent être assimilés aux contrats portant sur l’exécution même du service public – administratifs par leur objet – ceux qui ont été conclus seulement « pour les besoins du service public » (F. Desportes, préc.). En l’absence de participation effective à la mission de service public relevant de la personne publique, le contrat conclu avec une personne privée pour répondre aux besoins de ce service ne peut donc pas être qualifié d’administratif.

Le Tribunal des conflits confirme ici qu’il convient de retenir une interprétation stricte du critère matériel du service public, quitte à enfermer la notion jurisprudentielle de contrat administratif dans des limites resserrées.

Contrats conclus avec une personne de droit étranger : confirmation de l’application d’un régime impératif de droit public à certains contrats administratifs

Les sentences arbitrales internationales concernant des contrats passés par les personnes publiques françaises avec des personnes de droit étranger impliquent une répartition particulière des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire. Prolongeant sa jurisprudence antérieure, le Tribunal des conflits est venu confirmer que la qualification de contrat administratif pouvait avoir une incidence sur cette répartition (TC, 24 avril 2017, n°4075, Syndicat mixte des aéroports de Charente c/ sociétés Ryanair Limited et Airport Marketing Services Limited ; AJDA 2017, p. 981, note G. Odinet et S. Roussel ; JCP A 2017, act. 359, note N. Chahid-Nouraï et Q. de Kersauson).

Cette décision du Tribunal des conflits fait directement suite à sa jurisprudence INSERM de 2010 (TC, 7 mai 2010, n° 3754, Institut national de la santé et de la recherche médicale c/ Fondation Letten F. Saugstad, rec. p. 580 ; AJDA 2010, p. 1564, étude P. Cassia ; RDI 2010, p. 551, obs. S. Braconnier ; RFDA 2010, p. 959, concl. M. Guyomar, et p. 971, note P. Delvolvé). Dans cet arrêt, le Tribunal des conflits devait déterminer quel était l’ordre de juridiction compétent pour contester une sentence arbitrale rendue dans un litige concernant un contrat passé entre une personne publique française et une personne de droit étranger. Avant que cette décision ne soit rendue, c’est la qualification du contrat du point de vue du droit français qui permettait de déterminer quelle était la juridiction compétente : si ce contrat pouvait être qualifié de contrat administratif, les sentences arbitrales rendues sur son fondement devaient relever de la compétence des juridictions administratives (TC, 16 octobre 2006, n° 3506, Caisse centrale de réassurance c/ Mutuelle des architectes français, rec. p. 639 ; AJDA 2006, p. 2382, chron. C. Landais et F. Lenica ; RFDA 2007, p. 284, concl. J.-H. Stahl et p. 290, note B. Delaunay ; TC, 19 mai 1958, Société Myrtoon Steamship, rec. p. 793). Désormais, le Tribunal des conflits considère que « le recours formé contre une sentence arbitrale rendue en France, sur le fondement d’une convention d’arbitrage, dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, mettant en jeu les intérêts du commerce international, fût-il administratif selon les critères du droit interne français, est porté devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue, conformément à l’article 1505 du code de procédure civile, ce recours ne portant pas atteinte au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ». En principe, la qualification administrative du contrat n’a donc pas d’incidence sur la compétence juridictionnelle pour connaître des litiges relatifs aux sentences arbitrales.

Néanmoins, dans cette même décision, le Tribunal des conflits est venu nuancer la nouvelle règle de répartition des compétences en précisant « qu’il en va cependant autrement lorsque le recours, dirigé contre une telle sentence intervenue dans les mêmes conditions, implique le contrôle de la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique et applicables aux marchés publics, aux contrats de partenariat et aux contrats de délégation de service public ».

Ainsi, lorsque le contrat emporte une occupation du domaine public ou relève du champ d’application de la commande publique, sa qualification comme contrat administratif entraîne la compétence des juridictions administratives pour connaître des sentences arbitrales le concernant (pour une application, voir : TC, 11 avril 2016, n°C4043, Société Fosmax Lng c/société TCM FR, Tecnimont et Saipem ; AJDA 2016, p. 750). La notion de contrat administratif retrouve donc une utilité en matière de sentences arbitrales prononcées à propos de contrats intéressant le commerce international, mais à condition d’être associée à certaines « règles impératives du droit public français ». Cette solution a pu être critiquée parce qu’elle fait appel à des règles – le droit de la propriété des personnes publiques et le droit de la commande publique – qui ne sont pas l’apanage des juridictions administratives et trouvent également à s’appliquer devant les juridictions judiciaires (la note de Pierre Delvolvé sous l’arrêt de 2010 est particulièrement éclairante quant aux limites de la motivation retenue par le Tribunal des conflits). Elle a néanmoins pour mérite d’en assurer le respect, y compris dans le cadre des sentences internationales. L’idée est que, lorsque de telles règles sont en cause, « la sentence arbitrale perd sa complète autonomie pour se trouver rattachée à l’ordre juridique français » (Mattias Guyomar, « Le contentieux des sentences arbitrales en matière administrative », concl. sur  TC, 7 mai 2010, n° 3754, INSERM, préc.).

L’arrêt rendu le 24 avril 2017 confirme cette solution en l’étendant à la question de l’exequatur des sentences internationales. Il considère en effet qu’ « il appartient en principe à la juridiction judiciaire, statuant dans les conditions prévues au titre II du livre IV du code de procédure civile, d’une part, de connaître d’un recours formé contre la sentence si elle a été rendue en France et, d’autre part, de se prononcer sur une demande tendant à ce que la sentence, rendue en France ou à l’étranger, soit revêtue de l’exequatur », tout en précisant que « dans le cas où le contrat à l’origine du litige sur lequel l’arbitre s’est prononcé est soumis aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique, le recours contre la sentence rendue en France et la demande d’exequatur relèvent de la compétence de la juridiction administrative ». Or, en l’espèce, la sentence arbitrale concernait des contrats passés par un syndicat mixte et deux sociétés étrangères pour assurer le développement d’une liaison aérienne. Le Tribunal des conflits considère que ces conventions sont constitutives d’un marché public de services relevant des règles impératives de la commande publique, ce qui justifie la compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur l’exequatur de la sentence internationale rendue.

Néanmoins, ce n’est pas la soumission aux règles de la commande publique qui emporte, seule, la compétence de la juridiction administrative. On sait en effet que le droit de la commande publique regroupe à la fois des contrats administratifs et des contrats de droit privé passés par des personnes de la sphère publique. Il est donc nécessaire de vérifier la qualification administrative du contrat pour déterminer si le contentieux et l’exequatur des sentences arbitrales internationales le concernant relèvent ou non de la compétence des juridictions administratives.

La notion de contrat administratif retrouve donc ici une utilité certaine. Il convient d’ailleurs de souligner que, contrairement à la formule retenue en 2010 et 2016 (et reprise en partie dans le commentaire de la décision de 2017 sur le site du Tribunal des conflits http://www.tribunal-conflits.fr/PDF/4075_Commentaire_commentaire_tc_4075.pdf), le juge ne fait pas explicitement référence à l’absence d’incidence de la qualification administrative du contrat selon les critères du droit français ni au fait que la compétence de principe du juge judiciaire ne porterait pas atteinte au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Il est possible de voir dans ce silence une valorisation renouvelée de la notion de contrat administratif en la matière ou – de manière plus réaliste – un simple abandon d’une argumentation critiquable.

Même si elle n’est plus au centre des préoccupations, la notion de contrat administratif continue donc de jouer un rôle certain dans la vie des contrats publics. La répartition des compétences entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires n’étant pas toujours d’une clarté limpide, il y a fort à parier que la prochaine chronique sera à nouveau l’occasion de faire état de décisions construites autour d’elle.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 191.

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procédures de passation (marchés publics) (2)

Art. 192.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Procédures de passation (marchés publics) : Des nouveautés jurisprudentielles mais aussi textuelles !

Après l’adoption de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du décret du 25 mars 2016, il était raisonnablement possible de s’attendre à une certaine stabilité des règles applicables s’agissant des procédures de passation des marchés publics. C’était sans compter sur la richesse de cette matière et sur son caractère hautement évolutif : les juridictions administratives ont ainsi apporté un certain nombre de précisions concernant des règles déjà applicables, tandis que le législateur, entendu dans un sens large, n’a pas pu s’empêcher de modifier les textes qui venaient pourtant d’être adoptés.

La loi Sapin 2 : une codification annoncée et des modifications (quasi) immédiates !

Au-delà de la codification du droit de la commande publique prévue sous un délai de 24 mois par son article 38 et de la ratification des ordonnances « marchés publics » et « contrats de concession », la loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) modifie certaines dispositions de l’ordonnance du 23 juillet 2015. A l’inverse, l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession n’est pas modifiée.

Les changements apportés ne remettent pas en cause l’économie générale l’ordonnance relative aux marchés publics mais ils ne doivent pas être négligés (sur ce sujet, v. également : G. Clamour, « Le volet « commande publique » de la loi « Sapin 2 » », Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 1).  Ils s’appliquent aux marchés publics pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à la publication postérieurement à la publication de la loi, c’est-à-dire après le 10 décembre 2016. En revanche, ils ne s’appliquent pas aux marchés passés sur le fondement d’un accord-cadre ou dans le cadre d’un système d’acquisition dynamique lorsque la procédure en vue de la passation de cet accord-cadre ou de la mise en place de ce système d’acquisition dynamique a été engagée avant cette date.

Ces changements ont été précisés par le décret n°2017-516 du 10 avril 2017 portant diverses dispositions en matière de commande publique dont certaines dispositions n’entreront en vigueur qu’au 1er juillet 2017.

Parmi les modifications apportées, ce sont tout d’abord les règles applicables en matière d’allotissement et fixées par l’article 32 de l’Ordonnance qui sont concernées. Dans sa version première, cet article permettait aux acheteurs d’autoriser les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus. Cette possibilité disparaît dans la nouvelle version de l’article, lequel précise – a contrario – que « les candidats ne peuvent présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus ». Par ailleurs, s’agissant de l’obligation faite aux acheteurs de motiver leur choix lorsqu’ils décident de ne pas allotir un marché public, la nouvelle version de l’article 32 ne renvoie plus aux modalités fixées par voie réglementaire mais précise désormais que ce choix doit être motivé « en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement » de la décision de l’acheteur. Il n’en demeure pas moins que les dispositions de l’article 12 du décret marchés publics précisant les conditions de cette motivation demeurent applicables.

La Loi Sapin 2 procède également à l’abrogation de l’article 40 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015. Cet article prévoyait une évaluation préalable obligatoire et systématique du mode de réalisation du projet pour les marchés publics autres que de défense ou de sécurité portant sur des investissements dont le montant hors taxe était égal ou supérieur à un seuil fixé par voie réglementaire. L’article 24 du décret – abrogé quant à lui par le décret du 10 avril 2017 portant diverses dispositions en matière de commande publique – fixait alors ce seuil à 100 million d’euros HT. Seuls les marchés de partenariat restent concernés par cette évaluation préalable : la loi Sapin 2 modifie l’article 74 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 pour la prévoir sans renvoyer à l’ancien article 40 et sans fixer de seuil. Elle reste accompagnée d’une étude portant sur la soutenabilité budgétaire du contrat. Cette suppression de l’évaluation préalable dans le cadre des marchés publics est supposée faciliter le travail des acheteurs, même si l’on peut douter de sa pertinence du point de vue du principe de protection des deniers publics s’agissant de marchés de montants si importants…

La loi Sapin 2 a aussi entendu alléger les moyens de preuve s’agissant des interdictions de soumissionner en modifiant l’article 45 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015. Cet article admet désormais qu’une déclaration sur l’honneur constitue une preuve suffisante s’agissant des interdictions de soumissionner liées à une condamnation pénale (art. 45, 1°), à une méconnaissance des règles relatives au travail illégal (art. 45, 4°, a)) ou à une sanction pénale accessoire tenant à l’exclusion des marchés publics (art. 45, 4°, c). Pour tenir compte de cette évolution, l’article 51 du décret du 25 mars 2016 a été modifié dans le même sens par le décret du 10 avril 2017 : il prévoit désormais qu’une déclaration sur l’honneur constitue un moyen de preuve suffisant dans ces hypothèses, alors qu’un extrait de casier judiciaire était auparavant exigé.

Par ailleurs, la loi du 9 décembre 2016 modifie l’article 52 de l’Ordonnance pour prévoir expressément la possibilité que les marchés publics soient attribués sur la base d’un critère unique dans des conditions fixées par voie réglementaire. Cette précision semble toutefois sans incidence réelle dans la mesure où ce même article prévoyait déjà – et prévoit toujours –  que les marchés sont attribués « aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs ». De plus cette précision n’a pas eu d’incidence sur la rédaction de l’article 62 du décret du 25 mars 2016, lequel continue de prévoir deux méthodes pour déterminer quelle est l’offre économiquement la plus avantageuse : soit utiliser un critère unique pouvant être le prix ou le coût, soit utiliser une pluralité de critères parmi lesquels doivent figurer le prix ou le coût.

De la même manière, l’article 53 de l’Ordonnance concernant les offres anormalement basses a été modifié pour prévoir une nouvelle obligation à la charge des acheteurs. Il est en effet désormais prévu que ces derniers doivent mettre en œuvre « tous moyens pour détecter les offres anormalement basses » afin de les écarter. Les conséquences pratiques d’une telle modification ne sont toutefois pas connues, d’autant que les dispositions du décret marchés publics n’ont pas été modifiées sur ce point.

Les marchés de partenariat sont également concernés par les modifications apportées au travers de la loi Sapin 2. Ainsi que cela a été souligné, l’article 74 de l’Ordonnance marchés publics a été modifié pour permettre que l’évaluation préalable du mode de réalisation du projet continue de constituer une obligation les concernant. Le décret du 10 avril 2017 est venu modifier l’article 147 du décret marchés publics pour fixer les modalités précises de cette « nouvelle » évaluation préalable. Par ailleurs, l’article 69 de cette Ordonnance a également été modifié pour préciser que lorsque l’acheteur confie tout ou partie de la conception des ouvrages au titulaire du marché de partenariat, « les conditions d’exécution du marché doivent comprendre l’obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre chargée de la conception des ouvrages et du suivi de leur réalisation ». Cet article continue toutefois de prévoir – conformément à sa version initiale – que « Lorsque l’acheteur ne confie au titulaire qu’une partie de la conception de l’ouvrage, il peut lui-même, par dérogation à la définition de la mission de base figurant au quatrième alinéa de l’article 7 de la loi du 12 juillet 1985 susvisée, faire appel à une équipe de maîtrise d’œuvre pour la partie de la conception qu’il assume ». Enfin, la loi Sapin 2 a modifié l’article 89 de l’Ordonnance concernant l’indemnisation du titulaire en cas du marché de partenariat en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge. Cette indemnisation n’est désormais possible que lorsque la fin du contrat fait suite au recours d’un tiers, ce qui l’exclut dans le cadre des litiges entre les parties au contrat. De plus, l’indemnisation des frais lié au financement mis en place dans le cadre de l’exécution du contrat n’est plus subordonnée « à la mention, dans les annexes du marché de partenariat, des clauses liant le titulaire aux établissements bancaires » mais à celle « des principales caractéristiques des financements à mettre en place pour les besoins de l’exécution du marché », ce qui semble permettre de couvrir plus facilement un nombre plus important d’hypothèses.

Enfin, la loi Sapin 2 et le décret du 10 avril 2017 ont apporté des modifications concernant la passation et l’exécution des marchés publics conclus par les offices publics de l’habitat. Premièrement, afin de leur offrir davantage de souplesse dans l’exécution de leurs marchés publics, la loi Sapin 2 a modifié l’article 59 de l’Ordonnance marchés publics. Les offices publics de l’habitat ne sont désormais plus soumis à l’obligation de procéder à des « versements à titre d’avances, d’acomptes, de règlements partiels définitifs ou de solde en application » conformément aux dispositions des articles 110 à 131 du Décret marchés publics. De ce point de vue, les offices publics de l’habitat sont désormais assimilés aux acheteurs autres que l’Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. D’ailleurs, le décret du 10 avril 2017 est venu modifier l’article 2 du décret marchés publics pour tenir compte de ce changement. Comme tous les « autres acheteurs », ils ont toutefois la possibilité de verser des avances dans le cadre de leurs marchés publics (art. 59, II) et ils ont l’obligation d’accorder des acomptes pour les prestations qui ont donné lieu à un commencement d’exécution (art. 59, III). En revanche, la loi Sapin 2 ne modifie pas l’article 60 de l’Ordonnance, ce qui signifie que l’interdiction d’insérer une clause de paiement différé s’applique toujours aux offices publics de l’habitat. Deuxièmement, afin de simplifier la passation des marchés publics des offices publics de l’habitat, la loi Sapin 2 a modifié l’article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales. Ces offices ne sont plus soumis aux mêmes obligations que les collectivités territoriales en ce qui concerne la commission d’appel d’offres chargée intervenant dans le choix du titulaire du marché public. Le code prévoit désormais que c’est un décret en Conseil d’Etat qui doit fixer la composition, les modalités de fonctionnement et les pouvoirs de la commission d’appel d’offres pour les marchés publics des offices publics de l’habitat. C’est donc sur ce fondement que l’article 27 du décret du 10 avril 2017 est venu modifier les articles R. 433-1 à R. 433-3 du code de la construction et de l’habitation.

Les modifications apportées sont donc nombreuses et il est certain que la codification future permettra d’en apporter de nouvelles. Il faut toutefois espérer que celles-ci ne seront pas trop nombreuses et iront toujours dans le sens d’une réelle clarification !

Chronique (choisie) de la jurisprudence marquante concernant les procédures de passation des marchés publics

La jurisprudence – française et européenne – concernant les procédures de passation des marchés publics est particulièrement riche mais, parmi les décisions rendues, certaines méritent une attention particulière en raison de leur caractère novateur. Ces décisions ont été regroupées par thèmes afin d’en faciliter la lecture.

Il convient par ailleurs, et au préalable, de préciser que le Conseil d’Etat a validé un certain nombre de dispositions du décret marchés publics dans un arrêt rendu le 17 mars 2017 (CE, 17 mars 2017, n°403768, Ordre des avocats au barreau de Paris ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 123, note P. Devillers). Il a notamment validé le régime spécifique de passation des marchés de service juridique et la possibilité de passer des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence pour les marchés d’un montant inférieur à 25000€ HT.

  • Calcul des délais de réception des candidatures

La Direction des affaires juridiques a publié le 17 janvier 2017 une fiche relative à la présentation des candidatures (v. « Fiche Présentation des candidatures », Contrats-Marchés publ. 2017, alerte 10, veille F. Linditch). Dans le cadre des procédures formalisées comme des procédures adaptées, les délais de remise des candidatures doivent être calculés « de la manière suivante :

  • le premier jour du délai est le lendemain du jour de l’envoi de l’avis de publicité ;
  • le délai prend fin à l’expiration de la dernière heure du jour de son échéance ;
  • le calcul se fait en jours calendaires en comptant les jours fériés, les samedis et les dimanches ;
  • lorsque le dernier jour du délai tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié, il convient de fixer la date de remise le premier jour ouvrable suivant ».
  • Sélection des candidatures

S’agissant des candidatures de groupements d’entreprises, l’article 45, IV du décret du 25 mars 2016 pose le principe selon lequel la composition du groupement ne peut pas être modifiée entre la date de remise des candidatures et la date de signature du marché public. Il est néanmoins précisé que « si le groupement apporte la preuve qu’un de ses membres se trouve dans l’impossibilité d’accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait, il peut demander à l’acheteur l’autorisation de continuer à participer à la procédure de passation en proposant, le cas échéant, à l’acceptation de l’acheteur, un ou plusieurs nouveaux membres du groupement, sous-traitants ou entreprises liées ».

Se prononçant en application du code des marchés publics – lequel contenait des dispositions identiques – la Cour administrative d’appel de Douai a eu connaître de la situation d’une entreprise membre d’un groupement candidat à un marché public qui s’est retirée de ce groupement en raison d’un conflit d’intérêts (CAA Douai, 1er déc. 2016, n° 14DA01892, Sté SEGEX ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 40, note M. Ubaud-Bergeron). Parallèlement à cette procédure de passation, cette même entreprise avait participé et était désignée attributaire d’un marché public d’assistance à maîtrise d’ouvrage auprès du même pouvoir adjudicateur. Dans ces conditions, la Cour considère que le conflit d’intérêts ne permet pas au pouvoir adjudicateur de valider la modification du groupement car les raisons invoquées ne peuvent pas être considérées comme n’étant « pas de son fait ». La Cour considère donc que le groupement d’entreprise a pris « un risque » qu’il lui revient d’assumer et qui justifie que sa candidature soit écartée.

  • Interdictions de soumissionner

La Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser quelle est la marge de manœuvre dont disposent les Etats membres s’agissant des interdictions de soumissionner facultatives. Les textes européens les distinguent en effet des interdictions de soumissionner obligatoires qui sont d’application stricte.

S’agissant des interdictions de soumissionner facultatives, les Etats sont libres de les intégrer ou non dans leurs réglementations. La Cour précise à ce sujet que la réglementation nationale peut prévoir qu’il revient au pouvoir adjudicateur de déterminer au cas par cas s’il convient de mettre en œuvre l’interdiction de soumissionner conformément au principe de proportionnalité. Il en va toutefois autrement si le pouvoir adjudicateur a prévu dans le règlement de consultation du marché qu’une exclusion automatique s’appliquerait : dans ce cas il est tenu d’appliquer les règles qu’il s’est lui-même fixées (CJUE, 14 déc. 2016, aff. C-171/15, Connexion Taxi Services BV c/ Staat der Nederlanden ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 39, note M. Ubaud-Bergeron).

  • Choix de l’offre

Le Conseil d’Etat valide l’utilisation de la méthode du « chantier masqué » sans que les acheteurs n’aient à informer les candidats du recours à cette méthode dans les documents de la consultation (CE, 16 nov. 2016, n° 401660, Sté des Travaux électriques du midi (TEM) ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 5, note M. Ubaud-Bergeron ; AJDA 2017, p. 537, note J.-F. Calmette).

Il précise par ailleurs que l’acheteur « ne manque pas non plus à ses obligations de mise en concurrence en élaborant plusieurs commandes fictives et en tirant au sort, avant l’ouverture des plis, celle à partir de laquelle le critère du prix sera évalué, à la triple condition que les simulations correspondent toutes à l’objet du marché, que le choix du contenu de la simulation n’ait pas pour effet d’en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s’en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation ».

  • Examen des offres : offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées

Le sort des offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées est désormais fixé par l’article 59 du décret du 25 mars 2016 sur les marchés publics. Ayant à se prononcer à propos d’un marché public passé en application de l’ « ancien » code, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’une offre méconnaissant la législation sur le prix des livres devait être considérée comme inacceptable au sens de l’article 35 de ce code (CE, 28 sept. 2016, n° 400393, Sté Bibliotéca : JurisData n° 2016-020366 ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 278, note M. Ubaud-Bergeron). Une telle offre serait considérée comme une offre irrégulière en application de la nouvelle réglementation. Elle aurait néanmoins une chance de ne pas être automatiquement éliminée dans la mesure où les nouveaux textes facilitent la régularisation des offres lorsqu’elles ne sont pas inacceptables.

Se prononçant également dans le cadre du code des marchés publics, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré que, lorsque les documents de la consultation prévoyaient une solution de base en interdisant toute variante, une offre présentant une telle variante doit être considérée comme irrégulière même si la solution de base était irréalisable (CAA Bordeaux, 15 nov. 2016, n° 15BX00190, Dpt Pyrénées Atlantique c/ Sté Nouvelle Paybou ;Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 10).

Cette même Cour est venue préciser les obligations qui pèsent sur une entreprise placée en redressement judiciaire. Elle considère qu’une telle entreprise est tenue de joindre à son offre la copie du jugement arrêtant le plan de redressement et doit indiquer quelle est sa situation dans la déclaration de candidature. Ainsi, le fait d’indiquer dans sa déclaration de candidature qu’elle n’est pas placée en redressement rend son offre irrégulière : elle est alors dépourvue de toute chance d’obtenir le marché et ne peut pas prétendre à une quelconque indemnité (CAA Bordeaux, 1er déc. 2016, n° 14BX01718, Sté entreprise de bâtiment Dus ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 42, obs. H. Hoepffner). La nouvelle réglementation reprend les dispositions du code sur ce point et cette solution devrait donc être reprise par la suite.

  • Sous-traitance

Le Conseil d’Etat est venu préciser sous quelles conditions il est possible de de réduire le droit au paiement direct des sous-traitants (CE, 27 janvier 2017, n° 397311, Sté Baudin Châteauneuf Dervaux ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 88, note M. Ubaud-Bergeron). La question posée ici était de savoir si, dans le cadre d’un marché public de travaux, le maître d’ouvrage et l’entrepreneur peuvent conclure un acte spécial modificatif réduisant le montant du droit au paiement direct du sous-traitant.

Le Conseil d’Etat y apporte une réponse claire en précisant « qu’en l’absence de modification des stipulations du contrat de sous-traitance relatives au volume des prestations du marché dont le sous-traitant assure l’exécution ou à leur montant, le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal ne peuvent, par un acte spécial modificatif, réduire le droit au paiement direct du sous-traitant dans le but de tenir compte des conditions dans lesquelles les prestations sous-traitées ont été exécutées ». Il apparaît ainsi que l’acte spécial de sous-traitance ne peut pas être modifié sans que le contrat de sous-traitance ne le soit également. Or, si le sous-traitant est un tiers à l’égard de l’acte spécial de sous-traitance, il est cocontractant dans le cadre du contrat signé avec l’entrepreneur principal.

En dépit des innovations textuelles, la jurisprudence continue donc d’être une source non-négligeable du droit des marchés publics, notamment pour les procédures de passation.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 192.

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ParJDA

Pas de délégation de l’activité de service public sans contrôle de la personne publique

par Camille CUBAYNES,
Doctorante contractuelle en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

Note sous Conseil d’État, 9 décembre 2016, n° 396352

Pas de délégation de l’activité de service public sans contrôle de la personne publique

Art. 109. Le jour où le Président de la République promulguait la loi n° 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II qui venait notamment ratifier les ordonnances[1] de transposition des directives européennes « marchés »[2] et « concessions »[3], le Conseil d’État rendait une décision rappelant l’importance du critère du contrôle dans la reconnaissance d’une mission de service public.

Bien que classique, la question de l’existence d’une mission de service public est d’importance, puisque la délégation de sa gestion à un tiers devra, dès lors, faire l’objet d’une procédure spécifique, imposant notamment des obligations de publicité et mise en concurrence.

Par convention conclue le 1er février 2010, la commune de Fontvieille a confié à Mme B l’exploitation touristique de deux sites historiques, l’un, propriété privée dont la commune exerce la gestion (Moulin de Daudet), l’autre, propriété publique de la commune (Château de Montauban). Le contrat, conclu pour une durée de 11 mois, mettait à la charge de son titulaire l’ouverture au public du Moulin de Daudet 7 jours sur 7 et celle du Château de Montauban, au moins pour la durée des vacances scolaires, ainsi que le versement d’une redevance mensuelle de 7 500 euros. Celui-ci se rémunère sur les droits d’entrée perçus du public ainsi que sur la vente de divers produits dérivés (ventes de souvenirs, cartes postales, livres). Certaines échéances n’ayant pas été honorées par Mme B, la commune lui a adressé plusieurs titres exécutoires.

Après avoir sollicité, en vain, la remise gracieuse de ces titres, cette dernière saisit alors le Tribunal administratif de Marseille afin que celui-ci reconnaissance leur illégalité. La requérante se prévaut pour cela de l’article L. 1411-2 du CGCT. En vertu de ce dernier en effet, « Les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante doivent être justifiés dans ces conventions. », ce qui n’est pas le cas dans la convention. La requérante estime donc que le contrat dont elle est titulaire constitue une délégation de service public.

Déboutée en première instance, la requérante obtient satisfaction auprès de la Cour administrative d’appel de Marseille qui reconnaît la nature de service public à la mission confiée à Mme B et annule de fait les titres exécutoires litigieux.

Réfutant la qualité de délégation de service public au contrat conclu le 1er février 2010, la commune se pourvoit en cassation.

Classique mais récurrente, la question posée au juge administratif tenait ainsi dans la qualification du contrat. Il convenait de déterminer si le contrat confiant l’exploitation des sites touristiques en cause constituait, ou non, une délégation d’un service public. De la qualification ainsi retenue découle en effet le régime applicable à cette convention, notamment, en l’espèce, la légalité du montant et du calcul des redevances et de leur recouvrement.

Constatant l’absence de contrôle de la commune sur l’activité prise en charge par la requérante, le Conseil d’État, sans toutefois rechercher lui-même la qualification du contrat litigieux, lui dénie la qualité de délégation de service public (I). Les juges du Palais Royal estiment leur raisonnement conforté par le fait que la convention contenait une clause permettant à son titulaire de résilier unilatéralement le contrat à tout moment, moyennant un préavis de seulement 3 mois (II).

I – Le rappel du caractère prépondérant du critère du contrôle dans la qualification d’activité de service public

Afin de déterminer la nature de l’activité en cause, le Conseil d’État va contrôler si les exigences constantes de la jurisprudence pour que soit reconnue la qualité d’activité de service public sont, en l’espèce, remplies.

On sait qu’en l’absence de qualification légale, l’activité exercée par une personne privée peut être reconnue comme constituant la gestion d’une mission de service public dans deux hypothèses. Il en sera tout d’abord ainsi si l’activité en cause présente un caractère d’intérêt général, fait l’objet d’un contrôle exercé par une personne publique et engendre la détention par son gestionnaire de prérogatives de puissance publique (Conseil d’État, Section, 28 juin 1963, Sieur Narcy). En l’absence de telles prérogatives, la jurisprudence a accepté que la personne privée soit néanmoins reconnue comme délégataire d’une activité de service public « eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints » l’ensemble de ces éléments laissant apparaître « que l’administration a entendu lui confier une telle mission » (Conseil d’État, Section, 22 février 2007, Association du Personnel Relevant des Établissements pour Inadaptés – APREI).

Mme B n’étant pas titulaire de prérogatives de puissance publique, c’est cette seconde hypothèse qu’étudie le juge. Celui-ci concentre son analyse sur le fait de savoir si la personne publique exerce un contrôle sur l’activité en cause. L’exigence relative à son caractère d’intérêt général n’est pas mentionnée, non pas qu’elle n’ait pas été envisagée, mais simplement parce que cette qualité ne pose pas question ici. Sont simplement rappelés les caractères historique et littéraire des deux sites, qui ne sauraient, à eux-seuls permettre de qualifier l’activité de service public[4].

Sans surprise, c’est donc le critère du contrôle qui cristallise les termes du débat. À défaut, en effet, l’activité d’intérêt général ne pourra être qualifiée de service public et la qualification de délégation de service public retenue. Il s’agit donc d’une affaire d’espèce. C’est ainsi que sur des activités pourtant similaires (gestion d’un festival de musique) le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de conclure à la nature de service public (Conseil d’État, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n° 284736) ou à la réfuter (Conseil d’État, 23 mai 2011, Commune de Six-Four les Plages, n° 342520).

En l’espèce le Conseil d’État estime qu’en se contentant de fixer les jours d’ouverture des sites et en imposant à la preneuse d’en respecter le caractère historique et culturel, celle-ci n’a pas exercé, sur l’activité, un contrôle manifestant sa volonté d’en faire une mission de service public. La preneuse était en effet libre de fixer le montant des droits d’entrée, le contenu des visites, leur fréquence, ainsi que le prix et la nature des produits vendus dans le cadre de l’activité annexe, exception faite du seul fait que « les produits vendus sur les sites ne peuvent être alimentaires ou de ‘’nature dévalorisante ou anachronique pour l’image et la qualité des lieux’’ » (cons. 2 et 3). Ces éléments justifient sans surprise que le Conseil d’État dénie la qualité de service public à l’activité exercée par la requérante.

La décision n’est pas inédite. Il en avait été de même dans la célèbre décision du Stade Jean Bouin (Conseil d’État, 3 décembre 2010, n° 338272), où, constatant de façon similaire l’absence de contrôle exercé par la personne publique, Nathalie Escaut, rapporteur public sur l’affaire, estimait que dans ces conditions, « il […] paraît très difficile d’identifier une quelconque mission de service public »[5]. Suivant son raisonnement, le Conseil d’État avait conclu que les stipulations de la convention liant la ville de Paris à l’Association Paris Jean Bouin imposant certaines prescriptions à l’association « s’inscriv[aient] dans le cadre des obligations que l’autorité chargée de la gestion du domaine public peut imposer, tant dans l’intérêt du domaine et de son affectation que dans l’intérêt général, aux concessionnaires du domaine » (cons. 19) mais ne sauraient en aucun cas traduire « un contrôle permettant de caractériser la volonté de la ville d’ériger ces activités en mission de service public » (cons. 18)[6].

La conviction du Conseil d’État est confortée par la présence d’une clause de rupture unilatérale au bénéfice du titulaire du contrat.

II – La confirmation de l’impossible résiliation unilatérale de la délégation de service public, par le délégataire

L’absence du critère du contrôle de l’activité exercée par la personne privée, justifie, en l’absence de qualification législative ou de prérogatives de puissance publique, à dénier le caractère de service public à celle-ci.

Le Conseil d’État estime cependant, que « au surplus » (cons. 3), la présence dans la convention litigieuse d’une clause conférant au titulaire un pouvoir de résiliation unilatérale, ne fait que conforter son analyse refusant à celle-ci le caractère de délégation de service public.

Il faut rappeler que ce pouvoir de résiliation unilatérale est longtemps resté l’apanage de la personne publique et constituait, au même titre que le pouvoir de modification unilatéral, l’expression du régime des contrats administratifs.

La jurisprudence a cependant reconnu au travers de l’arrêt Société Grenke Location[7], la possibilité pour les parties à un contrat public d’introduire une clause de résiliation unilatérale au bénéfice du cocontractant de l’administration. Qualifiée de « reconnaissance apparente » par la doctrine[8], l’existence et l’exercice d’une telle possibilité est en effet très encadrée.

À titre préliminaire et en tout état de cause, l’existence du droit de résiliation unilatérale ne saurait être exercé qu’en raison de méconnaissances, par l’administration, de ses obligations contractuelles (condition 1). Il faut que cette possibilité ait été prévue contractuellement (condition 2) et que le contrat en cause ne porte pas sur l’exécution même du service public (condition 3). En outre, lorsque le cocontractant souhaite activer cette clause et mettre fin au contrat, celui-ci doit avoir permis à la personne publique de s’opposer à la rupture pour un motif d’intérêt général (condition 4). Dans ce cas, si le cocontractant est libre de contester devant le juge le motif d’intérêt général qui lui est opposé, il est toutefois tenu de poursuivre l’exécution, sous peine de voir prononcer la résiliation à ses torts exclusifs.

En l’espèce, c’est la condition n° 3 qui poserait problème si le contrat litigieux consistait bien, ainsi que le soutient la requérante (confortée en cela par la Cour administrative d’appel de Marseille), une délégation de service public.

Il s’agit là d’un élément supplémentaire en défaveur de la qualification de délégation de service public, ce que souligne le juge en précisant, après avoir constaté l’absence de contrôle : « qu’eu égard, au surplus, à la faculté donnée à la preneuse de révoquer la convention à tout moment et à la brièveté du préavis applicable, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique en jugeant que ce contrat avait pour objet de faire participer directement Mme B…à l’exécution du service public culturel » (cons. 3, nous soulignons). Il ne s’agit bien ici que d’un indice et non un élément, en lui-même, discriminant la qualification de délégation de service public. Si le contrat avait été une délégation de service public, l’insertion d’une telle clause aurait été illégale. Il aurait alors fallu juger de son caractère divisible du reste du contrat pour déterminer les conséquences de son annulation[9].

On peut noter pour finir que le Conseil d’État ne recherche pas, après annulation, la qualification du contrat litigieux, comme il le fait pourtant souvent sur le fondement de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative. Il reviendra alors à la Cour administrative d’appel de Marseille devant laquelle l’affaire est renvoyée, d’envisager la qualification éventuelle de marché ou de simple convention d’occupation du domaine.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 02 ; Art. 109.

[1] Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics et Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, relative aux contrats de concession.

[2] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics.

[3] Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession.

[4] C’est ce que prend soin de rappeler le Conseil d’État en sanctionnant l’erreur de qualification de la Cour administrative d’appel de Marseille qui se fondait principalement sur cet aspect pour reconnaitre la qualité de délégation de service public du contrat litigieux « la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique en jugeant que ce contrat avait pour objet de faire participer directement Mme B…à l’exécution du service public culturel en raison de la dimension historique et littéraire des lieux et constituait une délégation de service public » (cons. 3, nous soulignons).

[5] Escaut (N.), « La reconstruction du stade Jean Bouin est-elle une délégation de service public ? Les conventions d’occupation domaniale doivent-elles faire l’objet de publicité et de mise en concurrence ? », BJCP, Janvier 2011, n° 74, p. 36 à 54.

[6] Cette décision concluait également à l’absence de nécessité de mise en concurrence des conventions d’occupations du domaine. La position du Conseil d’État devrait bientôt évoluer tant sous l’effet de la jurisprudence européenne (CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, Aff C-458/14 et Mario Melis e.a., Aff. C-67/15) que du législateur interne, ce dernier ayant habilité le gouvernement à prendre par ordonnance : « Les règles d’occupation et de sous-occupation du domaine public, en vue notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable applicables à certaines autorisations d’occupation et de préciser l’étendue des droits et obligations des bénéficiaires de ces autorisations » par la loi Sapin II.

[7] Conseil d’État, 8 octobre 2014, Société Grenke Location, n° 370644.

[8] Mestres (J.) et Minaire (G.), « La reconnaissance apparente d’une résiliation du contrat administratif à l’initiative du cocontractant privé », Contrats publics – Le Moniteur, n° 149, Décembre 2014, p. 62 à 66.

[9] En ce sens, voir le raisonnement de la Cour administrative d’appel de Douai, validant l’insertion d’une clause de résiliation unilatérale sanctionnée en première instance par le tribunal administratif et précisant que cette clause était divisible du reste du contrat (CAA Douai 4 février 2016, N° 15DA01296, cons. 13).

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ParJDA

Les « nouvelles » procédures de passation des contrats de concession

Art. 107.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

A la différence des changements observables en matière de marchés publics, la réforme de la commande publique marque une véritable rupture avec le droit antérieur en ce qui concerne les contrats de concession. Ces situations disparates au sein même de la réforme ne s’expliquent pas tant par les règles nouvelles qui sont mises en place par l’Ordonnance du 29 janvier 2016 (Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, JORF du 30 janvier 2016, texte n° 66) et son décret d’application (Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, JORF du 2 février 2016, texte 20), mais par le fait que ces textes reposent sur une catégorie de contrats qui était jusque-là une quasi-inconnue pour le droit administratif français.

Il est vrai que ce dernier envisage depuis longtemps un certain nombre de concessions qui vont de la concession de service public à des concessions plus spécifiques, telles que les concessions de plage, d’endigage ou de mines. Pour autant, si la notion de concession peut être considérée comme une notion traditionnelle du droit administratif français, sa définition évolue sous l’effet des nouveaux textes (cf. article de la chronique consacré aux nouvelles notions du droit de la commande publique). Ainsi, l’Ordonnance définit les contrats de concession comme « les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix » (art. 5). Certes, il n’est pas question des « concessions » en tant que telles mais des « contrats de concession », mais il n’en demeure pas moins que la définition retenue est inédite en ce qu’elle consacre une nouvelle notion majeure du droit des contrats publics à côté de celle de marché public.

Pour autant, l’évolution des catégories et des notions n’épuise pas à elle seule les changements apportés par ces textes. En effet, bien qu’elle s’inscrive dans la logique générale du droit de la commande publique, la nouvelle réglementation applicable aux contrats de concession constitue – en tant que telle – une innovation et mérite donc une attention particulière.

L’ensemble des règles applicables ne pouvant pas raisonnablement être présentées ici, seules certaines d’entre elles seront abordées en distinguant les évolutions affectant la phase préalable au lancement de la procédure et le déroulement de la procédure de passation. Il convient néanmoins d’ores et déjà de préciser que le caractère novateur de ces règles n’est pas exactement le même pour tous les contrats de concession, dans la mesure où ces derniers étant auparavant soumis à des textes épars. Dans la plupart des hypothèses, l’Ordonnance et son décret d’application conduisent donc à une rigidification des procédures. Celle-ci concerne bien évidemment les délégations de service public anciennement soumises aux dispositions de la loi Sapin 1 (Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, JORF du 30 janvier 1993 p. 1588), mais également d’autres contrats à l’image des contrats de concession de travaux publics qui relevaient de l’Ordonnance de 2009  (Ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics, JORF du 16 juillet 2009 p. 11853). Pour autant, si les procédures applicables sont largement inspirées du droit des marchés publics, elles doivent être considérées comme mettant en place une réglementation « allégée » par rapport à celle issue de l’Ordonnance « marchés publics » et de son décret d’application.

Les nouvelles règles de la phase préalable à la passation

Avant le lancement de la procédure de passation, les autorités concédantes doivent procéder à une définition préalable de leurs besoins (Ordonnance, art. 27 et 28).

Cette phase était déjà imposée depuis 2009 pour les contrats de concession de travaux mais elle ne concernait pas les délégations de service public. De plus, elle ne remplace pas les obligations spécifiques qui existent en matière de délégations de service public, à l’image du vote obligatoire des assemblées délibérantes sur le principe de toute délégation d’un service public local. En outre, les textes exigent désormais que la définition des besoins par l’autorité concédante soit effectuée en faisant référence à des spécifications techniques et/ ou en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles (Ordonnance, art. 30 ; Décret, art. 2). Il s’agit d’une évolution notable par rapport à loi Sapin 1 qui « restait sur ce point très minimaliste » (F. Linditch, « Les contrats de délégation de service public après l’ordonnance du 29 janvier 2016 », Contrats-Marchés publ. 2016, dossier 6), mais également par rapport à l’Ordonnance de 2009. Enfin, comme en matière de marchés publics, cette définition préalable des besoins doit se poursuivre par une estimation de la valeur de la concession (Décret, art. 7 et 8) afin, notamment, de déterminer quelle sera la procédure de passation applicable.

Par ailleurs, le contenu des contrats de concession fait désormais l’objet d’un encadrement au travers de dispositions générales (Ordonnance, art. 30 à 34). Celles-ci permettent notamment d’interdire la prise en charge de prestations étrangères à l’objet de la concession, d’imposer la définition des tarifs à la charge des usagers, ou encore de limiter la durée des contrats de concession.

Enfin, les autorités concédantes se voient reconnaître de nouvelles possibilités inspirées elles aussi du droit des marchés publics. Ces autorités peuvent ainsi décider de constituer des groupements entre elles ou avec des personnes morales de droit privé pour passer conjointement leurs contrats de concession (Ordonnance, art. 26). De plus, elles peuvent également choisir de réserver leurs contrats aux opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés (Ordonnance, art. 29).

La réforme permet ainsi la mise en place d’une phase complète antérieure au lancement de la procédure de passation. Celle-ci se trouve renforcée par rapport aux obligations qui prévalaient avant l’entrée en vigueur des nouveaux textes. Néanmoins, cette phase reste en retrait par rapport à celle imposée en matière de marchés publics, ce qui s’explique par la liberté accrue dont disposent les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices lorsqu’ils agissent en tant qu’autorités concédantes plutôt qu’en tant qu’acheteurs.

Les nouvelles règles de la procédure de passation

Ces nouvelles règles, même si elles s’inscrivent dans le prolongement de la réglementation antérieure et de la jurisprudence du Conseil d’Etat, encadrent assez strictement la procédure de passation des contrats de concession, en dépit de la réaffirmation du principe de la liberté de l’autorité concédante dans l’organisation de cette procédure (Ordonnance, art. 36).

La principale nouveauté résulte de la distinction entre les contrats de concession d’un montant supérieur au seuil européen de 5 225 000 € HT et ceux définis à l’article 10 du décret. Ces derniers correspondent aux contrats de concession dont la valeur estimée est inférieure au seuil européen ou qui, quelle que soit leur valeur, répondent à des objets spécifiques. Il convient donc désormais de distinguer les contrats de concession passés selon une procédure formalisée et ceux passés selon une procédure adaptée. L’alignement sur le droit des marchés publics est, de ce point de vue, particulièrement frappant. Il est d’ailleurs renforcé par la reconnaissance d’une troisième catégorie de contrats de concession : ceux pouvant être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables (Décret, art. 11).

Ces distinctions entraînent la reconnaissance d’obligations de publicité et de mise en concurrence différenciées en fonction de la catégorie à laquelle les contrats de concession passés appartiennent. Des règles minimales – parfois qualifiées de « communes » (O. Didriche, « Les nouvelles règles en matière de passation des contrats de concession au lendemain de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 », AJCT 2016, p. 243) – sont ainsi rendues obligatoires pour les contrats de concession passés selon une procédure adaptée, tandis que des règles plus strictes sont imposées pour les contrats passés selon une procédure formalisée. Enfin, seuls les contrats de concession qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence préalable. Cette possibilité est néanmoins étendue – sous conditions – aux hypothèses dans lesquelles aucune candidature ou aucune offre n’a été reçue, ou dans lesquelles seules des candidatures irrecevables ou des offres inappropriées ont été déposées (Décret, art. 11).

Par ailleurs, il convient de souligner qu’au-delà de l’application de règles différentes en fonction de la procédure applicable, d’autres nouveautés inspirées du droit des marchés publics sont consacrées. Parmi celles-ci, et à défaut d’exhaustivité, il est possible d’évoquer la mise en place de mesures plus contraignantes s’agissant des documents de la consultation (Décret, art. 4 et 5), ou encore la distinction entre les interdictions obligatoires et les interdictions facultatives à propos des interdictions de soumissionner (Ordonnance, art. 39 à 42). Ces évolutions permettent davantage encore d’observer le mouvement de rapprochement à l’œuvre du droit des concessions vers le droit des marchés publics.

Ainsi, si la rupture avec le droit antérieur résulte principalement de la consécration de la notion européenne de contrat de concession, le renouvellement ne se limite pas à cet aspect. Il existe en effet bel et bien un nouveau droit des contrats de concession, lequel repose sur un régime juridique précis, proche du droit des marchés publics mais bien plus souple que ce dernier.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 107.

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ParJDA

Les « nouvelles » procédures de passation des marchés publics

Art. 106.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Alors même qu’elle est présentée comme marquant « une simplification du droit des marchés publics » (R. Noguellou, « Le nouveau champ d’application du droit des marchés publics », AJDA 2015, p. 1789), la réforme de la commande publique constitue une source d’inquiétudes pour les acheteurs. L’abrogation des anciens textes, et notamment du Code des marchés publics, laisse supposer une véritable révolution de la réglementation applicable que les praticiens doivent d’ores et déjà avoir intégrée.

Pourtant, si l’importance des changements provoqués est incontestable, l’Ordonnance sur les marchés publics (Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, JORF n°0169 du 24 juillet 2015 p. 12602, texte n° 38) et son Décret d’application (Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, JORF n°0074 du 27 mars 2016, texte n° 28) ne méritent pas d’être considérés comme des textes révolutionnaires s’agissant des procédures de passation. Ils s’inscrivent en effet dans la continuité de l’ancienne réglementation et pérennisent en réalité en grande partie les dispositions du Code des marchés publics dans sa version pré-abrogation.

L’Ordonnance et son Décret organisent donc des avancées relatives ou « contenues » qui sont observables à la fois du point de vue de la typologie des procédures et au niveau des règles applicables tout au long de la procédure de passation.

Une oscillation entre maintien et renouvellement de la typologie des procédures

Les distinctions entre les différentes procédures de passation utilisables reprennent dans une large mesure le découpage antérieurement applicable sous l’empire du Code des marchés publics. La distinction principale reste donc celle entre les marchés publics passés selon une procédure formalisée et les marchés publics passés en procédure adaptée (Ordonnance, art. 42). Néanmoins, au-delà du maintien de ce découpage, des évolutions sont perceptibles tant en ce qui concerne les hypothèses de recours à la procédure adaptée que s’agissant du choix entre les différentes procédures formalisées. De plus, une nouvelle distinction est désormais imposée avec les marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalable.

Les différents marchés passés en procédure adaptée

Les hypothèses permettant de recourir à une procédure adaptée évoluent en partie. L’utilisation de cette procédure reste prévue s’agissant des marchés publics pour lesquels la valeur estimée du besoin est inférieure aux seuils européens (Décret, art. 27) mais elle ne concerne plus les « marchés de services » comme le prévoyait le Code des marchés publics. Elle concerne désormais de nouveaux marchés publics de services qualifiés de marchés publics ayant pour objet des services sociaux ou d’autres services spécifiques (Décret, art. 28), ainsi que les marchés publics de services juridiques de représentation (Décret, art. 29). C’est donc principalement la liste des marchés publics pouvant être passés selon une procédure adaptée en raison de leur objet qui évolue par rapport à la réglementation antérieure.

Par ailleurs, il convient de relever que les textes maintiennent la possibilité d’utiliser une procédure adaptée pour la passation de certains lots – habituellement qualifiés de lots de « faible montant » – dans le cadre de marchés publics allotis dont la valeur estimée est supérieure aux seuils des procédures formalisées de passation (Décret, art. 22).

L’autonomisation des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalable

Les nouveaux textes n’envisagent plus les marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalable comme une catégorie particulière de marchés passés en procédure adaptée mais comme une catégorie à part entière (Décret, art. 30). Certains d’entre eux sont d’ailleurs d’ores et déjà envisagés comme des « marchés du troisième type » (F. Linditch, « Les marchés publics répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 25 000 euros HT . – Marchés du troisième type ? », JCP A 2016, 2142). Cette différenciation d’avec les marchés passés en procédure adaptée permet donc de considérer désormais qu’il existe trois catégories de procédures utilisables en matière de marchés publics : les procédures formalisées, les procédures adaptées et les procédures sans publicité ni mise en concurrence préalable. La question reste cependant de savoir si ces dernières méritent véritablement d’être qualifiées de procédures…

Les différentes procédures formalisées reconnues

Le Code des marchés publics prévoyait l’existence de cinq procédures formalisées différentes, tout en faisant de l’appel d’offres la procédure de principe. L’article 42, 1° de l’Ordonnance « marchés publics » consacre quant à lui quatre procédures formalisées : la procédure d’appel d’offres (ouvert ou restreint), la procédure concurrentielle avec négociation, la procédure négociée avec mise en concurrence et la procédure du dialogue compétitif.

La principale évolution résulte de la distinction entre les marchés publics passés par des pouvoirs adjudicateurs et ceux passés par des entités adjudicatrices. Les textes réservent en effet l’utilisation de la procédure concurrentielle avec négociation aux pouvoirs adjudicateurs, tandis que la procédure négociée avec mise en concurrence ne peut être utilisée que par les entités adjudicatrices. Ces dernières sont d’ailleurs les seules à bénéficier d’un véritable choix s’agissant de la procédure formalisée qu’elles souhaitent utiliser : elles peuvent ainsi librement choisir entre l’appel d’offres, la procédure négociée avec mise en concurrence préalable, et le dialogue compétitif. A l’inverse, seule la procédure d’appel d’offres n’est pas soumise à conditions pour les pouvoirs adjudicateurs. Le remplacement de la procédure négociée avec publicité et mise en concurrence par la procédure concurrentielle avec négociation permet de faciliter le recours à la négociation pour les pouvoirs adjudicateurs mais cette possibilité reste enfermée dans des conditions relativement strictes (Décret, art. 25, II).

Enfin, il convient de préciser que le concours et le système d’acquisition dynamique disparaissent de la nomenclature des procédures formalisées de passation mais que leur disparition n’est pas absolue. Le concours est désormais envisagé comme un mode de sélection des candidats dans le cadre d’une procédure de passation (Ordonnance, art. 8), tandis que le système d’acquisition dynamique fait l’objet de dispositions spécifiques parmi les « techniques particulières d’achat » (Décret, art. 81 à 83).

Les évolutions de la typologie des procédures sont donc réelles mais elles ne doivent pas effrayer les acheteurs ni les praticiens : elles ne marquent pas de rupture et correspondent pour l’essentiel à une réorganisation de la réglementation antérieure dans un but de simplification. Or, un constat identique peut être effectué s’agissant du déroulement des procédures de passation.

La consécration de changements nombreux pour le déroulement de la procédure

La procédure de passation des marchés publics obéit à de très nombreuses règles contenues à la fois dans l’Ordonnance et dans son Décret d’application. Celles-ci ne sont pas exactement les mêmes que celles prévues par les anciens articles du Code des marchés publics même si, dans la plupart des hypothèses, elles n’en sont que la reprise ou le prolongement. Ce n’est donc qu’à la marge que de véritables règles novatrices sont consacrées, ce qui n’enlève rien à leur importance. A défaut d’exhaustivité, certaines innovations peuvent être présentées en reprenant la distinction entre les règles applicables en amont de la procédure et celles qui interviennent au cours de cette dernière.

Les règles applicables en amont de la procédure

Parmi les innovations notables, il est tout d’abord possible de préciser que les textes confirment la possibilité de confier la passation des marchés publics à une centrale d’achat (art. 27 de l’Ordonnance) ou de constituer un groupement de commandes (art. 28 de l’Ordonnance) mais en facilitant la possibilité de recourir à de telles structures (S. Braconnier, « Les règles d’attribution des contrats », RFDA 2016, p. 252). De plus, il est désormais également possible de confier la procédure de passation à une entité commune transnationale (art. 29 de l’Ordonnance).

Par ailleurs, l’encadrement de la définition des spécifications techniques évolue légèrement : il existe désormais une liste hiérarchisée des normes susceptibles d’être utilisées pour cette définition (art. 6, II du décret). La hiérarchisation va des normes nationales ne faisant que transposer des normes européennes jusqu’aux spécifications techniques exclusivement nationales. Le Décret innove également en prévoyant la possibilité d’utiliser des labels parmi les spécifications techniques (art. 10) ou d’imposer la fourniture de rapports d’essai ou de certificats pour démontrer la conformité de la candidature aux spécifications techniques (art. 11). Cette possibilité doit notamment permettre une prise en compte accrue des considérations sociales et environnementales mais des doutes persistent sur l’efficacité de ces nouvelles dispositions (P. Idoux, « Les considérations sociales et environnementales », RFDA 2016, p. 260).

D’autre part, dès le début de la phase de définition préalable des besoins, il est désormais possible de procéder à des études et à des échanges préalables avec des opérateurs économiques pour aider l’acheteur à préciser son projet (Décret, art. 4). Les acheteurs doivent néanmoins être vigilants quant à l’utilisation de cette possibilité car la participation préalable d’un opérateur économique à la préparation de la procédure pourra conduire à son exclusion si persiste un risque de fausser la concurrence (Décret, art.5).

Enfin, les nouveaux textes modifient et étendent la possibilité de réserver certains marchés publics soit en faveur des opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés (art. 36 de l’Ordonnance), soit en faveur des entreprises de l’économie sociale et solidaire (art. 37 de l’Ordonnance).

Les règles applicables au cours de la procédure

Les grandes lignes demeurent mais, à l’intérieur des différentes phases de la procédure de passation, certaines règles évoluent.

Parmi ces évolutions, il est tout d’abord possible de relever que, dès le lancement de la procédure, une évaluation préalable du mode de réalisation du projet est imposée pour les marchés publics dont le montant est supérieur à 100 millions d’euros HT (Ordonnance, art. 40).

Par ailleurs, des obligations plus strictes sont imposées en matière d’allotissement. Désormais tous les acheteurs sont en effet soumis à l’obligation d’allotir, ce qui inclut les acheteurs qui ne relevaient pas du Code des marchés publics mais de l’Ordonnance du 6 juin 2005. En revanche si la formulation des exceptions à l’obligation d’allotir évolue, elles ne devraient pas sensiblement évoluer en pratique (Ordonnance, art. 32).

Parmi les contraintes nouvelles qui pèsent sur les acheteurs, il est également possible d’évoquer l’obligation progressive de recourir à des communications et des échanges d’informations par voie électronique (Décret, art. 40 et 41).

En sens inverse, les nouveaux textes développent le pouvoir reconnu aux acheteurs quant aux interdictions de soumissionner en distinguant des interdictions de soumissionner obligatoires et générales et des interdictions facultatives (Ordonnance, art. 45 à 49). En effet, si les interdictions obligatoires correspondent à la liste qui existait déjà dans le code des marchés publics, l’ordonnance introduit une possibilité de dérogation. Surtout, les interdictions facultatives constituent une véritable nouveauté pour les acheteurs qui vont désormais pouvoir écarter des candidatures pour des motifs spécifiques, mais uniquement s’ils le souhaitent.

Enfin, il est nécessaire de relever que des obligations nouvelles sont consacrées s’agissant de l’information des concurrents évincés, en particulier dans le cadre des marchés passés en procédure adaptée. Dans le cadre de tels marchés l’acheteur doit ainsi notifier à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre dès qu’il décide de rejeter une candidature ou une offre (Décret, art. 99).

Cette liste des différentes évolutions est nécessairement lacunaire et d’autres mériteraient d’être évoquées (réduction des délais minimaux de réception des candidatures et des offres, nouvelles possibilités de régularisation des offres, possibilité d’utiliser un critère unique différent du prix pour l’attribution…). Elle démontre cependant que, loin de « simplifier » immédiatement la vie des acheteurs, la réforme introduit un nombre important de nouveautés qui ne pourront produire des effets bénéfiques qu’après un nécessaire temps d’adaptation.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 106.

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ParJDA

La notion de contrat administratif face au nouveau droit de la commande publique : réflexions sur quelques évolutions récentes

Art. 105.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

La mise en place d’un véritable droit de la commande publique est saluée comme une avancée nécessaire allant dans le sens d’une simplification du droit applicable (v. notamment : F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « L’abrogation du code des marchés publics par l’ordonnance du 23 juillet 2015 », Contrats-Marchés publ. 2015, Repère 9 ; J. Maïa, « Les nouvelles dispositions sur les contrats de la commande publique », RFDA 2016, p. 197). Cette modernisation supposée du droit applicable entraîne la rédaction d’un grand nombre d’études qui ont pour principal objet de déterminer en quoi les nouveaux textes modifient la réglementation applicable. De tels travaux sont nécessaires – et même indispensables – pour les praticiens de la commande publique (la chronique en fait d’ailleurs partiellement état). Pour autant, ces réformes ne doivent pas faire oublier une notion essentielle, celle de contrat administratif.

L’actualité du droit des contrats passés par les personnes publiques ou du champ public révèle en effet un affaiblissement de la notion de contrat administratif, si ce n’est une perte de sens de cette dernière.

Cette notion fait partie de celles qui sont considérées comme des notions structurantes du droit administratif : le contrat administratif n’est pas le moyen d’action « ordinaire » de l’administration mais il est admis que l’administration utilise – ce qu’elle fait de plus en plus – le procédé contractuel pour remplir certaines de ses missions. Certes, le contrat administratif n’est peut-être « pas né contrat » (Y. Gaudemet, « Pour une nouvelle théorie générale du droit des contrats administratifs : mesurer les difficultés d’une entreprise nécessaire », RDP 2010, n°2, p. 313) et la notion de contrat administratif n’est véritablement apparue que par la systématisation et par l’extension du droit applicable aux anciennes concessions (v. notamment : F. Burdeau, Histoire du droit administratif, PUF, 1995. G. Bigot, Introduction historique au droit administratif depuis 1789, PUF, 2002) ; il n’en demeure pas moins que les contrats administratifs sont désormais considérés comme de véritables contrats et que le droit des contrats administratifs est généralement envisagé comme un ensemble relativement structuré.

La question se pose néanmoins de savoir si la notion de contrat administratif mérite réellement toute l’attention dont elle fait l’objet. Il apparaît en effet que les développements jurisprudentiels récents ont conduit cette notion à se recroqueviller sur elle-même, la cantonnant dans des limites extrêmement restrictives (I) tandis que, dans le même temps, la réforme de la commande publique remet en cause sa raison d’être originelle (II).

Une notion enfermée dans ses critères

En tant qu’objet ou outil, le contrat est traditionnellement envisagé et présenté comme un acte de droit privé. Ceci explique que, jusqu’à l’abandon de la distinction entre actes d’autorité et actes de gestion – et en-dehors des qualifications législatives –, tous les contrats de l’administration étaient considérés comme des actes de droit privé, c’est-à-dire comme des contrats de droit commun relevant de la compétence des juridictions judiciaires (A. de Laubadère, Traité théorique et pratique des contrats administratifs, LGDJ 1956, t. 1, spéc. pp. 29-30 ; G. Péquignot, Théorie générale du contrat administratif, Pédone, 1945, spéc. pp. 28-30).

Ce n’est qu’au début du XXème siècle que la notion de contrat administratif est véritablement apparue grâce au travail de systématisation jurisprudentielle réalisé par les auteurs. Elle est alors définie par la mise en œuvre de deux critères cumulatifs de définition. Le premier est un critère organique qui suppose la présence d’une personne publique au contrat ; le second est un critère matériel qui peut alternativement découler du le lien entre le contrat passé et le service public ou de la présence d’une clause exorbitante à l’intérieur dudit contrat. Ces critères sont restés inchangés dans leur formulation, tant et si bien que la doctrine continue « à présenter le contrat administratif comme pouvaient le faire Gaston Jèze ou Georges Péquignot » (F. Brenet, Recherches sur l’évolution du contrat administratif, Thèse, Poitiers, 2002, p. 15).

Pourtant, en dépit de cette permanence de façade, les évolutions jurisprudentielles de ces dernières années impliquent une appréciation toujours plus stricte de ces critères. La politique jurisprudentielle semble donc poursuivre un objectif clair : cantonner la notion de contrat administratif dans des frontières étroites !

Il n’est pas question de revenir ici sur les critères de définition dans leur ensemble – les ouvrages consacrés au droit des contrats administratifs le font parfaitement (v. notamment : H. Hoepffner , Droit des contrats administratifs, Dalloz 2016, pp. 77 et s. ; L. Richer et F. Lichère, Droit des contrats administratifs, LGDJ, 10e éd. 2016, pp. 87 et s. ; ou M. Ubaud-Bergeron, Droit des contrats administratifs, LexisNexis 2015, pp. 89 et s.) – mais d’observer certaines évolutions récentes et marquantes d’un véritable mouvement jurisprudentiel. Celles-ci sont perceptibles à la fois en ce qui concerne le critère organique de définition (A) et en ce qui concerne son critère matériel (B).

A. Une constriction évidente du critère organique

S’agissant du critère organique de définition, ce sont les exceptions admises à la présence d’une personne publique au contrat qui ont été redéfinies pour être moins facilement admises. En effet, si le juge administratif a toujours exigé la présence d’une personne publique au contrat pour qualifier un contrat d’administratif (TC 3 mars 1969, Société Interlait), des exceptions ont été développées pour permettre de considérer certains contrats passés entre deux personnes privées comme étant des contrats administratifs. En-dehors du mandat de droit civil et de l’hypothèse d’une personne privée transparente, deux hypothèses principales étaient jusqu’à récemment considérées comme permettant de pallier l’absence d’une personne publique parmi les parties au contrat : l’existence d’un mandat tacite (CE, sect., 30 mai 1975, Sté d’équipement de la région montpelliéraine : Rec. CE 1975, p. 326. – T. confl., 7 juill. 1975, Cne Agde : Rec. CE 1975, p. 798) ou le fait que le contrat porte sur un objet appartenant « par nature » à l’Etat (TC, 8 juill. 1963, n° 1804, Sté entreprise Peyrot c/ Sté de l’autoroute Estérel Côte d’Azur : Rec. CE 1963, p. 787).

Le mandat tacite reste envisagé parmi les exceptions au critère organique de définition mais le juge est venu restreindre le champ d’application procédant à un véritable « resserrement de la théorie du mandat tacite » (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs, Dalloz 2016, p. 83). Face à un contrat passé entre deux personnes privées, le juge ne vérifie plus la présence d’un faisceau d’indices permettant de considérer que l’un des cocontractants a agi « pour le compte » d’une personne publique, il se contente d’observer si le cocontractant a agi pour son propre compte en se fondant sur l’économie générale du contrat (TC, 16 juin 2014, n°3944, Sté. d’exploitation de la Tour Eiffel, BJCP n° 97/2014, p. 426, concl. N. Escaut, Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 220, note P. Devillers ; TC, 9 mars 2015, n° 3992, Sté ASF, Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 111, note P. Devillers). Ainsi, si l’action « pour le compte de » reste une hypothèse envisagée parmi les exceptions au critère organique de définition, son champ d’application se trouve étroitement circonscrit. Les hypothèses de qualification jurisprudentielle d’un contrat comme contrat administratif se trouvent ainsi davantage réduites.

Ce mouvement de réduction est conforté par l’abandon de la jurisprudence Peyrot. Désormais, les contrats qui portent sur des travaux routiers ou autoroutiers ne sont plus envisagés comme des contrats administratifs. Contrairement à la solution qui prévalait au travers de la jurisprudence Peyrot, le Tribunal des conflits considère en effet que de tels travaux n’appartiennent pas « par nature à l’Etat » et ne justifient donc pas la qualification administrative du contrat (TC, 9 mars 2015, n° 3984, Rispal c/ Sté ASF ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 110, note P. Devillers). Cette nouvelle solution peut être considéré comme « une mise en accord du droit avec les faits » (F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « Feue la jurisprudence Société Entreprise Peyrot », Contrats-Marchés publ. 2015, repère 4), ce qui justifie qu’elle soit globalement saluée. Pour autant, elle vient mettre fin à l’une des dérogations admises au critère organique de définition des contrats administratifs, comprimant un peu plus la notion de contrat administratif autour de critères d’application stricte.

Or, même si les changements sont d’une ampleur moindre, le critère matériel de définition a lui aussi connu des évolutions dans le sens d’une réduction du champ d’application de la notion de contrat administratif.

B. Une constriction probable du critère matériel

Exception faite de la possibilité de qualifier le contrat en raison de « l’ambiance » de droit public dans laquelle il baigne (concl. M. Rougevin-Baville sur CE, sect., 19 janv. 1973, n°82338, Sté d’exploitation électrique de la Rivière du Sant), ce critère peut alternativement résulter soit de l’objet du contrat, si celui-ci entretient un lien suffisamment étroit avec le service public, soit du contenu du contrat. Or, c’est ce second critère qui a récemment évolué.

Depuis la jurisprudence des granits (CE, 31 juill. 1912, Sté des granits porphyroïdes des Vosges, rec. p. 909, concl. L. Blum), il était admis qu’un contrat devait être qualifié d’administratif lorsqu’il comportait une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit commun. La clause exorbitante était alors définie comme une clause illégale ou inusuelle dans les contrats de droit privé (G. Vedel, « Remarques sur la notion de clause exorbitante », in Mélanges A. Mestre, Sirey, 1956, p. 527), tant et si bien qu’une partie de la doctrine considérait que les parties – en présence du critère organique – étaient libres d’insérer ou non de telles clauses dans leurs contrats suivant leur volonté de voir ces derniers qualifiés de contrats administratifs. Le Tribunal des conflits a abandonné cette manière de définir le critère matériel lié au contenu du contrat (TC, 3 oct. 2014, n° 3963, Sté Axa France IARD ; AJDA 2014, p. 2180, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe ; RFDA 2015, p. 23, note J. Martin). Désormais une clause satisfera le critère matériel de définition si « notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, (elle) implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ». Le Tribunal des conflits ne qualifie plus une telle clause d’exorbitante mais la doctrine semble s’accorder sur la pérennité de cette appellation.

Cette nouvelle définition de la clause exorbitante a pour objectif de clarifier le critère matériel de définition en lui apportant davantage de clarté. Néanmoins, il n’est pas sûr qu’elle soit véritablement plus facile à définir. De plus, parce qu’elle définit la clause exorbitante en faisant référence à deux critères cumulatifs, la notion de clause exorbitante pourrait être davantage circonscrite dans son champ d’application que sous la jurisprudence antérieure (v. notamment A. Basset, « De la clause exorbitante au régime exorbitant du droit commun (à propos de l’arrêt TC, 13 oct. 2014, Sté AXA France IARD) », RDP 2015, p. 869). Bien qu’une telle approche ne soit pas confirmée, il reste certain que le Tribunal des conflits, par sa novation jurisprudentielle, n’a aucunement souhaité étendre le champ d’application de la notion de contrat administratif : au mieux, cette solution permettra un maintien des hypothèses de qualification antérieures.

Les jurisprudences récentes portant sur la notion de contrat administratif vont ainsi clairement dans le sens d’une réduction du champ d’application de cette notion. Ce mouvement peut être félicité pour sa cohérence et son souci de simplification, il n’en demeure pas moins qu’il semble éloigner davantage encore la notion de contrat administratif de la réalité et des fondements même de son existence.

Une notion remise en cause

La réforme de la commande publique ne place pas la notion de contrat administratif au cœur des préoccupations du droit contemporain des contrats passés par les personnes publiques. Elle s’intéresse en effet à des contrats – pouvant être considérés comme des contrats nommés – qui peuvent être regroupés sous l’appellation de « contrats de la commande publique ». Ces derniers se subdivisent en deux catégories principales : les marchés publics et les contrats de concession.

La qualification d’un contrat comme marché public ou comme contrat de concession est indépendante de sa qualification comme contrat administratif ou contrat de droit privé. Cette situation s’explique aisément dans la mesure où les notions consacrées de marché public et de contrat de concession sont directement reprises des directives européennes, lesquelles sont indépendantes des qualifications retenues en droit interne et notamment du statut juridique de droit public ou de droit privé des cocontractants (CJCE, 15 mai 2003, C-214/00, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d’Espagne, Europe 2003, comm. 246, obs. D. Ritleng ; CJCE, 13 janvier 2005, C-84/03, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d’Espagne, Europe 2005, n°3, p.21, note E. Meisse ; Contrats-Marchés publics 2005, comm. 69, note W. Zimmer).

En raison de ses origines européennes, le nouveau droit de la commande publique se présente donc a priori comme un droit détaché de la qualification de contrat administratif. Pourtant il n’en est rien : les nouveaux textes maintiennent artificiellement la qualification de contrat administratif alors même qu’elle n’est pas pertinente du point de vue du régime juridique applicable (A). La notion de contrat administratif apparaît dès lors comme une notion en déclin qui ne répond plus aux exigences à l’origine de sa création (B).

A. Un maintien artificiel par les textes

Les ordonnances « marchés publics » et « concessions » (Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, JORF n°0169 du 24 juillet 2015 page 12602, texte n° 38 ; Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, JORF n°0025 du 30 janvier 2016, texte n° 66) font appel à la notion de contrat administratif, en pérennisant et en étendant quelque peu la qualification textuelle opérée par la loi MURCEF s’agissant des contrats relevant du Code des marchés publics.

Elles précisent dans leurs articles 3 que les marchés publics et les contrats de concession relevant de ces textes et « passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs ». De ce point de vue, il est possible de considérer que la réforme de la commande publique renforce la place du critère organique dans la distinction entre les contrats administratifs et les contrats de droit privé (M. Ubaud-Bergeron, « Le champ d’application organique des nouvelles dispositions », RFDA 2016, p. 218). Les nouveaux textes lient en effet la qualification de contrat administratif des marchés et des concessions à la personnalité publique de l’autorité contractante.

Cette référence à la qualification de contrat administratif dès les premiers articles des ordonnances – alors même que les directives européennes sont indifférentes à une telle qualification et n’y font aucunement référence – apparaît comme une volonté du « législateur » français, au sens large du terme, de ne pas bouleverser les qualifications antérieures. Cette qualification s’explique donc mais elle peut être questionnée quant à sa pertinence : l’étude des nouveaux textes laisse clairement apparaître que cette qualification n’a aucune incidence sur les régimes juridiques établis par les ordonnances et par leurs décrets d’application. Cette affirmation est vérifiable tant en ce qui concerne les contrats de concession que s’agissant des marchés publics.

Ainsi, les textes relatifs aux contrats de concession ne comportent pas de dispositions spécifiquement applicables aux contrats qualifiés de contrats administratifs. Les seules distinctions opérantes sont celles effectuées entre les contrats de concession passés par des pouvoirs adjudicateurs et ceux passés par des entités adjudicatrices, celles effectuées en fonction du montant ou de l’objet du contrat, ainsi que celles résultant de la prise en compte de la spécificité des contrats de concession de défense ou de sécurité. Au-delà, le régime juridique applicable aux contrats de concession se révèle être un régime juridique unifié, nonobstant la qualification de contrat administratif ou de contrat de droit privé.

Une même logique se retrouve en matière de marchés publics, alors même que les distinctions opérantes sont encore plus nombreuses. Il est vrai que les textes comportent des dispositions spécifiques applicables aux marchés publics passés par l’Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. De tels marchés sont, en application de l’article 3 de l’Ordonnance, nécessairement des contrats administratifs. Il est donc tentant de voir dans ces dispositions spécifiques la consécration d’une incidence de la qualification de contrat administratif sur le régime juridique des marchés publics. Il s’agirait cependant d’une erreur : ces dispositions ne concernent pas tous les marchés publics qualifiables de contrats administratifs, l’ordonnance ayant entendu préserver la spécificité des marchés publics passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat. De plus, et en sens inverse, le décret assimile à de tels acheteurs certaines entités comme la Banque de France, l’Académie française, la Caisse des dépôts et consignations, Pôle Emploi ou encore les offices publics de l’habitat (Décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 2). Tous ces acheteurs peuvent dès lors être qualifiés d’acheteurs soumis à un régime juridique essentiellement de droit public par opposition à ceux soumis à un régime juridique principalement de droit privé, dont font partie les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat. Il apparaît ainsi que si la personnalité publique de l’acheteur justifie qu’un marché public soit qualifié de contrat administratif, elle n’a pas d’incidence sur le régime juridique applicable. En réalité, seule la soumission de cet acheteur à un régime juridique essentiellement de droit public pourra avoir une influence sur la réglementation applicable à ses marchés publics.

L’absence d’effets de la qualification de contrat administratif sur le régime juridique des marchés publics et des contrats de concession étant constatée, la question se pose de savoir quelle est actuellement l’utilité réelle de cette qualification.

B. Un maintien aux justifications limitées

Le maintien de la notion de contrat administratif à l’intérieur de la nouvelle réglementation est justifié par deux considérations principales : la nécessité de maintenir la spécificité du régime juridique applicable aux contrats administratifs s’agissant de leur exécution et, surtout, la préservation de la répartition des compétences juridictionnelles entre le juge administratif et le juge judiciaire.

Ce serait donc tout d’abord pour permettre l’application des règles spécifiques s’agissant des droits et des devoirs des cocontractants que la qualification de contrat administratif serait maintenue. Il s’agit, selon la présentation classiquement retenu, des pouvoirs de contrôle, de modification unilatérale, de résiliation unilatérale dont dispose l’administration lorsqu’elle est partie à un contrat ; ces pouvoirs étant contrebalancés par le droit du cocontractant au paiement des prestations réalisées et à l’équilibre contractuel (G. Jèze, Les contrats administratifs de l’Etat, des départements, des communes et des établissements publics, Giard, tome II, 1932, pp. 365 et s. ; G. Péquignot, op. cit., pp. 306 et s.). Néanmoins, l’application de ces principes permet difficilement de justifier la prise en compte de la qualification de contrat administratif parmi les marchés publics et les contrats de concession. Pour la plupart d’entre eux, il apparaît en effet que le régime juridique des marchés publics et des contrats de concession prévoit soit par lui-même l’application de ces droits et devoirs – c’est généralement le cas des pouvoirs de contrôle et de sanction – ; soit limite les possibilités d’application de ces derniers – la réforme permet ainsi de se questionner sur la possibilité de mettre en œuvre les théories de l’imprévision, des sujétions imprévues, du fait du prince, ou de la force majeure (en ce sens, v. notamment H. Hoepffner , op. cit., p. 414).

C’est donc davantage du côté de la répartition des compétences juridictionnelles que doit être recherchée la justification du maintien de la qualification de contrat administratif à l’intérieur de la réglementation applicable aux marchés publics et aux contrats de concession. Le pouvoir réglementaire – intervenant par ordonnances –  n’a ainsi pas souhaité heurter la répartition des compétences juridictionnelles entre le juge administratif et le juge judiciaire. Les notions de marché public et de contrat de concession acquièrent donc une certaine unité par la soumission de l’ensemble des contrats qualifiables comme tels à des règles communes mais le traitement contentieux des litiges relatifs à ces contrats reste « éclaté » entre les deux ordres de juridiction. Toutefois, en-dehors des hypothèses de divergence de jurisprudence, cette dispersion n’aura pas d’effet sur l’unité du droit de la commande publique.

Pour autant, ces évolutions interrogent quant au rôle de la notion de contrat administratif. Cette notion a été développée pour permettre l’application d’un régime juridique spécifique – empreint de puissance publique – à certains contrats afin de permettre la bonne réalisation des activités de service public. Or, désormais, la plupart de ces contrats relèvent du nouveau droit de la commande publique et se trouvent soumis à des règles identiques à celles applicables à certains contrats de droit privé passés par des personnes publiques ou du « champ public ». De plus, l’exécution de ces contrats est elle aussi encadrée par les nouveaux textes : cela empêche en partie leur soumission aux règles générales applicables en matière de contrats administratifs, tout en les soumettant ici encore à des règles qui sont également applicables aux contrats de droit privé de la commande publique.

Les contrats administratifs de la commande publique perdent ainsi la fameuse « singularité » qui justifiait originellement de distinguer les contrats administratifs des contrats de droit privé de l’administration (sur cette singularité, v. notamment F.-X. Fort, « Les aspects administratifs de la liberté contractuelle », in G. Clamour et M. Ubaud-Bergeron (dir.), Contrats publics Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Guibal, Presses de la Faculté de droit de Montpellier 2006, vol. 1, pp. 27 et s).

Ces évolutions fragilisent encore davantage la théorie générale des contrats administratifs et vont dans le sens de la reconnaissance d’une théorie générale des contrats administratifs spéciaux (F. Brenet, Recherches sur l’évolution du contrat administratif, op. cit. ; « La théorie du contrat, évolutions récentes », AJDA 2003, p. 919 ; Traité de droit administratif, Dalloz, p. 263). Elles permettent également d’envisager la mise en place d’une nouvelle théorie générale fondée sur l’existence de règles communes aux contrats publics.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 105.

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ParJDA

Les nouvelles notions du « nouveau » droit de la commande publique (I)

Art. 104.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Avec l’adoption des Ordonnances marchés publics et concessions (Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession), mais aussi de leurs décrets d’application (Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics et Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession), un « nouveau droit de la commande publique » est venu remplacer la réglementation préexistante.

L’idée même d’un droit de la commande publique n’a été que tardivement consacrée. En tant que notion, la commande publique apparaît pour la première fois dans l’ancien code des marchés publics de 1964, avant d’être reprise à l’article 1er du Code des marchés publics de 2001. Ce dernier consacrait l’existence de « principes de la commande publique » mais qui ne concernaient que les marchés publics passés en application du code. La commande publique n’était alors envisagée que comme une « formule à la mode, d’autant plus en vogue qu’elle est vague » (P. Delvolvé, « Le partenariat public-privé et les principes de la commande publique », RDI 2003, p. 481). C’est le Conseil constitutionnel qui, le premier, va reconnaître l’existence d’un « droit commun de la commande publique » (Cons. const., 26 juin 2003, déc. n°2003-473 DC, loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, JORF du 3 juillet 2003, p. 11205). Pour autant, ce droit restait essentiellement envisagé d’un point de vue doctrinal et faisait l’objet de nombreuses interrogations (v. notamment : P. Delvolvé, « Constitution et contrats publics », in Mélanges F. Moderne, Dalloz 2004, p. 469 et s. ; P. Delvolvé, « Le partenariat public-privé et les principes de la commande publique », RDI 2003, p. 481 ; J-D Dreyfus et B. Basset, « Autour de la notion de « droit commun de la commande publique » », AJDA 2004, p. 2256; Y. Gaudemet, « La commande publique et le partenariat public-privé : quelques mots de synthèse », RDI 2003, p. 534 ; ou encore F. Llorens, « Typologie des contrats de la commande publique », Contrats-Marchés publ. 2005, étude 7). De plus, il reposait sur des textes épars : le Code des marchés publics, l’Ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, la loi Sapin pour les délégations de service public (articles 38 et suivants), l’Ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat ou encore l’Ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics…

Ces difficultés – et la nécessité de transposer les nouvelles directives européennes – ont conduit à l’abrogation de ces différents textes par les Ordonnances « marchés publics » et « contrats de concession ». Avec leurs décrets d’application, celles-ci ont pour vocation de constituer le socle du nouveau droit commun de la commande publique. La loi Sapin 2 prévoit d’ailleurs l’adoption d’un futur Code de la commande publique par ordonnance (dans un délai de 24 mois à compter de la publication la loi), lequel devra regrouper et organiser « les règles relatives aux différents contrats de la commande publique qui s’analysent, au sens du droit de l’Union européenne, comme des marchés publics et des contrats de concession ».

Or, loin de se contenter de regrouper et d’harmoniser les réglementations préexistantes, ce nouveau droit de la commande publique repose sur des notions nouvelles, directement inspirées par le droit de l’Union européenne.

Deux notions fondamentales pour deux catégories de contrats : les marchés publics et les contrats de concession

Le droit français a (enfin !) fait le choix de reprendre la classification binaire opérée par le droit de l’Union européenne en distinguant deux catégories générales de contrats à l’intérieur du droit de la commande publique. Tous les contrats passés par des pouvoirs adjudicateurs ou par des entités adjudicatrices pour répondre à leurs besoins en termes de fournitures, de travaux ou de services sont donc désormais envisagés comme étant soit des marchés publics, soit des contrats de concession.

Les marchés publics

L’alignement du droit français sur le droit de l’Union européenne passe, en premier lieu, par la notion de marché public, laquelle fait l’objet d’une définition renouvelée. En réalité, l’article 4 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015 distingue trois catégories de marchés publics : les marchés, les accords-cadres et les marchés de partenariat. Les marchés publics sont donc des contrats – qui peuvent être des marchés, des accords-cadres ou des marchés de partenariat – passés par un ou plusieurs acheteurs soumis à l’ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques. La définition du marché public telle qu’elle figurait dans le code des marchés publics est désormais reprise s’agissant des seuls « marchés », même si ces derniers bénéficient d’un champ d’application plus large. Sont des marchés, tous « les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».

Ce nouveau triptyque à l’intérieur de la catégorie des marchés publics conduit d’ores et déjà à des approximations, les marchés publics étant définis en reprenant la notion de simple marché pour être ensuite distingués des marchés de partenariat. Or, s’il est vrai que tous les marchés publics sont des contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, définir les marchés publics dans leur ensemble en reprenant la définition des seuls marchés conduit à « oublier » l’un des apports majeurs de la réforme. Il ne faut pas en effet omettre le fait que les marchés de partenariat – qui remplacent les anciens contrats de partenariat public privé – constituent désormais des marchés publics à part entière. L’intérêt de ce regroupement notionnel est de permettre la reconnaissance de règles communes à l’ensemble des marchés publics, ce qui n’empêche pas l’existence de règles spécifiques applicables à certains d’entre eux (notamment les marchés de partenariat). L’unité de la notion européenne de marché public est ainsi reprise en droit interne.

Les contrats de concession

De la même manière, et en second lieu, l’alignement du droit français passe par la consécration pleine et entière de la notion européenne de contrat de concession.

En effet, l’Ordonnance de 2009 sur les contrats de concession de travaux publics avait en partie aligné le droit français sur le droit de l’Union européenne mais elle n’envisageait pas les contrats de concession de services. C’est désormais chose faite au travers de l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 : celui-ci définit les contrats de concession comme des « contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».

 Les marchés publics et les contrats de concession se différencient donc à deux points de vue. Tout d’abord, à la différence des marchés publics, les contrats de concession ne peuvent pas avoir pour objet exclusif des fournitures. Ensuite, et surtout, c’est la prise en charge d’un risque d’exploitation par le concessionnaire qui différencie ces deux catégories de contrats. Ainsi, le risque d’exploitation reçoit une définition conforme aux solutions jurisprudentielles antérieures (et à la définition européenne). Il est en effet précisé que « La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service ».

La consécration de la notion de concession a pour effet de reléguer la notion de délégation de service public au second plan. Cette notion est désormais intégrée dans la notion plus large de concession. A ce sujet, il convient de préciser que l’ordonnance du 29 janvier 2016 a modifié la définition de la délégation de service public fixée à l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales. Elle est dorénavant définie comme « un contrat de concession au sens de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, conclu par écrit, par lequel une autorité délégante confie la gestion d’un service public à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».

Pour bien comprendre le déclin que connaît la notion de délégation de service public, il est possible de résumer la situation de la manière suivante :

  • Premièrement, les contrats de la commande publique sont soit des marchés publics, soit des contrats de concession.
  • Deuxièmement, lorsqu’ils sont des contrats de concession, ils peuvent être soit des contrats de concession de travaux, soit des contrats de concession de service.
  • Troisièmement, s’ils sont des contrats de concession de services, ils peuvent avoir pour objet de déléguer de simples services ou des services publics.

Ce n’est donc que dans cette dernière hypothèse qu’un contrat de la commande publique pourra être qualifié de délégation de service public. La notion de délégation de service public apparaît dès lors comme une notion résiduelle à laquelle seules les collectivités territoriales devraient faire appel.

Au-delà de la consécration de la summa divisio marchés publics / contrats de concession (G. Alberton, « Vers une inévitable refonte du droit français des contrats publics sous l’effet des exigences communautaires ? », in Contrats publics, Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Guibal, Presses de la Faculté de droit de Montpellier, 2006, p. 776), le renouvellement notionnel opéré par le nouveau droit de la commande publique repose également sur une nouvelle manière d’appréhender les personnes dont les besoins vont être satisfaits grâce à l’exécution de ces contrats.

Une appréhension renouvelée de la personne à satisfaire par le contrat : les notions d’acheteur et d’autorité concédante

Le champ d’application organique du nouveau droit de la commande publique repose sur deux notions nouvelles : celle d’acheteur pour les marchés publics et celle d’autorité concédante pour les contrats de concession. Ces notions ne sont pas reprises du droit de l’Union européenne mais elles ont pour fonction de permettre un alignement du droit français de la commande publique sur le droit de l’Union applicable en la matière (M. Ubaud-Bergeron, « Le champ d’application organique des nouvelles dispositions », RFDA 2016, p. 218).

Les acheteurs et les autorités concédantes sont en effet définis comme regroupant les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices. Ces notions reçoivent des définitions similaires au travers des deux ordonnances (article 10 de l’Ordonnance sur les marchés publics et article 9 de l’Ordonnance sur les contrats de concession). La notion de pouvoir adjudicateur regroupe l’ensemble des personnes morales de droit public, les personnes morales de droit privé qui peuvent être considérées comme des organismes de droit public au sens du droit de l’Union européenne (même si cette appellation n’est pas reprise), ainsi que les organismes constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun. Les entités adjudicatrices peuvent quant à elle être définies comme regroupant l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs lorsqu’ils exercent une activité de réseau (article 11 de l’Ordonnance sur les marchés publics et article 10 de l’Ordonnance sur les contrats de concession).

Ces évolutions notionnelles permettent d’opérer deux constats.

Tout d’abord, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices sont envisagés au travers d’un même texte et sont tous susceptibles de conclure des marchés publics ou des contrats de concession. La distinction entre les personnes publiques et les personnes privées n’est donc plus opérante, sauf pour déterminer si les contrats en cause sont ou non des contrats administratifs par détermination de la loi (art. 4 de l’Ordonnance sur les marchés publics et article 3 de l’Ordonnance sur les contrats de concession).

Par ailleurs, contrairement à ce que prévoyait le Code des marchés publics, l’Ordonnance sur les marchés publics n’exclut pas de son champ d’application les marchés publics passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat ou par certaines personnes privées (anciennement soumis à l’Ordonnance du 6 juin 2005). Désormais tous les établissements publics de l’Etat sont envisagés comme des pouvoirs adjudicateurs en tant que personnes morales de droit public. Le droit des marchés publics est donc unifié au travers des nouveaux textes, mais cela n’empêche pas le maintien de régimes juridiques en partie différenciés. Les marchés publics passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat ne sont pas toujours soumis aux mêmes règles que ceux passés par les autres personnes publiques. En réalité, pour la passation de leurs marchés publics, les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat sont assimilés aux personnes privées qui passent des marchés publics.

L’unification du régime juridique reste donc toute relative et, de ce point de vue, les textes procèdent davantage à un regroupement des différents marchés publics.

Enfin, il convient de préciser que le bouleversement notionnel provoqué par la nouvelle réglementation ne s’arrête pas aux notions de marché public, de concession, d’acheteur et d’autorité concédante. Un grand nombre de notions employées par le droit de la commande publique sont en effet apparues au travers des nouveaux textes (notions de marché de partenariat, de coût du cycle de vie, d’unité fonctionnelle…). Il n’en demeure pas moins qu’elles constituent les notions « phares » de ce nouveau droit et permettent d’envisager une systématisation progressive de la matière.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 104.

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