Art. 395.
La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).
L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).
Marine de Magalhaes
Chargée de Mission Développement économique (Gmca),
Membre du Collectif L’unité du Droit
La IIIe République française a vu naître un service public de l’Education unifié, laïc, gratuit et l’a érigé au rang de Premier des services publics de la Nation[1]. La décen-tralisation, quant à elle, a créé la diversité dans l’unité, en développant un service public local qui bouleverse la construction idéologique et historique de l’Education Nationale en impliquant directement les collectivités territoriales dans l’organisation scolaire et la pédagogie.
Pour appréhender la notion de service public local d’éducation, encore faut-il pouvoir identifier ce que revêt le service public national d’Education dont l’objet est d’inculquer les savoir fondamentaux et le socle commun de connaissances afin de garantir l’insertion sociale et professionnelle[2]. Le Code de l’éducation utilise indifféremment les notions de service public d’enseignement et d’éducation. Aussi apparaît il nécessaire d’en livrer une interprétation. A cette fin, il est possible de se référer au Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 qui en son alinéa 13 dispose que : « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». Cette disposition donne un premier éclairage en érigeant l’enseignement public en monopole étatique, dont l’organisation a un caractère obligatoire. Une interprétation volontariste de l’alinéa 13 conduit néanmoins à considérer que l’étude du service public de l’éducation ne peut s’abstraire de l’instruction et de la formation professionnelle, qu’il s’agira ici de considérer comme objets du service public de l’éducation, tandis que l’enseignement public s’appréhendera comme un moyen. Aussi, et dans ces conditions rien ne semble contre indiquer le développement de moyens parallèles à ceux de l’État pour contribuer à l’instruction et la formation de l’enfant et de l’adulte. Cette affirmation se heurte néanmoins à un obstacle fondamental : celui de la garantie de l’égal accès au service public d’éducation. Or, en confier la gestion, même partielle, aux collectivités territoriales implique nécessairement une différenciation. C’est là toute la finalité de la décentralisation : adapter les politiques publiques, en dotant des personnes morales distinctes de l’État et plus ou moins autonomes, des moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques publiques, en les faisant coïncider aux besoins des territoires. En concentrant essentiellement l’analyse sur les leviers des collectivités territoriales en matière éducative, il apparaît que la construction du service public d’éducation s’est appuyée historiquement sur les collectivités territoriales, ce qui en toute logique a persisté, jusqu’à doter les collectivités de leviers pédagogiques importants, c’est-à-dire jusqu’à permettre aux collectivités de mettre en œuvre des moyens exclusifs dédiés à l’instruction et aux méthodes d’enseignement.
L’implication des collectivités territoriales dans l’organisation et le fonctionnement du service public d’éducation s’est observée au moment où la puissance publique s’est emparée des prérogatives longtemps dévolues à l’église en matière d’instruction. Le niveau communal s’est révélé comme le plus pertinent pour faire un état des lieux de l’enseignement en France. En ce sens, l’ordonnance royale n°13-437 du 14 février 1830 relative à l’instruction primaire, dont l’objet était de créer des mécanismes favorisant la diffusion et l’accès à l’instruction publique[3], s’est immédiatement appuyée sur les communes. Aussi, le Conseil Municipal était-il compétent pour arrêter le montant des « frais indispensables pour le premier établissement de l’école », mais également le traitement fixe annuel de l’instituteur ou encore les frais relatifs au fonctionnement de l’établissement. Ce sont ensuite les conseils généraux qui étaient tenus de délibérer et voter des crédits pour venir en aide aux communes qui étaient dans l’impossibilité de subvenir intégralement aux frais de leurs écoles. La loi Guizot du 28 juin 1833 définira l’école publique comme « celles qu’entretiennent en tout ou partie les communes, les départements ou l’État[4] ». On voit bien là le rôle précurseur de ces institutions qui deviendront les premières figures de la décentralisation en 1871[5] et 1884[6] et dont le rôle de gestionnaire et partenaire financeur s’est imposé dès la Restauration.
Cette relation de co-financement historique, qui place la commune et le département comme les co-fondateurs de l’école publique, a été renforcée considérablement par les lois de décentralisation. À partir de 1982, chaque catégorie de collectivité territoriale est confortée durablement dans son rôle patrimonial. Aux communes revient la responsabilité et la propriété des locaux scolaires du premier degré (primaire et maternelle)[7]. Aux départements et aux régions incombent respectivement la charge des collèges et lycées, établissements d’éducation spéciale et lycées professionnels maritimes[8] dont ils sont propriétaires, pour les locaux dont ils ont assuré la construction ou reconstruction[9]. Le véritable tournant dans la répartition des compétences aura lieu en 2004 et 2005 comme prévu par la loi relative aux libertés et responsabilités locales. A compter de celle-ci, les locaux appartenant à l’État sont transférés à titre gratuit et de plein droit aux collectivités compétentes. L’apport principal de cette réforme résidant dans le transfert de la charge du recrutement et de la gestion des personnels techniciens et ouvriers de services aux collectivités territoriales compétentes. C’est pour cette raison que l’on est tenté de considérer qu’originellement, la construction d’un service public d’éducation a reposé sur une logique de subsidiarité. Notons cependant que certains auteurs considèrent que ces transferts de compétences n’en ont pas permis une réelle application[10]. Selon le professeur Jacques Fialaire l’application du principe de subsidiarité pour le service public d’enseignement doit être exclu car son « caractère national est constitutionnellement établi[11] ». Voilà donc tout l’intérêt de considérer l’enseignement comme un moyen du service public d’éducation, et non comme son objet. Quarante ans de décentralisation mettent en ce sens en évidence que le rôle des collectivités territoriales s’est approfondi, y compris sur le plan pédagogique qui est un attribut de l’enseignement.
Aussi est-il pertinent de s’interroger sur l’implication des collectivités territoriales en matière scolaire qu’il s’agisse de son organisation ou des leviers pédagogiques dont elles disposent. L’objet ici n’est pas de questionner l’impact de ces réformes progressives sur la théorie du service public d’éducation ou sa sociologie, mais bien de dresser un état des lieux qui mette en perspective le renforcement significatif du rôle des collectivités territoriales dans le parcours éducatif de l’enfant et de l’adulte.
Bien entendu, l’État conserve un rôle fondamental en matière éducative dans la mesure où il est le garant de la cohérence et de l’unité de ce service public. Toutefois, l’unité de gestion de l’organisation scolaire n’est pas caractérisée et il apparaît que la répartition des compétences actuelles entre l’État et les collectivités territoriales en fait un domaine à l’exercice partagé (I). Cette unité est également mise à mal par la multiplication des leviers pédagogiques dont disposent les collectivités territoriales, qui ont désormais la possibilité de se substituer à l’État ou de proposer des alternatives au circuit classique de l’Education Nationale (II).
I. Un monopole de l’organisation scolaire atténué par les lois de décentralisation
En fait et en droit, l’État a besoin des collectivités territoriales pour mener à bien ses missions de service public en matière éducative. Pour preuve, le premier article du Code de l’éducation fait référence en son alinéa 9 à la concertation entre l’État et les collectivités[12]. Il n’est ainsi pas surprenant que cette logique guide l’organisation des compétences dans le domaine de l’organisation scolaire. Celles qui appartiennent à l’État relèvent classiquement d’une logique de pilotage assez verticale. Ainsi dispose-t-il d’un monopole dans plusieurs domaines qui sont censés garantir l’unité et la cohérence de la politique éducative sur l’ensemble du territoire national (A). Il dispose également de compétences dont l’exercice est concerté instituant des rapports plus horizontaux dans le fonctionnement du service public d’éducation (B).
A. L’État, un garant exclusif de la cohérence de la politique nationale d’éducation
Les modalités de répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales sont posées à l’article L.211-1 du Code de l’éducation qui prévoit que, en tant que service public national, l’organisation et le fonctionnement de l’éducation sont assurés par l’État « sous réserve des compétences attribuées […] aux collectivités territoriales pour les associer au développement de ce service public ».
Deux enseignements peuvent être tirés de ce choix de formulation. Le premier est que l’État dispose d’une compétence de principe qui prend la forme de compétences propres dont la liste est établie par l’article précité. Cette compétence de principe est cependant atténuée par l’exercice des compétences dévolues aux collectivités. Le second est que les collectivités territoriales sont des personnes publiques associées au service public d’éducation, ce qui relativise conséquemment le monopole dont il est question qui s’exerce finalement dans des domaines exhaustivement énumérés.
Ce monopole se justifie par un objectif : celui de garantir la cohérence de la politique éducative sur l’ensemble du territoire national en dépit des transferts nombreux de compétences vers les collectivités territoriales. À ce titre, l’État est chargé de déterminer les voies de formation, de fixer les programmes nationaux en établissant le contenu du socle commun et de déterminer l’obligation scolaire[13]. Il a le monopole de la délivrance et de la détermination des diplômes nationaux ainsi que des titres universitaires. Il est aussi chargé de la gestion et du recrutement des personnels relevant de sa compétence (enseignants à tous les degrés, agents administratifs, personnels d’inspection, certains personnels exerçant dans les collèges et lycées)[14]. Il est seul à décider des moyens alloués au service public d’éducation au niveau national et à définir l’organisation des enseignements. Enfin, il contrôle et évalue la politique éducative. Dans ce cadre, le gouvernement est dans l’obligation, depuis la loi relative aux libertés et responsabilités locales, de transmettre un rapport au Parlement qui rende compte de l’exercice des compétences décentralisées et de son effet sur la qualité du service public de l’Education Nationale.
Assez classiquement l’État est donc chargé du pilotage des politiques publiques éducatives au niveau national, de leur élaboration à leur contrôle. L’ensemble des autres compétences qui lui sont dévolues peuvent être qualifiées de « compétences à l’exercice concerté » puisqu’elles y associent systématiquement les collectivités territoriales, directement ou indirectement.
B. Une co-construction caractérisée de l’organisation scolaire
Au-delà de ses compétences propres l’État dispose de compétences dont l’exercice est concerté avec les collectivités territoriales. Cette concertation s’observe à tous les niveaux de l’organisation scolaire.
En effet, en premier lieu, les communes, les départements[15] et régions sont impliquées dans la détermination de la carte scolaire. À ce titre, en concertation avec le Directeur Académique[16] elles arrêtent les secteurs de recrutement des élèves[17]. Par ailleurs, bien que l’État soit compétent pour arrêter la structure pédagogique des établissements du second degré, il doit recueillir l’avis de la région et tenir compte de ses orientations prescrites dans le schéma prévisionnel de formation et de la carte des formations professionnelles qui relève de sa compétence exclusive[18]. Plus encore, le développement des locaux et l’extension de l’offre des accueils scolaires n’est pas une prérogative de l’État. En effet, l’initiative d’implantation de nouveaux établissements appartient aux collectivités compétentes[19]. Elles ont à ce titre la charge de « la construction, la reconstruction, l’extension, les grosses réparations, l’équipement et le fonctionnement » des établissements concernés[20], ce qui constitue une dépense obligatoire[21]. À ce sujet, bien que seul l’État dispose du monopole dans la détermination de la politique éducative nationale, (définition des programmes et organisation des enseignements), la pratique et l’état du droit démontrent bien que c’est le relais local assuré par les collectivités territoriales qui permet d’accueillir et de mettre en œuvre ce service public. Cela permet d’affirmer que ce sont les collectivités qui donnent les moyens matériels à l’État de faire fonctionner le service public d’éducation, y compris le service public de l’enseignement, car elles disposent juridiquement de l’initiative de création et de suppression de tels établissements. En ce sens, une autorité de l’État ne peut imposer la création d’un établissement à une collectivité sans avoir préalablement recueilli son avis qui est déterminant dans la réalisation du projet[22]. Par ailleurs, les collectivités sont mobilisées pour assurer le respect des prescriptions de l’État au niveau national. En effet, au titre des articles L.131-6 le maire est chargé de faire l’inventaire des enfants résidants sur sa commune et soumis à l’obligation scolaire. Cette liste est actualisée et mise à disposition des services de l’État pour vérification de l’assiduité scolaire, avec le concours des directeurs d’établissements et organismes de versement des prestations sociales. Dans le cadre de l’enseignement à domicile, les services communaux doivent effectuer un contrôle du respect de l’obligation scolaire et des raisons qui ont conduit à la déscolarisation de l’enfant. Le contrôle du respect de l’obligation scolaire est donc une prérogative locale, dans une logique évidente de subsidiarité.
Enfin, l’organisation du service de restauration scolaire ne relève que de l’initiative des collectivités compétentes. Si la situation est sans équivoque pour les communes qui, en droit, n’ont pas l’obligation de créer un service de restauration scolaire[23], la réciproque n’est pas vérifiée pour le département et la région depuis la loi relative aux libertés et responsabilités locales. En effet, l’article 82 de la loi précitée insère au Code de l’éducation la formule selon laquelle le département et la région « assure[nt] l’accueil, la restauration, l’hébergement ainsi que l’entretien général et technique, à l’exception des missions d’encadrement et de surveillance des élèves[24] » dans les établissements dont ils ont la charge. Pourtant, à l’issue d’une saga jurisprudentielle[25] le Conseil d’État a finalement considéré que ni les termes de la loi, ni les travaux préparatoires de celles-ci, traduisent le fait « que le législateur ait entendu, à cette occasion, transformer ce service public administratif, jusqu’alors facultatif, en service public administratif obligatoire[26] ». Il n’en demeure pas moins que, à défaut de caractère obligatoire, la restauration scolaire est assurée exclusivement par les collectivités territoriales. Il n’est ainsi plus possible de limiter leur rôle en matière d’éducation à la simple gestion du patrimoine scolaire. Bien que l’aspect patrimonial constitue une part significative de l’intervention locale, notamment financière, les collectivités sont un véritable relais de l’État et en prennent part directement à l’organisation scolaire. Ces prérogatives sont complétées par des leviers d’intervention importants, non pas dans le domaine de l’enseignement au sens du Code de l’éducation, mais dans tout ce qui fait l’accessoire de l’enseignement dans le temps scolaire ou la formation.
II. Un monopole fragilisé par l’introduction de la subsidiarité pédagogique
La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 395.
[1] Ferry J., Sénat, séance du 4 juin 1881 : Jorf, débats, 5 juin 1881, p. 809 ; Ferrouillat j., cité par R. Goblet, Sénat, séance du 2 février 1886 : Jorf, débats, 3 février 1886, p. 81 ; Goblet R., Sénat, séance du 8 février 1886 : Jorf, débats, 9 février 1886, p. 142. De manière plus récente, l’article L. 111-1 du Code de l’éducation en fait « la première priorité nationale ».
[2] Articles L.121-1 à L. 121-3 du Code de l’éducation.
[3] Bulletin des lois du royaume de France, 8e Série, Règne de Charles X contenant les lois et ordonnances rendues depuis le 4 janvier jusqu’au 28 juillet 1830, N°336-375, octobre 1830, p. 53.
[4] Loi du 23 juin 1833 relative à l’instruction primaire dite « Loi Guizot ».
[5] Loi départementale du 10 août 1871.
[6] Loi municipale du 5 avril 1884.
[7] Article L.212-4 du Code de l’éducation.
[8] Op. cit.
[9] Se référer à l’article L.213-3 du Code de l’éducation pour le département et L.214-7 pour la région.
[10] Fialaire J., « La répartition des compétences entre État et collectivités territoriales dans l’éducation, la culture et les sports », Rfda, n°156, 2015/4, p. 1065 et s.
[11] Ibidem.
[12] Article L.111-1 du Code de l’éducation.
[13] Article L. 131-1 du Code de l’éducation.
[14] La liste des personnels et postes de dépenses qui incombent à l’État est prévue à l’article L.211-8 du Code de l’éducation.
[15] Article L.213-1 du Code de l’éducation.
[16] Article L.214-5 du Code de l’éducation.
[17] Article L.212-7 du Code de l’éducation.
[18] Articles L. 214-1 à L.214-4 du Code de l’éducation.
[19] Respectivement les articles L.212-1 ; L.213-1 ; L.214-5 du Code de l’éducation.
[20] Article l.212-4 du Code de l’éducation.
[21] L.212-5 du Code de l’éducation pour la commune ; L.3321-1 7°) et L.3321-1 14°) du Cgct pour le département ; L.4321-1 7°) « les dépenses dont elle a la charge en matière d’éducation nationale ».
[22] CAA Lyon, 26 juin 2007 ; Devès C., « Services publics – Gouvernance éducative et collectivités territoriales » in Jcp A, n°20.
[23] CE, sect., 1984, Commissaire de la République de l’Ariège, récemment réaffirmé par TA de Besançon, 7 décembre 2017, Mme G, n°1701724.
[24] Article L.213-2 du Code de l’éducation pour le département et L.214-6 pour la région.
[25] Lelong M., « La restauration scolaire, un service public obligatoire pour le département » in Ajda, 2017 ; p. 1332.
[26] CE, 24 juin 2019, Département de L’Indre-et-Loire ; cons 5.
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