Art. 399.
La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).
L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).
Virginie Donier
Professeure de droit public, Université de Toulon, Cerc,
membre du Collectif L’Unité du Droit
Pourquoi s’intéresser au département pour célébrer le quarantième anniversaire de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ? Deux raisons principales expliquent ce choix : d’une part, le département est une collectivité dont l’existence a été malmenée dans la période récente, ce qui tend à démontrer que le droit des collectivités territoriales ne se construit pas de façon linéaire, il est intimement lié au rôle de l’État et aux volontés de réforme de ce dernier. Le droit des collectivités territoriales est aussi, et peut-être avant tout, un droit de l’organisation de l’État. D’autre part, le département est une catégorie de collectivités territoriales qui permet de mettre en lumière l’importance des acteurs locaux, et donc de la décentralisation, dans la mise en œuvre du principe de solidarité nationale, le département étant en effet devenu, au gré de la législation, le chef de file en matière d’action sociale. Analyser le rôle du département permet ainsi de mieux appréhender les relations entre cohésion sociale et décentralisation.
À ces deux premières raisons s’en ajoute une troisième qui est sous-jacente aux compétences dont dispose le département. Il s’avère en effet que la loi du 2 mars 1982 a véhiculé un mythe, celui de l’autonomie locale. Ce mythe transparaît de l’intitulé de la loi, laquelle est consacrée, notamment, aux « libertés » des trois catégories de collectivités. Or, l’étude des compétences départementales permet de démontrer que la décentralisation n’est pas nécessairement synonyme de pouvoir accru pour les organes des collectivités. La décentralisation n’est pas systématiquement le signe de la liberté, ou à tout le moins, si liberté il y a, celle-ci peut être à dimension variable. Concentrer le propos sur le département est donc une façon d’illustrer le caractère en partie fictionnel de la loi du 2 mars 1982 et de mieux saisir le décalage existant entre son intitulé et la réalité. Pour étayer cette démonstration, nous retiendrons une démarche essentiellement chronologique afin de mieux saisir les apports de la loi du 2 mars 1982 et des lois qui ont été adoptées les années suivantes (I). Nous verrons ensuite en quoi l’existence du département a été malmenée dans la période contemporaine, étant précisé que le temps de la remise en cause est sans doute achevé, la crise sanitaire ayant confirmé la nécessité de conforter le rôle et l’existence des départements (II).
I. L’apport des premières lois de décentralisation à la collectivité départementale
La reconnaissance du département en tant que collectivité territoriale ne date pas de la loi du 2 mars 1982. Dès la loi du 22 juin 1833 relative à l’organisation du département, ce dernier a été doté d’un conseil élu, mais selon un mode de suffrage qui n’avait rien d’universel car fondé en partie sur le cens[1]. De plus, l’autonomie des départements restait fortement encadrée compte tenu du poids de la tutelle.
Il fallut attendre la loi du 10 août 1871 pour que le conseil général ait la possibilité de prendre des décisions sans approbation préalable du préfet. L’article 48 alinéa 5 énonce ainsi que le conseil général délibère sur tous les objets d’intérêt départemental dont il est saisi, soit sur proposition du préfet, soit sur l’initiative de l’un de ses membres. Mais le préfet conserve tout de même des pouvoirs étendus dans la mesure où il prépare le budget du département et est chargé de l’exécution des décisions du conseil général[2].
La loi du 2 mars 1982 marque alors un véritable tournant, le préfet perdant sa fonction d’exécutif du département au profit du président du conseil général. Cette loi parachève la décentralisation au profit du département : si cette catégorie de collectivités disposait déjà d’un conseil élu, le pouvoir exécutif était confié au représentant de l’État, et non à un membre de cette assemblée élue. La loi du 2 mars 1982 a permis au département de devenir une collectivité territoriale de plein exercice. À cela s’ajoute la suppression de la tutelle exercée par le préfet, la loi ayant substitué à cette tutelle un contrôle administratif a posteriori exercé sur les actes des collectivités territoriales. Avec l’entrée en vigueur de la loi du 2 mars 1982, c’est le président du conseil général qui préside l’assemblée départementale, qui prépare et exécute le budget du département, ainsi que les délibérations du conseil. Dans les mois qui vont suivre, le département sera également doté de plusieurs compétences d’attribution tournées majoritairement vers la gestion de services de solidarité. C’est ainsi que l’article 32 de la loi du 22 juillet 1983 a confié au département une compétence de droit commun concernant la prise en charge de bon nombre de prestations d’aide sociale[3]. Mais les actions de solidarité du département ne se limitent pas au seul champ de l’action sociale, elles peuvent également se décliner au niveau territorial, en direction des collectivités inférieures. L’article 31 de la loi du 7 janvier 1983 a par exemple confié au département le soin d’établir un programme d’aide à l’équipement rural sur la base, notamment, des propositions adressées par les communes[4].
Le département est ainsi devenu, dès le début des années 1980, un territoire de solidarité, sa taille expliquant en partie le choix de cette collectivité. L’émiettement communal français et la taille des régions ne laissaient en effet que le niveau départemental pour décentraliser l’aide sociale[5]. Le choix du département se justifie également par les relations étroites pouvant exister entre déconcentration et décentralisation. C’est en effet au niveau départemental que les services déconcentrés de l’État ont été organisés dans le champ de l’action sociale dès 1964[6]. Sans nier l’existence d’un mouvement de régionalisation avec la création des directions régionales de l’action sanitaire et sociale par le décret du 22 avril 1977[7], il s’avère que les compétences de gestion étaient essentiellement dévolues aux structures départementales, alors que les services déconcentrés régionaux avaient principalement un rôle de coordination. C’est en toute logique le département qui a été retenu au début des années 1980 quand il s’est agi de décentraliser une grande partie de ces compétences sociales.
Le département est ainsi devenu l’un des acteurs incontournables de la solidarité et de la cohésion sociale. Cependant, cette mission spécifique ne l’a pas mis à l’abri de certaines tentatives de réforme pouvant aboutir à remettre en cause son existence.
II. Une existence malmenée dans la période contemporaine
La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 399.
[1] Pontier J-M., « Une approche historique » in Quel(s) avenir(s) pour les départements ? ; sous la direction de L. Janicot et N. Ferreira ; Lgdj collection Lejep, 2017, p 13.
[2] Bodineau P. et Verpeaux M., Histoire de la décentralisation, Que sais-je ? ; Puf, 1993, p 56.
[3] Loi n°83-663 complétant la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, Jorf 23 juillet 1983, p 2286.
[4] Loi n°83-8 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, Jorf 9 janvier 1983.
[5] Donier V., Le principe d’égalité dans l’action sociale des collectivités territoriales ; Puam ; 2005, p 166 et s.
[6] Voir en ce sens, les décrets n°64-250 du 14 mars 1964 et 64-783 du 30 juillet 1964.
[7] Décret n°77-429.
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