La décentralisation, une volonté politique de François Mitterrand

ParJDA

La décentralisation, une volonté politique de François Mitterrand

Art. 390.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

Delphine Espagno-Abadie
Maître de conférences, Sciences Po Toulouse,
membre du Collectif L’Unité du Droit

Alors que nous célébrons les quarante ans de la loi du 2 mars 1983 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, un petit retour en arrière ne pas nuire à la compréhension de cette politique publique qu’est la décentralisation. Si aujourd’hui, la décentralisation nous paraît être une banalité dans l’organisation des relations entre l’État et les collectivités territoriales, il n’en a pas été toujours ainsi. Si de nos jours, les discours sur la décentralisation se déclinent davantage sur le terrain de la différenciation territoriale et du degré possible de mise en œuvre dans les territoires de ces politiques de différenciation, cela n’a pas toujours été le cas.

Sans revenir de manière exhaustive dans ce court billet sur la genèse et sur les raisons qui ont poussé le candidat du Parti socialiste à inscrire la décentralisation dans ses 110 propositions formulées dans sa campagne à l’élection présidentielle, il s’agit plutôt de raviver des souvenirs. Bien-sûr ce type de démarche nécessite un travail plus approfondi mais qui ne peut être mené dans un laps de temps trop court pour l’auteur à ce jour. Il eût fallu pouvoir accéder en amont à quelques dossiers conservés aux Archives nationales, procéder aussi à quelques entretiens avec les acteurs de cette campagne comme avec les rédacteurs de la loi de 1982 mais le temps nous a manqué. Nous nous contenterons donc ici de revenir sur l’état d’esprit de François Mitterrand et sur sa volonté de faire de la décentralisation un axe majeur de son septennat. Dans ce cadre, la décentralisation apparaît comme une volonté de rompre avec l’État central (I) pour mettre en place des « contre-pouvoirs organisés » et un « État décentralisé » consacrant une réforme de l’État toujours en mouvement (II).

I. La décentralisation, une volonté politique de rupture avec l’État central

Il est difficile de comprendre le choix fait par le candidat socialiste en 1981, puis celui du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, sans se pencher sur la période précédant son élection. Comme le soulignent de nombreux spécialistes de la décentralisation, la loi de 1982 et celles qui suivront, notamment celle de 1992, constituent une rupture avec un contexte politique et une situation juridique très centralisatrice. La décentralisation, voulue par le candidat socialiste, adoptée par le législateur sur proposition du ministre de l’Intérieur et de la décentralisation, « est le résultat d’un long processus de transformation de l’organisation du territoire de la République[1] ».

Ainsi, François Mitterrand, alors Président de la République, lors de la séance du Conseil des Ministres du 15 juin 1981 ou encore dans le cadre d’un discours prononcé à Lyon en juillet 1981 déclare : « la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire[2] ». Sans pour autant que la loi de 1982 ne fasse explicitement référence au terme de décentralisation, l’esprit de la loi est bien celui inspiré par cette volonté du Président de la République d’inscrire son septennat dans une nouvelle « manière d’être de l’État » pour reprendre les mots du Doyen Hauriou. Comme le relève, le Professeur Verpeaux, ni la loi de 1982, ni celle de 1983 ou celle de 1984, pas plus que celle de 1992 ne font figurer dans leurs intitulés le terme de décentralisation[3]. C’est pourtant de cela dont il s’agit et les spécialistes de la décentralisation, notamment ceux qui dans les cabinets ministériels, tant de Gaston Defferre que de Pierre Joxe, ont œuvré à la mise en forme de cette décentralisation voulue par le Président de la République ne nous démentiront pas.

En voulant cette transformation majeure de l’organisation administrative du territoire, le candidat puis le Président de la République, François Mitterrand a fait le choix de cette rupture avec le passé. En effet, la décentralisation telle qu’elle a été voulue par le candidat à l’élection présidentielle en 1981 constitue une manière de rompre avec un État centralisé, lourd et omniprésent. C’est également un changement de politique et le signe d’une volonté de tourner la page du gaullisme et de ses héritiers plus ou moins directs dont les manières de gouverner conduisaient à défier les élus locaux, voire à les affaiblir. Ainsi, François Mitterrand, en 1977 alors qu’il conclut la rencontre nationale des présidentes de conseils généraux socialistes et radicaux de gauche, déclare : « la décentralisation est la grande affaire d’un gouvernement de gauche et le maître-mot d’une expérience du progrès. Toute réforme doit commencer par le haut, et l’on ne fera rien si l’on ne casse pas l’inspection des finances et si l’on garde les préfets et leurs contrôles a priori ». Toutefois, il serait inexact de considérer que seul François Mitterrand a eu pour préoccupation un autre aménagement des relations entre l’État et les collectivités territoriales. Valéry Giscard d’Estaing, avant lui, a tenté de mettre en œuvre une décentralisation mais sans y parvenir. Comme le souligne Vincent Aubelle, l’objectif de décentralisation sous Valéry Giscard d’Estaing devait faire l’objet de trois textes législatifs mais qui n’ont pas abouti au Sénat[4]. Dans son entretien au journal le Monde en juillet 1981, le Président Mitterrand détaille ce qu’il veut faire en matière de décentralisation. Dans le prolongement de ce qu’annonçait le Manifeste adopté à Créteil le 24 janvier 1981 lors du Congrès extraordinaire du Parti socialiste qui l’a désigné comme candidat du parti à l’élection présidentielle[5], François Mitterrand précise que la loi de décentralisation, défendue par Gaston Defferre, aura pour objectif – objectif atteint – de limiter juridiquement les pouvoirs du Préfet en transférant « ces pouvoirs aux élus régionaux, départementaux et municipaux, qui deviendront majeurs et responsables[6] » et en supprimant « les tutelles a priori. Le représentant de l’État n’exercera plus qu’un contrôle a posteriori. Les délibérations des assemblées locales seront exécutoires immédiatement et de plein droit. Si le représentant de l’État estime que l’une d’entre elles est illégale, il pourra demander au juge de se prononcer sans que le recours soit suspensif[7] ». C’est également dans le prolongement de ce que la décentralisation a été dès la fondation du parti socialiste, au congrès d’Épinay en 1971, que la gauche socialiste et les radicaux de gauche, puis dans le cadre du programme commun, que le candidat Mitterrand puisera sa détermination à faire de la loi de 1982 la première loi discutée par le Parlement lors de la première législature. Cette loi de 1982, en germe depuis longtemps dans les rangs de la gauche, devait redessiner les relations en l’État central et les collectivités territoriales, traduisant ainsi politiquement un attachement au territoire et aux collectivités territoriales. La nomination de Gaston Defferre, en début de mandat, comme ministre de l’Intérieur et de la décentralisation n’est en rien due au hasard. De plus, comme le souligne Vincent Aubelle, cet attachement mitterrandien au territoire, attachement analysé par Pierre Joxe dans son ouvrage Pourquoi Mitterrand ?[8] donne un visage particulier à la décentralisation.

II. « Des contre-pouvoirs organisés ; un État décentralisé », une réforme de l’État toujours en mouvement


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 390.


[1] Kada N. & Mergey A., « Décentralisation » in Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation, Berger-Levrault, 2017, p. 360 et suivantes.

[2] Verpeaux M., « 1982 : de quoi la loi du 2 mars est-elle la cause ? », Ajda 2012, p. 743.

[3] Ibid.

[4] Aubelle V., « François Mitterrand : la décentralisation politique pour ne pas défaire la France » in Les grandes figures de la décentralisation. De l’Ancien Régime à nos jours, Berger-Levrault, 2019, p. 589 et s.

[5] Entretien avec le Président de la République, Journal Le Monde, 2 juillet 1981.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Joxe P., Pourquoi Mitterrand ?, Ph. Rey ; 2006, p. 15 à 24.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.