Art. 385.
Le présent article rédigé par Mmes Anne-Camille Deléglise & Eva Mahoudeaux, Etudiantes en Master I Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Emmanuelle Charpentier (2021-2022), s’inscrit dans le cadre de la 5e chronique en Droit de la Santé du Master Droit de la Santé (UT1 Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
L’association Coronavictimes, fervente militante contre la politique opérée par le Gouvernement défère devant le juge administratif toutes les mesures phares adoptées. Cette fois-ci, est à l’ordre du jour le fameux passe sanitaire sur lequel le Conseil d’Etat a dû, encore une fois, se prononcer en référé dans une ordonnance du 25 août 2021.
En période de crise, notamment sanitaire, l’Etat est amené à enrichir un droit déjà complexe, par le biais de mesures d’adaptation inédites. Il en ressort que le juge doit lui aussi s’adapter en tentant d’appliquer ce nouveau droit. Celui-ci manque de pratique et de recul, car adopté dans un contexte d’urgence pour faire front à la situation une crise. Une autre difficulté réside dans la nécessité d’établir un certain contrôle de proportionnalité entre l’ampleur des circonstances et les mesures parfois critiquables sur leur conformité aux droits et libertés fondamentaux, mais qui auraient vocation à être temporaires. Face à cela, le juge français semble avoir opté pour la solution d’une unicité étatique et, ainsi, de ne pas remettre en cause, la plupart du temps, les dispositions gouvernementales. Néanmoins, rattrapé par son obligation d’indépendance, le juge y procède de manière assez indirecte. L’ordonnance du 25 août 2021 en est une illustration.
Les faits de l’affaire sont les suivants. L’association Coronavictimes avait saisi le juge administratif des référés pour requérir la suspension de l’exécution du décret 2021-1059 du 7 août 2021. Ce décret imposait notamment la possession d’un « passe sanitaire » dans les transports et pour certains rassemblements en extérieur. Il faut rappeler que le « passe sanitaire » avait été instauré par la Loi 2021-689 du 31 mai 2021 et son décret d’application 2021-699 du 1er juin 2021, et jugé conforme à la Constitution (C. constit. DC 2021-819 du 31 mai 2021).
L’association requérante invoquait l’illégalité de ce décret par le biais de trois moyens :
- Conditionner l’accès à certains transports publics et évènements à la possession d’un « passe sanitaire » crée une inégalité de traitement entre les personnes vaccinées et celles qui ne le sont pas.
- Conditionner l’accès à certains transports publics et évènements à la possession d’un « passe sanitaire » porte une atteinte à la liberté d’aller et venir.
- Exonérer, sous certaines conditions, d’un test de dépistage ou du port du masque les personnes vaccinées, alors que l’efficacité du vaccin n’a pas été prouvée, ne respecte pas la volonté de protection de la santé du législateur.
Sur le premier moyen :
Au premier moyen, le Conseil d’Etat répond tout simplement que le « passe sanitaire » pouvait être obtenu, non pas uniquement par la vaccination, mais également par un test de dépistage ou un certificat de rétablissement de la maladie. Le juge a tout bonnement repris les termes de la Loi du 31 mai 2021 qui, en son Article Premier II. 2°, autorisait le Premier Ministre à :
« Subordonner l’accès des personnes à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels à la présentation soit du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19. »
Il s’agit ici d’une application littérale des textes. Ce rappel du Conseil d’Etat était largement prévisible. Au premier abord, il semblerait que la notion de « passe sanitaire » n’ait pas été comprise dans sa globalité par l’association, celle-ci ne l’assimilant qu’à un schéma vaccinal complet. Cependant, l’association Coronavictimes est une habituée des bancs du tribunal administratif. Elle est en effet à l’origine de nombreux recours portant sur les mesures gouvernementales de crise. Il est donc possible de supposer que l’association tente par tout moyen d’obtenir gain de cause, même par des arguments saugrenus.
Sur le deuxième moyen :
En ce qui concerne le deuxième moyen, le Conseil d’Etat invoque sa légalité en se fondant également sur la loi du 31 mars 2021. Son Article 1. II. 1. 1° prévoit la nécessité du « passe sanitaire » pour certains déplacements, notamment pour entrer et sortir du territoire. Le paragraphe suivant implique les lieux en extérieur dans les restrictions qu’il met en œuvre.
Le Conseil d’Etat a interprété souverainement, avec les éléments qui lui étaient fournis, que les précédentes dispositions ne portaient pas atteinte à la liberté d’aller et de venir. Il reprend ici la position qu’il a défendue tout au long de la crise, selon laquelle les mesures prises par le Gouvernement pour faire face à la crise sanitaire n’entravent pas les libertés des individus.
Il faut soulever que le Conseil d’Etat aurait simplement pu statuer sur les deux premiers moyens d’une traite. En effet, dans la mesure où le « passe sanitaire » pouvait s’obtenir à l’aide d’un PCR et que ces tests étaient disponibles et gratuits à tous, alors chacun pouvait accéder aux transports et aux manifestations en plein air. Les juges de la haute juridiction administrative ont cependant démontré d’une certaine distance. En effet, un test PCR même gratuit et disponible peut rester assimilé à une limite dans l’accès aux transports. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel avait déjà validé la constitutionnalité du passe sanitaire quant à la liberté d’aller et venir. Le juge administratif est donc lié à cette jurisprudence constitutionnelle et ne peut pas la remettre en cause au nom de n’importe quel motif.
L’absence totale de fondements exprimée par le juge administratif pour déclarer conforme le passe sanitaire à la liberté d’aller et venir renvoie à un désir du juge de rester neutre. Ainsi, cette neutralité revendiquée pourrait aussi s’apparenter à leur absence de volonté d’immission dans les mesures prises par le Gouvernement.
Sur le troisième moyen :
C’est néanmoins dans l’analyse du troisième et dernier moyen que l’hypothèse précédente apparaît flagrante. En effet, le Conseil d’Etat se contente simplement d’affirmer qu’autoriser sous conditions les personnes vaccinées à déroger aux tests de dépistage du virus et au port du masque n’est pas « de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ». Ici, le juge reste extrêmement en retrait puisqu’il n’apporte aucune justification sur cette légalité. Il ne reprend ni l’idée d’efficacité non prouvée de la vaccination ni celle d’objectif de protection de la santé du législateur invoquées par les requérants.
Ce silence juridictionnel pourrait découler du manque de consensus et de recul scientifique quant à l’efficacité effective de la vaccination. Ces débats, d’origine scientifique, ont fini par se retrouver au centre de l’opinion publique qui remet en question la politique vaccinale engagée par le Gouvernement.
En effet, Jacqueline Marvel, chercheuse CNRS au CIRI (immunologue), souligne que « nous n’avons pas d’information précise sur la protection à long terme des vaccins. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que le vaccin est efficace sur une période d’environ 6 mois – le temps qui nous sépare des débuts de la vaccination »[1]. Ainsi, la question de l’efficacité sur le long terme du vaccin est au cœur des polémiques.
La HAS a dans un premier temps, par un avis du 23 août 2021[2], recommandé l’administration d’une dose de rappel pour les personnes les plus à risque de faire une forme sévère de la maladie (les personnes de 65 ans et plus et celles présentant des comorbidités) avant d’élargir cette recommandation le 6 octobre 2021[3], à l’ l’ensemble des professionnels qui prennent en charge ou accompagnent ces personnes vulnérables (soignants, transports sanitaires et professionnels du secteur médico-social) et préconise également de le proposer à l’entourage des personnes immunodéprimées. La recommandation de l’administration d’une dose de rappel pour ces personnes à risques ou en contact avec ces mêmes personnes, souligne ce manque de recul et de connaissance scientifique sur la maladie et les vaccins élaborés.
La question des multiples variant et de leur impact vis-à-vis de la vaccination est également à prendre en compte. Effectivement, le monde scientifique n’a que peu de données, et de recul sur ces données pour statuer sur le fait de savoir si les variants pourraient échapper à la protection conférée par les vaccins basés sur la souche initiale de l’épidémie ou même diminuer, drastiquement ou non, cette protection.
L’impact de l’évolution du virus sur les vaccins actuels, ainsi que l’évolution de la pandémie sont suivis au jour le jour, afin d’obtenir une réponse à ces nombreuses questions.
L’état des connaissances scientifiques et médicales sur le Sars-Cov-2 évolue de jour en jour, et pour le moment, les vaccins étant toujours en phase 3 des essais cliniques, afin de mesurer l’efficacité et la sécurité des vaccins, aucune conclusion ne peut être véritablement tirée.
Le juge ne peut alors, pour le moment, pas statuer sur ce point, les scientifiques n’ayant eux-mêmes pas statué définitivement.
Cet arrêt du Conseil d’Etat n’a cependant pas vocation à perdurer dans le temps. En effet, les tests PCR et antigéniques sont devenus payants depuis le 15 octobre 2021 pour les personnes non vaccinées et ne disposant pas d’une ordonnance en vertu de l’arrêté du 14 octobre 2021 modifiant l’arrêté du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire. Le motif du Conseil d’Etat pour justifier l’absence d’inégalité de traitement entre les personnes vaccinées et non vaccinées est donc désormais inopérant.
Il manque encore un peu de recul pour analyser les conséquences de cette nouvelle disposition, et notamment l’apparition d’un nouveau contentieux. En effet, en dehors de la vaccination, le seul moyen de disposer du passe sanitaire serait d’avoir contracté récemment la maladie, ce qui n’est pas une alternative réaliste. Il est ainsi possible d’imaginer soit une vaccination contrainte de la population encore réticente, soit une marginalisation de celle-ci. Le passe sanitaire était obligatoire pour se rendre à l’hôpital ou chez le médecin en vue de soins programmés, cette part de la population non vaccinée et avec peu de ressources pourrait tout simplement renoncer à se faire soigner. Il y a donc un enjeu d’accès aux soins, qui devrait s’estomper si la levée du passe sanitaire s’effectue rapidement. Cependant, le passe sanitaire pourrait aussi perdurer dans le temps et devenir un outil politique. Le Gouvernement ne fait que retarder sa levée pour l’instant. Dans cette hypothèse, la vaccination obligatoire pour tous devra être instaurée par le Gouvernement ou le juge sera amené à se reprononcer sur sa légalité et il est pertinent de se demander comment il pourra défendre l’absence d’une inégalité de traitement.
BIBLIOGRAPHIE
- Avis du Conseil scientifique COVID-19 du 6 juillet 2021 « REAGIR MAINTENANT POUR LIMITER UNE NOUVELLE VAGUE ASSOCIEE AU VARIANT DELTA » Disponible sur https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_6_juillet_2021_actualise_8_juillet_2021.pdf?fbclid=IwAR35yGdcx-jLyIj4IU464ukHt8OwqI03pGqOTvV9CELtq7JNgDM0NYM3Qtg
- HAS – Avis n° 2021.0061/AC/SEESP du 23 août 2021 du collège de la HAS relatif à la définition des populations à cibler par la campagne de rappel vaccinal chez les personnes ayant eu une primovaccination complète contre la Covid-19 – Disponible sur https://www.has-sante.fr/jcms/p_3283044/fr/avis-n-2021-0061/ac/seesp-du-23-aout-2021-du-college-de-la-has-relatif-a-la-definition-des-populations-a-cibler-par-la-campagne-de-rappel-vaccinal-chez-les-personnes-ayant-eu-une-primovaccination-complete-contre-la-covid-19
- HAS – Covid-19 : la HAS élargit le périmètre de la dose de rappel – Disponible sur https://www.has-sante.fr/jcms/p_3290677/fr/covid-19-la-has-elargit-le-perimetre-de-la-dose-de-rappel
- Matthieu Martin – Université de Lyon 1 – « [Covid-19] L’efficacité des vaccins, une comparaison risquée » Disponible sur https://sciencespourtous.univ-lyon1.fr/efficacite-des-vaccins/
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 385.
[1] Matthieu Martin, « [Covid-19] L’efficacité des vaccins, une comparaison risquée » Disponible sur https://sciencespourtous.univ-lyon1.fr/efficacite-des-vaccins/
[2] Avis n° 2021.0061/AC/SEESP du 23 août 2021 du collège de la HAS relatif à la définition des populations à cibler par la campagne de rappel vaccinal chez les personnes ayant eu une primovaccination complète contre la Covid-19 – Disponible sur https://www.has-sante.fr/jcms/p_3283044/fr/avis-n-2021-0061/ac/seesp-du-23-aout-2021-du-college-de-la-has-relatif-a-la-definition-des-populations-a-cibler-par-la-campagne-de-rappel-vaccinal-chez-les-personnes-ayant-eu-une-primovaccination-complete-contre-la-covid-19
[3] Covid-19 : la HAS élargit le périmètre de la dose de rappel – Disponible sur https://www.has-sante.fr/jcms/p_3290677/fr/covid-19-la-has-elargit-le-perimetre-de-la-dose-de-rappel
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