Art. 356.
Extraits de la 5ème chronique Contrats publics (septembre 2021)
L’année écoulée a permis de constater une nouvelle fois que le droit de la commande publique fait preuve d’une capacité d’adaptation importante. Il est d’ailleurs possible que ces adaptations se poursuivent tant la commande publique semble aujourd’hui mise en avant comme un outil de relance économique (v. not. P. Terneyre et T. Laloum, « Droit des contrats administratifs : renversons quelques tables pour la reprise économique ! », Contrats-Marchés publ. 2021, étude 5). Il n’est pas question ici d’anticiper des changements éventuels mais il est possible de relever que ceux qui ont eu lieu lors de cette période si particulière ont toujours été pensés au bénéfice des opérateurs économiques. Or, si l’utilisation de la commande publique au service des politiques publiques nous semble constituer un élément positif, il est regrettable que le but d’intérêt général poursuivi par les personnes de la sphère publique ne semble envisagé que de manière secondaire, après la recherche de protection des opérateurs économiques. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que, derrière les garanties apportées aux opérateurs économiques, se trouvent généralement des hausses d’impôts dénoncées par les mêmes qui plaident en faveur de la protection des entreprises.
Parmi les évolutions les plus marquantes, on retrouve l’adoption de la loi ASAP – qui semble parachever les évolutions provoquées par la pandémie de COVID-19 – et celle des nouveaux cahiers des clauses administratives générales (CCAG) applicables en matière de marchés publics.
La loi ASAP
La loi d’accélération et de simplification de la commande (ASAP) du 7 décembre 2020 (Loi n°2020-1525, JORF du 8 déc. 2020) est le premier texte de loi apportant des modifications significatives au droit de la commande publique depuis l’adoption du code en 2019. Ce n’était pourtant pas l’objectif initial du projet de loi qui ne devait modifier le code de la commande publique qu’à la marge. En effet, la seule modification prévue initialement concernait les contrats passés avec des avocats ayant pour objet des services juridiques de représentation ou des services juridiques de consultation. Elle a été maintenue dans le texte adopté : ces contrats intègrent désormais la catégorie des « autres marchés » et des « autres contrats de concession », ce qui signifie qu’ils peuvent être passés sans qu’une procédure de publicité et de mise en concurrence ne soit mise en œuvre (ils relevaient auparavant de la procédure adaptée).
Les modifications ASAP du droit de la commande publique ne se sont cependant pas arrêtées là. Elles se retrouvent aux articles 131 à 133 et 140 à 144 de la loi et permettent de sanctuariser certaines mesures adoptées dans le cadre de la législation d’exception mise en place pour faire face à la pandémie de Covid-19 (Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de COVID-19, JORF du 26 mars 2020 ; Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire, JORF du 13 mai 2020 ; Ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique, JORF du 18 juin 2020).
- En premier lieu, la loi crée une nouvelle exception permettant aux acheteurs de conclure leurs marchés sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque le respect d’une telle procédure est manifestement contraire « à un motif d’intérêt général » (CCP, art. L. 2122-1 et L. 2322-1). Pour autant, les acheteurs ne sont pas compétents pour identifier de tels motifs d’intérêt général. Il faut donc attendre que le pouvoir réglementaire intervienne pour fixer la liste de ces motifs.
- En deuxième lieu, la loi modifie les dispositions du code de la commande publique pour interdire l’exclusion des entreprises en redressement judiciaire si elles bénéficient d’un plan de redressement (CCP, art. L. 2141-3 et L. 3123-3). Dans le même sens, les acheteurs et les autorités concédantes se voient interdire de résilier un contrat au seul motif qu’une entreprise est placée en redressement judiciaire lorsqu’elle bénéficie d’un plan de redressement (CCP, art. L. 2195-4, L. 2395-2 et L. 3136-4).
- En troisième lieu, la loi étend le dispositif applicable aux marchés de partenariat pour faciliter l’accès des PME, des TPE et des artisans aux marchés globaux. Désormais ces contrats doivent fixer « la part minimale de l’exécution du contrat que le titulaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans » (CCP, art. L. 2171-8). De plus, « la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans » figure dorénavant parmi les critères d’attribution de ces marchés globaux (CCP, art. L. 2152-9).
- La loi crée également, et en quatrième lieu, deux nouveaux livres intégrés dans le code de la commande publique et intitulés « dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles » : le premier concerne les marchés publics, le second les contrats de concession. Leur contenu est proche de celui de l’ordonnance du 25 mars 2020 et cherche à permettre une réactivité plus importante face à de telles circonstances (CCP, art. L. 2711-1 à L. 2728-1 et L. 3411-1 à L. 3428-1). D’un point de vue pratique, les mesures prévues pour faire face aux circonstances exceptionnelles pourront être activées par décret, ce qui devrait permettre de réagir plus rapidement, sans intervention du législateur.
- En cinquième lieu, conformément au texte initial du projet de loi, la loi ASAP intègre les marchés et contrats de concession ayant pour objet des « services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle » ou des « services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation d’une telle procédure » dans la catégorie des « autres marchés » (CCP, art. L. 2512-5) et des « autres contrats de concession » (CCP, art. L. 3212-4). Ils échappent donc désormais au respect des procédures de publicité et de mise en concurrence. Le législateur a expliqué ce choix par la volonté de mettre fin à la surtransposition des directives qui avait conduit à soumettre ces contrats au respect d’une procédure adaptée.
- En sixième lieu et de manière subtile, la loi ASAP fait fortement évoluer les règles applicables aux marchés réservés. Pour rappel, il s’agit de contrats qui font l’objet de procédures de publicité et de mise en concurrence mais pour lesquels seuls certains opérateurs économiques peuvent candidater, parce qu’ils emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés. Jusqu’à présent, une distinction était opérée en fonction des structures : les marchés pouvaient soit être réservés aux entreprises adaptées et aux établissements et services d’aide par le travail, soit être réservés aux structures d’insertion par l’activité économique. Désormais, cette distinction n’existe plus, ce qui signifie que les acheteurs peuvent mettre en concurrence l’ensemble de ces opérateurs lors de l’attribution d’un marché réservé (CCP, art. L. 2113-14).
- En septième lieu, la loi crée un nouveau seuil de 100 000 euros hors taxes pour les marchés publics de travaux (inspiré du seuil provisoire de 70 000 euros mis en place dans le cadre de la législation d’exception). Il prévoit que les marchés de travaux qui répondent à des besoins dont la valeur estimée est inférieure à ce seuil, ainsi que les lots inférieurs à ce seuil et qui portent sur des travaux dans la limite de 20% de la valeur totale du marché peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables. Il ne s’agit pour l’heure que d’un seuil provisoire applicable jusqu’au 31 décembre 2022 (art. 142 de la loi ASAP, non codifié).
- En huitième lieu, la loi met fin au décalage qui existait entre les marchés publics et les contrats de concession en matière de modifications en cours d’exécution. En effet, lors de la transposition des directives de 2014, le législateur avait prévu que les règles concernant les modifications en cours d’exécution des contrats de concession s’appliqueraient également aux modifications concernant des contrats de concession conclus avant le 1er avril 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance « concessions ». Or, cette règle ne concernait pas les marchés publics passés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance « marchés publics » du 23 juillet 2015. La loi ASAP revient donc sur ce décalage : désormais tous les contrats de la commande publique « pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à la publication avant le 1er avril 2016 peuvent être modifiés sans nouvelle procédure de mise en concurrence dans les conditions définies par le code de la commande publique ».
- En dernier lieu, la loi crée une nouvelle catégorie parmi les marchés globaux sectoriels qui peuvent être utilisés par l’Etat (CCP, art. L. 2171-4, 5°) et elle modifie les règles applicables aux marchés globaux sectoriels conclus par la Société du Grand Paris (CCP, art. L. 2171-6).
Enfin, il convient de souligner qu’un premier décret a été adopté en application de la loi ASAP le 30 mars 2021 (Décret n° 2021-357 du 30 mars 2021 portant diverses dispositions en matière de commande publique). Son principal apport est de fixer à 10 % la part de l’exécution des marchés publics globaux qui doit être confiée à des PME, des TPE ou des artisans. Il permet également de modifier la partie réglementaire du code de la commande publique pour tenir compte des modifications législatives concernant les services juridiques ; de reformuler les hypothèses de dispense de jury pour l’attribution des marchés globaux ; et d’intégrer dans le code le point de départ du délai de paiement du solde des marchés publics de maîtrise d’œuvre précisé dans le nouveau CCAG.
De nouveaux CCAG pour les marchés publics
Les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) font partie de ces documents qui, bien qu’indispensables aux praticiens de la commande publique, sont rarement étudiés en tant que tels.
Pour rappel, le code de la commande publique envisage expressément le recours aux CCAG. Il est en effet prévu que les clauses des marchés publics « peuvent être déterminées par référence à des documents généraux tels que :
1° Les cahiers des clauses administratives générales, qui fixent les stipulations de nature administrative applicables à une catégorie de marchés ;
2° Les cahiers des clauses techniques générales, qui fixent les stipulations de nature technique applicables à toutes les prestations d’une même nature » (CCP, art. R. 2112-2).
Pour l’exprimer plus simplement, les CCAG constituent en quelque sorte des « modèles » contractuels auxquels les acheteurs peuvent se référer. Comme le rappelle la DAJ dans sa notice de présentation des nouveaux textes, « les CCAG sont des documents-types » qui « déterminent les droits et obligations des cocontractants sur toute la vie du contrat : délais d’exécution, sous-traitance, garanties et assurances, prix et paiement, prestations supplémentaires, pénalités, admission et réception, résiliation, ajournement et règlement des différends, etc » (DAJ, Réforme des cahiers des clauses administratives générales (CCAG) 2021, https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/CCAG/RefonteCCAG/Notice%20pr%C3%A9sentation%20CCAG.pdf ). A ce titre, les CCAG constituent un outil indispensable pour les praticiens.
Pour autant, les CCAG n’avaient pas évolué depuis leur révision en 2009. Or, la disparition du code des marchés publics et son remplacement par le code de la commande publique appelaient une réforme de ces textes. C’est désormais chose faite avec l’adoption de six arrêtés ministériels le 30 mars 2021 (v. la liste et les renvois aux différents textes sur le site de la DAJ : https://www.economie.gouv.fr/daj/cahiers-clauses-administratives-generales-et-techniques ), chacun d’eux portant approbation d’un nouveau CCAG :
- Le CCAG Marchés de fournitures courantes et services (CCAG-FCS)
- Le CCAG Marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI)
- Le CCAG Marchés publics de travaux (CCAG Travaux)
- Le CCAG Marchés publics industriels (CCAG-MI)
- Le CCAG Marchés publics de techniques de l’information et de la communication (CCAG-TIC)
- Le CCAG Marchés publics de maîtrise d’œuvre (CCAG-MOE).
Les marchés publics de maîtrise d’œuvre ont donc désormais droit à leur propre CCAG, ce qui signifie que les acheteurs n’auront plus à se référer au CCAG-PI lorsqu’ils concluront de tels marchés.
Ces nouveaux CCAG sont tous entrés en vigueur le 1er avril 2021 (un décret ayant autorisé leur entrée en vigueur immédiate). Les cinq premiers prévoient cependant un dispositif transitoire. En effet, en principe ils ne s’appliquent pas aux marchés pour lesquels « une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence envoyé à la publication entre 1er avril 2021 et le 30 septembre 2021 », sauf si ces marchés se réfèrent expressément aux nouveaux CCAG. Les CCAG de 2009 vont donc continuer à s’appliquer pour quelques mois encore, sauf pour les marchés publics de maîtrise d’œuvre.
Du point de vue de la méthode, un groupe de travail a été créé dès septembre 2019 réunissant des représentants des différents acteurs du droit de la commande publique. Ce groupe de travail a permis la rédaction de projets de CCAG, soumis à consultation publique entre le 15 janvier et le 5 février 2021. Ce sont donc les projets de ce groupe de travail, enrichis par la consultation publique, qui ont été adoptés.
La question est alors de savoir quels sont les (principaux) changements apportés par ces textes.
Outre l’harmonisation terminologique nécessaire au regard des évolutions de la réglementation (pour davantage de précisions sur ce point, voir : DAJ, Notice de présentation, préc.), l’une des principales nouveautés réside dans l’adoption, déjà évoquée, d’un sixième CCAG spécifique pour les marchés de maîtrise d’œuvre. Auparavant, les acheteurs se référaient au CCAG-PI de 2009 mais ils « étaient contraints d’y déroger de façon massive, notamment en ce qui concerne les prix provisoires, l’assurance-construction, la propriété intellectuelle, le paiement du solde, ou de rédiger un cahier des charges spécifique complet » (DAJ, Notice de présentation, préc.). Le nouveau CCAG-MOE devrait permettre de remédier à cette situation peu satisfaisante et de sécuriser davantage les marchés publics conclus sur son fondement.
Autre nouveauté, les nouveaux CCAG comportent tous un préambule qui précise son champ d’application (quels sont les marchés publics concernés par ledit CCAG) et les conditions dans lesquelles les acheteurs peuvent se référer à plusieurs CCAG. Ces préambules rappellent en effet que, « par principe, un marché ne peut se référer qu’à un seul CCAG » mais envisagent deux dérogations :
- La première est une dérogation générale qui concerne les marchés globaux (CCP, art. L. 2171-1). L’objet particulier de ce type de contrats justifie en effet que les acheteurs se réfèrent à plusieurs CCAG. Pour autant, la référence à plusieurs CCAG n’est pas sans risques et ce sont donc les acheteurs qui doivent « veiller à assurer la parfaite cohérence entre les différentes clauses » des CCAG auxquels ils se réfèrent.
- La seconde dérogation concerne les prestations secondaires qui « doivent être régies par des stipulations figurant dans un autre CCAG que celui désigné dans le marché ». Dans ce cas, les acheteurs ne peuvent pas se référer à deux CCAG : ils doivent se référer à un CCAG principal et « reproduire, dans le cahier des clauses administratives particulières ou dans tout autre document qui en tient lieu, les stipulations retenues ou tout autre document qui en tient lieu, sans référence au CCAG dont elles émanent ».
Les clauses contenues dans les différents CCAG évoluent également. Chaque CCAG connaît ses propres évolutions et/ou adaptations mais certaines sont communes à l’ensemble des CCAG. La directrice des affaires juridiques du ministère de l’Économie, des Fiannces et de la Relance, Laure Bédier, les qualifie de « clauses transversales », par opposition aux clauses « spécifiques à chaque catégorie de marché » (H. Hoepffner, « Entretien avec Laure Bédier », Contrats-Marchés publ. 2021, dossier 3). Ainsi, le montant des avances versées aux cocontractants repose désormais sur le choix entre une option A qui permet de favoriser les PME et une option B qui conduit à une application plus classique des dispositions du code, le montant des pénalités de retard est davantage encadré, les modalités de versement des primes sont harmonisées et clarifiées et les ordres de services doivent désormais être valorisés sous peine de voir leur mise en œuvre refusée par le cocontractant. Par ailleurs, l’utilisation de la dématérialisation est facilitée, ainsi que le recours aux modes de règlement amiable des différends. Enfin, tous les CCAG intègrent une clause relative à la propriété intellectuelle, des clauses environnementales, une clause d’insertion sociale et aussi une clause visant à anticiper les difficultés rencontrées par les cocontractants en cas de circonstances imprévisibles.
Les nouveaux CCAG cherchent donc à orienter davantage l’action des acheteurs lors de la rédaction de leurs marchés publics. Ils ont également pour objectif de sécuriser davantage l’exécution des marchés publics (avances, ordres de services…). Pourtant, et en toutes hypothèses, le recours aux CCAG reste volontaire ce qui signifie que les acheteurs sont libres d’y déroger. Ce n’est généralement pas le cas en pratique mais, le code de la commande publique comme les CCAG envisagent cette possibilité, au grand dam des professionnels du secteur (v. not. H. Hoepffner, « La liberté de déroger aux CCAG pourrait-elle et devrait-elle être limitée ? », Contrats-Marchés publ. 2021, repère 7). Est-ce à dire que les CCAG pourraient rapidement évoluer ?
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Mathias Amilhat ; chronique contrats publics 05 ; Art. 356.
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