par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou,
Président du Collectif l’Unité du Droit
Art. 14. Il était important que le JDA ouvre ses colonnes en rendant – tout d’abord – hommage à ses deux premiers et originels fondateurs de 1853 :
Pour ce faire, le pr. Touzeil-Divina nous propose, issus de ses recherches doctorales, deux premiers portraits afin de connaître davantage les pères fondateurs du JDA.
Daguerréotype de M. Chauveau (circa 1860)
Collection personnelle - Touzeil-Divina (c)
(3e enseignant de la chaire toulousaine de droit administratif
après DE BASTOULH (fils) & ROMIGUIERES
mais 1er titulaire de fait) (1838-1868))
Eléments de biographie
- Né le 29 mai 1802 à Poitiers (Vienne).
- Fils de Jean CHAUVEAU, inspecteur des contributions et de Marie-Anne-Agnès- Augustine RICHARD.
- Marié à Adèle-Louise DOUSSET le 24 Septembre 1820 ; ils auront quatre enfants.
- Etudes de droit à la Faculté de Poitiers (licencié le 18 août 1821 date à laquelle il entre au Barreau de Poitiers puis à celui de Poitiers en 1825).
- Doctorat obtenu le 31 août 1839 (de la société en matière civile et commerciale).
- Entré dans l’Université en 1838 par nomination (sans concours).
- Entré dans la chaire de droit administratif toulousaine en 1838 par nomination ministérielle puis confirmé de façon définitive en 1841.
- Nommé professeur de droit administratif en 1838 il ne quittera jamais ces fonctions malgré de très nombreuses démarches en ce sens pour enseigner toute autre matière !
- A été avocat aux Conseils au début de la Monarchie de Juillet ; en 1830, en effet, il a refusé la place d’avocat général près la cour de Poitiers que son ami, Nicias GAILLARD, acceptera, quant à lui, en 1833.
- A été vice-président du Conseil des prisons.
- Doyen de la Faculté de droit de Toulouse en 1861, puis de 1865 à 1868 (d’abord par intérim suite au départ de DELPECH puis comme titulaire à partir de 1865).
- Décédé le 16 décembre 1868 à Toulouse (Haute-Garonne) (de problèmes cardiaques).
- Il est inhumé à Toulouse mais les services des cimetières n’ont pas encore réussi à identifier l’endroit de sa sépulture. Des recherches approfondies sont en cours.
- A rédigé de nombreuses codifications spéciales (forêts, instruction administrative, etc.) mais son ouvrage publiciste de référence est : Principes de compétence et de juridiction administratives (qui deviendra Lois de la procédure administrative).
- A écrit de très nombreux ouvrages juridiques en droit pénal (avec Faustin HELIE) et en procédure (civile, pénale et administrative ; continuant ceux de CARRE) ; a dirigé de très nombreux recueils essentiellement prétoriens tels que le Journal des avoués et le Journal du droit administratif.
CHAUVEAU,
le Poitevin héritier de BONCENNE,
qui faisait du droit administratif
… malgré lui ! ?
Si l’on a pu écrire, que BARILLEAU et CABANTOUS, ou que GOUGEON, ne semblaient pas avoir été des administrativistes convaincus de l’utilité et de l’intérêt de leur enseignement en droit administratif, cela n’est rien comparé à l’apparent dégoût que semble avoir vécu Adolphe CHAUVEAU, à Toulouse, pour cette matière. Comme ses prédécesseurs dans cette chaire, d’ailleurs (DE BASTOULH et ROMIGUIERES), CHAUVEAU n’avait pas choisi d’enseigner le droit administratif : il lui fut proposé en 1838 par son ami le ministre SALVANDY mais il ne manqua pas, alors, de demander à ce que cette mission ne soit que des plus temporaires afin de pouvoir, en premier lieu, bénéficier d’une activité rémunérée (il avait en effet subi plusieurs déconvenues financières en tant qu’avocat) et, dans un second temps, être nommé dans une des deux chaires qu’il rêvait d’occuper : celle de procédure (civile et criminelle) qu’à Poitiers son maître, BONCENNE, avait tenue ou encore celle de droit pénal qu’on lui aurait promise à Paris.
En effet, jusqu’en 1838 CHAUVEAU avait rédigé et participé à la publication de très nombreux ouvrages en droit privé et notamment en matière procédurale ou pénale. Son nom avait même été associé dans cette voie à ceux des plus grands : CARRE et HELIE en particulier. Il passa alors toute sa carrière à demander mutations et promotions pour quitter l’enseignement d’un droit public qu’il n’avait pas choisi refusant néanmoins par deux fois d’embrasser la magistrature, se définissant (avec raison) comme un « véritable universitaire ».
Pourtant, dès 1840, le ministre qui l’avait nommé refusa qu’il se présentât à Poitiers au concours pour la chaire que BONCENNE avait laissé vacante « en se fondant sur ce qu’un professeur qui aurait échoué serait compromis aux yeux des élèves » ! Par suite, c’est très fréquemment que son dossier personnel fait état de demandes de mutations, de nominations, ou même d’autorisations à concourir comme en 1851 où le juriste fait partie des candidats en lice désireux d’occuper la chaire de DE GERANDO. En effet, même si CHAUVEAU demanda avant tout à quitter l’enseignement du droit administratif (en 1861 il demande ainsi une chaire de droit criminel ; en 1863 une autre de droit commercial etc.), il cherchait également une promotion (auprès de l’Ecole du Panthéon) mais aussi – et peut-être surtout – à quitter la ville de Toulouse dans laquelle dès son arrivée il eut quelques démêlés.
Notons d’ailleurs que CHAUVEAU écrivit tant et tant de demandes de mutations que cette action lui fut expressément reprochée dès 1845. Le ministre écrivant ainsi au Toulousain : « j’ai lieu de m’étonner, Monsieur, que pour me témoigner vos vœux à cet égard vous ayez cru devoir recourir à l’intervention d’un de mes collègues [en l’occurrence le Garde des Sceaux ainsi que cela se pratiquait déjà énormément]. Ce recours a quelque chose d’étranger de la part d’un fonctionnaire de l’Université ».
Signature personnelle de M. Chauveau (1835)
Collection personnelle - Touzeil-Divina (c)
CHAUVEAU (le mal aimé)
et « l’affaire » du doctorat
Dès son arrivée à Toulouse, CHAUVEAU fut particulièrement mal accueilli ce qui explique certainement son amertume et son désir de quitter un établissement dans lequel, lors de son arrivée, doyen, collègues et certains étudiants même, lui avaient clairement signifié que puisqu’il n’était pas docteur en droit (mais simplement licencié), il n’avait aucune légitimité à participer aux examens et à la vie même de la Faculté.
Des échanges – très vifs – eurent alors lieu entre le doyen MALPEL et lui. Le recteur THUILLIER (par lettre datée du 06 septembre 1839) décrit ainsi : « Depuis sa nomination, ce fonctionnaire n’a cessé d’exciter les plaintes les plus vives soit par la faiblesse de son enseignement, faiblesse qui s’est révélée dès la 1re leçon, soit par la turbulence de son caractère qui a donné occasion à plusieurs scènes scandaleuses » et notamment à de nombreuses injures destinées aux autres membres de la Faculté de droit (doyen compris !). Le 06 mai de cette même année il avait ainsi, pendant une séance disciplinaire, « dit tout haut qu’un simple doyen n’avait pas le droit d’agir comme [il agissait] et comme M. le recteur voulut le rappeler aux convenances, il répliqua avec arrogance qu’il avait eu tort de dire un simple doyen et qu’il aurait été peut-être plus juste de dire un doyen simple » !
Il n’en fallut pas davantage pour provoquer l’ire dudit doyen MALPEL qui signifia ouvertement à son ministre que non seulement CHAUVEAU devrait être rappelé à l’ordre mais encore qu’il était impératif qu’il obtienne dans l’année son grade de docteur pour ne pas se trouver comme il l’avait déjà été à examiner des « hommes plus avancés que lui ».
Auprès de BONCENNE et de FOUCART, CHAUVEAU revint donc à Poitiers pour terminer ses études (sic) et retourna ensuite à Toulouse où, peu à peu, les esprits se calmèrent. MALPEL gardera néanmoins un souvenir amer de cet épisode et continuera à dire au ministre : « vous savez de quelles circonstances fut accompagnée la nomination de M. CHAUVEAU à la chaire de droit administratif. Il ne m’appartient pas de critiquer la disposition ministérielle qui investit du professorat un sujet qui n’était pas pourvu des grades exigés par nos règlements universitaires (…) ayant alors eu pour résultat d’enlever à nos docteurs des droits acquis, ou du moins des espérances légitimes (…) [et qui jeta] du discrédit sur les grades universitaires ».
Eléments de bibliographie
A son égard, voyez notamment :
- aux Archives Nationales : A.N F17 / 20404 (dossier personnel) ;
- aux Archives Nationales : A.N. F17 / 2059 (affaire du doctorat) ;
- Dictionnaire Historique des Juristes Français (2nde édition), p. 237 et s. ;
- BATBIE Anselme-Polycarpe, « Annonce du décès de M. Adolphe CHAUVEAU » in RCLJ ; Paris, Cotillon ; 1869, Tome XXXIV ; p. 96 ;
- DEVAUX Olivier & ESPAGNO Delphine, « Avant Maurice Hauriou, l’enseignement du droit public à Toulouse (…) » in Histoire de l’enseignement du droit à Toulouse ; 2007 ; p. 353 et s.
- DAUVILLIER Jean, « Le rôle de la Faculté de droit de Toulouse dans la rénovation des études juridiques et historiques aux XIXe et XXe siècles » in Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse ; Toulouse ; 1976 ; Tome XXIV, fascicules 1 et 2 ; p. 368 ;
- ROZY Henri-Antoine, CHAUVEAU Adolphe, sa vie, ses œuvres ; Paris, Thorin ; 1870;
- TOUZEIL-DIVINA Mathieu, La doctrine publiciste – 1800 – 1880 (éléments de patristique administrative) ; 2009, La Mémoire du Droit ; p. 258 et s.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Histoire(s) – Chauveau [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 14.
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