par Mme Georgina BENARD-VINCENT
Étudiante en master II « Droit public général et contentieux public », Université de Lille2, Attachée principale, Responsable Ressources Humaines dans une collectivité territoriale
Art. 76. Les français attendent à juste titre de leur administration qu’elle réponde le plus efficacement possible à leurs demandes de permis de construire, d’inscription dans un établissement scolaire, d’agrément de leur association sportive, etc. Dans ce contexte, le principe « silence vaut acceptation » a pour ambition d’offrir plus de garanties au public et se pose comme une mesure forte de simplification. La loi n°2013-1005 du 12 novembre 2013 a simultanément énoncé le principe « silence vaut acceptation » et a habilité le gouvernement à codifier la procédure administrative non contentieuse. Ainsi, l’article L.232-1 du nouveau code des relations entre le public et l’administration (CRPA) énonce que « le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision d’acceptation ». L’effet du silence est donc inversé : une absence de réponse de l’administration équivaut désormais à un accord tacite. À s’en tenir à cette seule disposition, l’état du droit paraît clair et l’auteur d’une demande adressée à l’administration n’a guère de doute. Mais la mise en œuvre de ce principe s’avère tortueuse.
Car, qui dit principe dit exceptions !. Il convient d’abord d’indiquer les cinq exceptions légales, explicitées à l’article L.231-4 (demandes financières, atteintes aux libertés ou à l’ordre public …). Mais, la véritable difficulté réside dans les nombreuses autres exceptions, d’origine réglementaire, justifiées sur un motif de « bonne administration ». À ce jour, le compteur des exceptions se monte à 2 400 sur 3600 procédures concernées. Ce chiffre prouve à lui seul que cette apparente « révolution juridique » demeure symbolique (v. B. Seillier, « Quand les administrations infirment heureusement la règle : le sens du silence de l’administration », RFDA 2014, p.35). En réalité, cette nouvelle donne administrative a pour effet premier de faire disparaître tout principe au profit d’une approche au cas par cas.
Pourtant, l’objectif de valeur constitutionnelle d »accessibilité et de l’intelligibilité de la loi impose au législateur de se « prémunir des complexités inutiles » afin que chacun puisse avoir une connaissance suffisante des règles de droit qui lui est applicable. Dans sa décision du 26 juin 2003 (n° 2003-473 DC, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit), le Conseil constitutionnel confirme que la codification répond à cet objectif. Ainsi, dans l’élaboration du CRPA, qu’elles ont été les solutions trouvées par le codificateur pour rendre plus accessible et plus intelligible le régime des décisions implicites de administration ?
La solution d’accessibilité du codificateur : le renvoi à des sources numériques
L’accessibilité du droit, c’est d’abord avoir accès techniquement à l’information juridique. Sans cet accès, l’effectivité du droit est remise en cause. Le CRPA, via son article D.231-3, renvoie à Legifrance, site internet (https://www.legifrance.gouv.fr) dédié à l’accès au droit. Ce renvoi vers une source internet est une première dans un code. Au regard des nombreux décrets et donc d’exceptions, on ne peut pas donner tort au codificateur d’avoir usé de cette méthode. En réalité, le site Legifrance met à disposition des tableaux par type d’administrations (État, collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale) établissant la liste des procédures concernées par le principe. En définitive, le nouveau dispositif témoigne, non du passage d’un principe à un autre, mais d’un principe à une liste. Procédure par procédure, les personnes intéressées devront donc s’assurer du régime applicable à leur demande. C’est dans cadre que le site officiel de l’administration publique service-public.fr (https://www.service-public.fr/demarches-silence-vaut-accord) apporte une aide grâce à un moteur de recherche. L’accès à ces informations dans ce domaine est d’autant plus important que l’intéressé peut, en vertu de l’article L. 232-3, solliciter auprès de l’administration concernée une attestation prouvant son accord tacite. Cette attestation permet de contourner l’absence de valeur juridique des listes de procédures et pourra être opposée aux tiers.
On ne peut donc nier l’effort d’accessibilité qui existe en ce domaine, qui permet, tant au public, qu’à l’administration, de disposer de l’information juridique nécessaire. Mais le recours au numérique, s’il constitue aujourd’hui, un moyen privilégié d’accès au droit n’est pas, pour autant sans défaut. Certes, l’arrêt de section Meyet du Conseil d’État (9 novembre 2005, requête n° 271713, AJDA 2005, p. 2210) précise, à propos de la fin du Journal officiel papier, que le passage au numérique ne méconnaît pas le principe d’égalité. Néanmoins, on ne peut pas ignorer les problématiques de fractures sociales (tout le monde n’a pas la compétence et le matériel nécessaire pour accéder au droit par internet) et territoriales liées à cette technologie (zones blanches), créant un risque de discrimination numérique (v. S. Turgis, « L’accès au droit par internet », AJDA 2015, p. 142). Cet enjeu est d’autant plus crucial quand on évoque les relations entre le public et l’administration. Malheureusement, cette dimension n’a pas été prise en compte par le codificateur.
L’amélioration des procédés techniques pour diffuser les règles juridiques est un préalable nécessaire mais pas suffisant, pour que le public puisse appréhender le régime des décisions implicites de l’administration. Encore faut-il qu’il soit plus intelligible, afin de garantir son effectivité et son efficacité.
La solution d’intelligibilité du codificateur : le renvoi aux décrets
L’exigence d’intelligibilité du droit signifie que la règle juridique doit être lisible et compréhensible de tous. En ce qui concerne les décisions implicites de l’administration, le nombre et l’éparpillement des textes rend difficile la mise en œuvre de cette exigence. Bien davantage, la réforme a engendré un enchevêtrement d’innombrables textes, prévoyant chacun diverses exceptions ou modifiant le délai d’instruction. Cela se révèle particulièrement vrai, dans certaines domaines, comme celui de l’urbanisme (MC. MehlSchouder, « Le « silence vaut acceptation » en droit de l’urbanisme et »ses » législations indépendantes », AJ Collectivités Territoriales 2015 p.120) Le risque de confusion est fort. Un mince espoir résidait donc dans la codification pour rendre plus lisible ce régime juridique.
Le codificateur semble avoir voulu avant tout énoncé et mettre en valeur le principe « silence vaut acceptation » dans l’esprit d’une nouvelle avancée en faveur du public. L’intitulé du chapitre 2 « garanties procédurales » est révélateur de cette volonté. Pour les dérogations, le CRPA renvoie directement aux décrets d’application, dans son article L.231-5. Au regard de l’instabilité du droit dans ce domaine, le codificateur a eu raison. La preuve est apportée par le nouveau décret n° 2016-625 du 10 mai 2016, qui concernent les collectivités territoriales. Ce décret ajoute encore d’autres actes à la liste des dérogations au principe « silence vaut acceptation » (v. B. Claverie, « Décisions tacites des collectivités territoriales et leurs établissements : un nouveau décret sur le silence », JCP A, n°21, 30 mai 2016).
Toutefois, la solution du renvoi aux décrets n’empêchait pas le codificateur d’apporter d’importantes clarifications. La Commission supérieure de codification, instance qui fixe les directives générales d’élaboration des codes, indique, pourtant, dans son rapport annuel 2014, qu’ « un code peut abriter des dispositions de nature strictement explicative afin d’éclairer ses usagers ». On peut déplorer que le codificateur n’a pas utilisé cette possibilité pour faciliter la compréhension du régime juridique des décisions implicites. L’accent peut être mis sur deux omissions. La première concerne l’absence de définition de la notion de « silence » . Il aurait été utile d’indiquer que le « silence » signifie une absence de décision formelle de refus ou d’invitation à compléter son dossier émanant de l’administration. Par ailleurs, le CRPA n’évoque pas la distinction entre les décisions implicites valant accord et les décisions implicites valant rejet. Cette omission est d’autant plus regrettable que l’article L. 231-6 renvoie aux décrets pour les dérogations au délai des deux mois pour l’acceptation implicite (le délai de deux mois se trouve pour certaines demandes raccourci ou allongé). Mais, pour le public, cet article n’est pas compréhensible sans définition préalable de la notion de silence et de celle de décision implicite d’acceptation.
En conclusion, ajustons les points de vue. Du côté de l’administration, elle doit s’approprier ce nouveau régime et se départir de ses habitudes silencieuses : le droit à l’erreur n’est plus possible pour elle. Pour le public, désarmé face à cette législation, le dénigrement de la « bureaucratie », a encore de beaux jours devant lui. Le risque est donc grand d’un mauvais dialogue entre le public et l’administration, c’est à dire le contraire de l’ambition affichée par le codificateur. Espérons que le projet de loi, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 10 mai dernier, relatif à l’effectivité et à l’efficacité du principe « silence vaut acceptation », permettra de relancer utilement le débat. Affaire donc à suivre …
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 76.