Art. 396.
La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).
L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).
Jean-Michel Lattes
Maître de Conférences à l’Université Toulouse Capitole,
Chercheur à l’Institut de Droit Privé (Idp – Ea 1920),
Président de Tisséo Collectivités
Si la décentralisation en France apparaît comme une aspiration plus ancienne que les lois Defferre de 1982, nul doute cependant que celles-ci constituent un acte majeur souvent qualifié d’« Acte I de la décentralisation ».
La loi votée le 28 janvier 1982, promulguée le 2 mars 1982, complétée par la loi du 22 juillet 1982, introduit en effet des modifications considérables dans l’organisation territoriale de notre pays. Les évolutions induites par ces textes et ceux qui les ont complétés ont façonné durablement le fonctionnement de notre pays jusqu’alors très centralisé. La promotion de la région en collectivité territoriale à part entière désormais élue au suffrage universel, le président du conseil général – départemental désormais – en charge de l’exécutif du département, l’institution d’un contrôle juridictionnel a posteriori remplaçant une tutelle administrative a priori, la création des Chambres Régionales des Comptes… il nous est possible, près de quarante ans plus tard, de mesurer l’importance des mutations engagées dans de nombreux domaines.
D’autres textes ont cependant accompagné ce mouvement de décentralisation[1]. Les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 bouleversent la répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales. La loi du 5 janvier 1988 dite « d’amélioration de la décentralisation » vient préciser le champ du contrôle des Chambres Régionales des Comptes tout en déterminant le domaine d’intervention économique des collectivités locales. Par suite, la loi relative à « l’administration territoriale de la République » du 6 février 1992 relance la démocratie locale et la coopération intercommunale tout en renforçant les processus de déconcentration[2].
Ce processus est complété par de nombreux textes renforçant cette première approche décentralisatrice et portant sur la coopération intercommunale[3], sur le développement durable[4] ou encore sur le renouvellement urbain[5] ou la démocratie de proximité[6].
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République constitue le point de départ de la mutation vers « l’Acte II de la décentralisation ». Le principe de « l’organisation décentralisée » de la République est posé (art. 1er de la Constitution) et la région est inscrite dans la Constitution au même titre que les autres collectivités locales que sont la commune et le département. Plusieurs lois organiques organisent un important transfert de compétences nouvelles au profit des collectivités territoriales[7]. En particulier, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales leur transfère de nouvelles compétences dans le domaine du développement économique, du tourisme, de la formation professionnelle tout en intégrant, par ailleurs, la responsabilité de certaines infrastructures comme les routes, les aérodromes et les ports.
L’adoption de la loi du 10 juillet 2006 autorisant l’approbation de la Charte européenne de l’autonomie locale est parfois qualifiée d’étape décisive vers un « Acte III de la décentralisation » qui trouve son aboutissement avec la loi de Modernisation de l’Action Publique territoriale et d’Affirmation des Métropoles du 27 janvier 2014[8]. Ici encore, de nombreux textes consacrent cette progression vers une France toujours plus décentralisée[9].
On parle aujourd’hui d’un « Acte IV de la décentralisation ». La loi dite 3ds pour « Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification de l’action publique » a été présentée au Parlement en 2021. Les modifications au projet de loi induites par le Sénat témoignent de l’intérêt des parlementaires pour cette nouvelle étape de la décentralisation.
Au-delà des textes traitant de la décentralisation au sens large, certains d’entre eux traduisent la volonté de faire évoluer la compétence transport[10]. De la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs, dite loi Loti, au projet de loi relatif à la Différenciation, la Décentralisation, la Déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3ds[11], le paysage juridique des transports publics évolue sans pour autant que l’État se dessaisisse totalement d’un domaine dans lequel il conserve une fonction de régulation et d’organisation.
Il est, de fait, possible de parler de l’impact des textes de décentralisation sur la compétence transport en analysant ce que l’on peut appeler « L’An I de cette mutation » (Partie 1) autour des lois Loti et Maptam puis de prolonger notre analyse autour des évolutions (Partie II) induites par les textes postérieurs, en particulier les lois Notre et Lom. Les mutations induites par le projet de loi 3ds peuvent nous permettre d’imaginer les perspectives induites par de possibles nouvelles évolutions (Conclusion).
I. L’an 1 de la décentralisation dans la compétence transport
A. La loi Loti, première étape dans la décentralisation des transports publics
La loi d’Orientation des Transports Intérieurs (Loti) du 30 décembre 1982[12] est souvent qualifiée de loi fondamentale tant elle modifie l’organisation des services publics de transport. De manière générique, elle affirme le principe en vertu duquel « un droit au transport » est reconnu. Elle précise en effet que ce droit doit permettre de se déplacer « dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coûts pour la collectivité ».
La question de la répartition de la responsabilité des transports publics est au cœur de cette évolution. Au-delà de la responsabilité de l’État, la loi de 1982 organise une répartition de la compétence transports entre les différentes collectivités locales : les communes, les départements et, désormais, la région reconnue comme une collectivité à part entière.
Deux éléments de la loi Loti modifient fondamentalement l’équilibre en place. Le statut d’Autorité Organisatrice des Transports (Aot) est attribué aux collectivités locales en vue d’organiser les transports collectifs[13]. Par ailleurs, les Plans de Déplacement Urbain (Pdu) sont instaurés pour permettre une définition globale de l’organisation des déplacements à l’échelle d’une commune ou d’un groupe de communes[14].
L’importance de ce texte se mesure dans l’évaluation de ses conséquences directes ou indirectes. Au-delà de l’affirmation de grands principes[15], la loi réorganise la répartition des compétences. C’est véritablement la définition d’une politique des transports qui est proposée dans toutes ses dimensions : planification globale, règles de concurrence et recherche de complémentarité, répartition des rôles entre l’État et les collectivités territoriales, contractualisation des dispositifs déployés…
Si certaines limites du texte seront rapidement relevées[16], la loi Loti a cependant réussi à combiner l’intervention de multiples acteurs du monde des transports tout en garantissant une véritable régulation des acteurs publics[17]. La loi dite « Grenelle II » de 2010 impacte et aménage les orientations prises par la loi Loti[18]. Le nouveau texte traite ainsi de la « cohérence régionale et interrégionale des services ferroviaires régionaux de voyageurs ». Il renforce la coordination des services de transport dans les agglomérations de plus de 100.000 habitants et intègre la problématique de l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre dans l’élaboration et la révision des Pdu[19].
B. La loi Maptam et la consécration de la notion de mobilités
La loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles, dite « Maptam » a été publiée le 28 janvier 2014[20]. Ce texte, complété par la loi Notre[21], modifie et réorganise le dispositif mis en place par la loi Loti pour structurer la gestion des transports sur le territoire métropolitain.
Dans le dispositif Loti, le choix avait été fait d’élargir le système des transports publics en se basant sur la répartition des principaux modes de transports : le transport ferroviaire pour les régions – les départements en charge des transports non-urbain et scolaire – les structures communales pour mettre en place les transports urbains.
Ces dispositifs sont revus en transférant les transports non urbains et scolaires aux régions, les départements ne conservant que le transport spécial des élèves handicapés[22]. Les structures communales voient, de leur côté, leurs compétences élargies à de nouveaux services. Les anciennes Autorités Organisatrices des Transports Urbains (Aotu) deviennent des Autorités Organisatrices des Mobilités (Aom) avec un ressort territorial correspondant au périmètre de l’intercommunalité qui exerce la compétence mobilité[23].
Le changement de mots est ici essentiel. On passe de la compétence sur « les transports publics » à la compétence « mobilité ». Ce changement a du sens et se trouve valorisé dans les textes ultérieurs. Les Aom se voient confier les mobilités avec des prérogatives élargies : transports à la demande, logistique urbaine, appui au développement des nouveaux services à la mobilité… Cette notion de mobilité sera, par suite, renforcée au point d’intégrer les nouvelles mobilités souvent qualifiées de douces.
La loi Maptam consacre le rôle de la région comme la structure compétente pour organiser l’intermodalité des transports et leur complémentarité. C’est, en effet, désormais au niveau régional que se définissent les règles traitant de l’intermodalité entre les services publics de transport au travers de la mise en place des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) consacrés par la loi Notre[24].
II. Les évolutions de la compétence transport
La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 396.
[1] De 1982 à 1986, près de 25 lois complétées par plus de 200 décrets consacrent le mouvement de décentralisation.
[2] Ces réformes sont prolongées par la loi du 4 février 1995 sur « l’aménagement et le développement du territoire ».
[3] Loi dite Chevènement du 12 juillet 1999 relative « au renforcement et à la coopération intercommunale » – (Loi n°99-586, Jorf n°160 du 13 juillet 1999, p. 10361 et s.).
[4] La loi Voynet du 25 juin 1999 relative à « l’aménagement et au développement durable », (Jorf n°148, n°148 du 29 juin 1999).
[5] Loi dite « solidarité et renouvellement urbain » du 13 décembre 2000 (Jorf n°289 du 14 décembre 2000).
[6] Loi sur « la démocratie de proximité » du 28 février 2002 (Jorf du 28 février 2002).
[7] On peut citer : les lois du 1er août 2003 relatives à l’expérimentation par les collectivités territoriales et organisant un référendum local (Jorfn°177 du 2 aout 2003) ou la loi organique du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales (Jorf n°175 du 30 juillet 2004).
[8] Dite loi Mapam ou Maptam.
[9] La loi de « réforme des collectivités territoriales » du 16 décembre 2010 organise l’achèvement et la rationalisation de la carte intercommunale tout en renforçant la démocratisation des intercommunalités. La loi prévoit aussi la suppression de la clause générale de compétence.
[10] Neiretz N., La coordination des transports en France – De 1918 à nos jours ; Institut de la gestion publique et du développement économique, 2014.
[11] La loi 3ds a connu plusieurs dénominations. La loi est d’abord appelée « loi 3D » pour « Décentralisation, Différenciation et Déconcentration ». Elle est ensuite dénommée « 4D » pour « Décentralisation, Différenciation, déconcentration et décomplexification ». La loi a été présentée au Parlement sous l’appellation finale « 3ds ».
[12] Loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d’Orientation des Transports Intérieurs, Jorf du 31.12.1982, p. 4004.
[13] Cette attribution est progressive. La région est concernée au début des années 2000.
[14] L’importance des Pdu sera renforcée par des textes ultérieurs. La Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie (Laure) de 1996 va leur conférer un caractère obligatoire dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Cf. Rotalier G. (de), Les Plans de Déplacements Urbains : Bilan et Perspectives, Éditions universitaires européennes, 2011.
[15] Reconnaissance du droit au transport, organisation d’un véritable service public du transport, affirmation de la liberté de choix de l’usager…
[16] Le secteur du transport routier de marchandise et l’abandon progressif, et non avoué, du fret par le rail, le financement et la tarification des infrastructures, les carences dans le domaine de la concertation avec les usagers, la combinaison entre les textes européens et les objectifs nationaux… constituent des éléments de faiblesse dans le bilan de la loi Loti. Si la loi s’est révélée bénéfique dans le domaine des transports, elle a aussi révélé des limites qu’il convient de prendre en compte. C’est cependant plus une adaptation qu’une révolution qui semble nécessaire de mettre en œuvre.
[17] La loi Loti prévoit la production de bilans socio-économiques et environnementaux 3 à 5 ans après la mise en service des grandes infrastructures de transport appelés « Bilans Loti ». Cette évaluation des résultats obtenus constitue un élément important permettant de crédibiliser les actions menées.
[18] Loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant Engagement National pour l’Environnement (parfois appelée loi Ene) complète et territorialise la loi dite « Loi Grenelle I » du 11 février 2009.
[19] Amar G., « Pour une écologie urbaine des transports » in Les Annales de la Recherche Urbaine, 1993, p. 141 à 151.
[20] Loi n°2014-58 du 27 janvier 2014.
[21] Voir le A de la Partie II.
[22] Cf. Loi Notre.
[23] Il convient de noter que, si certaines communautés exercent cette compétence de manière obligatoire (métropoles, communautés urbaines et communautés d’agglomération), les communautés de communes peuvent choisir de ne pas se doter de cette compétence voire même de l’exercer en tout ou partie.
[24] Audoit C., Idrissi M. & Roturier L., L’acte III de la décentralisation, une nouvelle donne pour les territoires ; Territorial Éditions, 2017.
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